Egeablog - Mot-clé - Libye2023-06-28T12:43:19+02:00Olivier Kempfurn:md5:fc9dfa5de5fd9856c4c7bdd45e8ff3c1DotclearFrance-Italie : une crise plus profonde qu'il y paraîturn:md5:1a8cfbd253fb71d30e169cd51c16f6402019-11-02T15:53:00+00:002019-11-02T15:53:00+00:00Olivier KempfItalieFranceItalieLibye<p>En février, j'avais été participer à Gênes à un festival de géopolitique organisé par Limes, la revue italienne de Géopolitique. J'étais intervenu sur le thème des rapports entre la France et l'Italie. On était alors au sommet de l'animosité qui s'est depuis calmée. Mais si ces rapports ne démangent plus trop et font moins de bruit, cela ne signifie pas que tout va pour le mieux. Bref, un texte publié 9 mois après.... A vous de vous faire votre idée.</p>
<p><img src="https://blog.flightsite.co.za/wp-content/uploads/2015/04/italy.jpg" alt="" /> <a href="https://blog.flightsite.co.za/italy-or-france-which-destination-is-right-for-you/">source</a></p> <p>France-Italie : une crise plus profonde qu’il n’y paraît</p>
<p>Le dissentiment entre la France et l’Italie était observable depuis plusieurs mois : la preuve, ce colloque est organisé depuis l’été et notre table ronde est prévue depuis ce temps-là. Cependant, l’escalade de ce début d’année a fait la une des journaux au point qu’il faille parler de crise « sans précédent depuis la fin de la guerre », selon les mots du quai d’Orsay.</p>
<p>Cette crise a pourtant plusieurs dimensions. Elle est évidemment une affaire de politique intérieure des deux côtés des Alpes, chacun des protagonistes faisant face à de profondes difficultés internes et ayant trouvé dans la dispute le moyen de se positionner. Le calcul politicien l’a largement emporté sur le calcul diplomatique, c’est une évidence. Mais le terreau était là.</p>
<p>Car la crise est aussi, plus profondément, une crise franco-italienne qui remonte loin. Il y a eu incontestablement une certaine arrogance française, il y a eu aussi des maladresses italiennes : il y a surtout un négligence réciproque sous-jacente qui est dommageable, tant elle témoigne de l’absence de vision régionale plus encore que bilatérale.</p>
<p>Car voici au fond le troisième caractère de cette crise : elle est européenne. Aussi bien une crise évidente de l’Union Européenne mais aussi, paradoxalement, une européanisation des débats politiques.</p>
<p><strong>Est-ce seulement une affaire de politique intérieure ?</strong></p>
<p>Le différend franco-italien n’aurait pas existé s’il n’y avait pas eu E. Macron, et s’il n’y avait pas eu L. Di Maio et M. Salvini. Les trois se ressemblent finalement par bien des aspects, malgré leur opposition profonde.</p>
<p><ins>Macron, le Jupiter inconscient</ins></p>
<p>Emmanuel Macron a en effet été élu par surprise au printemps 2017. Il a bénéficié d’un double écroulement : celui de la gauche, entraînée par le fond autant par la présidence de F. Hollande que par un logiciel idéologique épuisé ; celui de la droite qui avait campagne gagnée jusqu’à ce que le favori, François Filon, ne soit plombé par des soupçons sur sa moralité. Il ne restait que Marine Le Pen au deuxième tour. Macron l’emporta aisément mais pas très brillamment (60 % des suffrages au deuxième tour, dans un contexte de Front républicain) sachant que son socle électoral de premier tour était assez faible (24 %) et dans un contexte de grande abstention. Malgré les louanges incessantes de la presse, vantant un mélange de Kennedy et d’Obama, malgré son charme indéniable, malgré sa chance insolente, il n’avait pas convaincu plus que ça. Il crut cependant que son destin n’avait pas été seulement de renverser la table d’un jeu politique épuisé, mais qu’il le mandatait à conduire un programme de réformes finalement très conventionnel, dans la droite ligne du libéralisme européen.</p>
<p>L’état de grâce permit de conduire la réforme de la SNCF, déjà de façon crispée. Cependant, les macroniens étaient très inexpérimentés et leur manque de sens politique assez flagrant. Le président maniait tout le monde à la baguette. Se désignant Jupiter, il se croyait au moins l’égal de De Gaulle. C’était ne pas comprendre que les circonstances avaient changé. Le vieux pays encore ordonné des années 1960 avait beaucoup plus changé qu’on ne l’avait dit. Il se cabra.</p>
<p>C’est le propre des premiers révolutionnaires que de croire qu’ils peuvent maîtriser le flot dont ils ont ouvert les vannes. Quasiment toujours, ils sont finalement emportés par lui et d’autres viennent, encore plus radicaux ou habiles, qui les mettent à l’écart. On le sait depuis le passage de 1789 à 1793, plus tard des mencheviks aux bolcheviques. Elu sur le renvoi du vieux système, Macron croit qu’il pourra s’appuyer quand même sur les institutions.</p>
<p><ins>Une crise française persistante</ins></p>
<p>La crise s’annonça dès l’été. Le président connaissait une décrue dans les sondages, normale pensait-on. Voici qu’au début de l’été, un de ses conseillers, A. Benalla, était accusé d’avoir violenté des manifestants, sous un déguisement de policier. On découvrit alors un système très opaque de privilèges, un président isolé, un entourage mutique et apparemment sourd. Surtout, le président se raidit, couvrit son subordonné, clama d’une vois trop haut perchée, devant des députés réunis pour l’occasion : « Qu’ils viennent me chercher ». La France apprit que le macronisme n’était pas un programme, mais une bande autour d’un chef.</p>
<p>L’automne vint. Avec lui, les Gilets jaunes, mouvement improbable que personne n’avait vu venir et qui jeta des dizaines de milliers de manifestants dans les rues chaque samedi, sans même parler de l’occupation de ronds-points où se recréait une sociabilité perdue dans la vie moderne. Il ne s’agit pas ici d’analyser les ressorts du mouvement : toujours est-il que beaucoup voulaient justement « chercher » le président, qui était finalement le principal point commun des manifestants, à cause de l’hostilité qu’il inspirait.</p>
<p>Trois mois après, les manifestations continuent et le mouvement bénéficie toujours d’un large soutien de l’opinion, 70 % des Français « le comprenant ». Quant au président, il ne rassemble le soutien que d’un cinquième à un quart des Français, ne réussissant pas à élargir son socle électoral, malgré le désordre politique évident. Au fond, il apparaît plus comme un déclencheur que comme une solution : c’est gênant quand on se croit Jupiter.</p>
<p>E. Macron est donc dans une situation difficile car la crise intervient finalement très tôt dans son quinquennat. Il risque d’être bloqué dans sa volonté de réforme et ne veut pas terminer comme un roi fainéant. Aussi est-il enclin à rejouer, plus que jamais, le clivage qui lui a permis d’arriver en tête : celui de l’hostilité à l’extrême droite. Et puisque Marine Le Pen est habilement silencieuse à l’intérieure, il lui faut trouver un adversaire à sa mesure. Ce seront les dirigeants italiens. Passons sous le prétexte qui a causé le rappel de l’ambassadeur de France et l’émission d’un communiqué très dur du ministère des affaires étrangères. Il est vrai que l’expédition de M. Di Maio en France, à la rencontre des Gilets jaunes, est tout sauf courtoise et qu’il venait précisément rencontrer des acteurs de la vie politique intérieure française. C’est à l’évidence contre tous les usages et, à proprement parler, une incursion politique que Paris ne pouvait laisser passer.</p>
<p><ins>MM. Salvini et Di Maio, duettistes improbables</ins></p>
<p>Car à Rome aussi, on avait tout mis par terre. Le gouvernement de Matteo Renzi (élu finalement sur les mêmes prémisses que celui d’E. Macron, ce qui devrait attirer plus d’attention de la part des politistes) était devenu extrêmement impopulaire, perdant les élections qui virent la victoire de deux mouvements contradictoires mais partageant la même volonté de mettre bas le système.</p>
<p>D’un côté, une Lega renouvelée sous la houlette de Mateo Salvini, partie d’un mouvement régional nordiste pour s’élargir à l’ensemble de la péninsule. De l’autre, Luigi Di Maio, à la tête du mouvement Cinque Stelle, regroupement un peu anarchique des refuzniks du système. Deux mouvements marginaux ayant finalement peu de choses en commun, sinon le refus de l’existant et la volonté de passer à autre chose. Il ne s’agit pas ici de vous l’expliquer car vous êtes bien plus au fait de ces nuances, simplement d’exposer comment ces deux mouvements sont perçus de l’autre côté des Alpes.</p>
<p>Or, la dynamique de ces mouvements n’est pas homogène, tant M. Salvini prend des initiatives qui lui donnent l’avantage sur son allié mais concurrent, ce que l’on observe dans les élections régionales récentes. Là réside probablement la cause de l’initiative de M. Di Maio, désireux de trouver des alliés en Europe. En effet, la Lega se rapproche assez facilement des mouvements européens de droite radicale, et notamment du Rassemblement National de Marine Le Pen en France. Cinque stelle est un mouvement différent, sans ligne politique très claire et ayant donc des difficultés à trouver des alliés.</p>
<p>Il s’agissait donc pour M. Di Maio de faire un coup d’éclat, inspiré par deux considérations : tout d’abord, se démarquer de son partenaire de gouvernement qui est en même temps un concurrent sur la scène politique intérieure ; mais aussi démontrer que le mouvement a une signification européenne : de ce point de vue, le mouvement des Gilets jaunes procède finalement des mêmes racines que le M5S et cette rencontre revêtait une signification importante, dans la perspective des élections européennes à venir et au-delà, de la constitution de groupes parlementaires à Strasbourg.</p>
<p><strong>Une signification européenne</strong></p>
<p>Voici donc deux dynamiques politiques intérieures qui s’insèrent dans une perspective européenne, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. On ne peut en effet résumer la crise à une simple crise bilatérale, sur laquelle nous reviendrons. Elle possède en effet une dimension européenne.</p>
<p>E. Macron n’a cessé de clamer son programme européen, manifesté par exemple dans le discours de la Sorbonne, prononcé en septembre 2017, quelques mois seulement après son élection. Ce plaidoyer a pourtant eu du mal à s’incarner dans la réalité politique européenne : M. Macron s’est en effet fâché avec de nombreux gouvernements européens, notamment d’Europe centrale et orientale. Au fond, il émet une approche morale qui lui fait condamner les mouvements qui s’écartent, à ses yeux, de l’idéal européen : on pense bien sûr à la Hongrie de V. Orban, mais aussi à la Pologne et bien sûr, à l’Italie.</p>
<p>Il dénonce ainsi l’illibéralisme de ces partenaires, suggérant même (novembre 2017) de conditionner l’octroi des fonds européens au respect de l’Etat de droit, à l’occasion du prochain budget pluriannuel de l’Union, qui sera LE débat européen à partir de l’automne. De même, il n’hésite pas à se présenter comme « le principal opposant » de MM. Orban et Salvini sur le dossier des migrants : « Je ne céderai rien aux nationalistes et à ceux qui prônent ce discours de haine. S'ils ont voulu voir en ma personne leur opposant principal, ils ont raison » dit-il en août 2018. E. Macron voit ainsi une opposition politique qui traverse l’Europe, affirmant : « Il se structure une opposition forte entre nationalistes et progressistes ». Ainsi, Macron se voit à la tête d’un « arc progressiste ». Il y a là encore des arrière-pensées politiciennes puisque M. Orban fait partie du groupe PPE au Parlement européen, celui des conservateurs. Au fond, M. Macron souhaite reproduire en Europe le même dynamitage des clivages qui l’a conduit au pouvoir : faire éclater les groupes traditionnels pour constituer un groupe centriste majoritaire. Notons que cet éclatement du clivage ancien entre droite et gauche correspond très fortement à celui réalisé par l’attelage entre Lega et M5S. Au fond, même s’ils ont des lignes différentes, les dirigeants français et italiens ont des points communs.</p>
<p>Le seul problème d’E. Macron vient de ce que ses alliés naturels ne le suivent pas autant qu’il le voudrait : les Allemands poursuivent leur approche prudente qui convient à leurs intérêts et ne ils voient pas la nécessité du grand chambardement suggéré par le président français. Ce sont aujourd’hui les principaux bénéficiaires de la structure politique et économique européenne et ils se méfient de l’activisme d’E. Macron. Ce ne sont pas les seuls : à preuve, le gouvernement hollandais vient d’entrer subrepticement au capital d’Air France KLM, sans avertir Paris, afin de contrôler les initiatives de Paris sur ce dossier économique. Cette initiative défiante montre que l’Italie n’est pas le seul pays avec lequel Paris a des problèmes.</p>
<p>Économiquement en effet, la France continue de ne pas rassurer les tenants de l’ordo-libéralisme européen, rassemblés autour des Allemands. Si les Italiens ont testé les autorités européennes sur leur budget, constatons que les Français ne rassurent pas Bruxelles, surtout après avoir débloqué dix milliards d’euros pour calmer les Gilets jaunes et alors que les fondamentaux du pays ne sont pas des plus brillants.</p>
<p>L’auditeur italien pourra se dire que finalement, les situations des deux pays se rapprochent beaucoup, aussi bien vis-à-vis de la politique économique européenne que de l’établissement politique en place à Bruxelles et Strasbourg.</p>
<p>Ces considérations amènent à une conclusion partielle : la crise franco-italienne est la manifestation d’un débat plus large, européen, qui traverse tous les pays, avec bien sûr des expressions différentes mais qui toutes, tournent autour d’un débat commun : Quelle Europe voulons-nous ? Comment l’amender alors qu’elle est visiblement en crise ? Comment résoudre la « polycrise » décrite par J.-C. Juncker ? stagnation économique, poids dominant de l’Allemagne, crise des migrants, défis de l’Amérique trumpienne, développement de mouvements populaires antisystèmes, voisinage russe, voisinage méditerranéen en sont des expressions multiples mais qui pose une question d’abord européenne.</p>
<p>L’Europe fait évidemment partie de la réponse à ces questions géopolitiques. Mais force est de constater qu’il y a ici un particularisme franco-italien, qu’il s’agit de décrire.</p>
<p><strong>Différends géopolitiques de part et d’autre des Alpes</strong></p>
<p><ins>Obsessions françaises</ins></p>
<p>Il convient de revenir ici sur la psyché française. Elle tourne autour de la question de la puissance. La France a été une superpuissance, elle sait qu’elle ne l’est plus depuis la Seconde Guerre mondiale. Se pose alors la question de son rang : est-elle une grande puissance ou juste une puissance moyenne ?</p>
<p>Objectivement, elle demeure une grande puissance (poids économique, siège au Conseil de Sécurité de l’ONU, langue internationale, rayonnement diplomatique mondial, possession de la bombe nucléaire, activisme militaire). Mais la crainte du déclassement l’obsède, surtout depuis le désastre de juin 1940. Cela explique son besoin d’un multiplicateur de puissance. Ce fut longtemps l’empire colonial mais sa disparition à la fin des années 1950 mit fin à ce rêve. Voici pourquoi elle choisit l’Europe, décision prise par le général De Gaulle au début des années 1960 : une Europe qu’il voulait contrôler afin de faire le poids vis-à-vis de Américains et des Soviétiques. Quelque furent les évolutions politiques depuis soixante ans, cette obsession demeure en France et explique par exemple que les élites parisiennes ne cessent de parler d’« Europe de la défense », expression ambiguë et intraduisible, donc totalement incomprise par nos partenaires européens.</p>
<p>Ce mythe de la puissance perdue explique également l’obsession allemande et corrélativement, la négligence envers les autres Européens. Au fond, il s’agit de tirer parti de la puissance économique allemande pour acquérir un poids politique suffisant et peser dans les affaires du monde. Ce faisant, la France adopte, sans s’en rendre compte, un complexe de supériorité envers les autres : c’est vrai des Belges, des Espagnols et bien sûr, des Italiens. Souvent, la France adopte envers beaucoup l’attitude dominatrice qu’elle reproche tant aux Américains, voire aux Allemands.</p>
<p><ins>Raidissements italiens envers l’expansionnisme économique</ins></p>
<p>Simultanément, la France se trouve très à l’aise avec ses voisins latins et ne se rend pas compte qu’elle agace. Les médias français ont beaucoup évoqué la rivalité entre MM. Macron et Salvini, bien peu ont remarqué à quel point la France était décriée en Italie, avant même l’arrivée d’E. Macron au pouvoir. Cela peut tenir à un certain expansionnisme économique (investissements de Bolloré dans Mediaset ou Telecom Italia, rachat de Moncler par Eurazeo, de Parmalat par Lactalis ou de Bulgari par LVMH). Ainsi, les acquisitions françaises en Italie (52 milliards d’euros entre 2006 et 2016 contre 7,6 milliards d’euros d’acquisitions italiennes en France durant la même période) nourrissent une méfiance croissante et des appels au patriotisme italien. Elles expliquent également la dispute sur la question du rachat des chantiers de l’Atlantique par Fincantieri, qui a été un temps bloqué par le gouvernement français ce qui a été mal vécu par Rome. On pourrait enfin évoquer la question de la ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin (le TAV), promue par les Français mais source de trouble chez les Italiens, non pas parce que cela vient de la France mais parce que les deux partenaires principaux de la coalition ont des points de vue différents sur le sujet, la Lega étant d’accord, le M5S s’y opposant.</p>
<p><ins>Méditerranée, cause de discorde</ins></p>
<p>Sur le versant plus géopolitique, les deux voisins ont manifesté leur désaccord notamment sur le problème des réfugiés. Il ne s’agit pas seulement de la question de l’immigration mais aussi des vagues de migrants traversant la Méditerranée et arrivant, pour beaucoup, en Italie. Or, la solidarité européenne et notamment française n’a pas fonctionné. Convenons que cela arrangeait bien Paris qui pouvait poursuivre ses manifestations publiques de vertu européenne sans accroître l’accueil interne de réfugiés, question également très sensible en France. Là encore, le différend bilatéral rend visible une question qui est d’abord européenne, même si les deux pays sont sortis temporairement de Schengen (la France sur la totalité de ses frontières, l’Italie pour sa frontière avec l’Autriche).</p>
<p>Mais ce sujet pose aussi la question de la Méditerranée, espace commun entre les deux pays, notamment la Méditerranée centrale et occidentale. Les deux pays devraient pourtant partager une approche commune et l’ont d’ailleurs longtemps eue (dialogue 5+5, EUROFOR, EUROMARFOR, Force de Gendarmerie européenne). Mais les choses se sont étiolées au cours de la dernière décennie, notamment à la suite de l’affaire libyenne. On sait qu’elle fut déclenchée par Nicolas Sarkozy, sans consulter ses alliés et que l’Italie s’y rallia, obtenant que cela passe sous commandement de l’OTAN. Pourtant, le chaos qui s’ensuivit a renforcé une certaine amertume romaine. D’une part, envers un déclenchement hâtif et des buts de guerre peu identifiés qui allèrent jusqu’à la chute du régime, avec le désordre consécutif, source première des migrations en Méditerranée centrale ; d’autre part, à cause de l’arrivée de la France en Libye, considérée comme un champ traditionnel d’influence italienne, depuis au moins la colonisation du début du XXème siècle. Or, les initiatives diplomatiques de Paris et de Rome se succèdent sans coordination, démontrant une sorte de rivalité latine et de lutte des egos assez infantile et surtout, sans guère d’effets sur le terrain. Mais si le dossier libyen est marginal pour Paris, beaucoup plus préoccupée de la bande sahélo-saharienne ou du Proche-Orient, elle est au contraire beaucoup plus centrale dans la politique extérieure de Rome qui est donc beaucoup plus susceptible sur ce dossier. Ceci explique également les sorties un peu outrées de Matteo Salvini sur le franc CFA ou le néocolonialisme français en Afrique, qui trahit plus l’impensé italien que la réalité actuelle, malgré tout fort éloignée de la « Françafrique » du général De Gaulle.</p>
<p><strong>Conclusion</strong></p>
<p>Nous pourrions évoquer cette psyché italienne qui anime sa géopolitique contemporaine : ce n’est ni le lieu ni le moment mais notons ici que s’il y a des obsessions françaises, il y a également des obsessions italiennes qui jouent incontestablement dans les rapports franco-italiens.</p>
<p>Ces dynamiques de fond s’insèrent dans un double contexte. Il est européen, en arrière-plan mais déterminant car la plupart des discussions entre Paris et Rome portent aussi sur l’Europe que les deux pays fondateurs envisagent pour la construction européenne. Mais il est aussi le fait des circonstances marquées par les personnalités au pouvoir dans les deux voisins transalpins. Les personnalités sont marquées et fortement différentes, tirant d’ailleurs parti de leur opposition qu’elles mettent volontiers en scène. Cependant, elles font courir un risque, celui d’abimer durablement une relation qui est naturellement celle de la proximité ; au-delà de la culture, il s’agit d’abord d’une communauté de tempérament qui font Français et Italiens si proches et si complices. Les responsabilités de cette crise sont évidemment partagées mais il est plus que temps de sonner le holà et de revenir à de meilleurs sentiments et des rapports plus courtois. Il semble que les deux capitales en aient pris conscience et soient en train de raccommoder les choses. Mais les temps sont désormais tellement imprévisibles que l’embellie actuelle reste encore bien fragile.</p>
<p>Olivier Kempf</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2019/11/02/France-Italie-%3A-une-crise-plus-profonde-qu-il-y-para%C3%AEt#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/2273Histoire de l'Afrique du Nord (B. Lugan)urn:md5:85a6f8f468e6cde95b3ab0a808549ff22016-07-12T21:18:00+01:002016-07-12T21:18:00+01:00Olivier KempfFiche de lectureAfriqueAfrique du nordAlgérieEgypteHIstoireLibyeMaghrebTunisie<p style="text-align: justify;">Voici un judicieux choix de sujet. S'il existe des histoires de l'Afrique, du Maghreb, du Proche-Orient, rares sont les essais qui se préoccupent de l'Afrique du nord, spécifiquement, sans l'associer ici à l'Afrique, là au Moyen-Orient. Tenter de saisir l'histoire de cette rive sud de la Méditerranée, c'est déjà lui donner une cohérence finalement assez logique, la zone étant une île entre deux mers, l'une d'eau, l'autre de sable. Nous avons dit ailleurs que <a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2010/05/20/L-%25C3%25AEle-Afrique-du-sud">l'Afrique était un archipel</a>, ce livre vient le confirmer, au moins dans son projet. Traiter ensemble Egypte, Libye, Tunisie, Algérie et Maroc, une bonne idée, incontestablement.</p>
<p style="text-align: justify;"><img alt="Histoire de l'Afrique du Nord
: Egypte, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc
: des origines à nos jours" itemprop="image" src="http://www.laprocure.com/cache/couvertures/9782268081670.jpg" /></p> <p style="text-align: justify;">Comme toujours dans ce genre de livre, il faut expliquer à la fois l'unité de la zone tout en détaillant les particularités de chaque pays. Mais la géopolitique est habituée à ces changements réguliers de focale qui font partie de sa méthodologie. QUand à l'étude du temps long, elle est essentielle également. De ce point de vue, Bernard Lugan montre sa connaissance riche de la zone.</p>
<p style="text-align: justify;">Ce spécialiste de l'Afrique est à la fois connu et controversé. Les universitaires lui reprochent une lecture idéologisée et sulfureuse. Lui même défend une lecture ethniciste de la réalité africaine. Notons ici qu'on a connu chez des universitaires bon teint le goût pour les explications monocausales. Bref, il faut prendre dans Lugan ce qu'il y a à y prendre, puis piocher ailleurs pour compléter. Voici pour l'auteur car inéluctablement, la simple mention de son nom déclenche d'innombrables soupçons. Passons au fait, c'est à dire son ouvrage.</p>
<p style="text-align: justify;">IL est épais (725 pages), agrémenté de nombreux graphiques et encadrés et surtout d'un remarquable cahier de 72 cartes en couleurs : mazette ! rien que pour cela, il vaut le détour....</p>
<p style="text-align: justify;">Il est articulé en sept parties. La première court des origines à la veille de la conquête arabo-musulmane, avec bien sûr un moment sur l'Egypte mais aussi un chapitre sur la préhistoire, un autre sur l'Afrique du nord avant les Romains, un dernier sur la région avant la conquête : on le voit, des coups de projecteur sur des périodes moins connues.</p>
<p style="text-align: justify;">La 2ème partie traite de l'Afrique du nord du VII° au XIII° siècle. C'est bien sûr la conquête arabe mais aussi les différentes émancipations, ici au Maghreb, là en Egypte. La troisième évoque la période du XIV° au XVII° siècle, autrement dit la domination ottomane, inégale et laissant déjà la place aux autonomies, en Egypte ou plus particulièrement au Maroc.</p>
<p style="text-align: justify;">La 4ème évoque l'arrivée de l'Occident. Bonaparte, régences, ébauches de modernisation, période coloniale, premier conflit mondial. La 5ème traite de la période de 1919 à 1945 qui est celle des premières volontés d'émancipation. Elles se concrétisent dans la 6ème partie sur les indépendances. Une dernière partie s'attache à l'époque contemporaine.</p>
<p style="text-align: justify;">Voici donc un livre complet, doté d'un appareil de notes fourni (mais sans excès), d'une abondante bibliographie (plus de 50 pages !) et d'un solide index des noms propres. Bref, un ouvrage de fond de bibliothèque, indispensable pour tous les curieux de l'Afrique, de la civilisation arabo musulmane ou de la Méditerranée : ce qui devrait faire pas mal de monde....</p>
<p style="text-align: justify;">Bernard Lugan, <a href="http://www.laprocure.com/histoire-afrique-nord-lugan/9782268081670.html">Histoire de l'Afrique du Nord (Egypte, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc), des origines à nos jours</a>, Editions du Rocher, 29 €</p>
<p style="text-align: justify;">O. Kempf</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"> </p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2016/07/12/Histoire-de-l-Afrique-du-Nord-%28B.-Lugan%29#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/2108Faut-il penser l'EI au passé ?urn:md5:468560556ce95350f93808e3a44b32662016-05-06T17:53:00+01:002016-05-06T17:53:00+01:00Olivier KempfGuerre irrégulière, contre-insurrectionAfrique du NordEgypteEtat IslamiqueIrakLibyeMoyen-OrientSyrieTunisie<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Après une année 2014 marquée par la surprise devant l’émergence de l’État Islamique, une année 2015 inquiète devant sa résistance, ce début d’année 2016 semble marqué par un regain d’optimisme envers l’organisation. Ainsi, les instituts anglo-saxons dressent le décompte exact des pertes de territoire de l’organisation. Selon une <a href="http://www.janes.com/article/56794/islamic-state-s-caliphate-shrinks-by-14-in-2015">étude</a> de </span></span><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;"><i>Janes</i></span></span><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;"> parue en décembre dernier, elle aurait perdu 14 % de son territoire en 2015. Une autre étude de fin mars 2016 évoque le chiffre de 25 %. Ceci concerne l’Irak et la Syrie. On pourrait de même évoquer les revers subis par l’EI en Libye, dont la récente perte de Derna en Cyrénaïque. (<em>Texte de l’intervention prononcée le 30 avril dernier au <a href="http://www.realites.com.tn/2016/04/19eme-edition-du-forum-international-de-realites-enjeux-et-defis-de-la-nouvelle-politique-de-voisinage-de-lue/">Forum International de Réalités</a>, à Hammamet, en Tunisie, que je vous <a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2016/04/24/19%C3%A8me-forum-international-des-r%C3%A9alit%C3%A9s">avais annoncée ici</a></em>) (<a href="https://www.lettrevigie.com/2016/05/faut-il-penser-lei-au-passe/">billet publié initialement</a> sur <a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2016/05/06/www.lettrevigie.com">La Vigie</a>)</span></span></p>
<p align="justify"> </p>
<p align="justify"><img alt="Le Royaume-Uni aurait tué un millier de combattants de l'EI." class="aligncenter" height="281" src="http://www.lepoint.fr/images/2016/04/30/3806793lpw-3807120-article-ei-jpg_3521956_660x281.jpg" width="660" /> <a href="http://www.lepoint.fr/monde/le-royaume-uni-aurait-tue-un-millier-de-combattants-de-l-ei-30-04-2016-2036081_24.php">Source</a></p>
<p align="justify"> </p> <div class="entry-content">
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Certains pensent alors qu’il y a une solution militaire à l’EI et que l’on réussira à l’annihiler. En avril, le ministre français de la défense, JY Le Drian, lors d’une visite en Irak, estimait qu’en 2016, aussi bien Rakka que Mossoul (les deux places-fortes de l’EI) pouvaient tomber (<a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/04/11/97001-20160411FILWWW00269-les-fiefs-de-l-ei-doivent-tomber-en-2016.php">voir ici</a> ). Dès lors, la question qui vient à l’esprit est la suivante, aussi provocante paraisse-t-elle : faut-il penser l’EI au passé ? Pour y répondre, nous évoquerons d’abord le Moyen-Orient puis la Libye, avant de conclure sur le cadre tunisien.</span></span></p>
<p align="center"><img align="bottom" border="0" height="324" name="Image 0" 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<p align="center"><a href="http://www.lejdd.fr/International/Moyen-Orient/L-Etat-islamique-perd-Palmyre-et-recule-en-Irak-778609"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Source</span></span></a></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;"><u><b>L’EI au Moyen-Orient</b></u></span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Les dates sont bien connues : l’ancienne Al Qaida en Irak retrouve un certain succès à partir de 2011, date majeure pour le pays. En effet, les Américains partent assez abruptement tandis que le Premier Ministre Maliki mène une politique pro-chiite qui laisse les sunnites à l’écart des centres de pouvoir, ce qui nourrit la révolte. AQ en Irak s’était transformée en État Islamique en Irak dès 2006. En 2013, Al Baghdadi s’affirmant face à al Zawahiri rompt avec Al Qaida (et donc le front Al Nusrah syrien, contre lequel il n’hésitera pas à combattre désormais). Le nouvel EI conquiert Falloujah début 2014 dans l’indifférence générale, puis s’empare de Ramadi en mai et de Mossoul en juin 2014. En Syrie, la rupture déclenche une guerre interjihadiste en janvier 2014 et l’EIIL, à partir de son fief de Rakka, prend le contrôle de la vallée de l’Euphrate et d’une partie de gouvernorat d’Alep. Il devient en juin simplement l’Etat Islamique et constitue subitement l’ennemi public numéro 1 de l’Occident, à cause de ses vidéos cruelles mais aussi de l’afflux de combattants étrangers, venus pour la plupart du Moyen-Orient, à cause enfin des attentats qui se multiplient en Occident et se réclament de l’organisation (Hypercacher – Charlie est revendiqué au nom d’AQ -, San Bernardino, Paris, Bruxelles).</span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">S’il progresse encore quelque peu en 2014, l’année 2015 est celle du reflux marqué par quelques grandes dates : prise de Kobané par les Kurdes, prise de Tikrit en mars, prise de Sinjar en novembre, reprise de Ramadi en décembre, reprise de Palmyre en mars 2016 et lancement de l’offensive contre Mossoul. Constatons enfin que l’EI subit une réelle pression dans les petites poches qu’il contrôlait en Syrie du sud (banlieue de Damas, Deraa). Au nord, il a plié face au régime cet automne lorsque celui-ci, appuyé par les forces russes, a repris le contrôle des alentours nord et ouest d’Alep. En revanche, il résiste assez bien à l’offensive des rebelles, lancée à partir du nord le long de la frontière avec la Turquie et appuyée par l’artillerie turque. L’EI a réussi à reprendre une partie du terrain perdu tout en n’hésitant pas à tirer sur la Turquie. Du coup, cette offensive a tourné court.</span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Ce dernier exemple montre que l’EI n’est pas aussi fini qu’on le dit, même s’il fait face à de véritables difficultés, militaires ou financières, sans même parler du décès de nombre de ses chefs opérationnels. En effet, l’EI demeure solide sur ses bases territoriales. En Syrie, il tient la vallée de l’Euphrate qui n’a aucune envie de voir venir les Kurdes d’un côté, les forces du régime de l’autre. Il grignote ainsi les dernières positions du régime à Deir es Zor. En Irak, il reste appuyé sur le triangle sunnite, il a su nouer des alliances avec les tribus locales et la reprise de Ramadi par le gouvernement n’a pas forcément convaincu la population sunnite. Le nouveau premier ministre al Abadi essaye certes d’avoir une politique plus équilibrée que son prédécesseur mais fait face au manque de moyens et aux pressions des partis chiites. </span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Car voici le fond du problème : l’EI est certainement une organisation totalitaire mais il s’est enracinée sur un terreau politique qui demeure purulent. Il s’agit d’une part de la guerre civile en Syrie, d’autre part de l’équilibre des pouvoirs en Irak. S’ajoute là-dessus une dimension ethnique qui touche aux Arabes sunnites, sans compter les soutiens ambigus de tout un tas d’acteurs extérieurs qui soutiennent les uns ou les autres au gré de leurs intérêts, comme c’est toujours le cas en matière de guerre civile. Envisager une défaite seulement militaire ne traite qu’une partie du problème. Certes, une victoire militaire ouvre le jeu politique mais elle ne suffit à tout emporter, l’histoire récente de la région l’a suffisamment démontrée. </span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Constatons par ailleurs les possibilités de diffusion de l‘EI. On peut ainsi tout à fais imaginer une réunion de tous les jihadistes syriens sous la direction d’Al Qaida canal historique, à savoir Al Nosrah. En effet, la destruction du « califat » ne signifiera pas la fin de l’idéologie jihadiste et de son aile combattante, quelle que soit l’étiquette sous laquelle elle s’abrite. A supposer l’EI disparu, faudra-t-il déclarer Al Nusrah<a class="sdfootnoteanc" href="https://www.lettrevigie.com/2016/05/faut-il-penser-lei-au-passe/#sdfootnote1sym" name="sdfootnote1anc"><sup>1</sup></a> le nouvel ennemi public numéro 1, notamment en Syrie ? Mais alors, ne serait-ce pas ouvrir la voie à la propagande du régime, soutenue par les Russes et les Iraniens, qui accuse tous les opposants d’être jihadistes ? Si la communauté internationale est très claire en ce qui concerne l’EI, en sera-t-il de même avec Al Nusrah ?</span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Au-delà de la Syrie, le Liban demeure très fragile, surtout au regard du nombre de réfugiés qui s’y pressent mais aussi du clivage structurant entre sunnites et chiites (sans oublier chrétiens et druzes) qui bloque la vie politique libanaise. Le Yémen a vu également la montée en puissance d’Al Qaida qui contrôle désormais des régions entières, ayant su s’adapter par rapport à sa rigueur initiale. Un certain nombre de tribus coexistent désormais avec AQPA qui demeure un acteur majeur de la guerre civile yéménite, sans compter l’intervention armée de l’Arabie Saoudite. Signalons d’ailleurs que l’EI a réussi à s’implanter quelque peu au Yémen, même si le pays ne semble pas pouvoir devenir un relais durable, si jamais le califat disparaissait. Mais là encore, on peut imaginer une fusion de tous les jihadistes sous la coupe d’Al Qaida.</span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Le dernier pays qui paraît fragile et constitue peut-être la cible prochaine de l’EI est l’Arabie Saoudite. On ne mesure pas assez en Occident à quel point le pays est plus fragile qu’il y paraît. La crise économique et sociale est profonde et se métastase en lutte idéologique. L’EI a ainsi été à l’origine de plusieurs attentats dans le royaume, tandis que la direction politique actuelle semble aller à l’encontre des règles traditionnelles de succession, optant pour un système unilinéaire qui mécontente une grande partie des clans et tribus associés au pouvoir. </span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Ainsi, l’EI en tant qu’organisation touche peut-être à sa fin. Les événements le diront, mais l’histoire apprend à être prudent et à ne pas enterrer trop vite l’ours que l’on n’a pas tué. Surtout, deux questions résilientes demeurent sous-jacentes : la crise politique qui traverse la Mésopotamie et le Proche-Orient ne sera pas réglée par la seule disparition du califat, tandis que l’idéologie jihadiste trouvera demain encore une organisation ou une bannière qui rassemblera les divers combattants, désireux de lutter par les armes.</span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;"><u><b>L’EI en Afrique du Nord</b></u></span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">En Afrique du nord, l’EI connaît deux emprises de nature très différentes. La première est la province du Sinaï, constituée d’un groupe autochtone qui s’est rallié à l’EI, sans qu’il apparaisse de liens opérationnels très directs avec le califat de Rakka. Force est de constater que cet EI au Sinaï ne paraît en rien diminué et continue de poser des problèmes structurels aux forces de sécurité égyptiennes, malgré les efforts du gouvernement dirigé par l’appareil militaire. Le Sinaï présente de plus la caractéristique d’un tissu tribal très particulier où l’emprise du pouvoir central a toujours été difficile. Force est de constater une certaine alliance entre tribus et jihadistes (un peu comme au Yémen et en Irak voire en Syrie orientale), ce qui explique la robustesse de cette franchise. D’ailleurs, une étude reste à mener sur les liens entre jihadisme et tribus à travers la région. À court terme, il paraît peu probable de prédire sa disparition. Si jamais l’EI central disparaissait, la franchise du Sinaï continuerait le combat et changerait sans doute l’allégeance.</span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">La situation paraît différente en Libye. L’EI annonce son implantation dès 2014, le MCCI<a class="sdfootnoteanc" href="https://www.lettrevigie.com/2016/05/faut-il-penser-lei-au-passe/#sdfootnote2sym" name="sdfootnote2anc"><sup>2</sup></a> (un groupe de Derna) prêtant allégeance à l’organisation en octobre. La zone de Derna devient rapidement la première implantation de l’EI en Libye, suivie de la prise de Syrte en février 2015, jusque-là tenue par une milice islamiste, puis de la ville de Nofaliya, aux portes du triangle pétrolier. </span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Toutefois, dès l’été 2015, une coalition de groupes jihadistes affiliés à Al Qaida s’oppose à l’EI à Derna et reprend le contrôle du centre de la ville. L’EI est définitivement chassée des faubourgs la semaine dernière. En août, l’EI réprime dans le sang une rébellion à Syrte. Autant dire que l’implantation de l’EI en Libye n’est pas aussi évidente qu’il y paraît. En effet, son maintien à Syrte tient probablement à ce qu’il s’agit de la ville natale de Khadafi, qui ne se retrouve dans aucun des deux grands groupes politiques tenant actuellement le pays. De même, on peut constater le maintien de tout un tas de groupes oscillant entre islamisme dur et jihadisme avéré. Là encore, il n’est pas anodin de mentionner d’une part le rôle structurant des tribus, d’autre part le maintien de l’influence d’Al Qaida. Ainsi, l’affaire de Derna est due aussi bien aux jihadistes locaux qu’aux troupes fidèles au gouvernement de Tobrouk. Il n’est pas du tout sûr que la nouvelle direction à Derna soit très conciliante avec Tobrouk.</span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Constatons ici que l’implantation de l’EI en Libye a été directement conduite du califat proche-oriental qui a envoyé des chefs sur place, se défiant assez ouvertement des leaders locaux. C’est probablement cette défiance (qui renvoie à un biais culturel ancien du Machrek envers le Maghreb) qui explique la difficile implantation de l’EI en Libye.</span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Par ailleurs, l’EI fait face à l’agressivité des Occidentaux qui depuis maintenant plusieurs mois organisent des frappes ciblées par drones ou missiles et ont déployé un certain nombre de forces spéciales en appui et conseil des combattants locaux. La pression augmente puisque les rumeurs font état d’une intervention directe imminente réunissant des forces spéciales anglaises, françaises et italiennes, sous direction américaine. </span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">En termes militaires, il semble donc que l’EI a été contenu en Libye et que l’on espère le réduire peu à peu. Toutefois, le cas de l’EI s’inscrit dans un paysage libyen compliqué où les deux coalitions présentes (Aube de la Libye à Tripoli, Armée nationale libyenne à Tobrouk) se livrent une guerre civile depuis 2014, malgré les pressions de la communauté internationale. Les récents développements politiques vers un gouvernement d’union nationale esquissent peut-être une solution politique qui paraît pour l’heure encore très fragile et à la merci de tout incident armé. Notons cependant que l’islamisme et le jihadisme demeurent des options pour bon nombre d’acteurs libyens et que la disparition de l’EI en tant que tel ne signifie pas pour autant l’effacement de son idéologie sous-jacente.</span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;"><u><b>Pour conclure : Le cas de la Tunisie</b></u></span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Évoquer maintenant la Tunisie n’est pas simplement dû à ce que notre conférence se tienne ici, à Hammamet, mais aussi à ce qu’elle constitue un des fronts avancés de l’expansion de l’EI. En effet, en 2015, les analystes ne cessaient de dire que l’EI s’étendait au Maghreb<a class="sdfootnoteanc" href="https://www.lettrevigie.com/2016/05/faut-il-penser-lei-au-passe/#sdfootnote3sym" name="sdfootnote3anc"><sup>3</sup></a>. On a vu qu’il est à peu près contenu au Sinaï, qu’il est plutôt sur le recul en Libye, la question du troisième domino demeure donc centrale.</span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Les liens entre la Tunisie et l’EI sont en effet pluriels : un grand nombre (5500) de jeunes Tunisiens ont rejoint l’organisation (en Libye ou en Irak/Syrie), tandis qu’elle n’a eu de cesse de faire dérailler le processus de transition démocratique qui apparaît comme le seul contre-modèle issu des révoltes arabes. Plusieurs modes opératoires se sont succédé : une micro guérilla dans le centre ouest du pays (plutôt animée par AQMI), des assassinats de masse (Bardo en mars, Sousse en juin, Tunis à nouveau en novembre 2015<a class="sdfootnoteanc" href="https://www.lettrevigie.com/2016/05/faut-il-penser-lei-au-passe/#sdfootnote4sym" name="sdfootnote4anc"><sup>4</sup></a>) puis enfin une opération commando à Ben Gardane, en mars dernier. </span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">L’EI fait incontestablement du mal à la Tunisie puisque les attentats suicide ont durablement touché le tourisme, une des principales ressources économiques. De même, il a su attirer une frange importante de jeunes Tunisiens qui sont partis à l’étranger (mais plus en Syrie qu’en Libye). Or, il semble que le fait que l’EI marque le pas depuis quelques mois en Libye, mais aussi qu’il soit la cible plus fréquente de frappes occidentales, ait poussé à sa dispersion. Ainsi, la frappe sur la ville de Sabratha en février 2016 (à 100 km de la frontière tunisienne) a pu avoir un effet déclencheur, accélérant la volonté de l’EI de s’implanter en Tunisie. Toutefois, force est de constater l’échec de l’opération à Ben Gardane. On a d’ailleurs des doutes sur son organisation qui semble avoir été un peu précipitée. D’ailleurs, elle n’a pas été revendiquée par l’EI et il est possible que ce soit des terroristes locaux pro-EI mais ayant voulu forcer la main de la maison mère. Elle est finalement un échec puisqu’elle n’a pas réussi à s’installer durablement, encore moins à rallier la population à sa cause. Là est au fond la meilleure nouvelle de ce début d’année. La Tunisie n’est pas dans un état de crise chaotique au point que des radicaux, de quelque obédience, puisse s’y enraciner durablement.</span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Au fond, la Tunisie ressemble bien plus à la France ou à la Belgique qu’à la Syrie, l’Irak ou la Libye. Sa société civile et son dialogue démocratique demeurent suffisamment solides pour ne pas constituer un terreau à des sécessions locales. Il reste toutefois des problèmes pérennes. D’une part, la réduction de l’EI en Syrie ou en Libye risque de provoquer un afflux de « retournants », ces combattants étrangers partis au loin et revenant au pays : pour la Tunisie, c’est une question qui demeure ; D’autre part, le manque de perspective économique et sociale est probablement une des causes du départ de ces nombreux jeunes désespérés. Pour eux, le jihadisme, qu’il soit sous étiquette EI ou sous une autre, demeurera encore longtemps un produit d’appel.</span></span></p>
<p align="justify"><span style="font-family: Times New Roman,serif;"><span style="font-size: medium;">Autrement dit, si on peut envisager une fin de l’EI, on est loin d’avoir résolu tous les problèmes sous-jacents ; Le jihadisme demeurera dans la région, et il est un défi politique qui pose la question du modèle de société, que ce soit en Europe, au Maghreb ou au Moyen-Orient.</span></span></p>
<p align="justify">O. Kempf</p>
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<p class="sdfootnote"><a name="_GoBack"></a> <a class="sdfootnotesym" href="https://www.lettrevigie.com/2016/05/faut-il-penser-lei-au-passe/#sdfootnote1anc" name="sdfootnote1sym">1</a><sup></sup> Jabhat al-Nusra figure parmi les organisations terroristes sanctionnées par l’ONU. Il figure dans la liste sous « QDe.137 ». Voir <a href="https://www.un.org/sc/suborg/sites/www.un.org.sc.suborg/files/1267.pdf">https://www.un.org/sc/suborg/sites/www.un.org.sc.suborg/files/1267.pdf</a>. Il est donc soumis au même régime que l’EI même s’il fait moins aujourd’hui la une que l’EI.</p>
</div>
<div id="sdfootnote2">
<p class="sdfootnote"><a class="sdfootnotesym" href="https://www.lettrevigie.com/2016/05/faut-il-penser-lei-au-passe/#sdfootnote2anc" name="sdfootnote2sym">2</a><sup></sup> MCCI : Majilis Choura Chabab al-Islam</p>
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<div id="sdfootnote3">
<p class="sdfootnote"><a class="sdfootnotesym" href="https://www.lettrevigie.com/2016/05/faut-il-penser-lei-au-passe/#sdfootnote3anc" name="sdfootnote3sym">3</a><sup><span style="font-size: small;"></span></sup><span style="font-size: small;"><span lang="fr-BE"> Par exemple : </span></span><span style="font-size: small;"><span lang="fr-FR">David Thomson : «L’État islamique a décidé de faire de la Tunisie sa cible», </span></span><span style="font-size: small;"><span lang="fr-FR"><i>Le Figaro</i></span></span><span style="font-size: small;"><span lang="fr-FR">, 31 mars 2015.</span></span></p>
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<div id="sdfootnote4">
<p class="sdfootnote"><a class="sdfootnotesym" href="https://www.lettrevigie.com/2016/05/faut-il-penser-lei-au-passe/#sdfootnote4anc" name="sdfootnote4sym">4</a><sup></sup> 39 <span lang="fr-BE">morts à Sousse, 24 morts au Bardo, 12 morts à Tunis, 54 morts à Ben Gardane.</span></p>
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