Egeablog - Histoire2023-06-28T12:43:19+02:00Olivier Kempfurn:md5:fc9dfa5de5fd9856c4c7bdd45e8ff3c1DotclearLe refus de la Victoire, maladie françaiseurn:md5:6b59ffbb4a637bf42bb772421e7185342018-11-04T20:27:00+00:002018-11-06T08:34:32+00:00Olivier KempfHistoire1918ArmisticeGuerrePremière Guerre mondialeVictoire<p>Je poursuis la réflexion entamée la semaine dernière (<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2018/10/24/Ces-civils-que-l-on-a-arm%C3%A9s">voir billet</a>) ou celle de Michel Goya sur son blog (<a href="https://lavoiedelepee.blogspot.com/2018/10/le-11-novembre-rien-ne-remplacera-la.html">ici</a>) et reviens sur cette non commémoration de la Victoire décidée par l’Élysée et balancée, à ses yeux, par le voyage mémoriel qu'il compte effectuer, rendant hommage aux combattants.</p>
<p><img src="https://nhlife.files.wordpress.com/2015/11/armisticeday111a.jpg?w=1648&h=1264" alt="" /> <a href="https://nhlifefree.com/2015/11/11/november-11-is-first-foremost-armistice-day-remembrance-poppy-veterans-days-ensued/">Source</a></p> <p>Précisons d'emblée qu'il ne s'agit pas de discuter des sujets annexes qui ne sont pas ici essentiels :</p>
<ul>
<li>ni la question d'un éventuel défilé ou parade (traditionnellement, le 11 novembre fait l'objet d'une prise d'armes de pied ferme autour de l'Arc de Triomphe et personne n'a demandé un défilé particulier).</li>
<li>ni la question de la mise à l'honneur des maréchaux de la Première Guerre mondiale (je rappelle qu'ils furent nombreux : Foch, Joffre, Galliéni, Lyautey, Franchet d'Esperey, Fayolle, Maunoury, et Pétain, celui qui pose problème...).</li>
<li>ni la question de la négociation avec l'Allemagne de ces modalités (car après tout, il est compréhensible qu'on use de tact et de diplomatie en la matière).</li>
</ul>
<p>Selon l’Élysée : "<em>Le sens de cette commémoration, ce n'est pas de célébrer la victoire de 1918</em>". Voilà le point dur, celui qui cause problème, plus encore que les propos inutiles d'un conseiller mémoire qui n'a pas de mémoire sur "les civils que l'on a armés".</p>
<p>Ne pas célébrer la victoire. Que célébrer, alors ? La "fin d'une guerre" ? Mais ne comprend-on pas qu'il n'y a pas de fin de guerre si l'un des adversaires n'accepte le résultat de la fortune des armes ? Il y a un anachronisme persistant à considérer, par un crypto-pacifisme, que "la guerre c'est mal et que donc toute guerre est mauvaise". Les guerres sont douloureuses, nul n'en disconvient mais si les États, si les parties (dans le cas de guerres irrégulières) décident de les faire, c'est bien parce que leurs raisons sont à leurs yeux plus impérieuses que les incontestables catastrophes qui les accompagnent. Oui, la guerre est catastrophique et pourtant, on la fait. Ce n'est d'ailleurs pas parce qu'on ne se veut pas d'ennemis qu'on n'en a pas. Souvent, c'est l'ennemi qui décide, les djihadistes nous l'ont montré récemment (c'est d’ailleurs parce qu'ils ont pris l'initiative que nous parlons désormais à tout bout de champ de "guerre").</p>
<p>On la fait pour de bonnes raisons, par exemple pour défendre sa liberté (une des trois valeurs de la devise de la République). Peut-on quand même rappeler à certains que trois départements étaient en 1914 annexés contre la volonté des peuples depuis plus de 45 ans, et que pendant la guerre, justement, dix départements français, de l'Est et du Nord du pays, soit deux millions de personnes quand même, vivaient sous la domination du Reich. La victoire a permis que ces territoires-là soient libérés et elle a évité qu'au lieu d'avoir trois départements annexés, il n'y en ait eu cinq ou dix. Ce n'est pas rien.</p>
<p>Car eussions nous été défaits, nous aurions vécu sous une domination étendue. La défaite de 1870 n'avait pas laissé que des bons souvenirs, faut-il le rappeler (juste une histoire de mémoire...).</p>
<p>Alors, de quoi ce refus de la victoire est-il le nom ?</p>
<p>Si l'autre nous déclare la guerre, nous devons la conduire. Sinon, comment comprendre les déclarations de nos gouvernants répétant sans relâche que "nous sommes en guerre" ? L'absence de réflexion sur le sens de la guerre fait qu'on ne désigne pas l'ennemi : non, on "fait la guerre contre le terrorisme", du président précédent reprise par le président actuel. Mais alors, qu'y a-t-il, selon eux, au bout de cette guerre ? Si le terroriste est notre ennemi, ne devons-nous pas "vaincre" ? sinon, quel est le but ?</p>
<p>Si donc nous sommes en guerre aujourd’hui, c'est que nous acceptons le mécanisme de la guerre. Parfois, la force doit prévaloir afin qu'elle crée le droit.</p>
<p>S'agit-il alors de cet étrange goût français pour célébrer les défaites ? : on célèbre Sidi-Brahim, Bazeilles, Camerone ou Dien-Bien Phu, on se souvient d'Azincourt et Crécy plus que de Castillon qui pourtant nous donna la victoire, à la fin de la Guerre de cent ans. Heureusement que les Cyrards fêtent encore le 2S en l'honneur d'Austerlitz... Mais la tradition militaire aime les glorieuses défaites, celles où le panache est mis en avant, où l'on célèbre la lutte jusqu'au bout, le sacrifice suprême. Mieux vaut la manière (l'héroïsme) que le résultat.</p>
<p>En l'espèce, ce n'est pas de cela dont il s'agit. Nul célébration de vertus militaires. C'est juste que la victoire, ça sonne trop guerrier. Et puis il y a ce côté moderne qui trahit en fait un sentiment refoulé de supériorité : on refuse de célébrer sa victoire "car l'on est au-dessus de ça", on oublie Austerlitz mais on va fêter Trafalgar. On se croit humble et généreux, on est juste orgueilleux et méprisant, sans même s'en rendre compte, plein de bons sentiments, d'autant plus que l'autre se fiche de nos abaissements, lui n'hésite pas à célébrer ses victoires. Car il ne s'agit pas de triompher, mais de célébrer. Nuance. La victoire de 1918 n'est tout de même pas une exaction... Le XXème siècle en a connu bien d'autres, ailleurs qu'en France.</p>
<p>Au fond, ce refus de célébrer la victoire est une pensée anachronique, une trahison du devoir de mémoire, un vain calcul politicien contemporain. Il faut revenir à Renan et sa définition de la Nation. On rappellera (avec Wikipedia -<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Qu%27est-ce_qu%27une_nation_%3F">ici</a>-, qu'on ne peut accuser de déviation idéologique) que Renan insiste sur la conception française contractuelle de la formation de la Nation, à l'opposé d'une vision allemande (eh oui!) beaucoup plus essentialiste, venue notamment de Fichte. J'ai écrit par ailleurs (dans mon livre "Géopolitique de la France", <a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2012/12/04/G%25C3%25A9opolitique-de-la-France-%2528OK%2529">voir ici</a>) la dialectique entre les deux approches et comment le nationalisme allemand est né à la suite de la Révolution française.</p>
<p>Pour Renan, être une Nation "c'est avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore dans l'avenir". Mais encore faut-il se souvenir des belles choses faites ensemble.</p>
<p>Le terrible sacrifice de nos grands-parents en fait partie, quoi qu'on en dise. Certes, la France sort épuisée de la Guerre, certes le défilé de la Victoire (qui a lieu le 14 juillet 1919) commence par les blessés, estropiés et gueules cassées, certes les anciens combattants affirment "plus jamais ça", mais pas un ne regrette le combat ni le sacrifice, car victoire il y a eu. Alors, il peut y avoir réconciliation.</p>
<p>Il n'y a pas de paix s'il n'y a pas un vainqueur et un vaincu, n'en déplaise aux conseillers de l’Élysée . La guerre est une chose d'abord politique car la guerre fait l’État avant que l’État ne fasse la guerre (voir Charles Tilly et le <a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2010/08/03/L%2522Etat-fait-la-guerre-et-la-guerre-fait-l-Etat-%2528Ch.-Tilly%2529">billet sur la question</a>). Vouloir la paix, ce n'est pas refuser l'idée même de guerre, c'est la regarder sereinement, avec justement le recul de l'histoire.</p>
<p>Il y eut donc une victoire. On ne peut la célébrer sans la passer sous silence. Se souvenir permet de construire justement d'autres destins. Interpréter, c'est trahir, y compris l'avenir.</p>
<p>Un coup de tête jamais n'abolira le passé.</p>
<p>O. Kempf</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2018/10/29/Le-refus-de-la-Victoire%2C-maladie-fran%C3%A7aise#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/2223Ces "civils que l'on a armés" (colère)urn:md5:41d4b0eb46a23a706c81d875d446b4292018-10-24T21:31:00+01:002018-10-24T21:31:00+01:00Olivier KempfHistoire1914-1918Civils que l on a armésCélébrationVictoire<p>Je continue à m'étrangler de l'étrange formule "des civils que l'on a armés" utilisée par le "conseiller mémoire" de l’Élysée pour parler des combattants de 14 et des vainqueurs de 18. On lira bien sûr le <a href="https://lavoiedelepee.blogspot.com/2018/10/le-11-novembre-rien-ne-remplacera-la.html?spref=tw">billet</a> de Michel Goya ou encore la <a href="https://www.lettrevigie.com/blog/2018/10/24/la-vigie-n-103-instable-allemagne-la-dissuasion-contestee-lorgnette-des-civils-que-lon-a-armes/">Lorgnette</a> que nous venons de publier sur le sujet dans La Vigie.</p>
<p><img src="https://www.letelegramme.fr/images/2011/11/07/1491303_poilu1copie.jpg" alt="" /> <a href="https://www.letelegramme.fr/ig/generales/regions/bretagne/guerre-de-14-18-retrouvez-vos-chers-disparus-03-11-2012-1491303.php">source</a></p> <p>J'ajouterai une chose : en refusant à ces hommes d'être des soldats, en refusant d'accepter la victoire et donc que la guerre se résolve par des vainqueurs et des vaincus, on aplatit toute chose, on croit équilibrer alors qu'on affadit. On dénie à l'autre son altérité, on le fond dans un mauvais amalgame, on lui dénie finalement son humanité.</p>
<p>La tradition guerrière de l'Europe, qui la fait si différente de la tradition américaine, est de considérer l'ennemi comme un autre mais qui nous est ressemblant. Pour les Américains, l'autre est le mal qui doit être éliminé. En refusant à l'autre son existence, en refusant deux millénaires d'histoire au cours desquels nous avons fait la guerre, abominé l'autre pour finalement réapprendre à dialoguer avec lui, ce conseiller mémoire montre qu'il n'a pas de mémoire et qu'il joue anti-européen.</p>
<p>Voulant aplanir les choses, il renforce ce qu'il croit combattre, le populisme.</p>
<p>Je reste très en colère contre autant de bêtise...</p>
<p>O. Kempf</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2018/10/24/Ces-civils-que-l-on-a-arm%C3%A9s#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/2222L'histoire en appui des opérationsurn:md5:f696c987c7d7912bde88443b062dc3112013-06-23T19:25:00+00:002013-06-23T19:25:00+00:00Olivier KempfHistoire<div class="post-excerpt"><p>Ci-dessous un très texte d'Hervé <strong>Drévillon</strong>, publié dans <ins>Armées d'aujourd'hui</ins>. Guerres et conflits <a href="http://t.co/JnFriVvUlr">l'a déjà mis en ligne</a>, je me permets donc de le mettre à l'attention des égéens. D’ailleurs, il faut savoir que le service historique des armées était, à l'origine, une cellule de "retex" (Retour d'expérience). Mais comme il y avait le mot "histoire", les scientifiques l'ont investi et c'est devenu quelque chose de bien (trop) éloigné des préoccupations militaires, au point qu'il a fallu réinventer un processus Retex, et mettre en place des cellules dédiées, en interarmées (à l'EMA) ou par armées (pour l'AT, au CDEF). En fait, Drévillon revient aux sources !</p>
<p><img alt="" src="http://france-coree.pagespro-orange.fr/histoire/img_hist/miss_fir.jpg" /> <a href="http://france-coree.pagespro-orange.fr/histoire/K_CHROFR.html">source</a> (opération Chromite)</p>
<p>O. Kempf</p></div> <div class="post-content"><p>L’HISTOIRE EN APPUI</p>
<ul>
<li>Hervé Drévillon in Armées d’aujourd’hui n° 381, juin 2013</li>
</ul>
<p>Cartes, journaux d’opérations… Longtemps, les documents de ce type ont été les outils de référence pour préparer une campagne. À l’heure de la géolocalisation par satellite, cet héritage est ignoré par la mise sur pied des OPEX, au risque de rendre amnésique la pensée militaire.</p>
<p>Aujourd’hui, nos soldats combattent au Mali dans des espaces jadis parcourus par l’armée française. Sont-ils suffisamment conscients de cet héritage historique et disposent-ils des moyens de se l’approprier ? Certes, ils possèdent de très efficaces systèmes de renseignement, qui semblent reléguer les anciens outils de reconnaissance et d’analyse aux oubliettes. À quoi bon exploiter les vieilles cartes établies au temps de la domination coloniale lorsqu’on dispose de données recueillies par satellite ? Qu’apprendre des méharistes lorsqu’on circule en VBCI ?</p>
<p><strong>Le Dépôt de la guerre : un véritable outil opérationnel</strong></p>
<p>Il fut un temps où de telles questions eussent parues incongrues tant la mémoire des opérations passées semblait indispensable à la planification des campagnes futures. Le Dépôt de la guerre, créé par Louvois en 1699, n’était pas uniquement destiné à la conservation inerte des archives. Il formait une gigantesque base de données dans laquelle puisaient les chefs militaires et politiques pour préparer de nouvelles opérations. Louis-Alexandre Berthier, le chef d’état-major de Napoléon Ier, le savait mieux que quiconque, lui qui avait appris le métier d’ingénieur géographe aux côtés de son père, Jean-Baptiste, qui organisa le Dépôt de la guerre comme un véritable outil opérationnel. À cette époque, on était persuadé que Frédéric II de Prusse avait perdu la bataille de Kolin (18 juin 1757) parce qu’il n’avait pas pu disposer des cartes du théâtre d’opération.</p>
<p>Le travail cartographique réalisé par les ingénieurs géographes constituait un matériau utile, même lorsque les cartes étaient périmées. Celles-ci, en effet, ne sont pas de simples photographies du territoire. Elles en sont une lecture, une interprétation. Elles racontent une histoire, qui peut être complétée par d’autres sources qui sont celles de l’histoire militaire : les mémoires, les reconnaissances et les journaux des marches et des opérations, institués en 1874. Après la défaite de 1870, on savait que le témoignage des opérations présentes nourrirait l’histoire et la réflexion stratégique de l’avenir. De fait, dans le sillage de l’École supérieure de Guerre, créée en 1876-1880, la pensée militaire s’enracina dans la réflexion historique. Contrairement à une idée couramment admise, l’exploitation de l’histoire par les penseurs militaires de la période 1870-1914 ne fut pas caricaturale. Elle se révéla, au contraire, d’une incroyable richesse et donna naissance à une grande profusion d’idées nouvelles. C’est la transcription doctrinale de cette profusion qui fut défaillante, en réduisant le modèle napoléonien à quelques mots d’ordre réducteurs. Cette simplification d’une réalité complexe était le contraire de l’exercice critique auquel nous invite la science historique. Elle désolait ceux qui, comme Hubert Camon (La Guerre napoléonienne, 1903-1910) ou Jean Colin (Les Transformations de la guerre, 1911), durent parmi les meilleurs historiens de la guerre napoléonienne. Les erreurs de 1914 ne sont pas nées d’une trop grande vénération pour l’histoire, mais de la volonté doctrinale d’en réduire la richesse.</p>
<p><strong>Vestiges d’un temps révolu ?</strong></p>
<p>Aujourd’hui, c’est un autre danger – celui de l’amnésie – qui guette la pensée militaire. Le lien entre les opérations en cours et l’histoire des conflits passés s’est considérablement distendu. Les archives du Service historique de la Défense apparaissent souvent comme les vestiges d’un temps révolu. Elles ne sont pas connectées aux circuits du retour d’expérience et aux sphères opérationnelles. L’amnésie d’aujourd’hui crée ainsi les conditions de celle de demain. Il n’y a, à cela, aucune fatalité. Pratiquée avec méthode, rigueur et esprit critique, l’histoire peut encore nourrir la pensée militaire.</p>
<p>H Drévillon</p></div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2013/06/22/L-histoire-en-appui-des-op%25C3%25A9rations#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/1834La guerre, chose sérieuseurn:md5:bb7bb755439dcd2a64afbfb11f1da91a2013-04-18T12:52:00+00:002013-04-18T12:52:00+00:00Olivier KempfHistoire <div class="post-content"><p>Petite recherche.</p>
<p><img alt="" src="http://www.unc-sevran.com/images/clemenceau/Clemenceau-04.jpg" /> <a href="http://www.unc-sevran.com/fr/georges-clemenceau.php3">source</a></p>
<p>Nous connaissons tous la phrase attribuée à Clemenceau : "la guerre est une chose trop sérieuse pour...". On complète usuellement par "être confiée aux militaires", mais il semblerait que la vraie citation soit "être abandonnée aux généraux". D'où deux questions :</p>
<ul>
<li>quelle est la formulation exacte ?</li>
<li>quelqu'un a-t-il une référence afin que nous sachions exactement quand elle a été prononcée (fin XIX° visiblement, mais je cherche à le documenter). ?</li>
</ul>
<p>Merci d'avance de votre collaboration.</p>
<p>O. Kempf</p></div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2013/04/18/La-guerre%252C-chose-s%25C3%25A9rieuse2#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/1765Pour Churchillurn:md5:16873a21c9fa5056f675ad327cd7f98b2013-03-22T22:38:00+00:002013-03-22T22:38:00+00:00Olivier KempfHistoire<div class="post-excerpt"><p>Egéa a déjà mentionné l'incroyable destin de Churchill. Or, j'ai l'impression que les Français ne se rendent pas compte de ce qu'il lui doivent. Il y a ainsi une place Franklin Roosevelt à Paris, alors que celui-ci n'a aidé la France qu'avec beaucoup de réticences, tandis que Churchill n'a cessé de la soutenir. Et sa statue (avenue Winston Churchill, entre le grand et le petit palais) ne vient qu'en "échange" de la statue de De Gaulle placée à Londres ...</p>
<p><img alt="" src="http://www.myparisblog.com/wp-content/uploads/2011/03/img-winston-churchill-768x1024.jpg" /> <a href="http://www.myparisblog.com/statues.html">source</a></p></div> <div class="post-content"><p>Churchill a en effet été deux fois un acteur majeur du destin français (et je ne parle pas de son rôle d'officier sur le front en 14-18).</p>
<p>La première, c'est quand il accueille De Gaulle et soutient la France libre, malgré toutes les foucades ombrageuses du grand Charles : il a fallu le supporter, celui-là, et Churchill le fit sans barguigner trop</p>
<p>Surtout, c'est Churchill qui sauve la place de la France à Yalta et surtout à Potsdam (qui se révèlent avantageux, malgré les récriminations de De Gaulle) : c'est lui qui donne à la France un secteur d'occupation en Allemagne et en Autriche, c'est lui qui obtient un siège permanent au conseil de sécurité.</p>
<p>Il y a du calcul, bien sûr, et notamment, celui de ne pas être la seule puissance européenne entre les deux grands. Mais il y a aussi une grande affection pour ce vieux pays.</p>
<p>Je n'ai pas lu les mémoires de guerre de Churchill, mais celle de De Gaulle. Celui-ci mentionne régulièrement, sir Winston. Ce dernier, me dit-on, ne mentionne quasiment jamais le grand Charles.... Mesquinerie ? je ne sais, mais si les écrits négligent, ses actes prouvent.</p>
<p>Un grand monsieur, pas seulement parce qu'il buvait du Whisky sans faire de sport....</p>
<p>O. Kempf</p></div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2013/03/22/Pour-Churchill#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/1737René de Crécyurn:md5:45b7042e8ddd901b71896b5206ee6f532012-06-15T21:11:00+00:002012-06-15T21:11:00+00:00Olivier KempfHistoire<div class="post-excerpt"><p>Voici un intéressant texte que nous communique René. Je l'appelle "de Crécy" car je ne connais que son prénom. Mais comme il était à la bataille de Crécy (vous savez, celle qu'on a perdu à cause des archers anglais), et qu'il a eu le bon goût de m'envoyer un mèl (sans adresse postale, donc je ne peux pas lui répondre....), je l'ai lu avec intérêt : c'est rare, en effet, d'avoir un témoin qui vous raconte la bataille non pas "comme s'il y était", mais "parce qu'il y était". Et surtout, pas comme cet idiot de Fabrice, qui était à Waterloo et qui n'a rien vu. René, lui, a vu.</p>
<p><img alt="" src="http://historywarsweapons.com/wp-content/uploads/image/Crecy1.jpg" /> <a href="http://historywarsweapons.com/battle-of-crecy/">source</a></p>
<p>C'est d'ailleurs tout l'intérêt de son texte. Car bien que ce blog ne soit pas spécialisé en histoire du Moyen-Âge, je trouve intéressant de poser la question de l'écriture de l'histoire, mais aussi celle de l'attitude à la guerre : et donc, de l'écriture de l'histoire de la guerre. Mais aussi aussi la question de l’innovation technologique, et de l'organisation militaire, ce qu'on appelle une "révolution dans les affaires militaires". Merci René.</p>
<p>O. Kempf</p></div> <div class="post-content"><p>A nous les petits, les sans-grade, on ne dit jamais rien. Je ne savais pas, en cette fin d’été, que cette bataille à Crécy-en-Ponthieu marquait le début de la Guerre de Cent ans. Mais j’ai eu tout mon temps pour l’apprendre plus tard : tout mon temps, une éternité, parce que je suis mort en ce lieu et ce jour-là, je m’en souviens comme si c’était hier.
D’ailleurs c’était hier : qu’est-ce que c’est, sept siècles, au regard de l’Eternité ? C’est hier.</p>
<p>Je n’étais qu’un palefrenier pompeusement appelé écuyer par mon Noble-Seigneur. Lui, c’était un trouillard brutal qui méprisait tout le monde sauf lui-même. Brutal, du moins contre les faibles. Mes frères et moi avions été sommés de l’accompagner à la guerre : nous avions eu assez peu le choix : si nous refusions, alors les gardes du château, qui eux restaient sur place, brûleraient notre cabane et massacreraient ceux qui y logeaient, femmes, enfants, vieillards. Moi, ce départ ne me déplaisait pas quoiqu’il fût forcé : j’espérais qu’avant de mourir à la guerre j’aurais peut-être le temps, quittant ainsi mon état de serf cultivateur attaché à la terre et interdit de voyages, de voir des choses intéressantes. De ce point de vue j’étais une sorte de soldat volontaire, risquant sa vie par curiosité. Je suis donc parti, ce qui n’a pas empêché que ma cabane fût brûlée et que ma famille fût massacrée sous un autre prétexte.</p>
<p>A cette époque, de toutes façons, rares étaient ceux qui vivaient vieux. Et vieillir était souvent pénible, même pour les riches. Je n’étais pas vieux et c’était tout ce que je savais au sujet de mon âge : à quoi m’aurait servi de savoir mon âge ? Personne ne savait l’âge de personne, pour ma part j’étais jeune et en pleine forme, c’était tout ce qui comptait.
L’idée de mourir ne me tracassait pas beaucoup : j’en avais déjà tellement vu mourir autour de moi, souvent de maladies, ou parfois de faim ou de froid. La mort faisait partie, en quelque sorte, de la vie. L’on ne se demandait pas ce qu’il y avait après la mort : je crois que nous manquions un peu d’imagination. Pour imaginer, il faut avoir le temps. Et pas trop faim ni trop froid.</p>
<p>En cette fin d’été au moins, je n’avais pas froid. Mais j’avais faim, bien que l’été soit un moment favorable pour glaner ou braconner. Les saisons étaient pour moi les repères de l’année qui passait, comme l’heure m’était donnée par la hauteur du soleil dans le ciel, je repérais les semaines et les mois par la forme de la lune. J’aurais été incapable de vous dire que la bataille avait lieu le 26 août 1346. Je ne l’ai su qu’après ma mort.</p>
<p>En cette fin d’été je n’avais donc pas froid, mais pendant toute cette vie j’ai eu faim. C’est peut-être ce que j’ai trouvé de plus agréable après ma mort : je n’ai plus jamais eu faim.
Bien sûr, dans mes vies suivantes, il m’est arrivé d’avoir faim, mais les temps avaient changé et c’était une faim agréable, celle qui précède un repas qui ne sera plus problématique.</p>
<p>Ce soir-là, il fallait que je trouve à bouffer. On avait marché pendant des jours pour rejoindre l’armée du Roi de France, qui est le seigneur du seigneur de mon seigneur, puis pour accompagner cette armée dont nous faisions désormais partie. J’avais pu boire de l’eau des rivières, mais je n’avais rien trouvé à manger : quand on ne marche pas en tête de l’armée, il ne reste plus rien dans les champs, les bois et les chaumières quand on arrive. On était passés par Amiens et par Abbeville, mais ces villes ne m’ont rien fourni à me mettre sous la dent parce que je n’ai pas été autorisé à y entrer. Je n’ai rien pu y chaparder.</p>
<p>Quand-même, ce voyage tenait ses promesses : autrement, jamais de cette vie je n’aurais vu une ville. Cette fois j’en ai vu des petites et des grandes, j’étais très impressionné.
Mais dans les villes et les bourgs, les vilains et les bourgeois sont méfiants lorsqu’ils voient arriver toute cette troupe : ils ferment leurs portes, ils planquent leurs vivres et leurs femmes et ils restent à l’abri derrière leurs murailles. Nous n’avons pas le droit d’attaquer ni de piller parce que les plus importants de nos seigneurs sont accueillis en ville respectueusement, avec faste, bombance et amour, pendant que la piétaille attend à l’extérieur. Alors le système convient aux seigneurs parce qu’une ville, c’est un peu comme une femme : la prendre consentante, même si elle feint, c’est toujours meilleur que de la violer. Et donc ils nous interdisent d’entrer dans ces villes qui feignent d’être accueillantes pour eux.</p>
<p>J’ai entendu dire que l’armée anglaise n’est pas comme nous : pas de fraternisation équivoque, elle est en terre ennemie, elle attaque la ville, elle se sert tranquillement et détruit ce qu’elle ne peut pas consommer ou emporter. De ce fait, l’armée anglaise n’a pas nos problèmes de subsistance. Je ne suis jamais entré dans une ville. Je devrais peut-être changer d’armée, pour entrer enfin dans une ville et piller.</p>
<p>Mais de l’extérieur déjà, une ville c’est impressionnant : j’ai vu Amiens puis Abbeville depuis des collines voisines, j’ai vu leurs maisons gigantesques, beaucoup plus grandes que ma cabane. Parfois deux maisons sont posées l’une au-dessus de l’autre. Et surtout le bruit : on devine une activité intense, artisans qui frappent, commerçants qui annoncent, roulement des charrettes. Et les odeurs, fort appétissantes pour moi qui ai presque toujours faim parce que je ne mange que rarement. Mais quand je peux me goinfrer, je me goinfre, je ne manque pas d’appétit. De ma colline près d’Amiens, l’autre jour, j’ai senti une odeur de poulet grillé : je connais, j’en ai mangé déjà un petit morceau une fois, c’était succulent.</p>
<p>Je vois que je vous étonne avec l’acuité de mes perceptions : ma vue perçante, mon ouïe fine, mon odorat subtil. C’est qu’il faut vous dire qu’à cette époque, tous ceux qui vivent dehors et ne sont pas trop vieux, c’est-à-dire tous les serfs, sont comme moi : la vue, l’odorat et l’ouïe sont d’une finesse que vous n’imaginez pas. Les autres, ceux qui voient mal, entendent mal ou sentent mal, meurent d’accidents ou de faim : c’est comme ça depuis toujours. Alors nous sommes tous doués de perceptions d’une grande finesse et j’ai, de plus, la chance d’être parmi les mieux pourvus. D’où peut-être ma curiosité qui m’a donné envie de faire ce voyage. Ma curiosité et mon habitude de n’avoir peur de rien car je suis à l’aise dans mon environnement, où rien n’échappe à mon attention, même quand je dors.</p>
<p>Ce soir-là près d’Abbeville, on savait que la bataille serait pour bientôt. Non pour ce soir mais pour le lendemain ou le surlendemain parce que l’on ne combat pas la nuit. Les seigneurs ne veulent pas combattre la nuit : c’est que les actes d’héroïsme passent inaperçus la nuit. Ce qui intéresse les seigneurs, c’est plus de se montrer héroïques que de l’être vraiment. Alors on ne combat pas la nuit.</p>
<p>En outre, beaucoup de seigneurs ont peur de la nuit, j’ai remarqué. Quand ils sont dans leur fief, ils ont l’habitude de passer les nuits enfermés dans leur château, ils ne sont pas accoutumés à la nuit dans la nature.</p>
<p>Pour moi, au contraire, la nuit c’est le meilleur moment, surtout depuis que j’ai quitté ma cabane et mon champ : à la faveur des nuits j’ai pu chaparder les victuailles qui m’ont permis de survivre jusqu’ici. Et pas seulement survivre : j’ai même pu en vendre un peu à des gens moins débrouillards mais plus fortunés que moi. Ce qui fait que pour la première fois de ma vie, j’ai quelques sous en poche. C’est comme ça que j’ai commencé d’apprendre un peu à compter.</p>
<p>J’ai aussi une arme rudimentaire que j’ai volée à un imprudent qui dormait trop profondément : c’est un solide bâton avec un bout ferré. L’ancien propriétaire de l’arme n’a rien dit parce qu’il ne s’est pas réveillé, j’avais d’abord pris soin de lui fracasser la tête avec un lourd caillou. Ma vocation n’était pas de rester cultivateur, j’ai bien fait de partir en campagne : si je meurs, j’aurai auparavant vécu quelques bons moments.</p>
<p>Ce soir-là, nous sommes à quelque distance d’Abbeville. Les Anglais sont, paraît-il, plus au nord près d’un gros bourg nommé Crécy. Je décide d’y aller, j’aurai plus de chances d’y trouver à manger que du côté d’Abbeville. Pour approcher il suffit de traverser la rivière, de passer par la forêt, puis de retraverser la rivière. J’y vais donc et j’arrive sur l’arrière de l’armée anglaise qui fait face à la nôtre et nous attend un prochain jour. Je ne rencontre personne parce qu’évidemment les Anglais n’imaginent pas qu’on pourrait venir la nuit par un chemin détourné. Guidé par mon odorat, je trouve un stock de vivres des Anglais. L’armée anglaise est mieux organisée que la nôtre parce que c’est une armée expéditionnaire qui a préparé son expédition et en a choisi le moment alors que chez nous tout est improvisé. L’armée anglaise a fait venir avec elle des commerçants civils qui sont chargés de l’approvisionner. Ces commerçants suivent l’armée avec leurs charrettes qu’ils remplissent par tous les moyens possibles, honnêtes ou non, en ratissant la région, puis ils vendent aux soldats.</p>
<p>Je m’approche de l’une de ces charrettes. Je comprends que c’est mon soir de chance parce qu’au même moment la pleine lune sort des nuages : toute cette lumière un peu plus tôt et j’aurais sûrement été repéré. Là, au contraire, elle arrive bien pour me permettre de planter avec précision mon bâton ferré dans la gorge du gardien somnolent qui est là pour surveiller la charrette. Inefficace gardien qui, ne surveillant pas, trahissait donc son employeur. Je planque le corps sous la charrette pour être tranquille. Avec la clarté de la lune je mange et je bois facilement sur place, dans la charrette. Dommage que pour repartir tout à l’heure il me faille garder les mains libres : je ne pourrai presque rien emporter.</p>
<p>Le ventre plein, je suis reparti aussitôt que la clarté extérieure s’est atténuée. Le ciel s’est bientôt couvert et il a plu tout le restant de la nuit. Peu importe la pluie : j’étais bien, je n’avais plus faim, j’avais mangé au moins pour deux jours. A ce moment-là, je ne savais pas que je ne connaîtrais plus jamais la faim lancinante que j’avais toujours connue.</p>
<p>De retour dans nos rangs, trempé par la pluie et mes traversées successives de la rivière, je me sèche près de l’un des feux qu’ont allumés les arbalétriers. Ces gars-là parlent un charabia que je ne comprends pas, ils ne sont pas de chez nous. Je vois quand-même qu’ils ont un problème avec leurs arbalètes mouillées : c’est pour les faire sécher qu’ils ont allumé des feux, mais ça n’a pas l’air très efficace. Bon, je devine que la bataille ne sera donc pas pour demain. Par conséquent, je repartirai en expédition demain soir comme j’ai fait ce soir, mais avec prudence car les Anglais auront vu les traces de mon passage.</p>
<p>Au petit matin, la pluie cesse. Je croyais que la bataille ne serait pas pour aujourd’hui à cause de l’indisponibilité des arbalètes mais pourtant tout le monde est fort excité par la proximité des Anglais. Mon seigneur veut que je l’aide à se harnacher pour le combat : il m’appelle à grands cris, pour bien faire savoir à tous qu’il veut en découdre. Héroïque. Mais moi qui le vois de près, je sais que son regard est terrifié. Ses vociférations de bravache lui servent à camoufler sa peur, peut-être à se la cacher aussi à lui-même. Crie donc, pauvre trouillard.</p>
<p>Le problème, c’est que tous se mettent à faire comme lui, c’est un concours de rodomontades chez les seigneurs. On dirait des chiens : l’un aboie parce qu’il a peur, les autres en font autant dans la peur camouflée sous des cris agressifs. On appelle ça « des cris de guerre ». Des cris de terreur, oui. Chacun se harnache et, aussitôt qu’il est prêt, part en hurlant vers Crécy avec ses gens pour montrer à tous sa bravoure fictive. Les Anglais vont avoir beau jeu de prendre les Français en ordre dispersé, par petits paquets.
Nous ne sommes pas en tête, d’autres sont partis avant nous pour faire preuve de vaillance avant tout le monde. Nous essayons de les rattraper. Nous les rattrapons en effet parce qu’en tête ils se sont arrêtés. J’entends encore des cris. Qu’ont-ils donc à crier comme ça, à quoi ça sert ?</p>
<p>Au cours de mes vies suivantes, j’ai souvent été soldat et j’ai vu tous les moyens qu’on a inventés successivement pour atténuer la peur : cris d’enthousiasme fictif comme aujourd’hui, chants, lourd chapeau à poils ou casque en métal qui bloque la tête et l’imagination, prières avant l’attaque, alcool, drogue, médicaments. Tous ces moyens sont mauvais parce qu’ils empêchent de réfléchir, ils sont illusoires. Contre la peur, il y a un seul moyen valable parce qu’il permet de garder le contact avec la réalité : regarder la mort en face, se maîtriser. C’est un métier.</p>
<p>A Crécy ce jour-là, j’ai l’impression de débuter, mais après ma mort j’ai appris que j’en avais déjà vu d’autres auparavant. C’est un métier où il faut, avant tout, dominer sa peur. Pour la dominer, il faut d’abord admettre son existence.</p>
<p>Devant nous, la bataille est commencée. Je vois quelques flèches voler, venant des lignes anglaises. Ces flèches ne sont pas vraiment un problème pour les seigneurs en armures, ni pour leurs chevaux couverts d’épaisses couches de cuir. Ni pour moi qui m’abrite sous ce cuir. Cela m’empêche seulement de m’éloigner du cheval.
Je me suis mis du côté gauche du cheval, avec mon bâton ferré, sous prétexte de protéger mon seigneur des attaques qui viendraient de ce côté où il n’a pas d’arme. En fait c’est parce que j’ai intérêt à me mettre de ce côté pour ne pas recevoir un coup d’épée maladroit de ce seigneur apeuré et affolé. Je ne l’envie pas. Je n’ai pas besoin d’un odorat subtil pour savoir que dans son armure sur son cheval il pète de trouille : ça s’appelle « la pétoche ». Ce soir quand on lui ôtera son armure je m’arrangerai pour être absent, pour qu’un autre que moi la nettoie : l’intérieur est sûrement très dégueulasse maintenant. Ce chieur essaye, pour la galerie, de jouer son rôle de preux chevalier. Mais il n’est pas doué pour ce rôle et ça s’explique : il y est obligé par sa naissance et les convenances. Il préfèrerait sûrement, s’il le pouvait, être loin d’ici parce qu’il imagine sa dernière heure pour bientôt. En fait, il n’a rien à craindre pour l’instant sous son armure, il lui suffit de ne pas tomber de cheval. Il a peur de la suite, parce qu’il sait que d’autres individus en armure comme lui le frapperont de taille et d’estoc.</p>
<p>Quant à moi, avant qu’arrive ce moment de mêlée, j’aurai intérêt à filer : lorsque nous serons proches de la piétaille et des chevaliers anglais, leurs archers ne tireront plus, je pourrai aller jusqu’à la rivière qui n’est pas loin sur notre gauche, la traverser et refaire le trajet que j’ai fait hier soir. Peut-être en profiterai-je pour rester dans l’armée anglaise, qui est mieux nourrie que la nôtre. Il suffira que je trouve un habit anglais comme j’ai trouvé mon bâton ferré et qu’au début je ne parle pas, en attendant d’apprendre quelques mots.</p>
<p>Pour l’heure, les anglais nous envoient des volées de flèches mais pour moi tout va bien jusque là, pas de problème, sauf que le trouillard fanfaron qui est au-dessus de moi sur son cheval m’inquiète un peu : il suffirait qu’il perde l’équilibre, qu’il tombe de mon côté et avec le poids de son armure ce serait mauvais pour ma santé. A part ce souci, je trouve l’aventure assez marrante et je ne regrette pas d’être venu. Lorsque nous aborderons les anglais, tout à l’heure, je jouerai un peu de mon bâton ferré, il y aura de l’ambiance. Puis je m’esquiverai vers la rivière. Après la bataille, je pourrai certainement revenir détrousser quelques cadavres ou agonisants. Je me sens en pleine forme.
Ce jour-là, s’il y avait eu contre nous seulement les archers, la piétaille et les chevaliers anglais, mais avec nous un peu d’organisation, la suite de l’Histoire aurait certainement été différente, à commencer par mon histoire personnelle.</p>
<p>Nous en sommes à avancer vers les anglais pour leur faire la peau, beaucoup moins gênés par leurs flèches que ne l’ont raconté ensuite les chroniqueurs qui n’y étaient pas. Mais soudain on entend ce que personne n’a jamais entendu sur un champ de bataille, jamais : le tonnerre venant des lignes anglaises. Stupeur chez nous. Ces gens-là sont-ils donc maîtres de la foudre ? Quelle est cette arme nouvelle et diabolique ? Je n’ai pas le temps de m’interroger davantage, le trouillard sur son cheval a eu tellement peur qu’il a perdu l’équilibre. Il m’est tombé dessus avec le poids de son armure. C’est comme ça que je suis mort à la bataille de Crécy le 26 août 1346. Je suis mort d’un coup. La rigolade s’est finie brusquement pour cette vie.</p>
<p>Je suis resté coincé pendant plusieurs jours et nuits sous le poids du preux chevalier trouillard. Mais je suis trop sévère : il n’était pas plus trouillard que les autres. Simplement il était plus trouillard que moi parce qu’il avait plus à perdre que moi. C’est toujours le point faible des riches : ils ont trop à perdre.</p>
<p>Pendant quelques jours après ma mort la rigolade a continué pour moi, un peu cynique je l’admets mais c’était justice, parce que l’agonie du seigneur a duré pendant une demi-lunaison. Il est mort de soif. Il n’était pas blessé, il était parfaitement indemne, mais allongé sur le sol et sur mon cadavre dans sa lourde armure, il était incapable de se relever sans aide. Alors il est resté là, d’abord appelant à l’aide, puis hurlant de terreur quand il a compris que si quelqu’un venait ce serait sûrement pour l’achever et le détrousser, puis geignant chaque nuit pour la grâce de Dieu en comprenant que personne ne viendrait et qu’il était foutu, puis suppliant chaque jour que quelqu’un vienne et l’achève. Enfin il s’est tu. Je dis qu’il est mort de soif, ce n’est pas précisément exact, en définitive : si l’on regarde l’enchaînement des faits, il est mort d’avoir ressenti plus de peur qu’il n’en pouvait supporter.</p>
<p>La défaite de Crécy, c’est la défaite de la peur : tous ces nobles seigneurs, guerriers par obligation de naissance et non par vocation, ont d’abord voulu camoufler leur peur en jouant les bravaches, faisant mine de n’écouter que leur courage sans écouter les ordres du Roi. Dans cette agitation apeurée, les bombardes anglaises ont terminé de répandre la panique.</p>
<p>C’est pour cacher cette vérité gênante que les chroniqueurs ont préféré parler des archers gallois à Crécy. Les chroniqueurs n’étaient pas sur place et n’ont fait qu’interpréter comme ils ont pu ce que des survivants leur ont dit, survivants qui, pour beaucoup, n’avaient eux-mêmes pas tout compris. Les arcs n’étaient pas une arme nouvelle et nous savions nous en protéger : l’arc n’a que la puissance instantanée des bras de l’archer, il n’accumule pas d’énergie comme l’arbalète et ne pose aucun problème aux gens et chevaux protégés derrière du métal ou du cuir épais. Mais pour celui qui raconte, il est plus facile et plus évocateur de parler des arcs gallois que des bombardes parce que tout le monde sait de quoi l’on parle : l’auditeur comprend. La poudre explosive venue de Chine n’ayant jamais auparavant été utilisée sur un champ de bataille en Europe, l’auditeur ne peut pas imaginer ce qu’on lui raconte, il n’y comprend rien : au XIV° siècle, le thème de la poudre explosive n’est pas vendeur.</p>
<p>Pour le chroniqueur, parler des arcs, c’est aussi laisser entendre que les nobles n’ont pas démérité : n’importe qui peut aisément se représenter qu’un chevalier ne peut plus rien faire si son cheval est criblé de flèches. Il suffit au chroniqueur d’inventer ce détail faux mais plausible : les chevaux criblés de flèches. Pour le chroniqueur appointé par les Français ou leurs alliés, c’est une façon honorable de présenter la défaite. Pour le chroniqueur (peut-être le même) appointé par le vainqueur, attribuer la victoire aux archers est une façon de dire que ce fut d’une façon habituelle, « à la loyale », fair play.</p>
<p>Au contraire si l’on dit la vérité, alors on déplaît à la fois au vaincu qui préférerait qu’on ne dise rien de son affolement, et au vainqueur dont le mérite est terni s’il semble avoir utilisé un moyen diabolique pour voler la victoire.</p>
<p>Le chroniqueur (il se nomme ici Froissart, mais le personnage est éternel) tient plus à conserver ses sponsors qu’il ne tient à la vérité.</p>
<p>Quant à moi, pourquoi vous mentirais-je ? Ca ne me dérange pas de vous dire la vérité sur la bataille de Crécy. D’autant que je connais la vérité parce que j’y étais.
Cette guerre de cent ans (cent sept ans, en fait) a basculé à l’avantage des français 83 ans plus tard en 1429, déjà un 18 juin mémorable, à la bataille de Patay où nos chefs n’avaient peur de rien et gardaient la tête froide.</p>
<p>Jusque là, alors que les bombardes n’étaient plus une nouveauté et n’affolaient plus personne, on ne les utilisait que pour détruire des murailles. Pour les batailles dans les champs, la méthode habituelle des Anglais consistait à barrer la route aux chevaliers, lourds et maladroits, par des obstacles parce que les flèches des archers ne pouvaient rien contre les armures. La piétaille française, pour avancer jusqu’aux Anglais, devait alors quitter l’abri fourni par la cavalerie, se faisait décimer et s'enfuyait. Les chevaliers anglais arrivaient alors avec leurs gens et avaient l’avantage contre les chevaliers français dépourvus de leur environnement fantassin.</p>
<p>L’on dit qu’à Patay l’élimination des archers gallois (soldats d’élite, très entraînés et difficiles à remplacer rapidement) rendit désormais impossible cette méthode et donna un avantage définitif aux Français, ce qui fit basculer, et bientôt terminer, la Guerre de Cent Ans. C’est sûrement vrai mais ce n’est pas tout.</p>
<p>Ce succès décisif à Patay, avant d’être un point de départ, est un résultat. C’est le résultat d’un élément qui changeait tout : les chefs français sur le terrain étaient des volontaires et non plus des chefs obligés, par leur noblesse et leurs liens de vassalité, de réagir toutes affaires cessantes à l’invasion britannique. Les compagnons de Jeanne d’Arc, chefs de guerre par vocation et préparés, n’étaient pas paralysés par la peur. Ils étaient capables d’observer, réfléchir et manœuvrer : à Patay, attirant l’attention des britanniques sur l’avant de ceux-ci par un dispositif qui semblait habituel, ils ont débordé les archers sur un de leurs flancs et les ont massacrés.</p>
<p>Les compagnons de Jeanne d’Arc conservaient dans l’action tous leurs moyens intellectuels car c’est leur compétence et non leur naissance qui les avait placés dans la fonction qu’ils occupaient. Ils savaient dominer leur peur, à l’exemple de Jeanne. Cette fille, archétype du chef de vocation, motivé et de fort caractère, eut le mérite de montrer ce qu’est le vrai courage, le courage qui est fondé sur la volonté et qui ne doit rien à la forfanterie. C’est ainsi qu’elle a rétabli la situation.</p>
<p>René</p></div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2012/06/15/Ren%25C3%25A9-de-Cr%25C3%25A9cy#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/1446Asymétrie historiqueurn:md5:4302ff69f75f2bd0397b6a4ef20f9e7a2011-10-11T21:06:00+00:002011-10-11T21:06:00+00:00Olivier KempfHistoire<div class="post-excerpt"><p>Regardant ce soir le journal TV (j'entends déjà vos lazzis : mais pas de presse à cause de la grève, il faut bien s'informer), j'entends un ministre algérien expliquer : "<em>Il faut tourner la page, mais pas la déchirer</em>". La formule est très belle, et excellente, car elle pose la question du lien national à l'histoire. De façon plus générale, comment expliquer la permanence des ressentiments chez beaucoup d'anciennes colonies, devenues indépendantes depuis maintenant cinquante ans ? Peut-être est-ce dû, entre autres raisons, à une asymétrie historique.</p>
<p><img alt="" src="http://3.bp.blogspot.com/-W0faZHNkDPc/TXzCdr3uU6I/AAAAAAAAAFY/kUmfHpbUOrA/s1600/531191_decolonisation.jpg" /> <a href="http://veni-vidi-cerutti.blogspot.com/2011/03/processus-de-decolonisation-en-asie-et.html">source</a></p></div> <div class="post-content"><p>1/ En effet, la France, tout comme les "vieilles" nations d'Europe, se flatte d'une histoire ancienne et pluriséculaire. Beaucoup d'avanies, beaucoup de triomphes, et l'alternance de pages brillantes comme de pages claires qui habitue au contraste et, finalement, à la nuance. Du coup, le rapport à l'histoire de la colonisation -et de la décolonisation, qui a été douloureuse dans le cas français- peut être relativisé, même s'il comporte encore beaucoup d'affects.</p>
<p>2/ Il n'en est pas de même pour beaucoup de nations décolonisées. Certes, elles existaient auparavant, et ce n'est pas la colonisation qui leur a apporté l’histoire : Le développement des études historiques africaines est là pour le prouver. Toutefois, la colonisation a importé un modèle étatique qui n'existait pas auparavant : et d'une certaine façon, en accédant à l'indépendance, si les nouvelles nations se libéraient, elles conservaient une matrice "occidentale" qui était nouvelle, et moderne. En ce sens, ces Etats sont nouveaux. Dès lors, même si la Nation est plus ancienne, le sentiment étatico-national est récent qui seul permet de transcender les différences ethniques préalables dans une citoyenneté nouvelle.</p>
<p>3/ Au fond, l'histoire des uns, trop récente, se compare mal à l'histoire des autres, très ancienne. Il y a asymétrie historique, ou plus exactement asymétrie de la conscience historique. Autant l'un peut se permettre de relativiser compte tenu de la longue histoire passée, autant l'autre prend tout à cœur et ressent tout événement comme important, au regard de son histoire vécue comme récente. C'est d’ailleurs pourquoi l'histoire pré-coloniale est si nécessaire, car elle permet une prise de distance psychologique avec l'ex-colonisateur.</p>
<p>4/ Ainsi, très souvent, le sentiment national ne pouvait naître que de l'opposition à l'ancien colonisateur. C'est ainsi qu'il faut comprendre une bonne part de l'attitude algérienne depuis l'indépendance et jusqu'à récemment : elle avait besoin de magnifier cette lutte de décolonisation pour perpétuer l'Etat. L'Etat trouve ses racines dans son indépendance, et il est logique que très souvent, les fêtes nationales des décolonisés soient la date anniversaire de leur indépendance. Mais cela explique aussi que le temps passant, les sentiments s'émoussent à mesure que les protagonistes s'éteignent. Et pour reprendre le cas de l'Algérie, nous observons actuellement ce processus, qui explique la déclaration du ministre algérien, prononcée à l'occasion de la visite de Jeannette Bougrab, ministre de la République et fille de harki.</p>
<p>5/ Le temps apaise les cicatrices car il réduit l'asymétrie historique, et permet une convergence des relativisations. C'est fort bien ainsi.</p>
<p>O. Kempf</p></div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2011/10/11/Asym%25C3%25A9trie-historique#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/1178La Haute Garonne, 6ème département breton !urn:md5:41a8a678fbc64b37ce538693a272c60e2011-07-28T21:00:00+00:002011-07-28T21:00:00+00:00Olivier KempfHistoire<div class="post-excerpt"><p>Eh ! oui, les vacances permettent d'aller baguenauder sur des territoires peu fréquentés, et de faire des rencontres historiques et géographiques parfois surprenantes.</p>
<p><img alt="" src="http://www.4c-conlie.fr/media/tourisme/pupitre/camp-conlie-plan.jpg" /> <a href="http://www.4c-conlie.fr/territoire-camp-conlie.php">source</a></p>
<p>Dans le cas présent :</p>
<ul>
<li>- ça parle de la guerre de 1870, mal connue en France, où on se limite en général aux opérations du nord-est, rarement à l'armée de la Loire et celle de l'Est...</li>
<li>- ça parle de la première armée bretonne, ou première armée de Bretagne, la seule de l'histoire : à noter d'ailleurs qu'elle a existé non pas pour s'élever contre le colonisateur français (vous lisez trop les Chouans de Balzac, chers amis), mais au contraire pour aller sauver Paris du Prusco; bref,une armée tout à fait patriotique !</li>
<li>- je ne discuterai pas de savoir si la Loire inférieure (euh.. atlantique?) est bretonne ou pas, puisqu'à l'évidence elle ne l'est pas. M'enfin, certains le soutiennent. Donc, il est assez amusant de voir qu'un cinquième des membres de cette première armée de Bretagne venaient de Toulouse, et si la Loire inférieure est estimée bretonne pour des motifs futiles, allons y gaiement et admettons la Haute Garonne au rang des pays celtes de l'ouest français. Et vérifions si les Bretons ont le sens de l'humour.</li>
<li>- Tout à fait accessoirement, Conlie est le lieu de l'invention de la carte postale, ce qui lui donne au moins une raison d'entrer dans l'histoire, la grande.</li>
</ul>
<p>Bref, autant de raisons de lire cet article, qui est plus sérieux que son introduction, et si l'un parmi vous cherchait un sujet de thèse d'histoire, voici qu'il a trouvé.</p>
<p>Mille mercis à Denis Marion de Procé pour son texte et ses talents de conteur qui m'ont fait connaître Conlie.</p>
<p>O. Kempf</p></div> <div class="post-content"><p>Le camp de Conlie a été imaginé par Emile de Keratry avec l'aval de Gambetta.</p>
<p>Rappell historique : en Septembre 1870, l'armée Française est prisonnière a Sedan et enfermée dans Metz,le second Empire se termine, la 3eme république est proclamée a Paris.</p>
<p><strong>Emile, conte de Keratry</strong> est député, c'est un opportuniste, (catégorie politique del'époque, depuis disparue) mais il fut auparavant Bonapartiste, Royaliste, Républicain et Socialiste, quand le vent était dans ce sens ! Il utilisera son nom d'origine Bretonne pour lever dans des moments troubles une force armée, non pas dans le but de défendre le grand Ouest et par la même la Bretagne, mais beaucoup plus pour venir en aide aux "empochés !" de Paris, avec le soutien de <strong>Leon Gambetta</strong>.</p>
<p>Pour la petite histoire, Gambetta était surnommé "le Dictateur" par un bon nombre de républicains qui trouvaient ses actions plutôt casse-cou, lui qui était planqué d'abord à Tours puis ensuite à Bordeaux,(dixit Georges Sand).</p>
<p>Quant à Emile de Keratry, lui avait aussi un parcours des plus surprenant. Jeune sous-lieutenant il avait participé (de loin) à la guerre contre les Russes et aà l'invasion du Mexique, où il avait commis des détournement d'argent, fuit son régiment et envoyé sa démission de l'armée au moment de rembarquer pour la France. Comme il n'était pas a un paradoxe près, il avait relevé son titre et sa particule que son père avait reniés au moment de la révolution. Emile de Keratry était le cadet de la famille et c'est donc son frère aîné qui pouvait relever le nom et le titre, ce qu'il n'a jamais fait. Les derniers Keratry et non pas de Keratry, vivent aujourd'hui au Mexique et aux États Unis.</p>
<p>Mais revenons ànos moutons...! C'est à la fin de l'été 1870 que Keratry remarqua au nord du Mans ce territoire sur la commune de Conlie, le long de la voie de chemin de fer reliant la Bretagne a Paris. En accord avec Gambetta il réquisitionna au nom de la 3ème république 500 hectares (qui ne furent jamais réglés aux propriétaires). Très rapidement, 1.500 terassiers furent réquisitionnés afin d'aplanir et de permettre rapidement l'installation de baraquements pour une troupe de 50.000 hommes. L'ordre fut donné au même moment de créer la 1ère armée de Bretagne soit le 22 octobre 1870.</p>
<p>A ce moment là, trois facteusr interviennent pour mettre des "bâtons" dans le bon déroulement de la création du camp.</p>
<ol>
<li>Si l'été 1870 fut caniculaire, l'automne fut excessivement humide et la terre argileuse de Conlie rendue terriblement boueuse</li>
<li>Pour arranger le tout les terrains furent labourés, avec l'arrivée de la pluie les chemins devinrent impraticables, empêchant l'acheminement des convois chargés de bois pour la construction des baraquements.</li>
<li>Après la pluie arriva le froid (polaire !)</li>
</ol>
<p>Jamais il ne fut question de reporter l'arrivée des hommes ou de diminuer le nombre de soldast en les faisant cantonner dans des endroits plus salubres et dans des endroits plus adaptés ! Les trains àraison de 10 par jours avec une pointe à18 décharèerent leur lot quotidien d'hommes.
Un autre problème de taille doit être ajouté à la longue liste des problèmes rencontrés à Conlie. En effet, Keratrie par la grâce du "tribun !"( Gambetta) fut promu général à la grande colère de ce qui restait de l'armée de Loire, qui entourait Gambetta. Il est vrai que passer de sous-lieutenant démissionnaire à général n'est pas chose courante...! L'armée traina les pieds pour armer cette troupe de Kératry, qu'elle considérait comme un corps franc. Ensuite <strong>Charrette</strong>, le neveu du général Vendéen, créa une légion de volontaires de l'ouest : autant dire que l'armée, habituée à une structure régulière, ne s'y retrouvait pas dans cette foire d'empoigne ou tout le monde voulait tirer la couverture a soi et où les armées de l'ouest et de Bretagne surgissaient comme champignon après la pluie.</p>
<p>Très rapidement le général de Keratry fut dépassé par les événements. De plus ses relations avec le gouvernement réfugié à Tours commençèrent à tourner vinaigre. Gambetta n'avait plus la même confiance en son général, d'autant plus que sa garde rapprochées n'aimait pas Keratry : celui-ci joua gros en remettant son commandement en jeu, persuadé que Gambetta refuserait sa démission. Manque de chance celui ci l'accepta, ravi de se débarrasser d'un empêcheur de tourner en rond...!</p>
<p>Créé le 22 octobre, le camp de Conlie perdit son autonomie le 20 novembre. De facto 1/5 ème de la troupe stationnée à Conlie rejoignit l'armée de la Loire commandée par un vrai officier, le general <strong>Chanzy</strong>, qui n'avait qu'une piètre opinion de l'armée de Bretagne. Mal équipée, mal armée, mal commandée,il envoyat 10.000 hommes sous les ordres du général Gougeaud à Auvours.</p>
<p>Ceux ci participèrent à la marche vers St Calais, Dunze, Vendôme, mais les Prussiens mieux équipés et avec un moral supérieur aux Français vont obliger ceux ci à reculer vers Chateaudun. Les hommes sont épuisés, ce sont marches forcées sur marches forcées, l'hiver est glacial, on marche sans interruptions jusqu'à 2-3 heure du matin. Du fait d'un temps polaire et du trafic intense les routes s'effondrent, les roulottes n'arrivent plus à suivre et laisssent la place aux train d'artillerie et aux caissons de munitions.</p>
<p>Le 17 décembre à trois heure du matin les débris de la 2ème armée de la Loire où se trouvent les 3/4 des 10.000 hommes de ce qui reste de la 1ere armée de Bretagne s'arrêtent dans le village de Drouet à 09 heure du matin. Ll'ordre est donné de reprendre la route vers Le Mans, mais à la sortie du bourg un tir nourri oblige l'arrière garde à protéger le reste de la 2eme armée. Ce fait d'armes remarquable et oublié de tout le monde laissa sur le carreau un aumônier, 4 officiers, 3 sous officiers et 18 soldats, tous venant de... Conlie ! Cela permettra à cette troupe de pouvoir retrouver le reste de l'armée du gal <strong>Gougeaud</strong> à Champagne.</p>
<p>Depuis le 22 octobre Keratry a démissionné, il a écrit à nouveau à Gambetta fin décembre, afin que lui soit officiellement retiré son grade de général de division. Puis il écritune nouvelle lettre pour lui redemander son poste, et s'engage même à trouver 60.000 hommes, marins pour la plupart, âgés de 25 à 45 ans et prêts, selon Keratry, à se faire tuer pour la république...! Heureusement, le tribun ne lui répondit pas !</p>
<p>A Conlie, pendant ce temps-là "<em>l'ordre existe, on meurt silencieusement...!</em>". Le général <strong>Marivaut</strong> est nommé commandant du camp le 07 décembre 1870, il y arrive le 10, et est tout de suite atterré par ce qu'il voit. Il écrit à Gambetta le 22 décembre : ,"<em> j'ai trouvé 46.000 hommes désarmés, mal vêtus, non chaussés, sans campement</em> (les baraquements promis n'ont jamais été montés et la troupe pour plus de 90% couche sous des tentes, ils ont comme matelas de la vieille paille) <em>et sans solde,paralysés dans un marais où toute leur énergie consiste à se tenir debout et à se tenir secs...!</em>"</p>
<p>Le camp de Conlie, je le rappelle, n'a aucune valeur stratégique : beaucoup de routes le contournent et un simple cordon de cavalerie suffirait à l'affamer. Marivault écrit à Gambetta: "<em>Monsieur le ministre, "HALTE !"arrêtez d'envoyer des troupes, au contraire il faut de toute urgence évacuer le camp, la moitié de ses hommes à peine est armée de fusils de onze modèles différents, ils n'ont aucune pratique de la guerre, et face à une brigade ce corps d'armée n'a aucune chance !</em>"</p>
<p>Pourtant un autre général, le général Le Bouedec, dans un délire incompréhensible réclamait encore et toujours des troupes aux préfets, alors qu'il n'avait pas plus que pour le reste de la troupe de quoi, vêtir, nourrir, héberger et armer cette troupe de plus en plus nombreuse...! Un officier aide de camp du general Marivault, expliquera plus tard dans un rapport lu à la chambre, qu'après la pluie et la brume avaient succédé la glace, la neige, le verglas et ensuite le dégel. Les eaux ruisselaient et ne pouvaient plus être absorbées par un sol argileux, tandis que les pieds de 50.000 hommes formaient un vrai cloaque</p>
<p>Marivault pris la décision qu'il fallait</p>
<ol>
<li>1) Arrêter l'arrivée des troupes</li>
<li>2) Faire sortir les Breton du camp</li>
<li>3) Renvoyert dans leurs foyer plus de la moitié du contingent.</li>
</ol>
<p>Pour ce dernier point, le général <strong>Loverdo</strong>, qui n'appréciait pas cette armée créée de bric et de broc par un officier d'opérette ( Emile de Keratry), répondit avec l'accord de Gambetta, "<em>il ne peut être question de renvoyer des hommes dans leurs foyer; l'effet produit serait très mauvais !</em>" Et un peu plus loin "ne peut ont pas leurs confier des missions...suicides!" ( Je dis Dieu reconnaîtra les siens !)</p>
<p>Le 13 décembre (3 jours après la prise de commandement à Conlie du Gal Marivault) celui ci redemanda à Gambetta de lui donner l'ordre d'évacuation du camp : "il y a péril physique et moral à rester plus longtemps à Conlie"; la réponse fut : NON ! <strong>Freycinet</strong>, ministre de la guerre, qui comprenait le désarroi du général Marivault, mais qui ne pouvait se passer de l'ordre de Gambetta lui telegraphia dans l'apm "Marivault redoute comme moi une attaque sur le Mans". Gambetta persista dans son refus et Marivault, dans une colère indescriptible, décida de ne tenir aucun compte des différents messages d'injonction ministériels et débuta le 18 décembre le mouvement de retraite.</p>
<p>Du 18 au 20 décembre vint et un mille soldat et sept cents officiers quittèrent Conlie direction Rennes, douze mille hommes et 500 officiers furent dirigés vers le Mans, où ils campèrent au sec sur le parvis de la cathédrale et de différentes places aux alentours , un rêve après 2 mois dans la boue ! 10.000 hommes des bataillons du Morbihan et leurs officiers allèrent camper momentanément en forêt de Sillé le Guillaume où ils trouvèrent du bois pour se chauffer, de l'eau et un peu d'abri...! 20.000 restent à Conlie. Marivault poursuivit l'évacuation, de jour en jour, bataillon par bataillon quittent le camp de Conlie. Le 24 décembre, Marivault reçut, par télégraphe, l'ordre exprès d'arrêter l'évacuation du camp, sous peine de conseillde guerre, par le ministère de la guerre: il n'en eut cure ! Chaque jour les hommes des 12 bataillons des Côtes du nord quittèrent Conlie pour Laval, Vitre, Fougère. Le 24 décembre à minuit, les Moribiannais assistèrent, dans la grande prairie qui avoisine l'étang en forêt de Sille le Guillaume, à la messe de Noël !</p>
<p>Les quelques généraux comme Gougeard, Chanzy par la suite et Marivault ne furent pas dupes de l'imbecilité des ordres donnés par le gouvernement, reconnurent la vaillance des mobilisés Bretons et le calvaire qui fut le leur pendant à peine...2 mois ! De plus, après la démission de Keratry, une décision ministérielle, en date du 1er décembre, priva l'armée de Bretagne de tout crédit. Les caisses étaient vides, les subsides coupées ,la solde plus payée ,les fournisseurs plus réglés ,l'armée de Bretagne vivait sur ses propres réserves. L'armée de Bretagne "Agonisait"! qu'importnte ces Bretonss n'étaient-ils pas fait pour de la chair à canon...? Malgré tout et contre toute évidence des soldats arrivèrent jusqu'au 10 janvier 1871...! Le 13 janvier ,le camp fut définitivement abandonné. Le soldat Suzor arrivé le 18 novembre 1870 le quitta dans l'apm ! Les troupes qui quittèrent le camp s'arrêteront à Assé-le-Beranger, puis poursuivirent leur route sur la Bretagne.</p>
<p>Le lendemain un détachement commandé par le colonel de Lehman du 10 ème corps d'armée de la 2eme armée Allemande trouva le camp évacué ,ils capturerent 8.ooo fusils ,5 millions de cartouches, un canon et des affuts.</p>
<p>Aujourd'hui àa la sortie de Conlie, en direction de Sille-le-Guillaume,existe le monument de la Jauneliere, àa l'endroit dénommé la Butte du Camp. Où est inscrit..." 1871 D'AR VRETONED TRUBARDET E KERFANK CONLIE DALC'HOMP SONJ 1971" :</p>
<ul>
<li>" aux Breton trahis au village de boue de Conlie. Souvenons-nous"</li>
</ul>
<p>Dans le cimetière de Conlie on peut voie La Croix des Bretons, avec tous les noms des morts de la 1ere Armée de Bretagne, ainsi que le carré.</p>
<p>Ces chiffres viennent d'un rapport officiel du Ministère de l'intérieur,en date du : 06 février 1871</p>
<ul>
<li>Officiers d'état major : 18 et 20 chevaux</li>
<li>Génie : 20 0fficiers,257 Soldats.</li>
<li>Comptabilité et trésorie : 11 Officiers.</li>
<li>Aumôniers : 12.</li>
<li>Remonte : 5 Officiers,96 Soldats,126 Chevaux et 47 Mulets.</li>
<li>Vétérinaires : 8 Officiers,9 Soldats,5 Chevaux.</li>
<li>Ambulances : 44 Officiers,54 Soldats,25 Chevaux.</li>
<li>Commissariat general : 10 Officiers,134 Soldats.</li>
<li>Gendarmeries : 2 Officiers,47 Soldats,23 Chevaux.</li>
<li>3 ème Cuirs : 6 Officiers,135 Soldats et 129 Chevaux.</li>
<li>19 ème Chasseurs : 3 Officiers,291 Soldats.</li>
<li>Artillerie : 20 Officiers,437 Soldats,33 Chevaux.</li>
<li>Francs-Tireurs de Brest : 5 Officiers,71 Soldats.</li>
<li>Cotes du Nord = 244 Officiers,7925 Soldats..</li>
<li>Finistère = 249 Officiers,7884 Soldats.</li>
<li>Mobiles de Quimper = 1 Officiers, 141 Soldats.</li>
<li>Morbihan = 251 Officiers,6804 Soldats.</li>
<li>Ille et Vilaine = 215 Officiers,11042 Soldats.</li>
<li>Loire Inférieur = 232 Officiers,7317 Soldats.</li>
</ul>
<pre> Et,</pre>
<ul>
<li>Mobiles de la Mayenne = Officiers 3,Soldats 161.</li>
<li>Mobiles de Saint Nazaire = 26 Officiers,687 Soldats.</li>
<li>Mobiles de Paimboeuf = 32 Officiers,849 Soldats.</li>
<li>Mobiles de la Trinité = 23 Officiers,635 Soldats.</li>
</ul>
<pre> "ET...!"</pre>
<ul>
<li><strong>Haute Garonne</strong> = 23 Officiers et 1132 Soldats.</li>
</ul>
<ul>
<li>Total des troupes réunis au camp = 40359 Officiers et Soldats.</li>
<li>Division de marche = 13424 Officiers et Soldats.</li>
</ul>
<p>Denis Marion de Procé.</p>
<p><ins>NB d'égéa</ins> : Bon, d'accord, il n'y a qu'un quarantième de Toulousains et pas un cinquième, ce qui ne fait pas un département : mais vous y avez cru, non ? Par ailleurs, j'ai essayé de trouver quelques références bibliographiques. Les voici :</p>
<ul>
<li>Denis me signale celle-ci, assez ancienne, mais dont on trouve des fac_similé car c'est un petit livret : Paul Tailliez,l'histoire du camp de Conlie,Le Mans,Monnoyer, 1913.</li>
<li>je signale aussi philippe Le MOING-KERRAND, "le camp de Conlie", 2000, édité chez l'auteur.</li>
<li>on se reportera, pour l'ensemble des guerres du second empire, aux ovurages de l'éditeur spécialisé Bernarg Giovanagelli (bged@wanadoo.fr), et notamment : Henri Ortholan, "l'armée de la Loire".</li>
</ul></div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2011/07/21/La-Haute-Garonne%252C-6%25C3%25A8me-d%25C3%25A9partement-breton-%2521#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/1098La Vendée, contre-insurrection exemplaire ? par PY Bourboulonurn:md5:21912ec556b25184bfff40ad1a2c43402011-06-01T21:18:00+00:002011-06-01T21:18:00+00:00Olivier KempfHistoire<div class="post-excerpt"><p>C'est un texte remarquable que nous envoie le CEN Bourboulon, actuellement stagiaire à l'école de guerre.</p>
<p>En effet, les études d'histoire militaire sont présentées comme une source doctrinale : mais on se concentre souvent sur des conflits modernes, surtout à propos du thème de la guerre irrégulière. Ici, on remonte plus loin que Lyautey ou Galieni, et de façon très convaincante.</p>
<p><img alt="" src="http://www.traditioninaction.org/HotTopics/HTimages_g-k/J016_vendee-3.jpg" /> <a href="http://www.traditioninaction.org/HotTopics/HTimages_g-k/J016_vendee-3.jpg">source</a></p>
<p>Mais outre la pertinence des propos du CEN Boruboulon, et les conclusions fort intéressantes qu'il tire de cette comparaison avec l'époque moderne, je trouve à son texte une autre vertu : celui d'aborder les guerres de Vendée (puisqu'il y a eu DES guerres, et il nous dit pourquoi) avec un regard évitant les biais idéologiques trop fréquents en la matière : en effet, cette histoire nous est fréquemment servie avec des yeux soit républicains, soit vendéens. Rien de tel ici, mais une approche militaire décentrée, autorisant un regard différent qui, du coup, nous en apprend énormément sur ce moment des guerres révolutionnaires.</p>
<p>Un texte intéressant à ce double point de vue : j'en remercie vivement le CEN Bourboulon et l'encourage à poursuivre dans ses recherches.</p>
<p>O. Kempf</p></div> <div class="post-content"><p><strong>LA VENDEE : CONTRE-INSURRECTION EXEMPLAIRE ?</strong></p>
<p>Chef d’escadron Pierre-Yves <strong>Bourboulon</strong>, armée de Terre, officier stagiaire à l’Ecole
de guerre, promotion « Charles de Gaulle »</p>
<p>On trouve dans la guerre de Vendée (1793 – 1796) des similitudes avec les opérations
actuelles. Il s’agit en effet de l’un des premiers conflits que l’on qualifierait aujourd’hui
d’asymétrique, autant dans le domaine de l’équipement des combattants que dans celui de la
connaissance du métier des armes et de l’entraînement militaire.</p>
<p>Toutefois, une différence fondamentale apparaît : la guerre de Vendée est une guerre
civile franco-française, tandis que la plupart des opérations ont aujourd’hui lieu dans un cadre
multinational, au sein de structures type ONU, OTAN, UE… Or dans ce cadre, les intérêts
politiques des différentes nations peuvent diverger, même en cas de convergence de vue au
niveau des chefs militaires, ce qui crée nombre de problématiques avec lesquelles la guerre de
Vendée n’a rien à voir.</p>
<p>Une fois posée cette limite et prises en compte les inévitables lacunes inhérentes à un parallèle
entre passé et présent, il faut noter que cette guerre constitue l’un des seuls exemples, sinon le
seul, de conflit asymétrique qui se soit soldé par la défaite complète (militaire et politique)
d’une insurrection face à une armée régulière. A ce titre, et compte tenu des engagements
actuels de nos forces, son étude s’avère riche d’enseignements.</p>
<p>Il convient donc de dépassionner ce sujet sensible de l’Histoire de France (tellement
sensible qu’il n’est que très peu enseigné dans nos écoles, ce qui ouvre d’ailleurs la voie à
toutes sortes de récupérations partiales et de travestissements de l’Histoire) pour en tirer des
leçons objectives et utiles. Il ne s’agit donc pas ici de raconter par le détail l’histoire de la
guerre de Vendée, et encore moins de défendre un camp contre l’autre, mais de dresser un état des points communs entre cette campagne et les conflits modernes, de manière à s’appuyer sur les leçons positives et à se garder des écueils les plus importants.</p>
<p>On s’intéressera successivement aux trois acteurs majeurs de ce type de guerre que
sont l’insurrection, l’armée régulière (ou la Force, pour reprendre le vocable moderne) et la
population, avant de se concentrer plus particulièrement sur la phase capitale de sortie de crise
et de reconstruction.</p>
<ul>
<li></li>
<li>*</li>
</ul>
<p>L’insurrection vendéenne ne se différencie que peu des insurrections « modernes »,
celles des guerres de décolonisation ou celles qui sévissent aujourd’hui, de la Colombie à
l’Afghanistan. Toutes possèdent sensiblement les mêmes points forts, qui sont autant de cibles
à atteindre pour la Force régulière, et les mêmes carences, qui sont autant de failles à
exploiter.</p>
<p>Le premier atout des insurgés est leur parfaite connaissance du terrain, renforcée
par un soutien important de la population. En Vendée, le bocage, avec ses nombreuses
haies et chemins creux, s’est avéré être un terrain extrêmement favorable aux insurgés :
visibilité réduite, mobilité difficile, rareté des axes…</p>
<p>En plus de leur maîtrise du terrain, les Vendéens montraient un attachement
exemplaire à leur terre, ce qui constitua une importante source de motivation. On a retrouvé
cette caractéristique lors des guerres révolutionnaires, et elle est toujours d’actualité dans les
montagnes afghanes. Malgré les idées reçues, le déclencheur de ce conflit n’a pas été
religieux, puisque les Vendéens (seigneurs, sujets et clergé) avaient embrassé avec un
enthousiasme certain les idées de la Révolution, assez conformes à leur mode de vie sous
l’Ancien Régime. Ils ne se sont en fait révoltés que contre l’idée d’aller exporter par la force à
travers l’Europe les idées de Fraternité et de Liberté et ont donc refusé la levée en masse des
guerres révolutionnaires. Ce n’est que plus tard, à la faveur de l’escalade de la violence, que
les motifs idéologiques sont devenus omniprésents. On retrouve d’ailleurs cette
caractéristique en Afghanistan, où un conflit initialement ethnique et politique a peu à peu
glissé sur le terrain religieux et idéologique du « choc des civilisations », dérive néfaste dont
les deux camps portent la responsabilité. Toutefois, par la suite, ce sont bien les motifs
religieux qui ont donné aux Vendéens le courage de continuer la lutte.</p>
<p>De manière générale, les insurgés se battent bien souvent pour des valeurs qui transcendent le
risque lié aux combats et atténuent nettement leurs carences dans le domaine militaire. C’est
donc en déplaçant le combat sur un autre terrain que la Force peut espérer affaiblir
l’insurrection en sapant son soutien populaire : régime d’exception face à la conscription en
Vendée, développement matériel et économique en Afghanistan ou ailleurs…</p>
<p>C’est d’ailleurs aussi en quittant le terrain de l’idéologie que la légitimité de la Force peut
être établie le plus sûrement, même si cette question cruciale se pose pour elle en termes
différents selon qu’elle agit sur son propre territoire ou dans le cadre d’un mandat
international.</p>
<p>Comme dans la plupart des affrontements de ce type, par nature diffus, l’existence
d’un réseau de renseignement extrêmement développé constitue la clé du succès pour les
rebelles. Il doit être couplé à un système efficace et discret de communication et de
transmission des informations. Les Vendéens utilisaient notamment la position des ailes des
moulins, mais il faut conserver à l’esprit dans nos engagements actuels que l’adversaire s’est
adapté aux moyens modernes, en couplant des moyens extrêmement sophistiqués et des
moyens rudimentaires indétectables. Il dispose en outre bien souvent de soutiens extérieurs au
théâtre, notamment financiers, qui peuvent constituer un intéressant talon d’Achille.</p>
<p>Enfin, les insurgés vendéens ont su faire évoluer leur équipement au fur et à mesure
des prises réalisées sur les troupes républicaines. On retrouve le même type d’adaptation en
Afghanistan ou en Irak, notamment dans le domaine des engins explosifs improvisés.</p>
<p>Par opposition à ces éléments, on peut distinguer quatre points faibles significatifs.
Tout d’abord, l’absence de structures et d’unité du commandement. Il en a résulté un
manque avéré de coordination entre les différents groupes rebelles et, par conséquent, une
réelle inefficacité à long terme. Ce manque d’unité des chefs vendéens a permis à Hoche de
« diviser pour mieux régner » en organisant à la Jaunaye des négociations séparées qui ont
encore plus isolé les groupes insurgés les uns des autres et marginalisé les plus acharnés. Le
général Petraeus a employé la même stratégie en Irak, en « retournant » les groupes sunnites à
son profit.</p>
<p>De plus, en Vendée, les insurgés n’ont jamais eu de ligne stratégique claire, ni
d’objectif établi qui aurait orienté leurs actions. Cela est particulièrement visible à la lumière
de l’itinéraire chaotique et incohérent emprunté lors de la « Virée de Galerne », au gré des
luttes d’influence entre chefs. Cette tendance aux luttes intestines entre chefs insurgés est
presque une constante des guerres civiles, à l’exception de certaines guerres révolutionnaires
(Indochine, en particulier). Elle peut être exploitée avec un certain succès, notamment par le
biais d’action de ciblage efficaces.</p>
<p>Ensuite, les Vendéens étaient des paysans qui ne « faisaient la guerre chez eux que
pour éviter d’aller la faire ailleurs ». On note donc chez eux un réel manque de formation
militaire des combattants, et parfois des chefs. Cette faille a été bien exploitée par les
Républicains. L’Afghanistan constitue un contre-exemple, puisque les insurgés d’aujourd’hui
se battent pour certains depuis trente ans, mais on peut garder ce point en mémoire pour
d’autres engagements, car le rebelle est bien souvent issu directement de la population. Le
plus sûr moyen de sortir gagnant de ce type d’affrontement est donc de le convaincre par tous
les moyens de retourner dans la population. Cela passe bien sûr par les actions de
développement souvent mises en avant aujourd’hui afin de séduire des opinions publiques peu
bellicistes, mais il reste que le préalable doit être le succès systématique lors des actions de
feu, propre à décourager les insurgés les moins extrémistes. Ainsi, en Vendée comme partout
ailleurs de nos jours, c’est bel et bien l’échelon tactique qui soutient une part importante du
devenir de l’engagement, contrairement à la perception qui a pu se développer dans le cadre
des actions de maintien de la paix. La guerre d’Afghanistan sera gagnée ou perdue par les
sergents et les capitaines, même si le succès global de l’opération (dont les combats, aussi
violents soient-ils, ne sont qu’un aspect) repose sur le haut commandement.</p>
<p>Il arrive que cette faiblesse soit aggravée par l’omniprésence des populations civiles
dans l’entourage des combattants. Encore une fois, l’exemple de la « Virée de Galerne » est
particulièrement parlant. Les troupes qui ont franchi la Loire ont dû emmener avec elles leurs
familles, terrorisées par les destructions menées par les Républicains dans les villages. Elles
leur ont ensuite imposé leurs errances et leurs combats. Cela s’est avéré, en terme de
logistique et d’approvisionnements, un poids extrêmement important, qui a sans doute pesé
lourd dans la défaite de l’Armée Catholique et Royale. Et à propos de soutien, on notera
l’absence totale de logistique au service des combattants, d’où une dispersion des tâches de
chacun. En effet, les insurgés continuaient à occuper leurs maisons et à gérer leurs fermes,
rentrant chez eux « pour changer de chemise » entre les combats. Ainsi, il est bon de noter
que le combat au milieu des populations, et par la population, peut devenir un handicap, là où
le traitement généralement réservé à l’exemple afghan ne nous montre que des avantages pour
l’insurgé : camouflage, renseignement, soutien, exploitation des dommages collatéraux... En
effet, le soutien que la population apporte à l’insurrection est sa principale fragilité.</p>
<p>Et puisqu’il est aujourd’hui évident que la terreur contre les populations civiles n’est
plus un mode d’action envisageable, le seul levier pour la Force est de priver l’insurgé de
ses soutiens populaires. Pour filer la métaphore vendéenne, il s’agit soit de l’empêcher
d’aller « changer de chemise » en le clouant dans ses bastions reculés par des actions de
coercition (on l’a vu plus haut), soit de décourager la population de lui fournir une chemise
propre, en la convaincant que son avantage se situe du côté de la Force et des autorités
légitimes. C’est tout l’enjeu des actions dites « non cinétiques » dont le but est de modifier les
perceptions : programmes de développement, opérations d’influence (plus ou moins morales),
communication opérationnelle.</p>
<p><br />***</p>
<p>Face à l’insurrection, l’armée régulière (la Force) n’est jamais d’emblée parfaitement
adaptée. C’est vrai aujourd’hui, malgré l’expérience acquise depuis presque deux siècles, et
en particulier depuis les années 50, mais cela l’était d’autant plus en 1793, quand la toute
jeune armée de la République s’est trouvée confrontée à ce type de guerre tout à fait nouveau.
Elle a certes subi des pertes graves, mais elle a également montré une belle capacité
d’adaptation.</p>
<p>Quelques points positifs peuvent ainsi être dégagés : ils constituent une base de travail
sur laquelle la Force doit bâtir son plan et structurer son action.</p>
<p>Le premier de ces points forts fut l’idée de faire une démonstration de force dès le
début du conflit, en envoyant les colonnes de Dumouriez, partant de Nantes et traversant tout
le pays du Nord au Sud, afin d’impressionner les populations, et par conséquent les insurgés
potentiels, avant même de déclencher les hostilités. On retrouve cette idée dans le traditionnel
« Show of force » des opérations modernes. Utilisé à bon escient, c’est-à-dire en appui ou en
préalable d’une action vigoureuse, comme ce fut le cas en Vendée, il peut s’avérer payant en
entretenant l’impression de puissance que dégage une armée organisée. On a
malheureusement trop tendance aujourd’hui à croire qu’il se suffit à lui-même pour effrayer
l’insurgé. Mais ce dernier, en l’absence d’action concrète associée à ces rodomontades, n’y
voit souvent qu’une preuve de faiblesse (voire de couardise) de la part de la Force.</p>
<p>L’armée républicaine avait ensuite mis en place une chaîne logistique efficace
s’appuyant sur quelques places solides comme Nantes ou Fontenay-le-Comte. Le réseau
logistique constituant aujourd’hui le préalable à toute action, il n’est pas besoin de s’y attarder
ici.</p>
<p>Enfin, les Républicains appliquèrent en Vendée une stratégie claire, consistant à faire
sortir les insurgés du bocage afin de les contraindre à l’affrontement sur un terrain ouvert,
plus favorable. Cette stratégie s’avèrera payante et conduira à la « Virée de Galerne », qui
s’achèvera par la débâcle de Savenay et la destruction totale de l’armée vendéenne.</p>
<p>Les points faibles de l’armée républicaine en Vendée sont intéressants car à travers les
siècles, on retrouve toujours peu ou prou les mêmes. C’est certes une preuve encourageante
que le succès est possible malgré ces faiblesses récurrentes, mais que de temps et de vies
perdues pendant que l’on redécouvre à chaque fois ces vérités !</p>
<p>Tout d’abord, on notera le manque de préparation des troupes républicaines à ce
type d’engagement. Cette carence se trouva aggravée par une méconnaissance totale du
terrain et par la faiblesse de la cartographie disponible sur cette région de France, où des
opérations militaires étaient fort improbables. Aujourd’hui, les armées engagées dans des
opérations de pacification connaissent la même faiblesse, mais de surcroît, les effectifs
engagés sont souvent beaucoup plus faibles qu’autrefois. La Force est donc moins présente
pour tenir le terrain et doit inventer des procédés nouveaux pour le quadrillage et les actions
de proximité. Dans ce cadre, les moyens aéromobiles jouent désormais un rôle majeur.</p>
<p>Le manque de renseignement a conduit les Républicains à sous-estimer la force des
insurgés et a entravé leur compréhension du type d’affrontement où les Vendéens cherchaient
à les attirer. C’est pourquoi le renseignement tient aujourd’hui une place si importante car au-delà de la simple collecte d’informations, il permet l’analyse claire de la situation et la
compréhension du mode de pensée et de réaction de l’adversaire. C’est ce qui conduit
aujourd’hui à la création de cellules pluridisciplinaires en charge d’un travail transverse visant
à une connaissance la plus fine possible des réseaux insurgés à des fins de ciblage (les Fusion
Cells) et sur l’invention de modes d’actions innovants en s’affranchissant des doctrines en
vigueur (les Red Teams).</p>
<p>En outre, l’application rigide d’un schéma idéologique a conduit les Républicains à
des actions de répression extrêmement brutales qui se sont finalement avérées contreproductives, en ranimant la volonté de combattre des Vendéens, à la suite de Charette, alors même que leur armée avait été réduite à néant par Westermann à Savenay et que la guerre semblait terminée. En effet, c’est après la débâcle de Savenay que la Convention lança sur le pays les « colonnes infernales » de Turreau qui se livrèrent à ce que certains historiens
appellent désormais le génocide vendéen. La mission de Turreau n’était plus de vaincre la
rébellion, mais de châtier le pays qui avait osé se lever contre les idées de la Révolution…</p>
<p>C’est pourquoi l’on parle parfois <ins>des guerres de Vendée, plutôt que de la guerre de Vendée</ins></p>
<p>Cette nuance est importante dans le cadre du présent article car jusqu’à Savenay, si des
atrocités ont été commises de part et d’autre, elles l’ont toujours été dans le cadre des
opérations. Mais après la Virée de Galerne et la déroute de l’armée vendéenne, le camp
républicain a multiplié les crimes, et cela uniquement pour des motifs idéologiques. C’est
pourquoi cette « deuxième » guerre de Vendée ne peut nous apporter que très peu d’éléments
intéressants, puisque ce type d’exactions est aujourd’hui évidemment sorti du champ des
options possibles pour la Force. Cependant, toutes proportions gardées bien sûr, on ne peut
éviter de faire le lien entre ce réveil de la combativité vendéenne et les effets désastreux des
dommages collatéraux dans les opérations modernes.</p>
<p>Enfin, il faut noter la pression politique très importante et l’obligation de résultats
immédiats, imposées depuis Paris par la Convention (qui, par ailleurs, a rarement assumé les
ordres donnés aux armées et en a fait endosser la responsabilité aux chefs militaires). Cela a
conduit à un remplacement trop fréquent des généraux et donc à une grande instabilité à la
tête de l’armée républicaine. De ce fait, il fut très difficile pour les Républicains de mettre en
œuvre de manière cohérente une stratégie pourtant très claire. Ceci était nouveau, à une
époque où le temps courait moins vite qu’aujourd’hui. Par comparaison, une des
caractéristiques importantes des opérations modernes est précisément cette modification du
rapport au temps. La pression est désormais de plus en plus forte pour obtenir des résultats
rapides, tant sur le terrain que sur le plan politique. La tentation peut donc être grande pour le
politique de relever les chefs militaires plus souvent que nécessaire. Le général Mc Chrystal
est ainsi resté à peine un an à la tête de l’ISAF, son prédécesseur, le général Mc Kiernan,
moins de deux ans et des rumeurs circulent déjà à propos d’un possible départ du général
Petraeus après une petite année dans ses fonctions.</p>
<p>En outre, la judiciarisation croissante des conflits et l’omniprésence des médias
imposent une pression et des contraintes supplémentaires à la Force qui n’existaient pas en
1793. C’est un fait récent qu’il faut désormais prendre en compte et pour lequel on ne possède
pas d’exemple historique.</p>
<p><br />***</p>
<p>Le troisième acteur des guerres insurrectionnelles est sans doute le plus important : il
s’agit de la population. L’enjeu fondamental de ce type d’opérations est d’obtenir son
adhésion à l’action de la Force. Ce paramètre, même s’il n’a été que tardivement pris en
compte lors de la guerre de Vendée, s’est tout de même avéré central dans la résolution du
conflit.</p>
<p>Quelle que soit la situation, l’enjeu est de s’attirer les faveurs, non pas de la frange de
population d’emblée favorable à la Force, ni encore moins des personnes qui y sont
définitivement opposées, mais de la grande majorité neutre ou passive. Dans le cas de la
Vendée, on constate une grande cohésion de la population, toutes classes sociales confondues,
autour de thèmes fédérateurs (religion, autonomie), ce qui était très rare dans les structures de
l’Ancien Régime. Ceci est lié au mode de vie local, qui voyait les nobles et le clergé entretenir
une réelle proximité avec les plus modestes (cet état d’esprit est notamment illustré par le type
d’habitat du bocage, les Logis). Cette cohésion a joué un rôle très important dans le
déroulement des évènements, en poussant les Républicains à faire l’amalgame entre les
insurgés et l’ensemble de la population, jusqu’à en arriver aux massacres perpétrés par les
colonnes infernales de Turreau ou par les hommes de Carrier à Nantes. Ainsi, les opérations
modernes ont vu se développer les notions d’opérations psychologiques et d’actions civilo-militaires, ainsi que de nombreuses actions d’environnement, dont le but principal est,
toujours au service de l’action globale de la Force, de gagner l’adhésion de la population au
détriment de l’adversaire.</p>
<p>On peut faire une analogie entre les trois phases traditionnelles des conflits modernes
et les phases de la guerre de Vendée : « intervention, stabilisation et normalisation » auraient
pu être nommées à l’époque « répression, pacification et reconstruction ». La vraie différence
est qu’aujourd’hui, ces phases se déroulent en partie simultanément, tandis qu’autrefois, elles
étaient clairement distinctes. Cette nuance est importante en ce qui concerne le facteur
population.</p>
<p>Durant la phase de répression, la propagande anti-vendéenne a été extrêmement active et virulente, allant même jusqu’à développer la thèse du complot contrerévolutionnaire ourdi par l’Angleterre via la révolte des Vendéens. C’est d’ailleurs dans la crainte de ce complot (dont l’Histoire a prouvé qu’elle était fondée sur un document délibérément faux, fruit de la rivalité entre Montagnards et Girondins) que la Convention décréta la Terreur en Vendée, et les massacres qui s’en suivirent. Cela se traduit par le refus d’un dialogue d’emblée avec les insurgés (qui aurait pu apaiser les passions et permettre de trouver des solutions non militaires au règlement du conflit) et, plus tard, par la volonté délibérée de destruction matérielle et d’extermination de la population (inacceptable de nos jours où il convient de la limiter à la frange combattante insurgée et de proscrire les dégâts collatéraux, de protéger les populations locales et de conduire des actions humanitaires).</p>
<p>De nos jours, lors de la phase d’intervention (ou de coercition), la prise en compte des
populations, en plus du souci de limiter au maximum les dommages collatéraux, se fait
essentiellement par des actions de communication, notamment sur les thèmes suivants : « La
sécurité de tous est assurée face aux représailles », « Le soutien aux insurgés prolongera les
combats » et « La Force n’a pas vocation à demeurer éternellement : dès le ralentisement des
combats, nous vous aiderons à construire un pays viable après notre départ ».</p>
<p>Au cours des évènements de Vendée, c’est la signature par les différents chefs
insurgés de la paix de la Jaunaye, sous l’impulsion de Hoche, qui a initié la phase de
pacification.</p>
<p>L’arrivée de ce nouveau chef républicain, avec ses méthodes nouvelles, a permis
l’établissement du dialogue, en accord avec les aspirations de la population, en particulier le
respect des pratiques religieuses et l’implication du clergé dans la réorganisation de la vie
quotidienne. C’est ainsi que la reconnaissance mutuelle entre les différentes parties a
progressivement été rendue possible. On retrouve ce type d’attitude dans l’action de Lyautey
en Afrique du Nord ou, plus récemment, dans les directives du général Mc Chrystal lors de sa
prise de fonctions à la tête de l’ISAF.</p>
<p>Dans les conflits modernes, au cours de cette phase, la population est encore la cible
d’actions de communication visant à préciser et faire connaître les objectifs de la Force :
protéger les populations, éliminer les insurgés, restaurer la présence gouvernementale et
assurer la paix civile. Il s’agit également de bien faire comprendre que la Force restera sur le
théâtre tant que ces objectifs ne seront pas atteints. L’Afghanistan constitue à ce titre un
contre-exemple frappant, puisqu’une date de début de retrait a déjà été annoncée, sans tenir
compte des résultats concrets obtenus.</p>
<p>En outre, il est important pour la Force de recenser les besoins vitaux de la population,
qu’il sera nécessaire de préserver ou de satisfaire. Qui plus est, la participation des acteurs
locaux aux actions de stabilisation doit systématiquement être recherchée.</p>
<p>En Vendée, la phase de normalisation s’est déroulée relativement longtemps après la
fin des combats, et après d’importants changements politiques au niveau national. En effet,
c’est Bonaparte qui fut le promoteur de la normalisation en Vendée. Certaines des mesures
prises concernaient directement la population, à la fois pour l’associer au renouveau de la
région (création d’une garde nationale et enrôlement dans ses rangs des anciens insurgés ;
concordat) et pour la surveiller de plus près (déplacement de la préfecture à La Roche sur
Yon, à proximité immédiate du bocage).</p>
<p>Aujourd’hui, au cours de cette phase, il s’agit pour la Force de combiner action et
communication afin d’augmenter l’efficacité des opérations de reconstruction et de
restauration de la vie de la cité. Les enjeux sont notamment de rétablir des conditions de vie
normales (voirie, accès à l’eau, écoles, hôpitaux, police…), de contrôler la population afin
d’isoler les insurgés qui poursuivraient la lutte (recensement, couvre feu éventuel…) et
d’accroître encore le soutien de la population à l’action de la Force par la réalisation de
projets économiques, sociaux, culturels, sanitaires ou autres, ainsi que par le rétablissement
des autorités locales.</p>
<p>Enfin, on définit aujourd’hui certains critères d’évaluation du niveau de réussite de
cette phase cruciale : recueil de renseignements spontanés au sein de la population, niveau
d’implication des acteurs locaux, retour des déplacés. En Vendée, ces critères se sont
manifestés dans la reprise du commerce et de l’activité agricole, ainsi qu’avec le retour au
pays du clergé réfractaire et de la minorité républicaine.</p>
<p>Malheureusement, à l’inverse de ce qui vient d’être dit, les unités engagées s’installent
aujourd’hui souvent dans des camps retranchés à l’extérieur des agglomérations, soit pour
assurer leur protection (Warehouse, Bagram Airfield, ou Kandahar Airfield en Afghanistan),
soit par facilité ou souci d’économie (Novo Selo, au Kosovo). Elles prennent ainsi le risque de
se couper de la population : il s’agit donc de maintenir les mesures de « force protection »
à un juste niveau.</p>
<p><br />***</p>
<p>La phase de sortie de crise et de reconstruction, étudiée préalablement en ce qui
concerne la population, recouvre bien d’autres aspects. En préambule, il faut noter que si la
sortie de crise fait partie de la manoeuvre opérationnelle dont elle est le but, la reconstruction,
impérative pour éviter la génération d’une nouvelle crise, peut être modulable dans le temps
comme dans l’espace. Elle peut être parcellisée, selon les impératifs et objectifs prioritaires,
voire partiellement différée.</p>
<p>Sortie de crise et reconstruction impliquent toutes deux une volonté et des objectifs
politiques affirmés. Le chef militaire peut conduire et gérer la première dans le cadre de ses
attributions ou de délégations. Il peut coordonner les actions de la seconde, mais
l’implication d’acteurs économiques ou d’agents spécialisés extérieurs à la Force (locaux
ou étrangers) reste incontournable.</p>
<p>Les modalités de la sortie de crise et de la reconstruction en Vendée présentent des
similitudes avec la doctrine actuelle, malgré l’absence de volonté de reconstruction dans
l’intérêt des populations. En effet, on peut penser que les reconstructions opérées, autres que
religieuses, servaient avant tout l’intérêt de l’Etat : contrôle administratif, économique et
judiciaire au plus près par transfert de l’autorité préfectorale ; intérêt stratégique militaire et
policier dans le développement des axes de communication. Cependant, l’essence même du
conflit et l’absence notoire de prise en compte du facteur humain à cette époque ne permettent
qu’une comparaison limitée avec la nature et les facteurs prépondérants des opérations
conduites de nos jours.</p>
<p>A propos de la sortie de crise, on distingue trois principaux points d’analogie entre la
guerre de Vendée et les conflits actuels.</p>
<p>Tout d’abord, la recherche de l’affaiblissement et de l’isolement des chefs rebelles
en les divisant par la manoeuvre et en les coupant de leur base. La négociation individuelle qui
s’ensuit met le chef loyaliste en position de force. C’est dans cet esprit que fut signée la paix
de la Jaunaye.</p>
<p>Ensuite, la volonté d’apaisement par une attitude de pardon, afin de dépassionner
le conflit : Bonchamps libérant les prisonniers, Hoche intégrant les vétérans blancs dans des
unités de garde régionale. Ce dernier exemple peut d’ailleurs être rapproché de ce qui a été
tenté au Kosovo (avec un succés mitigé en termes de corruption…) en intégrant les anciens de
l’armée de libération (l’UCK) au sein des nouvelles forces de sécurité, le KPC et le KPS.</p>
<p>Et enfin, l’acceptation par les deux camps de concessions limitées dans la
négociation pour trouver un compromis acceptable et accepté (ni affaiblissement, ni
déshonneur).</p>
<p>Concernant la reconstruction, il s’agit de dépasser l’aspect purement physique et de
s’intéresser à la reconstruction administrative et politique, plus complexe, mais plus
durable. Dans ce cadre, trois domaines peuvent apporter des éléments aux conflits actuels.</p>
<p>En premier lieu, le domaine religieux : un concordat est établi en 1801 qui normalise
en Vendée les rapports entre le clergé et la République et l’évêché de Luçon est recréé en
1817, ce qui officialise cette normalisation en desserrant l’étau du contrôle de l’Etat sur
l’Eglise.</p>
<p>Dans le domaine administratif, on citera le transfert en 1804 de la préfecture de
Fontenay le Comte à la Roche sur Yon par Napoléon. Cela tire un trait sur les évènements du
passé en déplaçant la représentation du pouvoir central pour repartir sur des bases nouvelles.
Il faut d’ailleurs noter que Napoléon fait ici d’une pierre deux coups : sous couvert de créer
une nouvelle relation, plus apaisée, entre la Vendée et Paris, il rapproche la préfecture du
coeur du bocage et rend plus efficace le contrôle de la région…</p>
<p>Enfin, dans le domaine économique et social, les autorités procèdent entre 1820 et
1824 à un recensement des anciens combattants vendéens non enrôlés dans la Garde
Régionale, afin qu’une pension d’ancien combattant leur soit versée.</p>
<p>Les actions menées en Vendée dans ces trois domaines entrent tout à fait dans ce que
l’on nommerait aujourd’hui une « politique de réconciliation nationale ».</p>
<ul>
<li></li>
<li>*</li>
</ul>
<p>En conclusion, on peut dire que cette analyse démontre la nécessité, par l’approche
globale de la manoeuvre, d’intégrer dès la conception des opérations la phase de sortie de crise et la phase de reconstruction, au service de l’état final recherché (une situation de paix stable dans un pays viable). Cela passe au moins par une limitation maximale des effets collatéraux tactiques et une sauvegarde des structures sociales, administratives et économiques existantes.</p>
<p>C’est exactement le contraire qui a été fait en Irak après la chute de Saddam Hussein, avec la
décision de Paul Bremer (très influencé par l’idéologie néoconservatrice du messianisme
américain) de dissoudre l’armée et l’administration : le pays mettra des années à s’en relever.
A cet effet, quel que soit le cadre (national ou multinational) dans lequel il agit, le chef
militaire responsable des opérations devrait pouvoir exiger de l’autorité politique compétente
la désignation claire des objectifs stratégiques nécessaires à l’accomplissement de sa mission
et à l’atteinte de l’état final politique recherché. C’est malheureusement rarement le cas car le
succès d’une opération militaire dépend en grande partie du degré de détail de sa planification
et donc du temps qui lui est consacré, ce qui est souvent peu compatible avec le temps
politique qui veut que les décisions soient prises le plus tard possible afin de limiter les
risques au maximum. On voit donc trop souvent les autorités militaires contraintes soit de
travailler sur la base d’hypothèses politiques non confirmées, soit d’attendre le dernier
moment pour se mettre à planifier dans l’urgence.</p>
<p>Enfin, une question reste en suspens : doit-on et peut-on conduire des négociations
d’apaisement avec toute faction combattante, notamment extrémiste ou terroriste ? La guerre
de Vendée nous donne une réponse. Seule la volonté de dialogue a permis de dépasser
l’image que chaque camp se faisait de l’autre et d’arrêter l’escalade des atrocités afin de sortir
progressivement de la crise.</p>
<p>En effet, au début des évènements, pour les chefs de la Convention, les insurgés
étaient bel et bien ce que l’on appellerait aujourd’hui des terroristes. C’est hélas un refrain
désormais classique. Mais même si le recul historique (parfois couplé à un manque de recul
idéologique…) permet d’affirmer que la terreur fut l’oeuvre de l’armée républicaine, bien plus
que celle des insurgés qui ont été contraints d’entrer dans ce jeu, ces derniers ont néanmoins
commis leur part de violences : il faut être deux pour qu’une telle escalade soit possible…</p>
<p>Le paramètre « guerre civile » est donc essentiel car il consacre un divorce au sein de
la Nation qui ne peut se solder que par le « pardon / amnistie » ou par l’extermination (fort
improbable) de l’un des deux camps. C’est ce qui s’est passé en Vendée, et ce que l’on voit
encore de nos jours avec par exemple les commissions « vérité et réconciliation » en Afrique
du Sud ou leurs équivalents dans de nombreux pays meurtris par la guerre civile, notamment
en Amérique Latine et peut-être dans un avenir proche en Côte d’Ivoire.</p>
<p>Ce paramètre est d’ailleurs nettement sous-évalué en Afghanistan, du moins pour le
spectateur occidental à qui l’on donne à voir la Force internationale d’un côté, les insurgés de
l’autre et la population au milieu, en occultant bien souvent le fait que ce conflit est avant tout
celui de la Nation afghane, de l’armée et des forces de sécurité afghanes, des autorités
afghanes. Dans ce cas, le soutien aux forces locales doit passer pour la Force internationale,
par l’acceptation d’endosser si besoin le « mauvais rôle » et de laisser aux acteurs locaux les
bénéfices des succès obtenus. Car ce sont eux qui resteront et qui auront à gérer les
conséquences à long terme du conflit. Ils ont donc besoin de constituer dès à présent un
capital de crédibilité durable.</p>
<p>Malgré les progrès accomplis, le chemin à parcourir est encore long, et tout porte à
croire que les opinions publiques occidentales ne le supporteront pas. C’est le rôle du pouvoir
politique de les convaincre. Dans le cas contraire, les forces internationales seraient
contraintes de se retirer en abandonnant les forces locales au milieu du gué, seules et
vulnérables, avec au coeur un sentiment de trahison bien compréhensible.</p>
<p>PY Bourboulon</p></div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2011/06/01/La-Vend%25C3%25A9e%252C-contre-insurrection-exemplaire-par-PY-Bourboulon#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/1044CR Café Strat : RAM (Henninger)urn:md5:21b184eb1ecb5061806bca0cd89504eb2011-04-07T19:52:00+00:002011-04-07T19:52:00+00:00Olivier KempfHistoire<div class="post-excerpt"><p>Quelques idées, notées au vol lors du dernier café stratégique, où nous accueillions Laurent Hennninger qui était venu parler de « révolution dans les affaires militaires ».</p>
<p><img alt="" src="http://alliancegeostrategique.org/wp-content/uploads/2011/03/cgs6_RMA_xl.jpg" /></p></div> <div class="post-content"><p>1/ Le terme de révolution n’est pas adapté. Mieux vaut parler de mutation, qui marque l’idée de rupture, même si la rupture n’est pas forcément visible à vue d’homme.</p>
<p>2/ Elle n’est pas seulement militaire : ce sont des phénomènes globaux, et pas seulement technologiques : il faut se méfier de la vision technologique de l’occidental. Certes, la grosse révolution est liée à l’arme à feu, mais elle ne suffit pas à elle seule : les Chinois disposaient de l’arme à feu, ils n’en ont rien fait.</p>
<p>3/ Il y a un aspect social important. Le rôle croissant de l’infanterie est logique, car elle est l’émanation du peuple (quand la cavalerie est l’émanation de l’aristocratie et l’artillerie, l’émanation de l’Etat) au moment de la révolution humaniste de la renaissance. Les armes à feu viennent dans un 2ème temps, après la mutation socio-tactique du 14°-15° siècle, celle de l’infanterie, qui mettra un siècle et demi à se développer, jusqu’à trouver l’action offensive.</p>
<p>4/ Le tournant civilisationnel immense de la Renaissance a un volet militaire. Or, aujourd’hui, il n’y a pas de mutation, mais seulement la continuation de la grande mutation de la renaissance.</p>
<p>5/ La maîtrise de l’occident dépend de la maîtrise des espaces lisses (au sens de Deleuze), dans l’ordre mer, air, spatial, informatique.</p>
<p>6/ Son inquiétude et son interrogation, c’est la question d’une éventuelle sortie de l’humain. L’humanisme du XVI° siècle est mort, il observe une haine de l’homme (cf. l’écologisme pour qui l’homme nuit à la nature sacralisée, et le capitalisme pour qui l’homme coûte trop cher, toujours trop cher).</p>
<p>On notera quelques idées qui sont apparues lors du débat (nourri) :</p>
<ul>
<li>pour la sortie de l’homme, on peut noter une sorte de « biolithique » (cf. un <a href="http://www.franceculture.com/oeuvre-la-revolution-biolithique-humains-artificiels-et-machines-animees-de-herve-kempf.html">bouquin</a> d’Hervé Kempf, paru en 1998), liant nanotechnologies, drones, satellisation, … La convergence de la biologie de l’humain, de la robotique et de l’informatique permettrait une intégration animal/humain/machine. Il faut lire les philosophes de la sortie de l’humain, <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Slavoj_%C5%BDi%C5%BEek">Zizek</a> et <a href="http://encyclo.voila.fr/wiki/Jean_Baechler">Baechler</a> (et <a href="http://jeanjaures.over-blog.fr/article-jean-baechler-ne-en-1937-58035225.htmlhttp://jeanjaures.over-blog.fr/article-jean-baechler-ne-en-1937-58035225.html">ici</a>).</li>
<li>Attaquer l’informatique, c’est attaquer l’organisation de la force : on ne cherche pas la destruction mais la désorganisation. C’est au fond l’objectif de l’art opératif, développé par les Soviétiques dans les années 30.</li>
<li>Longtemps, fantasme de la bataille décisive : est remplacé aujourd’hui par le mythe de l’arme décisive (de l’air power à la Douhet au V2 des Allemands à la bombe nucléaire à la « cyberguerre »…)</li>
<li>Il se crée des mailles du réseau planétaire, contrôlé par l’occident. Il se déroule des guerres, à l’intérieur de ces mailles.</li>
</ul>
<p>Voici donc quelques idées qui ont été agitées ce soir là : fructueux et riche. Bravo.</p>
<p>O. Kempf</p></div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2011/03/31/CR-Caf%25C3%25A9-Strat-%253A-RAM-%2528Henninger%2529#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/988Guerre et histoire, entretien avec Jean Lopezurn:md5:61db0a6d3778e4e574b5cf8c54ea765d2011-03-19T19:49:00+00:002011-03-19T19:49:00+00:00Olivier KempfHistoire<div class="post-excerpt"><p>Les amateurs d'histoire militaire connaissent Jean Lopez, un des meilleurs spécialistes contemporains de la 2ème guerre mondiale : son "Berlin", son "Koursk" et son 'Stalingrad" constituent des références incontournables.</p>
<p><img alt="" src="http://profile.ak.fbcdn.net/hprofile-ak-snc4/187978_160112920707003_1213844_n.jpg" /></p>
<p>En soi, il méritait d'être interrogé. L'occasion fait le larron, je profite de la sortie de la deuxième édition de son "Koursk" et la sortie prochaine (fin mars) du bimensuel "Guerres et histoire" pour solliciter un entretien, qu'il m'a très gentiment accordé. Où on parle d'histoire militaire, d'avenir du char, et d'aviation à Koursk. Bref, un must....</p></div> <div class="post-content"><p><strong>1/ Vous publiez une deuxième édition de "Koursk" : quels ajouts avez vous effectués à la première édition ? l'historiographie a-t-elle progressé sur ce sujet ?</strong></p>
<ul>
<li>Les ajouts portent sur le fond et la forme. Sur le fond, j'analyse un aspect à peine survolé (c'est le cas de le dire) dans la première édition, la bataille aérienne. Elle est de dimensions gigantesques, supérieures à la bataille d'Angleterre par son intensité. Malgré leur supériorité tactique évidente et la présence d'une quarantaine d'"experten" à plus de 80 victoires, la Luftwaffe ne parvient pas à s'assurer la suprématie aérienne. J'éclaire aussi la genèse des progrès tactiques réalisés par le VVS, l'aviation rouge, en rappelant l'épisode peu connu de la bataille du Kouban. Sur la forme, la seconde édition comporte des cartes refaites et bien "propres". Plus, chose nouvelle aux éditions Economica, un cahier photo de 16 pages.</li>
</ul>
<p><strong>2/ "Plus grande bataille de chars de l'histoire" : cette guerre industrielle a-t-elle selon vous encore un avenir ? le char, lui-même, est-il un outil pour les guerres d'aujourd'hui et de demain ?</strong></p>
<ul>
<li>Le char de bataille tel qu'il est aujourd'hui peut durer des dizaines d'années en état de stase technologique. Tous les ajouts seront de nature électronique, à moins d'une percée inattendue dans le domaine des matériaux. Il n'en reste pas moins que toute grande puissance doit conserver quelques régiments de ces engins qui conservent un potentiel "politique" important : les chars dans les rues sont un indice d'état de pré-guerre civile. Quant à la guerre industrielle telle qu'on l'a vue au XXe siècle, quand on pouvait consacrer entre un tiers et la moitié du PNB à la chose militaire, elle semble peu probable . Avec cent fois moins de ressources, on peut à moitié paralyser l'adversaire en mettant hors service ses grands réseaux de distribution, via les cyber attaques. Les guerres fort vs faibles coûtent cher -et elles auront la vie dure- mais elles ne nécessitent pas un détournement considérable des ressources du fort.</li>
</ul>
<pre></pre>
<p><strong> 3/ L'histoire militaire connaît un engouement croissant : à quoi l'attribuez vous ? à l'éloignement de la guerre et la fin du service national, qui rendent ces sujets de plus en plus "mythiques", ou à d'autres raisons ?</strong></p>
<ul>
<li>Le mythe a sa part, bien sûr. L'histoire mili peut aussi servir à certains de refuge identitaire. Peut-être ce renouveau, en France, est-il simplement dû au retard de la production française dans ce domaine. Je suis toujours frappé quand je voyage au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis de voir présents dans les moindres librairies d'aéroports des livres d'histoire mili, parfois plus d'une dizaine de titres différents à la fois.</li>
</ul>
<p><strong>4/ Quelle autre motivation justifie la publication de cette nouvelle revue, "Guerre et histoire", que vous lancez fin mars ?</strong></p>
<ul>
<li>La passion. La mienne et celle de l'équipe qui fait le journal. On aime ça depuis toujours. On est convaincus que le mépris dans lequel l'Histoire officielle tient l'histoire militaire est une lourde erreur intellectuelle. La guerre -hélas- est un des facteurs qui façonnent les sociétés humaines. J'avais aussi envie d'un magazine qui fasse de l'enquête, qui aille interviewer des témoins, grands et petits, qui "sorte" des infos nouvelles. Mais aussi d'un magazine qui soit doté d'une belle maquette, jeune, colorée et dynamique.</li>
</ul>
<p><strong>5/ Les thèmes seront-ils traités "en proportion" : par exemple, un quart d'histoire contemporaine, un quart d'histoire antique, etc... ?</strong></p>
<ul>
<li>Non, c'est impossible. L'accent que je mets sur la photo et la recherche d'exclusivités avantage forcément le XXe siècle. Mais il y aura, promis, toujours un papier d'antique, de médiéval, des papiers traitant de guerres extra européennes, de la techno et, c'est mon souhait, de l'économie.</li>
</ul>
<p><strong>6/ Traiterez vous des guerres actuelles, du XXI° siècle ? peut-on écrire de l'histoire immédiate ?</strong></p>
<pre>* A priori, non. C'est trop chaud. On change de monde dès lors qu'on veut interviewer. Les manœuvres, les manips, sont innombrables. On se démène souvent beaucoup pour ne recueillir au final que de la langue de bois. Mais il n'empêche que le lecteur saura tisser des liens entre, par exemple, un papier sur la guerre Iran-Irak du début des années 80, et la situation actuelle dans l'ancienne Mésopotamie.</pre>
<p>Monsieur Lopez, mille mercis pour ces réponses et je vous souhaite "tout le meilleur" pour guerre et histoire : je suis sûr qu'il trouvera rapidement son public.</p>
<p>Réf : voir aussi cet <a href="http://www.theatrum-belli.com/archive/2011/03/11/nouvelle-revue-guerres-et-histoire-le-redacteur-en-chef-jean.html">autre entretien</a> de Jean Lopez sur theatrum belli</p>
<p>O. Kempf</p></div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2011/03/15/Guerre-et-histoire%252C-entretien-avec-Jean-Lopez#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/962Henninger - Immarigeon : le débat (IV et fin)urn:md5:3b669ce3ea5c6b029a90f8788552b12d2010-12-02T22:03:00+00:002010-12-02T22:03:00+00:00Olivier KempfHistoire<div class="post-excerpt"><p>Suite et fin de notre débat <em>uchronique</em>.</p>
<p><img alt="" src="http://www.egeablog.net/dotclear/public/.uchronie.1217492962_s.jpg" /></p>
<p>Les précédentes escarmouches se trouvent :</p>
<ol>
<li><a href="http://www.egeablog.net/dotclear/index.php?post/2010/06/28/Uchronie-%3A-d%C3%A9bat-Immarigeon-Henninger">ici</a></li>
<li><a href="http://www.egeablog.net/dotclear/index.php?post/2010/11/20/Henninger-Immarigeon-%3A-le-d%C3%A9bat-%28II%29">ici</a></li>
<li><a href="http://www.egeablog.net/dotclear/index.php?post/2010/11/20/Henninger-Immarigeon-le-d%C3%A9bat-%28III%29">ici</a></li>
</ol>
<p>Mille mercis encore à nos duettistes, <strong>Jean-Philippe Immarigeon</strong> et <strong>Laurent Henninger</strong>. C'est un bel effort qu'ils ont mené, alimentant un débat enfin construit, et finalement si rare. En effet, dans les revues ou les colloques, on a surtout des monologues juxtaposés, et si le débat émerge, il est souvent confus. Les sites de "chat" d'internet sont intéressants, mais leur ouverture à tous empêche des considérations approfondies. C'est pourquoi je suis fort satisfait de la hauteur de vue de ce débat, animé par deux protagoniste à la haute culture et qui ont le temps d'articuler leurs arguments. C'est une belle innovation permise par Internet, par les blogs, et j'espère qu'égéa en suscitera d'autres.</p>
<p>Merci donc à vous deux, chers amis. A la prochaine.</p>
<p>O. Kempf</p></div> <div class="post-content"><p><strong>Immarigeon</strong></p>
<p>1940, parce que précisément (mais ce n’est qu’une hypothèse), nous avons cru alors que le modèle de bataille conduite, la <em>managed battle</em> des Américains, pouvait gagner la guerre à lui tout seul. Et que – mais je n’ai rien inventé, ce sont les historiens US eux-mêmes qui le relèvent, comme <strong>Ernest R. May</strong> dans sa <ins>Strange victory</ins> – les similitudes sont trop évidentes, non d’une défaite à l’autre mais d’une doctrine à l’autre, pour ne pas s’interroger. Car qu’est-ce qu’être fort ? Accumuler de la puissance ou gagner les batailles ? Dire qu’en 1944 l’Amérique eut finalement le dernier mot ne résout pas le problème qui se pose encore : comment éviter l’accident irrattrapable, celui qui, par manque de recul, fait qu’on est le dos au mur et que le temps vous manque pour le coup de rein salvateur, que le bourreau suprême ne vous laisse pas encore ne serait-ce qu’une petite minute ? Et il suffit de relire <strong>Churchill</strong> pour se rappeler qu’au printemps 1942 lors de la chute de Tobrouk et l’offensive qui amena la <em>Wehrmacht</em> sur la Volga et le Caucase, après la perte des Philippines, de Singapour et de Hong Kong, avec les Japonais aux portes de l’Inde et l’Australie, il fallait la foi du charbonnier pour envisager, sous moins de trois ans, la victoire finale des démocraties par KO. Car il est facile de se réfugier, après coup, derrière les fondamentaux ; <strong>Raymond Aron</strong> écrivait dans <ins>Paix et guerre entre les nations</ins> que « <em>sans la victoire de la Marne, en 1914, il n’y aurait pas eu de mobilisation totale du potentiel français. Sans la Bataille d’Angleterre, il n’y aurait pas eu, à partir de 1940, de mobilisation totale du potentiel britannique, puis américain. En 1939, le potentiel franco-britannique ne représentait que des chiffres sur du papier si les deux démocraties ne disposaient pas de temps et de la liberté des mers. La France n’eut pas de temps, la Grande-Bretagne, en dépit de tout, garda la liberté des mers</em>. » Donc la puissance n’est en rien une garantie de survie et de pérennité. On ne peut vaincre sans elle, mais on peut également perdre avec elle.</p>
<pre></pre>
<p>D’où l’importance de comprendre pourquoi le faible peut remporter un <em>one shot</em>. La défaite d’Afghanistan peut n’avoir qu’un impact limité, comme celle du Vietnam n’a finalement pas coûté grand chose, si ce n’est un endettement endémique et récurrent des Etats-Unis dont on ne sait pas s’il provoquera un jour leur faillite ou s’il peut continuer ainsi jusqu’à la fin des temps. Mais – et je sacrifie un instant au déterminisme – la conjonction des crises, ou plutôt la déclinaison d’une seule et même crise en de multiples branches (militaire, alimentaire, sanitaire, écologique, industrielle et bien entendu financière) montre que nous sommes au bout du système, et qu’il est dramatique de se bercer encore d’illusions. Notre défaite en Afghanistan n’est-elle pas alors le signe d’un « mal » profond ?</p>
<pre></pre>
<p>La solution, ou du moins une piste de réflexion ? Je reviens à <strong>Paul Valéry</strong> et à sa <ins>conférence sur l’histoire</ins> de 1931 reprise dans Regards sur le monde actuel, que j’avais commentée en décembre 2006 dans un article de la Revue de Défense Nationale, « <ins>Le monde selon Rand</ins> ». A partir du moment où l’on peut « localiser » les choses, autrement dit renoncer à tout connaître, il est possible, dès lors qu’on opère cette coupure quantique, de maîtriser à peu près les liens de détermination locaux, ou du moins d’en choisir certains et de les imposer à l’adversaire. Mais si l’on replace systématiquement la partie dans le tout, comme s’obstine à le faire l’Occident américain, « le monde fini » de Valéry est un monde qui nous échappe.</p>
<pre></pre>
<p>Un monde géré et laplacien tel que le matérialisme de la fin des Lumières en rêvait est illusoire. Comme le suggérait <strong>Paul Valéry</strong>, l’accroissement de la connaissance ne fait que nous rapprocher du moment où nous réaliserons que nous ne saurons précisément jamais tout, où l’illusion prométhéenne ne tiendra plus. C’est cette remise en cause totale du legs sur lequel nous avons vécu deux siècles durant, qui doit être le sujet de réflexion de la réflexion stratégique, et non l’auto-célébration d’un concept de puissance qui a fait son temps.
__
HENNINGER – DERNIER TIR :__</p>
<p>Bon, cessons d’opposer la « puissance » et le temps long, d’une part, et le « <em>one shot</em> » ou le « coup génial » qui peut tout emporter, d’autre part. Je persiste et signe avec la détermination d’un bouledogue : la puissance est une nécessité absolue et elle n’a pas « fait son temps » ; elle est de tous les temps ! Je ne vois même pas en quoi on peut le discuter. En revanche, ce qui peut prêter à débat est la définition de cette puissance et la détermination de ses modalités. Quant aux « incidents irrattrapables » que tu évoques, ils ne le sont que parce qu’ils arrivent en point d’orgue d’une situation déjà pourrie de toutes parts ; donc ce ne sont pas des accidents, ni des « one shots ». Point. J’ajoute que la façon dont tu les envisage montre bien que tu reste prisonnier du paradigme de la « bataille décisive ». Ça n’est donc pas que l’on peut « <em>perdre avec la puissance</em> », mais bien plutôt que la puissance présente – nécessairement ? toujours ? – des failles que tout adversaire cherchera à exploiter. Le processus est vieux comme le monde.</p>
<p>Tu le reconnais d’ailleurs toi-même lorsque tu écris : « <em>Notre défaite en Afghanistan n’est-elle pas alors le signe d’un ‘mal’ profond ?</em> » Précisément ! Et, là, je redeviens d’accord avec toi : lorsque la puissance ne peut envisager d’autres modalités d’applications que managériales, au détriment d’une véritable pensée politique (alors que les techniques du management, si elles restent indispensables dans les systèmes complexes, ne peuvent se substituer à la stratégie et à la politique, et doivent donc toujours leur rester subordonnées), mais aussi lorsqu’une civilisation n’est plus porteuse d’un projet en marche, alors cette puissance peut réellement être considérée comme étant sur son déclin. Et, si aucune puissance porteuse de projet et d’intelligence ne parvient à émerger, on entre dans une ère particulièrement sombre, dans laquelle la puissance déclinante continue à mettre en œuvre sa force, mais de façon exclusivement destructrice – ce qui, dans l’exemple qui nous occupe, est particulièrement inquiétant, voire terrifiant, au vu des capacités de destruction et de « puissance de feu » dont l’Amérique dispose aujourd’hui ; et le tableau s’assombrit encore avec le caractère de plus en plus autiste de la puissance américaine.</p>
<p>Car une puissance réellement intelligente ne peut que reconnaître ses limites, et donc agir en les prenant en compte, acceptant ainsi le caractère tragique du monde. En revanche, lorsqu’elle vit dans l’illusion prométhéenne – ici, je devrais même dire tout simplement infantile – de tout pouvoir contrôler, et par la technique qui plus est, croyant ainsi pouvoir s’affranchir de la stratégie et de la politique – c’est-à-dire de la détermination du « sens » –, elle ne peut que courir à sa perte. Alors, comme un enfant découvrant soudainement que son fantasme de toute-puissance se heurte au mur du réel, elle peut être prise d’une rage de destruction.</p>
<p>Pour l’heure, il me semble bien que c’est une situation de ce type que nous sommes en train de vivre : aucune puissance porteuse d’un authentique projet civilisationnel alternatif n’émerge véritablement (l’Islam est purement régressif, au sens quasiment psychanalytique du terme, la Russie est hors-jeu, quant à l’Inde, la Chine et le Brésil, ils ne sont que dans un schéma d’imitation, et pas de création authentique) ; aucun adversaire de la puissance dominante du jour n’est à même de la vaincre ; mais celle-ci ne peut plus pour autant l’emporter sans se remettre profondément en cause. C’est donc <strong>Antonio Gramsci</strong> qui aurait eu raison, dès les années 30, lorsqu’il écrivait : « <em>La crise survient justement dans le fait que le vieux se meurt et que le nouveau n’arrive pas à naître : cet interrègne est marqué par l’éclosion d’une grande variété de symptômes morbides</em>. »</p>
<p>Fin du débat</p></div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2010/11/20/Henninger-Immarigeon-%253A-le-d%25C3%25A9bat-%2528IV-et-fin%2529#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/848Uchronie 1940 : débat Immarigeon - Henninger (III)urn:md5:fa01e025dc2c227873b306303d00992c2010-11-26T19:02:00+00:002010-11-26T19:02:00+00:00Olivier KempfHistoire<div class="post-excerpt"><p>Poursuite de notre débat uchronique sur 1940 et ses conséquences stratégiques : c'est l'avant-dernière salve de nos deux artilleurs, qui se balancent des pellots à un rythme fou, entre Rechshoffen et Pratzen...</p>
<p><img alt="uchronie.1217492962.jpg" src="http://www.egeablog.net/dotclear/public/.uchronie.1217492962_s.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="uchronie.1217492962.jpg, nov. 2010" /></p>
<p>précédent billets : le <a href="http://www.egeablog.net/dotclear/index.php?post/2010/06/28/Uchronie-%3A-d%C3%A9bat-Immarigeon-Henninger">premier</a> et le <a href="http://www.egeablog.net/dotclear/index.php?post/2010/11/20/Henninger-Immarigeon-%3A-le-d%C3%A9bat-%28II%29">second</a>.</p>
<p>O. Kempf</p></div> <div class="post-content"><p><strong>Immarigeon</strong></p>
<p>Que l’ère industrielle nécessite planification et organisation, oui bien sûr, mais précisément on ne fait que déplacer la question : planification et organisation sont-elles des panacées et les seules et exclusives garanties de succès ? La défaite de 1940, face à une <strong>Blitzkrieg</strong> que l’on peut admettre foutraque, est la preuve que non. Certes ce fut un « one shot », mais de ces accidents qui décident du sort des nations et peuvent faire basculer le cours de l’histoire. La victoire finale aurait très bien pu se faire dans un monde dont la France aurait été rayée, et en tant que Français on ne peut qu’y réfléchir. Car sauf à détacher d’une raison historique hégélienne une France enchaînée à son déclin, il n’était écrit nulle part que la France échouerait là où l’Angleterre réussirait deux mois plus tard. Il ne s’agit donc pas de renier ce qui a fait le succès de l’Occident depuis deux siècles et lui a donné sa puissance unique dans l’Histoire, mais de savoir si cette « recette » reste toujours valable dans un monde où les crises de toutes sortes se multiplient, à moins précisément que ce soit notre modèle qui soit devenu inopérant à les gérer, et ainsi d’examiner cette question « de l’extérieur de la boîte » (out of the box), comme disent les Américains.</p>
<p>Je reviens sur les développements de ma Diagonale sur l’invention du management militaire par les Français en 1917. Si j’ai cité la remarque de mon professeur à <strong>San Francisco</strong>, comme quoi le management a été ensuite redécouvert par les Américains pour résoudre les problèmes que les Français n’avaient pu solutionner à temps pour 1940, puis étendu à tous les domaines de la société, c’est que je découvrais alors une société de planification qu’un <strong>Tocqueville</strong> moderne aurait qualifié de « soviétisante » mais bougrement efficace, issue du taylorisme et du fordisme, et que les Américains ont véritablement exporté à partir des années 60. Et je me suis dit que c’étaient des « trucs » bien utiles, surtout lorsque ce sont des cultures de type individualiste comme la nôtre, et non collectiviste à l’Américaine, qui réussissaient le mariage du système et de l’initiative.</p>
<p>Ce n’est qu’une fois revenu et travaillant durant quelques temps comme consultant en Europe d’une boîte américaine que j’ai compris qu’il est impossible de dissocier la mise en œuvre de ces « trucs », de la pensée qui la génère. Autrement dit que le management n’était pas qu’un mode d’organisation mais une manière de voir le monde sans lequel le principe ne fonctionne pas, qu’il est impossible d’amodier les standards américains, de les adapter en fonction des particularismes locaux, culturels, etc. C’est tout ou rien, à prendre ou à laisser. Le mécanisme qui caractérise l’organisation américaine n’est que la traduction du mécanisme cartésien qui s’est imposé à une partie de l’Occident depuis le milieu des Lumières : le monde est univoque, à nous de le découvrir pour le gérer. Ce n’est donc pas la technique qui nous asservit et bride nos réflexions, c’est un choix philosophique qui se décline de multiples manières. Problème : <ins>l’accident de 1940, certes isolé, n’est-il pas en train de se reproduire à l’échelle planétaire</ins>, et pas seulement dans le domaine militaire en Orient, et cette fois sans rémission possible (ou résilience, pour employer le mot à la mode) ? Ce modèle est-il toujours efficient ?</p>
<p><strong>Henninger</strong>:</p>
<p>Certes, le management industriel de la puissance est une condition nécessaire de celle-ci, mais non suffisante. Et, en outre, sa version américaine semble bel et bien tendre vers une forme de « totalitarisme » (j’emploie ce mot avec des guillemets, donc avec précaution) qui implique effectivement toute l’organisation sociale, culturelle et politique, en amont comme en aval. Il s’agit donc d’une véritable <em></em>Weltanschauung<em></em> et d’une civilisation. Mais, de ce point de vue, l’une des meilleures analyses de ce système est celle proposée notamment par <strong>Philippe Forget</strong> dans <ins>Le Réseau et l’infini – Essai d’anthropologie philosophique et stratégique</ins> (Economica, 1997), un ouvrage à lire – et relire – toutes affaires cessantes. Et, dans ce livre comme dans ses autres textes, Forget montre bien à quel point ce déploiement de puissance va bien plus loin que le simple management industriel.</p>
<p>Mais à mon tour de te retourner le raisonnement. Je prétends que la planification et l’organisation des forces sont des conditions nécessaires et absolument indispensables, mais je n’ai jamais prétendu qu’elles étaient à elles seules suffisantes ! D’une part, parce que je pense bien, notamment à la lecture des travaux de <strong>Forget</strong>, que les Anglo-Saxons (Anglais puis Britanniques du XVIe au XIXe siècle, puis Américains au XXe) ne se contentent pas d’être de « bêtes » managers ; ils possèdent bien une vision du globale et totalisante du monde qui sous-tend et sur laquelle s’appuie leur efficacité industrielle et militaire. Et c’est même cet ensemble systémique qui fonde leur puissance, encore à ce jour inégalée, quoi qu’on en dise. Ensuite, je laisse la porte ouverte à tous les phénomènes imaginables au niveau des champs de bataille et autres théâtres d’opérations…</p>
<p>Mais je maintiens que, sur les moyen et long termes, c’est la puissance qui l’emporte. Les sociétés (et les forces armées) modernes sont des organisations bien trop complexes – et donc résilientes – pour pouvoir être mises à bas par un « coup » unique. C’est là, il me semble, une croyance naïve et dangereuse. Les théoriciens militaires soviétiques des années 20 et 30 ont ainsi conceptualisé ce qu’ils dénommèrent « l’art opératif » car ils furent les premiers à véritablement comprendre jusqu’au bout que le paradigme pluriséculaire sur lequel était fondé (même de façon fantasmatique) l’art occidental de la guerre depuis l’Antiquité, en l’occurrence la recherche de la bataille décisive en un point unique, était désormais totalement et définitivement caduque. Quant à la croyance dans « l’arme décisive », elle n’est que la transposition du même fantasme à l’ère de la technique : refus de la complexité et des explications pluricausales.</p>
<p>Par conséquent, les « <em>one shot</em> » qui nous apparaissent comme tels n’en sont pas, en réalité. Et, s’ils semblent s’avérer décisifs, c’est bien parce que d’autres facteurs de décomposition sont à l’œuvre. En l’occurrence, pour la France du printemps 1940, le vrai « fait accidentel » et « fou » (du point de vue de la logique formelle) est bien le coup d’État et la trahison de pans entiers des classes dirigeantes (civiles, économiques et militaires ; à ce niveau-là, il est illusoire d’opposer par exemple les « politiques » et les « militaires »), pas la supposée <em><strong>Blitzkrieg</strong></em> allemande. Or, s’il y a là matière à tirer d’importantes leçons d’un point de vue historique et politique, je ne vois pas quelles leçons peuvent être tirées d’un point de vue militaire puisqu’il s’agit d’un véritable tour de passe-passe de la clique <strong>Weygand-Pétain</strong>. Par conséquent, je ne vois pas quel lien peut être fait entre cet événement et la situation des États-Unis aujourd’hui en Irak et en Afghanistan…</p>
<p>(à suivre)</p></div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2010/11/20/Henninger-Immarigeon-le-d%25C3%25A9bat-%2528III%2529#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/839Uchronie 1940 : débat Immarigeon - Henninger (II)urn:md5:9256e863cf9867adbbd9a7d12e57bac02010-11-22T18:02:00+00:002010-11-22T18:02:00+00:00Olivier KempfHistoire<div class="post-excerpt"><p>Je poursuis le débat lancé la dernière fois.</p>
<p><img alt="uchronie.1217492962.jpg" src="http://www.egeablog.net/dotclear/public/.uchronie.1217492962_m.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="uchronie.1217492962.jpg, nov. 2010" /></p>
<p>Ces uchronies, ou lus exactement ces comparaisons temporelles nourrissent en tout cas la réflexion.</p>
<p>O. Kempf</p></div> <div class="post-content"><p><strong>Immarigeon</strong></p>
<p>Justement sur les leçons inapprises de 1940, on ne peut pas faire l’éloge de la guerre conduite et ne pas voir que les échecs récurrents de la managed battle, même s’ils sont peu nombreux, remettent en cause ce principe inventé par les Français en 1916 (c’est du moins ce que ne cessent d’écrire les historiens américains depuis 20 ans, comme <strong>Doughty</strong>). Car ce qui le fonde, c’est précisément l’idée qu’il est possible d’inventer un modèle cartésien de guerre raisonnée qui s’appliquera à toutes les situations et répondra à tous les cas de figure. Ce que tentent de faire sans le savoir ni le vouloir dans cette forme les Français entre 1936 et 1940 en accumulant de la puissance (<strong>Gamelin</strong> est comme <strong>Monsieur Jourdain</strong>), c’est avant l’heure de la full spectrum dominance du Pentagone de la fin des années 1990. C’est clair sur la question des chars, et c’est très exactement l’objection du colonel <strong>de Gaulle</strong> au président <strong>Blum</strong> à l’automne 1936 : on va construire des blindés à foison et en mettre partout, mais on n’aura toujours pas de doctrine d’emploi pour autant.</p>
<pre></pre>
<p>Sauf que, comme les Américains en ce moment, en mettant sur pied des divisions mécanisées tout en affectant des bataillons de chars aux divisions d’infanterie, et en tentant de boucher tous les trous, on ne se dispense pas d’inventer une doctrine : car la doctrine c’est précisément de tout prévoir pour pouvoir tout résoudre, selon la méthode déductive la plus banale mais aussi la plus sécurisante. La stratégie défensive n’en est qu’une déclinaison : l’offensive ouvrirait au contraire les portes de l’inconnu et de l’indéterminé, là où le management stratégique ne peut s’aventurer car il y est totalement aveugle. C’est bien cet inconnu que nous imposent les Allemands en 1940, les talibans et consorts en 2010.</p>
<pre></pre>
<p>Et derrière la ferraille technologique que l’on dénonce désormais après l’avoir louée, c’est notre vision mécaniste et managériale de la guerre qui est la vraie cause des échecs passés et actuels – et malheureusement futurs : l’idée que les moyens d’information et de prévision vont permettre l’allocation de moyens quasi-illimités en anticipation de toutes les formes de combat que pourront tenter de nous opposer nos adversaires potentiels. <em>Universal Soldiers for Universal War</em> (on ne dénoncera jamais le réel et très concret impact psychologique débilitant d’Hollywood sur le formatage des cerveaux américains). Dire que c’est valable et valide parce que ça marche dans 99% des cas mais que ça foire à la marge n’est pas possible, dès lors que cette idéologie bureaucratique de la guerre prétend précisément fermer toutes les fenêtres de vulnérabilité. Autrement dit ce sont les Américains eux-mêmes qui, en prétendant pouvoir gagner à tous les coups, admettent que tant qu’il reste une « <em>guerre indienne</em> » et une tribu afghane qui résiste, tant que leur stratégie peut être contournée, leur modèle est en échec. Des forêts ardennaises aux montagnes talibanes, rien n’a changé. Et le cœur de cible reste toujours aussi vulnérable : Sedan en 1940, le Pentagone en 2001. On peut ensuite y mettre le joli nom d’asymétrie, ce n’est jamais que ce que <strong>Marc Bloch</strong> écrivait en 1940 : personne n’a jamais expliqué pourquoi l’adversaire, ce « <em>malappris qui ne fait jamais ce qu’on attendait de lui</em> », nous fera un jour prochain l’insigne plaisir d’attaquer enfin selon nos plans à nous.</p>
<p><strong>Henninger</strong> :</p>
<p>Là encore, tu soulèves de vraies questions. Mais peut-être jettes-tu parfois le bébé avec l’eau du bain. Le management de la puissance et de la guerre est indispensable, et je répète qu’il s’agit de ce qui a permis aux Américains d’acquérir leur suprématie tout au long du XXe siècle. J’irai même plus loin en affirmant que cette quête de la puissance est l’un des atouts majeurs qui ont permis aux Occidentaux et à leur civilisation de partir à la conquête de la planète dans un mouvement quasi continu depuis la seconde moitié du XVe siècle (les premières grandes expéditions portugaises). Encore convient-il de s’entendre sur ce que l’on nomme « management ». Le problème est que cela recouvre plusieurs réalités bien distinctes, et qui se complètent, mais ne se confondent pas. C’est peut-être là que le bât blesse.</p>
<p>Les guerres industrielles et mécanisées modernes qui ont prévalu dans le siècle qui s’étend, grosso modo, de 1850 à 1950 nécessitaient de façon absolue un « management industriel » de leur logistique. Mais, là encore, définissons les termes : pour moi, la logistique ne se réduit absolument pas à la translation des forces et de leur soutien vers les zones de combat car elle doit être pensée de façon globale en incluant leur production ; ce que les Américains ont parfaitement compris dès l’entre-deux-guerres. Ne négligeons donc pas, et surtout ne méprisons pas cet aspect fondamental de la stratégie sous prétexte de recherche « d’élégance » ou de « style » ( les Nordistes en avaient moins que les Sudistes, mais ils l’ont emporté) ; nous nous priverions alors d’un élément central de notre « identité stratégico-militaire » occidentale.</p>
<p>Le problème est que, généralement, les Occidentaux ont également voulu penser avec les mêmes outils la dialectique et le chaos du champ de bataille et des opérations. C’est peut-être là qu’il convient d’aller chercher l’une des causes des déboires américains de ces dernières années. Et c’est en tout cas dans cette direction qu’il faut aller chercher l’une des causes de la défaite française du printemps 1940. Dans un excellent texte publié dans le recueil <ins>Mai-Juin 1940 – Défaite française, victoire allemande, sous l’œil des historiens étrangers</ins> (rééd. Autrement, 2010), l’historien militaire américain <strong>Robert Doughty</strong> explique que la défaite française fut l’échec de la logique et de la raison. <strong>Doughty</strong> met là le doigt sur quelque chose de fondamental que, pour ma part, je ne peux m’empêcher de replacer dans la longue durée historique. Depuis le XVIIe siècle, les élites françaises (militaires, politiques, économiques, intellectuelles, etc.) ont été « programmées » au moyen de deux « logiciels mentaux » très puissants, le cartésianisme et le positivisme, qui possèdent des qualités et des forces redoutables, mais qui présentent aussi une faiblesse majeure : ils sont globalement inopérants pour penser et agir en situation d’affrontement dialectique et a fortiori chaotique, donc en situation de combat. Incidemment, c’est peut-être pour compenser cette déficience de ses élites que le peuple français a su mettre en œuvre un sens étonnant qu’il a dénommé le « système D »…</p>
<p>Bref, pour employer une métaphore qui me plaît bien : les élites françaises excellent à prendre de superbes photographies, mais sont incapables de faire un film, c’est-à-dire de gérer et de dominer le mouvement et la fluidité. Voilà pourquoi les planifications stratégiques françaises des années 30 n’étaient sans doute pas si stupides qu’on a pu le dire – elles étaient même assez bien adaptées à une guerre mécanisée et industrielle prolongée, comme les Américains le prouveront et comme les Allemands ne surent jamais parfaitement le comprendre –, mais elles se montrèrent complètement désarçonnées par un « coup » splendide et qui n’était qu’un « one shot », ou presque. C’est ce moment-là que d’authentiques ennemis intérieurs de la France ont su saisir au bond pour imposer un arrêt des combats et la mise en place d’un régime qu’ils appelaient de leurs vœux depuis longtemps. Pour en revenir à cette caractéristique intellectuelle de la culture des élites françaises, si elle présente une faille énorme, elle n’est peut-être pas non plus à rejeter entièrement. Mais, là, j’émets sans doute un vœu pieu, car il serait certainement très difficile d’intégrer aussi la pensée dialectique dans une telle culture, un tel « logiciel mental ».</p>
<p>Reste que la recherche arithmétique de la puissance de feu n’est pas spécifiquement française, et que, peu ou prou, elle caractérise tout le modèle occidental de la guerre depuis plusieurs siècles. À nouveau, mes réflexions sur la longue durée de l’histoire militaire me permettent d’avancer une explication. Cela pourrait en grande partie provenir du fait que, à partir du XVIe siècle, les chefs militaires occidentaux ont été confrontés à un problème technique qui ne pouvait être résolu que de cette façon : celui du manque de précision, de puissance et surtout de haute cadence de tir des armes à feu individuelles équipant l’infanterie. Le seul moyen de remédier à ce problème était d’aligner toujours plus de tireurs. Ajoutons à cela que le capitalisme et la révolution industrielle ont fait triompher ce que Heidegger dénonçait comme le règne de la technique (sous-entendu : « non pensée »), et l’on obtient l’aporie dans laquelle nous nous trouvons. C’est donc d’une révolution philosophico-stratégique dont nous avons besoin. Pas simple…</p>
<p>(à suivre)</p></div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2010/11/20/Henninger-Immarigeon-%253A-le-d%25C3%25A9bat-%2528II%2529#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/833Uchronie 1940 : débat Immarigeon - Henninger (I)urn:md5:1c55824783af076a50de99cc8f98a6592010-11-11T00:27:00+00:002010-11-11T00:27:00+00:00Olivier KempfHistoire<div class="post-excerpt"><p>Voici qq chose de plus amusant que ce que vous lisez d'habitude : en effet, égéa fournit souvent des monologues, avec quelques commentaires pour animer. Or, à la suite des billets présentant leurs œuvres respectives sur égéa (ici et ici), deux auteurs (J.-Philippe <strong>Immarigeon</strong> et Laurent <strong>Henninger</strong>) ont souhaité un débat, à propos de 1940 et de ses leçons.</p>
<p>En voici les règles : ils ont droit à quatre échanges en tout et pour tout. J Phi écrit quatre fois, Laurent écrit quatre fois. Voici la première salve, trois sont à suivre.</p>
<p>Merci à eux, et bonne lecture.</p>
<p>réf :</p>
<ul>
<li><a href="http://www.egeablog.net/dotclear/index.php?post/2010/05/11/1940-%3A-Et-si-la-France-avait-continu%C3%A9-la-guerre....">Et si la France avat poursuivi la guerre</a>, par Jacques Sapir, Frank Stora et Loïc Mahé, avant-propos de Laurent Henninger</li>
<li><a href="http://www.egeablog.net/dotclear/index.php?post/2010/04/16/Diagonale-de-la-d%C3%A9faite-%3A-interview-d-Immarigeon">Diagonale de la défaite</a>, par J Ph Immarigeon</li>
</ul>
<p>O. Kempf</p></div> <div class="post-content"><p><strong>Jean Philippe Immarigeon</strong> :</p>
<p><img alt="" src="http://www.egeablog.net/dotclear/public/logo_diagonale_defaite.jpg" /></p>
<p>« C’est le premier exercice de ce genre et il est essentiel qu’il porte sur la <ins>défaite de 194</ins>0, ou plutôt sur la poursuite du combat après cette défaite qui finalement n’est pas remise en cause. C’est pourquoi c’est une uchronie très sage. Je me suis toujours demandé ce qui se serait passé si, lors de leur entretien téléphonique le 10 mai à l’aube, <strong>Gamelin</strong> avait répondu à <strong>Georges</strong> : « <em>Attendons 48 heures pour voir comment ça se déroule, j’appelle Reynaud pour lui dire qu’on n’envoie que la cavalerie, le gros des troupes reste sur la position frontière</em> » ? <strong>Jacques Sapir</strong> explique d’ailleurs très bien dans sa présentation pourquoi l’imagination a été bridée, et l’uchronie prudente et même précautionneuse. C’est peut-être dommage. J’ajouterais qu’elle est finaliste : prouver que la lutte pouvait continuer après une première bataille perdue. Bien sûr qu’elle le pouvait.</p>
<p>S’il s’agit alors de montrer que rien n’était déterminé, tordre le cou aux inepties néo-pétainistes d’un <strong>Max Gallo</strong> ou d’un <strong>Claude Quétel</strong> sur le châtiment justifié de la France pour ses erreurs passées, tout à fait d’accord (encore qu’il est lamentable qu’il faille, 70 ans après Riom puis les procès de la Libération, redire encore et toujours la trahison de la droite la plus bête du monde, et de ses contemporains épigones par ailleurs mauvais polygraphes). S’il s’agit de montrer que la machine de guerre française était incomplète mais élevée sur des principes de management stratégique inventés en 1916 et que nous copièrent ensuite les Américains, encore d’accord (sous réserve de l’efficience très relative de ce management, du Vietnam à l’Afghanistan). S’il s’agit de montrer que tout résida dans le caractère de chacun, oui bien sûr. Mais cela n’a rien à voir avec le nombre de chars encore disponibles fin juin 1940 : on reste debout ou on se couche, on est <strong>de Gaulle</strong> ou on est <strong>Pétain</strong>, et malheureusement la nature humaine étant ce qu’elle est, on est plus souvent Pétain que de Gaulle. »</p>
<pre></pre>
<p><strong>Laurent Henninger</strong> :</p>
<p><img alt="" src="http://ecx.images-amazon.com/images/I/51Y4EyAZw1L._SL500_AA300_.jpg" /></p>
<p>Il est difficile de polémiquer face à un propos que l’on approuve à 99 % ! Essayons tout de même… Il est certes lamentable de devoir, « <em>70 ans après Riom puis les procès de la Libération</em> », expliquer ces événements « encore et toujours », mais c’est ainsi. Dans le numéro de <em>L’Histoire</em> d’il y a deux mois, l’historien américain <strong>Robert Paxton</strong> a hélas parfaitement raison d’affirmer que, du point de vue de la <em>mémoire </em> de la défaite de mai-juin 1940, « <em>c’est Vichy qui a gagné la guerre</em> ». Il revient donc à notre génération la charge et le devoir de tenter de réparer cette infamie. Tu le regrettes, tu en es scandalisé ; moi aussi.</p>
<p>Avec la Révolution française, la boucherie de 14-18 et l’affaire algérienne, l’humiliation de mai-juin 40 (et l’abjection vichysto-collaborationniste qui en fut issue) constitue l’une des « <em>plaies purulentes</em> » de l’historiographie française qui ne pourront sans doute jamais être cautérisés, ne serait-ce que parce que cela nécessiterait des remises en cause touchant à l’essence même de pans entiers de l’ensemble national. Toutes choses égales par ailleurs, d’autres nations connaissent des problèmes similaires ; ainsi des États-Unis avec leur guerre de Sécession, qui peut être considérée comme une sorte de concentré des quatre exemples français ci-dessus énoncés.</p>
<p>Il est bien vrai qu’au final, les ambitions de cette uchronie sont, d’une certaine façon, très limitées. Et je pense que cela constitue précisément l’une de ses forces. Il s’agissait en effet de montrer (et non pas de démontrer, car c’est impossible à ce niveau), à travers une illustration qui soit également plaisante à lire, que la continuation de la lutte était techniquement et stratégiquement possible. Mais il n’en reste pas moins – et tu as parfaitement raison de le souligner – que, in fine<em></em>, le cœur du problème fut bel et bien politique (et ce terme inclut, bien entendu, une dimension psychologique et humaine), avec la trahison et la lâcheté d’hommes (et de « groupes ») qui s’avérèrent ravis de l’opportunité historique qui se présentait soudainement (la « divine surprise » du répugnant <strong>Charles Maurras</strong>, ou le « <em>Je n’ai peut-être pas eu les Boches, mais au moins j’ai eu le régime</em> », du non moins répugnant <strong>Weygand</strong>, lequel, pour cette seule déclaration, eût mérité le châtiment que <strong>Maurras</strong> voulait réserver à <strong>Blum</strong> : être fusillé dans le dos). Une fois réduit à néant le discours pseudo-rationnel visant à prouver qu’il n’y avait rien à faire et que la continuation de la lutte était impossible, nous nous retrouvons devant le <em>vrai</em> débat, la <em>vraie</em> question, le <em>vrai</em> problème de fond : pourquoi et comment certains individus et certains groupes sont-ils parvenus à faire prévaloir leur vision ? Cela, l’uchronie de <strong>Sapir</strong>/<strong>Stora</strong>/<strong>Mahé</strong> et leur équipe ne pouvait y répondre que très partiellement ; ils se sont contentés de nous fournir des outils et des arguments pour mieux penser aux vraies questions. Cette tâche-là ne leur reviens pas, en tout cas pas à eux seuls.</p>
<p>Pour ta remarque sur les Américains, force est de constater que, depuis la guerre de Sécession, ce sont eux qui ont certainement le mieux mené la guerre industrielle et mécanisée à l’échelon stratégique et « grand stratégique », qu’on le déplore ou non. Leur problème depuis les années 60 est qu’ils sont de plus en plus souvent confrontés à des guerres non industrielles et non mécanisées (du moins pour ce qui concerne leurs adversaires) ; du coup, une bonne partie de leur puissance est inopérante et ils ne peuvent plus remporter de victoires claires et nettes, seulement des victoires partielles, fragiles et « bâtardes » (à l’exception majeure de la guerre froide – guerre industrielle et mécanisée <em>virtuelle</em> dans ses aspects militaires –, qu’ils ont remportée haut la main, et ça n’est pas rien !). Mais ça ne les empêche pas de faire toujours beaucoup de dégâts, de tuer beaucoup de monde et même de continuer à dominer la planète… pour l’instant et pour le futur prévisible proche.</p>
<p>(à suivre)</p></div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2010/06/28/Uchronie-%253A-d%25C3%25A9bat-Immarigeon-Henninger#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/818