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samedi 31 janvier 2009

Clausewitz (Livre II, chap. 6) Des exemples

Dans ce chapitre, Clausewitz s'interroge sur la valeur des exemples, et leur caractère démonstratif. Rappelons que ce Livre II constitue la démarche épistémologique qui fonde l'approche de CVC. Ce chapitre est le dernier du livre.

1/ Car l'exemple est souvent assimilé à la preuve. C'est le cas dans les sciences dures, ce que rappelle CVC : "Les exemples historiques rendent tout plus clair. Dans les sciences empiriques, ils apportent les preuves les plus solides" (p. 164). La question induite est la suivante : un exemple, dans une "science" comme la stratégie, a-t-il valeur de preuve?

2/ CVC a tendance à considérer que l'exemple historique est une preuve : car "il n'est pas de science empirique, y compris la théorie de la conduite de la guerre, qui ne puisse toujours agrémenter ses raisonnements d'exemples historiques. Les démonstrations n'en finiraient plus" (p. 166)

Clausewitz démonte bien le mécanisme : à la guerre"quand une manière de faire a été efficace, on l'utilise à nouveau. L'un imite l'autre (...et cela) finit par prendre place dans la théorie". "Au contraire, quand il faut s'appuyer sur l'expérience pour déraciner un vieil usage (...) il faut puiser des exemples dans l'histoire pour servir de preuves".

Ainsi, l'exemple serait une preuve, utile aussi bien pour construire la théorie que pour la réfuter (et l'améliorer).

3/ CVC distingue ainsi quatre utilisations de l'exemple historique : - celui qui explicite l'idée

- celui qui applique l'idée et permet de détailler les effets, et permet de lier la théorie à l'expérience

- celui qui appuie une thèse et qui permet de constater "qu'un fait ou un effet est possible"

- celui qui, par la représentation détaillée d'un événement, permet de tirer une doctrine.

J'avoue que cette catégorisation me paraît obscure.

4/ Au final, on remarquera le souci de la preuve chez Clausewitz, et le souci de théoriser cette preuve. A nos yeux d'homme du XXI° siècle, tout cela paraît bien sûr un peu pauvre. Karl Popper a permis des avancées certaines en ces matières.

5/ Pourtant, malgré les limites de ce chapitre, on sait gré à Clausewitz de l'avoir écrit et d'avoir conçu ce livre II qui traite de la théorie. Car je ne suis pas sûr que beaucoup de nos stratèges, civils ou militaires, aient profondément réfléchi aux conditions de véracité de leurs arguments. Il est très facile d'argumenter, mais il est infiniment plus difficile de prouver. Notamment dans ces disciplines humaines, où l'empirisme (et donc la reproduction de l'expérience) est extrêmement difficile.

Il semble d'ailleurs qu'une des conditions du succès soit justement la méditation sincère par le chercheur des conditions épistémologiques de sa recherche.

En cela, Clausewitz est une fois encore prophète. Nul doute que le génie de ses réflexions ne soit dû, aussi, à son inquiétude épistémologique.

O. Kempf

lundi 26 janvier 2009

Clausewitz (Livre II, chap. 5) « La critique » (pp. 161-164)

Clausewitz termine ce long chapitre par une sous-partie consacrée au « langage de la critique».

1/ La question sous-jacente est la suivante : faut-il un langage spécialisé ? non, répond CVC. « L’analyse critique n’est rien que la réflexion qui doit précéder l’action » (p. 161). Il faut donc que « l’idiome dont se sert la critique ait le même caractère que celui de la pensée à la guerre ». Notez bien : pensée à la guerre, et non pensée de la guerre. Même si « la théorie éduque l’esprit du chef de guerre »

2/ Par conséquent, « elle évite d’utiliser un jargon obscur et mystérieux ; elle parle claire, au moyen d’un enchaînement transparent de concepts ». (p. 162). Je confesse au passage avoir mis dix ans à comprendre ce que signifiait la guerre dans les espaces lacunaires.

3/ Outre la « surabondance du jargon », « l’usage inadmissible et maladroit de systèmes étriqués comme loi universelle », « carrefours obscurs où se séparent le lecteur et l’auteur », CVC dénonce un dernier méfait : « l’abus des exemples historiques et la parade d’érudition constituent la troisième offense ».

4/ Quiconque a pratiqué l’université doit malheureusement constater que ces défauts existent toujours de nos jours, toutes disciplines confondues. Dont, il faut bien le déplorer, la stratégie. Berthier, notre vieux Berthier, toi le maître des officiers d’état-major qui ne cesse de leur rappeler les vertus du mot juste, peut-être faudrait-il que tu donnes des cours ailleurs qu’à Compiègne....

5/ Ainsi ce termine ce chapitre passionnant, qui mérite un effort mais est un des fondements de la démarche intellectuelle de Clausewitz : on comprend sa méthode, et on aperçoit comment il est arrivé au conclusions du Livre I, le seul qu’il ait rédigé complètement...

O. Kempf

dimanche 25 janvier 2009

Clausewitz (Livre II, chap. 5) « La critique » (pp. 160-161)

Une courte sous-partie, sur « le rôle de la fortune ».

1/ « A la guerre, toute action vise un succès probable plutôt qu’un succès certain » (p. 160). Par ces quelques mots, Clausewitz recadre le débat précédent : le sort des armes ne suffit pas à déterminer à tout coup la justesse d’une décision stratégique. C’est ici qu’intervient le rôle du critique. Or, il y faut des critères.

2/ En effet, « entre les faveurs accordées par la fortune et le génie du capitaine, on imagine obscurément quelque lien trop ténu pour être conçu par notre esprit » (p. 161). Dès lors, « la critique laissera le résultat parler de lui-même pour tout ce qui concerne les causalités secrètes et invisibles ». Car « ce que l’habileté humaine ne peut découvrir, le verdict du succès doit l’éclairer ».

3/ Quelle conclusion en tirer : que la critique doit examiner l’ensemble des causes qui lui sont accessibles. Ensuite, ensuite seulement, ce qu’on appelle hasard, providence, destinée, fortune, heur, ..... sera laissé au fatum qui est le mélange du sort des armes (la guerre est un duel, ne l’oublions pas) et au génie mystérieux du stratège (la guerre st activité humaine...).

O. Kempf

samedi 24 janvier 2009

Clausewitz (Livre II, chap. 5) « La critique » (pp. 156-160)

J’intitulerai cette sous-partie « la critique doit-elle connaître le dénouement ? ».

1/ « Est-il licite, ou impératif, pour la critique de se placer du point de vue de sa meilleure connaissance de l’événement, y compris de son dénouement ? Quand et où lui faut-il s’abstraire de cette connaissance afin de se replacer exactement dans la situation de celui qui dirigeait l’action ? » (p. 156). Cette question méthodologique est d’importance, et elle revêt une acuité qui n’est pas forcément aperçue de nos jours. En effet, à lire les publications du CDEF, on ne cesse de lire des appels à l’utilité de l’histoire militaire et de ses vertus d’enseignement. Fort bien, mais il y a un présupposé épistémologique derrière que soulève ici Clausewitz, et qui n’est omise par nos penseurs contemporains.

2/ Or, « si la critique désire distribuer le blâme et l’éloge, elle doit en tout cas se placer exactement dans la position qu’occupait le chef militaire ». Même si : « il manquera donc toujours à la critique bien des éléments présents à l’esprit du chef » (p. 157).

3/ Pourtant, « il est encore plus difficile pour la critique de ne pas tenir compte de ses connaissances excessives ». « Il est tout à fait normal d’examiner les événements à la lumière de la totalité ». « cela ne vaut pas seulement pour le dénouement (...) mais aussi pour les antécédents ». Ainsi, en fin d’étude,que CVC affirme « nous affirmons qu’il est aussi impossible de s’abstraire de cette connaissance que de celle du résultat ».

4/ C’est qu’il y a une raison majeure à cette distanciation : « qui oserait être doué de la virtuosité d’un Frédéric le Grand ou d’un Bonaparte ? » (p. 158).

5/ Il y a toutefois une difficulté : « si le critique se met en avant et attribue pompeusement à sa grande sagesse la science qui lui vient d’une connaissance parfaite de la situation ». CVC prend ainsi l’exemple de la campagne de Russie de 1812. « même si les résultats de la poussée vers Moscou avaient été meilleurs encore, auraient-il inspiré assez de terreur (notons encore cette notion d’effroi, vue au billet précédent, et qui paraît donc essentielle à la victoire) au tsar Alexandre pour le pousser à la paix ? » (p. 159). En revanche, « si le tsar Alexandre avait concédé une paix désavantageuse, la campagne de Russie aurait pris place aux côtés des campagnes d’Austerlitz, Friedland et Wagram ». Bref, le sort des armes ne suffit pas forcément à déterminer la justesse des manœuvres conduites. Il faut autre chose. C’est au critique de l’analyser. Il serait donc bon que nos historiens militaires relisent et surtout méditent ces lignes du maître : quitte d’ailleurs à les ‘critiquer’....

O. Kempf

jeudi 22 janvier 2009

Clausewitz (Livre II, chap. 5) « La critique » (pp. 148-156)

Je poursuis ma lecture de Clausewitz, et notamment au milieu du chapitre 4 du Livre II, que j'avais laissée au milieu de l'analyse (pour se remettre dans le bain, voir ici le 1, le 2,)

J’intitulerai cette longue sous-partie « Difficulté d’évaluer les causes ».

1/ « La recherche des causes des phénomènes et l’évaluation des moyens par rapport aux objectifs vont toujours de pair dans l’examen critique d’une action ; seule la recherche des causes déterminera quels objets méritent d’être évalués » (p. 148). « Les difficultés abondent : (...) à mesure que s’élève le point de vue, la multiplicité des objets soumis à évaluation devient patente ». C’est « un vaste champ où il est facile de se perdre ».

2/ Clausewitz donne alors l’exemple de la campagne d’Italie, en 1797, qui mène à l’armistice de Leoben puis à la paix de Campo-Formio (pp. 149-151).

3/ Il poursuit avec l’exemple de la campagne de Russie de 1812 (p. 151).Notons au passage un argument essentiel de la force armée : l’effroi ! « Bonaparte comptait sur l’effroi qui précédait ses armes ». Mais en 1812, « l’effroi s’était quelque peu émoussé au cours des gigantesques combats précédents ; mais en 1797, l’effroi était neuf, le secret d’une résistance portée jusqu’aux extrêmes n’avait pas encore été percé ». L’effroi : base essentielle de la victoire. Faire peur. Terroriser. Et pour y résister, dépasser sa peur et accepter d’aller aux extrêmes, jusqu’au sacrifice de sa capitale.

4/ CVC a parlé du génie du stratège, comme un des facteurs incontournables de la guerre. Il en vient maintenant à parler du talent du stratégiste : « à côté de la compréhension théorique de l’objet d’étude, le talent naturel est essentiel à l’examen critique, car c’est lui qui fera ressortir les enchaînements des choses et saura démêler celles qui sont essentielles » (p. 151). Mais le talent, c’est aussi d’évaluer non seulement les moyens qui ont effectivement été engagés, mais « toutes les possibilités qui doivent d’abord être formulées et en fait imaginées ». Cette imagination permet au stratégiste de se mesurer au stratège. Et donc de le critiquer, au sens commun du mot, car cela permettra « une création autonome qui jaillit d’un intellect fécond » (p. 152). CVC veut sa revanche : à la fois sur Napoléon qui l’a battu à Iéna, mais aussi sur le milieu stratégique allemand qui l’ignore. L’homme, ses amertumes et ses regrets percent sous le penseur.

5/ CVC nous en donne aussitôt un exemple, tout aussi passionnant que les précédents. Lors du siège de Mantoue du 30 juillet 1796, Bonaparte lève le siège pour se porter devant Wurmser. Génial, disent les commentateurs. Non, dit CVC, qui défend l’hypothèse de la circonvallation, l’assiégeant se défendant contre l’armée qui vient par l’élévation de défenses extérieures, tout en poursuivant le siège de la ville (pp. 152-153, puis p. 155). Autre exemple, la campagne de France de 1814 : tout le monde sait le mouvement balayant de Napoléon, de part et d’autre de la Marne, pour contenir les deux armées de Blücher et Schwarzenberg. Chacun s’en émerveille ? pas Clausewitz, qui prône d’aller poursuivre Blücher jusqu’au Rhin, en pariant sur la couardise de Schwarzenberg (p. 153-155).

6/ Critiquer Napoléon : fallait-il qu’il soit audacieux. C’est comme si d’autres se permettaient de critiquer Clausewitz....

O. Kempf

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