Egeablog - Mot-clé - Stratégie2023-06-28T12:43:19+02:00Olivier Kempfurn:md5:fc9dfa5de5fd9856c4c7bdd45e8ff3c1DotclearQuelques réflexions sur la non-batailleurn:md5:2a9b91602d1bf8cd3e8e9fce2bd0e0232021-01-22T17:20:00+00:002021-01-22T17:50:34+00:00Olivier KempfStratégieBrossoletDissuasionHarcèlementNon-BatailleNucléaireStratégieThéorie<p>Les spécialistes de stratégie connaissent l’<i>Essai sur la non-bataille</i>, ouvrage de 1975 publié par le commandant Brossolet, qui est une forme de critique de la théorie de la dissuasion adoptée comme dogme nucléaire en 1972. Il m'inspire les quelques réflexions suivantes.</p>
<p><img alt="http://ultimaratio-blog.org/wp-content/uploads/41wzDKICAJL._SX370_BO1204203200-V2-207x300.jpg" src="http://ultimaratio-blog.org/wp-content/uploads/41wzDKICAJL._SX370_BO1204203200-V2-207x300.jpg" /></p> <p style="text-align: justify;">Est-ce un hasard si le commandant conclut son ouvrage en proposant un système de défense modulaire « <i>opposant à la vitesse de l'adversaire, la profondeur du dispositif, à sa masse la légèreté et à son nombre l'efficacité</i><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2021/01/22/Quelques-r%C3%A9flexions-sur-la-non-bataille#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:105%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">[1]</span></span></span></a> ». L’ouvrage suscita un grand débat à l’époque et couta à son auteur son avancement. Brossolet est un précurseur de ce qu’on désigne aujourd’hui par techno-guérilla.</p>
<p style="text-align: justify;">Au fond, il s’agit de promouvoir le harcèlement comme principe stratégique. Le propos tient évidemment compte des trente ans de guerre de décolonisation où les armées françaises ont fait face à des guérillas agissant sur le modèle de la guerre révolutionnaire. Mais puisque la décolonisation est achevée, puis que le Livre Blanc de 1972a mis en avant la dissuasion nucléaire, comment articuler la nouvelle conception stratégique avec l’expérience militaire des décennies qui viennent de précéder ? La régulière n’a-t-elle pour vocation que d’aller se faire écraser par l’ennemi pour préparer l’emploi de l’arme d’utile avertissement ? Pour éviter ce piège, Brossolet propose une nouvelle façon d’articuler les lourds (ici le nucléaire) avec les légers (ici l’armée « conventionnelle », a qui ont attribue un autre rôle). Le plus intéressant tient à la mise en avant de la mobilité, quand la conception principale (engagement du corps blindé-mécanisé dans la bataille de l’avant) reprend finalement les principes ancestraux et rassurants.</p>
<div>O. Kempf
<hr align="left" size="1" width="33%" />
<div id="ftn1">
<p class="MsoFootnoteText"><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2021/01/22/Quelques-r%C3%A9flexions-sur-la-non-bataille#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><span lang="EN-GB" style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:105%"><span style="font-family:"Times New Roman",serif">[1]</span></span></span></a> Note de lecture sur <i>Essai sur la non-bataille</i>, paru dans le site <i>Le conflit</i> le 16 août 2019 <a href="http://www.leconflit.com/article-essai-sur-la-non-bataille-de-guy-brossollet-38822163.html">http://www.leconflit.com/article-essai-sur-la-non-bataille-de-guy-brossollet-38822163.html</a> . Pour comprendre la pensée de Brossolet, voir aussi <a href="https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/mort-guy-brossollet-theoricien-non-bataille-28161">https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/mort-guy-brossollet-theoricien-non-bataille-28161</a></p>
<p class="MsoFootnoteText">Voir aussi Remy Hémez sur le blog ultima ratio, Guy Brossolet ou la dissolution de la pensée dominante, http://ultimaratio-blog.org/archives/7129</p>
<h1 class="entry-title"> </h1>
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</div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2021/01/22/Quelques-r%C3%A9flexions-sur-la-non-bataille#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/2307L’énergie de la première moitié du 21e siècle, c’est la donnéeurn:md5:1df8fc725d9f9d8549d61fff579c33b42018-01-04T21:48:00+00:002018-01-04T21:48:00+00:00Olivier KempfMaitrise stratégique de l'informationDigitalDonnéeStratégie<p>L'autre jour, un journaliste m'appelle pour un article que j'avais publié il y a quelques mois sur la géopolitique de la donnée (avec Th Berthier, <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=RINDU1_163_0013">ici</a>, voir aussi <a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/06/18/Vers-une-g%C3%A9opolitique-de-la-donn%C3%A9e">sur egea</a>). Il avait travaillé le sjet, du coup la discussion a été passionnante, du coup il en a tiré quelques éléments écrits, que je reproduis avec plaisir sur ce blog. Car la donnée revêt uen dimension stratégique très forte, ce qui est peu soupçonné. Merci à Romain Ledroy (voir ses articles <a href="http://www.letudiant.fr/educpros/enquetes/donnees-personnelles-reglement-europeen-oblige-universites-pencher-sur-data.html">ici</a> et <a href="http://www.letudiant.fr/educpros/actualite/european-universities-boost-data-protections-in-light-of-new-regulation.html">ici</a>).</p>
<p><img src="https://www.redsen-consulting.com/wp-content/uploads/2014/03/qualit%C3%A9-donn%C3%A9es-timq-1024x768.jpg" alt="" /> <a href="https://www.redsen-consulting.com/wp-content/uploads/2014/03/qualit%C3%A9-donn%C3%A9es-timq-1024x768.jpg">source</a></p> <p><strong>Vous parlez de géopolitique de la donnée, pouvez vous expliquer cette notion ?</strong></p>
<p>Olivier Kempf : Depuis l’entrée dans l’ère contemporaine, les conflits sont à coupler avec les intérêts pour l’énergie. Au 19e siècle, l’énergie est le charbon, et il joue un rôle crucial dans les conflits de l’époque, comme la guerre de 1870. La question à laquelle on s’affaire pendant la guerre : comment organiser les déplacements de troupe grâce au train, et donc grâce à l’énergie ? Plus tard, pour la première moitié du vingtième siècle, le pétrole et donc le moteur à explosion seront au cœur de la seconde guerre mondiale avec le couple « char et aviation », les forces blindées mécanisées, etc. Après la guerre, l’énergie nucléaire et sa maîtrise permettent la dissuasion nucléaire, l’armement nucléaire et entraînent le monde dans une nouvelle époque. Le fond du problème, c’est que l’énergie de la première moitié du 21e siècle, c’est la donnée. Nous avons de facto une course à l’armement, une course à la technologie. Cette course à la technologie est encouragée par deux facteurs propres au développement de la donnée. Le premier est un effet quantitatif, ce que je qualifie de « tsunami du big-data ». Les systèmes d’information actuels dans de grandes organisations traitent des données en « dix puissance onze, dix puissance douze », soit des téraoctets de données. Dans quelques années, les prévisions s’accordent à dire que l’on passera à des ordres de grandeur de « dix puissance vingt », soit une multiplication par un milliard des données traitées par les organisations. Toutes les structures vont devoir y faire face : les grandes entreprises, les collectivités, les états. Il est avant tout question d’absorber le choc, et pouvoir répondre à cette démultiplication de la donnée. Le second effet est qualitatif. Ces données produites en masse doivent être analysées, valorisées, exploitées dans l’intérêt de l’organisation. C’est dans ce cadre que fleurissent des innovations technologiques décisives dans le traitement qualitatif de la donnée : le big-data, la blockchain, les intelligences artificielles… Ce contexte amène donc à considérer une approche politique de la donnée.</p>
<p><strong>En quoi la donnée représente une valeur aujourd’hui, et pour longtemps ?</strong></p>
<p>Olivier Kempf : Il suffit de regarder la valorisation boursière des GAFAM ! Autre exemple, comment expliquer la valorisation boursière de AirBnB, qui n’a aucun hôtel dans le monde et environ 3000 salariés, et le groupe Accor qui a 4200 hôtels dans le monde et 250 000 salariés ? (NDLR : AirBNB a une valorisation boursière de 31 milliards USD contre 12 milliards d’euro pour le groupe Accor). La différence : l’adaptation des acteurs aux nouveaux marchés ouverts par la profusion de données. Sur le marché, les challengers dynamitent les barrières à l’entrée grâce à l’exploitation des données des utilisateurs, et ce big-data se monnaye. De toute façon, soit les organisations, publiques comme privées, comprennent cette transition et s’adaptent, soit elles subiront de plein fouet cette évolution structurelle. La collecte de données est une chose, mais sa valorisation en est une autre. Elle doit permettre aux entreprises, aux collectivités, aux états d’anticiper la prise de décision, de minimiser les inconnues et donc les risques afférents. En tant que tel une donnée a une certaine valeur, mais elle a surtout une valeur que l’on ne soupçonne pas, celle d’être croisée avec d’autres données. La création de richesse viendra de ce croisement de données parfois étrangères pour corréler, prédire et donc, concrétiser une stratégie politique, économique (NDLR : cette notion fait écho à la data-driven architecture).</p>
<p><strong>Vous semblez nuancer la thèse selon laquelle l’Europe souffre d’un retard permanent, vis-à-vis des États-Unis, dans la prise en considération de cette ère de la donnée ?</strong></p>
<p>Olivier Kempf : Très honnêtement, on assiste en ce moment à une réelle prise de conscience, et en ce sens la perspective du Règlement européen sur la protection des données est un signal fort. Nous pouvons convenir qu’il n’y a pas un dirigeant européen qui est étranger aux concepts du Big-data et de l’importance des données des citoyens. Dans le même sens, les récentes amendes liées à l’évasion fiscale de certaines grandes firmes nord-américaines témoignent d’une volonté d’un plus grand contrôle du cyberespace. Cela dit, nous sommes quand même en retard par rapport au gigantisme nord-américain, qui a su créer un nouveau modèle économique, avec des masses de capitaux liées à la mondialisation financière, en créant de la richesse, et de l’économie virtuelle. Pour autant, là où l’Europe est en difficulté, c’est dans la création d’ETI, les Entreprises de taille intermédiaire pouvant devenir des fleurons de l’industrie numérique. Il faut pouvoir encourager la constitution d’organisations à même d’imposer des modèles européens, créer des valeurs et une culture au sujet des données.</p>
<p><strong>Le Règlement général sur la protection des données, le RGPD, insiste sur un autre point : les libertés fondamentales numériques. Ce point incarne cette volonté de l’Europe de créer un référentiel culturel.</strong></p>
<p>Olivier Kempf : Oui, et c’est essentiel. Le mot protection des données peut contenir une ambiguïté. Il ne s’agit pas pour moi en premier lieu d’organiser la souveraineté, mais de veiller aux libertés individuelles. On reconnaît ici l’influence de la Commission nationale informatique et libertés, la CNIL, sur ce point. À ce titre, ce que le RGPD crée est tout à fait différent de la conception nord-américaine sur les données, mais c’est aussi différent de ce que proposent certains états dans l’emballement sécuritaire actuel. Ce cadre législatif est innovant. Quand bien même le RGPD est perçu comme une contrainte, un obstacle par beaucoup d’organisations, une application habile de ce texte entraînera un autre effet, celui de la confiance. Rappelez-vous le cas d’Apple qui refuse d’ouvrir ses données au FBI : certains félicitent l’entreprise dans leur volonté de protéger les données. Sans en être dupes, nous voyons ici que la question de la confiance est essentielle et le RGPD permet aux organisations d’affirmer une vision des données personnelles.</p>
<p>O Kempf</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/11/19/L%E2%80%99%C3%A9nergie-de-la-premi%C3%A8re-moiti%C3%A9-du-21e-si%C3%A8cle%2C-c%E2%80%99est-la-donn%C3%A9e#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/2153Décès de Christian Malisurn:md5:3d98c4974844768e5c840c8d6fee47682017-11-25T20:35:00+00:002017-11-26T13:06:49+00:00Olivier KempfAuteur invitéAuteur inviteFranceMalisStratégie <p>Christian Malis vient de décéder. La communauté stratégique perd un de ses membres éminents et moi un ami.
<img src="http://cerclearistote.com/wp-content/uploads/2013/04/Christian-Malis.jpg" alt="" /></p>
<p>Nous nous sommes connus il y a quelques années, lorsqu'il a monté avec Stéphane Dossé et moi le premier colloque français de cyberstratégie. Stéphane le considérait comme l'un des meilleurs penseurs stratégiques actuels qui se ne distinguait pas uniquement pas ses compétences mais aussi par sa modestie et son ouverture d'esprit. Le sujet était alors totalement nouveau car s'il y avait déjà quelques approches de cybersécurité, la partie étendue incorporant la défense n'existait pas vraiment. Avec les membres d'AGS dont beaucoup ont depuis rejoint <a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/11/25/Echoradar.eu">EchoRadar</a>, nous étions une bande de passionnés qui s'interrogeaient sur ce domaine émergent. Christian est venu nous trouver, appuyé par le Centre de Recherche des Ecoles de Coëtquidan, pour monter ce colloque qui a donné lieu à <a href="https://www.economica.fr/livre-le-cyberespace-nouveau-domaine-de-la-pensee-strategique-dosse-stephane-kempf-olivier-malis-christian,fr,4,9782717865684.cfm">un livre dans la collection Cyberstratégie</a> que je lançais simultanément chez Economica.</p>
<p>Il s'est suivi une amitié durable, des échanges sur le cyber mais aussi la stratégie. Je lui avais demandé son propre ouvrage de cyber et il m'avait répondu qu'il travaillait sur autre chose, un livre de stratégie générale. Cela a donné "<a href="http://www.fayard.fr/guerre-et-strategie-au-xxie-siecle-9782213670782">Stratégie au XXIème siècle</a>", un livre qui n'a pas retenu l'attention de la critique spécialisée à l'époque alors qu'il était pourtant très profond. Mais n'est-ce pas, un auteur francophone et discret, cela ne plaît pas forcément. J'en ai dit immédiatement du bien (<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2014/08/18/Guerre-et-strat%C3%A9gie-au-21%C3%A8me-si%C3%A8cle-%28Ch.-Malis%29">voir ici</a>), non pas parce qu'il était un ami mais aussi parce qu'il valait le détour. Or, je constate depuis que petit à petit, ce livre fait son chemin et je le vois régulièrement cité dans des articles ou dans des fiches plus discrètes. Signe de cette valeur.</p>
<p>Il avait beaucoup échangé avec les membres d'Echoradar : Charles Bwelé explique qu'il "était un gars vraiment sympa, humble, curieux, très enrichissant... Et prêtait attention aux modestes blogueurs que nous étions/sommes. Son bouquin "Guerre et stratégie au XXIème siècle" est un vrai bijou. Une discrète comète nous a quitté...". Thomas Schumacher "offre d’ailleurs son bouquin à nos auditeurs…". "Son ouvrage avait même reçu une distinction nationale" rappelle Yannick Harrel (prix Maréchal Foch de l'Académie française en 20115, <a href="http://academie-francaise.fr/christian-malis">voir ici</a>). Eric Hazane ou Nicolas Mazzucchi se souviennent des longues conversations avec lui.</p>
<p>Et puis il a eu une longue maladie. Commencée il y a quelques mois, puis une rémission l'an dernier et une rechute avant l'été. Il était lucide et les quelques brefs échanges que j'ai eus disaient beaucoup par leur laconisme. Il était catholique et sa foi l'a porté jusqu'au bout. Ses obsèques ont lieu lundi après midi.</p>
<p>RIP, Christian, tu me manques déjà (Christian était latiniste et savait bien que RIP signifie Requiescat in pace...). A Dieu.</p>
<p>O. Kempf</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/11/25/D%C3%A9c%C3%A8s-de-Christian-Malis#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/2155OTAN : quelle stratégie sous l'administration Trump ? (entretien radio Vatican)urn:md5:0c160d9ce197d4b6d540844232f8fdb12017-02-24T21:24:00+00:002017-02-24T21:24:00+00:00Olivier KempfParoles orales et visuellesEtats-UnisEuropeOTANRadioStratégieSécuritéTrumpVatican <p style="text-align: justify;">Lundi 20 février dernier, j'ai accordé un assez long entretien (4mn 40) à Radio Vatican qui m'interrogeait sur l'attitude de l'OTAN (et au-delà des Européens) vis-à-vis de l'administration Trump. J'y ai fait part de mon analyse assez sceptique.</p>
<p style="text-align: justify;"><img class="img-art-foglia" itemprop="image" src="http://media02.radiovaticana.va/photo/2017/02/20/REUTERS1985890_Articolo.JPG" /></p>
<p style="text-align: justify;">Voici le lien <a href="http://fr.radiovaticana.va/news/2017/02/20/otan__quelle_strat%C3%A9gie_pour_ladministration_trump/1293640">http://fr.radiovaticana.va/news/2017/02/20/otan__quelle_strat%C3%A9gie_pour_ladministration_trump/1293640</a></p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/24/OTAN-%3A-quelle-strat%C3%A9gie-sous-l-administration-Trump-%28entretien-radio-Vatican%29#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/2127Guerre et rhétorique (version longue, Medium n° 50)urn:md5:b724a1e6c378d8d791389dc166b10d2b2017-02-04T19:24:00+00:002017-02-04T19:24:00+00:00Olivier KempfLivres et écritsDialectiqueGuerreguerreRhétoriqueStratégieThéorie stratégique<p><a href="http://mediologie.org/">Medium</a>, la revue de médiologie de Régis Debray, m'avait demandé un article sur Guerre et rhétorique. Ils en ont publié une version (très) raccourcie dans le numéro 50 d'octobre-décembre 2016. Il me semble plus utile de vous donner la version intégrale, que je trouve (évidemment) beaucoup plus riche). Egea.</p>
<p><img alt="Revue Medium n° 49" height="252" src="http://www.gallimard.fr/var/groupe_gallimard/storage/images/media/gallimard/images/medium-couv/medium-49/6262232-5-fre-FR/Medium-49_list_ouvrage.jpg" style="border: 0px none;" title="Revue Medium n° 49" width="165" /></p> <p style="text-align: justify;">Le premier réflexe, lorsqu’on associe la question de la guerre et de la rhétorique, consiste à soulever la question de la propagande : propagande pendant le conflit, aussi bien en direction de sa propre population que celle de l’ennemi, ou après le conflit, dans les célébrations de la victoire. Ces dimensions sont évidemment précieuses à la compréhension du phénomène de la guerre. Mais il s’agit là d’instruments qui au fond accompagnent la conduite de la guerre et ne semblent pas essentielles. Or, d’un point de vue stratégique, il semble bien que la guerre vise d’abord à convaincre l’autre qu’il a perdu, donc qu’on a soi-même obtenu la victoire. La guerre est une forme extrême de dialogue, mais elle est d’abord un dialogue ou, plus exactement, une dialectique. La victoire est alors le résultat de cette discussion avant d’être destruction des forces de l’ennemi ou occupation de sa capitale ou toute autre marque habituelle de la victoire.</p>
<p style="text-align: justify;">Ce rapport fécond entre la rhétorique et la victoire s’observe aussi bien dans la guerre traditionnelle que dans la stratégie nucléaire ou des formes plus contemporaines de conflit, la cyberguerre et le djihadisme.</p>
<p> </p>
<p><strong>I Rhétorique, victoire et guerre traditionnelle</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Dans la guerre traditionnelle, celle où des troupes se massaient avant la rencontre pour se confronter sur le champ de bataille ou à l’occasion d’un siège, la force a toujours compté. La victoire est traditionnellement perçue en Occident comme un rapport de force où le plus puissant gagne. C’est ce que Victor Hanson a appelé le « modèle occidental de la guerre<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a> » où le but recherché consiste à anéantir l’ennemi. Le courage ou la valeur peuvent certes compenser l’infériorité numérique. Ainsi, une des premières grandes batailles de l’histoire voit au défilé des Thermopyles 1000 hoplites grecs s’opposer aux 200.000 soldats de Xerxès. Certes ils sont défaits mais leur résistance permet aux cités grecques de s’organiser et de repousser les Perses (victoires de Salamine et Platées). Toutefois, la recherche de la puissance sera souvent au cœur de la pratique de la guerre. Celle-ci passe principalement par l’augmentation des effectifs mobilisés (la principale idée de « L’art de la guerre » de Machiavel est la défense de la conscription qui donne plus de soldats, plus motivés) mais aussi par la recherche d’armes nouvelles (armure du chevalier, arbalète, bouches à feu…) afin de prendre l’avantage ou encore par une meilleure organisation (la légion romaine, le système divisionnaire de Bonaparte).</p>
<p style="text-align: justify;">Pourtant, simultanément, la guerre est affaire de stratagème, dont la racine est bien proche de la stratégie. La ruse est une façon d’obtenir la victoire. Le lecteur cultivé pensera immédiatement au cheval de Troie, ou encore aux Horaces et aux Curiaces, autre exemple tiré de l’antiquité légendaire. Mais quand il se rattache à l’histoire, il pourra aussi penser à la bataille du lac Trasimène, une des plus belles embuscades des guerres puniques. Les Carthaginois se sont installés sur les hauteurs qui dominent le lac. Au matin, les Romains de Flaminius s’engagent dans la petite plaine côtière qui constitue un défilé : ce sera leur piège où ils seront lourdement défaits : Hannibal a su créer la surprise, ingrédient essentiel de la victoire. L’histoire militaire abonde de ces exemples où le génie du stratège réussit à mobiliser les différents facteurs (forces, terrain, temps, moral) pour organiser une surprise qui compense, et au-delà, un éventuel rapport de forces défavorable. Or, la surprise est d’abord chez l’ennemi : elle vise à agir de façon différente à ce qu’il attendait. La surprise, qui est un principe sinon le principe de la guerre, cherche ainsi à bousculer la représentation que se fait préalablement l’ennemi de l’engagement. La conception de l’un vient ainsi déranger la conception de l’autre : ce décalage produit –ou non- la victoire. Mais l’engagement des forces sur le terrain n’est rien sans le « plan de manœuvre » qu’a décidé le stratège. La guerre est d’abord affaire d’intelligences qui s’affrontent. Ceci justifie la définition donnée par Beaufre de la stratégie qui est, pour lui, l'art de « la dialectique des volontés employant la force pour résoudre les conflits<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a> ».</p>
<p style="text-align: justify;">C’est ce que ne voit pas Hanson : il oublie la fascination occidentale pour le brillant stratège qui réussit à obtenir des succès malgré les conditions, malgré ce que l’arithmétique dictait. Les armes ne sont finalement là que pour projeter en action la pensée d’un chef : César, Turenne, Charles XII, Maurice de Saxe, Frédéric II, Bonaparte, autant de figures héroïques qui renouvellent la première figure héroïque produite par la guerre, celle de la vertu guerrière, portée par Rodrigo Diaz de Vivar (le Cid magnifié par Corneille), Du Guesclin ou encore Bayard. La figure de l’héroïsme a changé. Il était vertueux et chevaleresque, il devient stratège et conceptuel. La force cède le pas à l’intelligence (même si longtemps, la figure du courage individuel continue à être célébrée, comme l’adjudant Péricard qui clame « Debout les morts ! » du fond de sa tranchée en passe d’être submergée, comme Guynemer, Pierre Closterman ou Bigeard). Ainsi, le modèle occidental de la guerre n’est-il pas seulement affaire de puissance ou de quantité, il est aussi affaire d’intelligence appliquée à ce dialogue violent qu’est la confrontation des armes.</p>
<p style="text-align: justify;">En dessous de cette essence de la stratégie, la rhétorique n’a eu de cesse d’être utilisée par les stratèges. D’essence, elle devient un instrument de la guerre. Le phénomène a toujours existé, si l’on pense à la bataille de Qadesh qui oppose les Egyptiens de Ramsès aux Hittites, vers 1274 avant JC. Si le résultat de la bataille est discuté, Ramsès II fait graver sur nombre de temples la célébration de la victoire. Comme le constate Tolstoï dans <em>Guerre et paix</em>, peu importe ce qui s’est réellement passé, ce qui compte c’est ce qu’on en dit à l’issue. La défaite est d’abord acceptation de la défaite, elle est discours sur la bataille et son sort. On ne compte plus les arcs de triomphe élevés à la gloire des souverains vainqueurs mais la formule a pris des acceptions nouvelles. Ainsi, dans la guerre qui oppose Israël au Hezbollah en 2006, le résultat sur le terrain est mitigé ; toutefois, le Hezbollah gagne la bataille de communication, réussissant à produire les images de sa maîtrise du terrain et de sa constance au combat, au point que malgré le « brouillard de la victoire<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftn3" name="_ftnref3" title="">[3]</a> », chacun (y compris à Tel-Aviv) considère que le Hezbollah a gagné, tout d’abord parce qu’il n’a pas perdu.</p>
<p style="text-align: justify;">Toutefois, cette propagande est tournée vers les populations puisque chacun sait, depuis Clausewitz, qu’elles constituent le troisième pôle de la « remarquable trinité » des acteurs de la guerre (avec le décideur politique et le chef militaire<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftn4" name="_ftnref4" title="">[4]</a>). Or, la rhétorique peut aussi être utilisée à l’intérieur de la bataille, en agissant directement sur la psychologie de l’ennemi, afin d’affaiblir son moral et donc sa résistance, afin d’obtenir son acceptation de la défaite. Ce furent la guerre psychologique ou aujourd’hui les « opérations d’information », ce furent les multiples largages de tracts sur les troupes ennemies ou les émissions de radio au cours de la guerre du Vietnam. Mais les moyens peuvent être beaucoup plus violents. La terreur est ainsi souvent utilisée pour marquer les esprits. Ainsi, à l’issue de la bataille de Bagdad en 1258, Houlaghou Khan fit massacrer tous les habitants de la ville. Tamerlan se rend célèbre pour les pyramides de crânes qu’il fit élever lors de son passage de l’Indus en 1398 (on parle de 100.000 morts). Plus récemment, les « bombardements stratégiques » conduits pendant la 1<sup>ère</sup> Guerre mondiale se signalent par leurs objectifs de terreur : Blitz sur Londres par les Allemands, bombardement de Dresde 5 ans plus tard par les Américains : dans les deux cas, sans effet. Car entre temps, on avait inventé la « résilience », cette capacité à résister aux blessures infligées par l’autre. On parlera du flegme britannique dans un cas, de l’endoctrinement allemand dans l’autre, mais force est de constater que la terreur recherchée est rarement atteinte.</p>
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<p><strong>II Rhétorique, victoire et stratégie nucléaire</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Elle joue pourtant un rôle central dans la stratégie nucléaire<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftn5" name="_ftnref5" title="">[5]</a>. Cette dernière est en effet incompréhensible si on oublie la terreur suscitée par les effets de l’arme. Si sur le moment, le monde ne prêta pas grande attention aux effets dévastateurs des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki (survenus à peine plus tard que les bombardements de Dresde), si pendant quelque temps beaucoup de stratèges n’y virent qu’une super-artillerie, peu à peu les yeux se dessillèrent. Cette arme était terrifiante, l’accumulation de ces bombes menaçait non plus une partie localisée de la population mais désormais la planète entière. Personne ne pouvait échapper à une guerre nucléaire, soit directement soit indirectement, les survivants étant condamnés aux pires méfaits d’une biosphère durablement outragée. La terreur est donc l’ingrédient indispensable et préalable à toute la stratégie nucléaire. Il est d’ailleurs remarquable de noter que celle-ci s’est développée tardivement, à partir des années 1960, lorsque la parité nucléaire est établie et que l’affaire de Cuba a rendu manifeste, aux yeux de tous, qu’une guerre nucléaire était possible.</p>
<p style="text-align: justify;">On comprend en fait qu’il n’y a pas de victoire nucléaire possible, que seule la défaite est assurée. Mais comme les armes sont là, comment les employer pour ne pas les employer ? Telle est l’équation stratégique qu’il faut résoudre, paradoxe redoutable auxquels les penseurs vont trouver une solution. L’arme nucléaire doit d’abord agir sur les esprits pour ne pas agir sur les corps. Elle instrumentalise la terreur préalable. L’efficacité de la terreur est le levier de l’efficacité de la stratégie de dissuasion. C’est parce qu’on a peur que la dissuasion fonctionne. Les anti-nucléaires qui manifestent contre l’arme et pensent appuyer leur thèse en rappelant les effets horribles de l’arme nucléaire renforcent paradoxalement l’efficacité de la dissuasion. Plus on est terrifié, plus la dissuasion fonctionne.</p>
<p style="text-align: justify;">En effet, la stratégie nucléaire est d’abord et avant tout une rhétorique stratégique. Elle est, selon le mot de Colin Gray<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftn6" name="_ftnref6" title="">[6]</a>, une « suasion ». Pour dissuader, il faut persuader. La dissuasion nucléaire est stratégique mais alors que jusque-là toute stratégie finissait en emploi de l’arme pour vérifier sur le terrain la validité des conceptions, cela n’est pas le cas en stratégie nucléaire. La stratégie fonctionne si on n’emploie pas l’arme. Attention pourtant à ceux qui affirment par un raccourci fautif que « l’arme nucléaire est une arme de non-emploi ». Au contraire, elle est employée même si cet emploi ne va pas jusqu’au tir final. Car la dissuasion repose sur deux choses fondamentales : la crédibilité et la persuasion. La réunion des deux forme la dissuasion.</p>
<p style="text-align: justify;">La crédibilité repose sur de multiples sources : elle doit être d’abord technique mais aussi morale. La crédibilité technique repose sur la certitude que l’autre maîtrise effectivement l’arme, qu’il est capable de la tirer, mais aussi de la tirer après avoir été soi-même frappé (capacité de seconde frappe destinée à empêcher une frappe préventive), qu’enfin les armes arriveront à destination. La crédibilité morale tient au soutien populaire mais aussi à la constance du dirigeant qui prendrait, le cas échéant, l’ultime décision. L’adversaire doit être assuré que si besoin était, il subirait nos foudres et que surtout, ses gains ne seraient pas à la hauteur des dégâts qu’il subirait. Ainsi, la crédibilité vise à inverser la balance coûts-avantages qui pourrait motiver la décision de l’autre. On remarque également que structurellement, l’arme nucléaire est défensive. En effet, l’utiliser en offensif résulterait immanquablement dans la dégradation de l’objectif que l’on cherche à acquérir, sans même parler des frappes de rétorsion auxquelles on s’exposerait. Remarquons enfin que la crédibilité est d’abord une affaire de perception : elle est représentation dans l’esprit de l’autre. Elle est de l’ordre du mental et elle constitue le premier échelon de cette rhétorique stratégique qu’est la dissuasion nucléaire. Elle vise à instiller chez l’autre une certitude.</p>
<p style="text-align: justify;">La persuasion, qui constitue l’autre pilier de la dissuasion, se joue exclusivement dans les esprits. En effet, la crédibilité repose en grande partie sur des effets matériels, même si elle affecte en fin de compte les cerveaux. Dans la persuasion, tout se joue entre esprits. Nous sommes là en présence d’une dialectique pure (ce n’est pas un hasard si le général Beaufre, qui introduit ce mot de dialectique dans la stratégie, est d’abord un théoricien de la dissuasion). En effet, être crédible ne suffit pas : il faut que l’arme soit accompagnée d’un discours qui définisse son emploi. La qualité du discours renforce l’efficacité de l’arme. Au fond, l’arme nucléaire n’est pas simplement une matière fissile explosive que l’on sait envoyer à tel ou tel endroit, elle est une combinaison d’explosif et de mots. Sans les mots, pas de bombe.</p>
<p style="text-align: justify;">Mais alors que la crédibilité veut donner des certitudes à l’adversaire, la persuasion y ajoute de l’incertitude. En effet, une stratégie trop lisible permettrait à l’adversaire de calculer exactement « jusqu’où ne pas aller trop loin<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftn7" name="_ftnref7" title="">[7]</a> ». La dissuasion nucléaire s’accompagne donc non seulement de secret (ce qu’il faut cacher pour éviter toute contre-mesure technique) mais aussi d’un certain flou, savamment entretenu. Cette ambiguïté complique les spéculations de l’adversaire et devient un frein supplémentaire à son initiative. Ainsi, la doctrine française évoque simplement la notion d’intérêts vitaux, sans que ceux-ci ne soient jamais exactement définis, mais simplement suggérés.</p>
<p style="text-align: justify;">De même, elle insiste sur la notion de franchissement de seuil : le passage au nucléaire constitue non pas simplement un saut stratégique mais surtout un saut politique. Alors que la théorie clausewitzienne parlait d’escalade de la violence, de façon continue, il faut éviter que cette continuité s’applique au nucléaire et le transforme ainsi en une super artillerie. Il devient donc nécessaire de marquer une discontinuité. Pour autant, l’entrée dans le moment nucléaire ne doit pas forcément conduire à une nouvelle escalade de la violence, nucléaire celle-ci, où la première arme lancée entraînerait mécaniquement la fin de la planète par déchainement de toute violence. Au fond, il faut à la fois pouvoir franchir le seuil mais faire en sorte qu’on puisse le franchir dans l’autre sens et revenir à la cessation des hostilités. Cette équation compliquée a poussé les Français à inventer la notion d’ultime avertissement : il s’agit d’une frappe nucléaire mais qui ne vise pas des cibles essentielles à l’ennemi. Il s’agit de lui signaler le franchissement du seuil sans que cela soit irrémédiable : Voici donc une arme nucléaire qui n’est pas forcément destinée à détruire, mais juste à marquer la détermination, à montrer que la ligne rouge des intérêts vitaux a été franchie, à réintroduire de la certitude là où l’incertitude a échoué.</p>
<p style="text-align: justify;">On le comprend, cette persuasion est exclusivement rhétorique (même si elle est soutenue par la crédibilité précédemment décrite). La dissuasion nucléaire est donc principalement affaire de discours même si elle est appuyée sur des armes tout à fait tangibles. Dès lors, la victoire change de nature. La victoire tient à la réussite de la rhétorique, « art de convaincre l’autre » nous dit le dictionnaire. Si j’ai convaincu l’autre, alors j’ai gagné mais paradoxalement, lui aussi. Le non-emploi est la victoire, il est une conséquence, non un présupposé. Si j’affirme que je n’emploierai pas, alors je perds car mon système ne sert à rien. Il est vrai également que la victoire change de nature. Jusqu’alors, la stratégie visait à utiliser la force pour atteindre ses objectifs positifs (honneur, ressource ou peur, selon les catégories de Thucydide). Avec la dissuasion nucléaire, on ne gagne rien, mais on empêche l’autre de gagner, ce qui est un objectif négatif (c’est au fond ce que signifie le caractère essentiellement défensif du nucléaire). On cherche au fond un pat<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftn8" name="_ftnref8" title="">[8]</a> stratégique, un équilibre perpétuel. D’où cet ultime paradoxe : si j’obtiens le pat, alors j’ai gagné.</p>
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<p><strong>III Rhétorique, victoire et cyberstratégie</strong></p>
<p style="text-align: justify;">La cyberstratégie désigne la stratégie propre à un milieu particulier, le cyberespace, défini succinctement comme l’interconnexion des réseaux maillés. Pour simplifier, on distingue trois couches dans le cyberespace, une couche physique (l’ensemble des matériels : ordinateurs, câbles, routeurs, relais d’ondes), une couche logique (l’ensemble des codes et protocoles informatiques qui manipulent la donnée), enfin une couche sémantique<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftn9" name="_ftnref9" title="">[9]</a> (composée de l’ensemble des données, informations et significations transitant par les tuyaux). De même, on observe trois catégories de cyberagressions : espionnage, sabotage et subversion. La conflictualité s’ordonne autour de ces principales dimensions.</p>
<p style="text-align: justify;">La dimension rhétorique intervient à deux niveaux : l’un autour de la notion de cyberconflictualité, l’autre à l’intérieur de celle-ci. Dans le premier, les puissances s’attachent à tenir un discours autour de leur posture cyberstratégique. Elles rejoignent ici ce qu’on a observé dans le cas de la stratégie nucléaire : le discours cyberstratégique vise à impressionner l’adversaire éventuel afin de l’inciter à modérer ses actions. Les Etats-Unis sont les plus avancés dans cette posture puisqu’ils n’ont eu de cesse de mettre en scène leur doctrine cyberstratégique, que ce soit par la publicité donnée à leur organisation (<em>Cybercommand</em>, NSA), leur doctrine (les documents américains de doctrine cyberstratégique se succèdent) ou même la revendication d’actions effectuées et qui viennent crédibiliser à la fois leur puissance et leur volonté de l’exercer : on retrouve là les éléments constitutifs de la stratégie nucléaire. Ainsi, d’un point de vue doctrinal, les Américains ne cessent de faire valoir qu’une quelconque cyberagression entraînera une riposte, dans l’ordre cyber ou dans l’ordre conventionnel, selon la gravité de l’attaque. Il s’agit là d’un discours dissuasif classique. De même, ils démentent très mollement avoir été à l’origine de Stuxnet, le ver qui avait entravé le fonctionnement normal de la centrale nucléaire de recherche de Natanz, en Iran. Enfin viennent-ils récemment d’affirmer qu’ils utilisent le cyberespace dans leur lutte contre l’Etat Islamique, en Irak et Syrie.</p>
<p style="text-align: justify;">Les autres puissances ne sont pas en reste, quoique à des degrés moindres. Ainsi, la France affirme-t-elle agir dans le cyberespace, principalement en défensive mais aussi, le cas échéant, en offensive. Toutefois, Paris n’a jamais revendiqué<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftn10" name="_ftnref10" title="">[10]</a> une quelconque action offensive dans le cyberespace. La Chine affiche une posture défensive, se déclarant victime d’agressions, ne reconnaissant jamais avoir lancé des opérations agressives, malgré les accusations récurrentes à son encontre. Toutefois, elle affirme de plus en plus vouloir maîtriser les actions dans ce nouveau milieu, comme en témoigne son récent Livre Blanc. La Russie a une attitude similaire. Mais il existe une grande différence avec le nucléaire : celui-ci n’est pas déclenché et la rhétorique fait tout, quand dans le cas du cyberespace, la mise en œuvre des cyberarmes est permanente et universelle : tout le monde agresse tout le monde dans le cyberespace, de façon plus ou moins claire et ouverte. Le cyberespace est un espace d’emploi.</p>
<p style="text-align: justify;">C’est pourquoi, à côté de ces discours sur le cyberespace, la dimension rhétorique s’affiche également à l’intérieur de la cyberconflictualité. En effet, les analystes notent une caractéristique essentielle du cyberespace : l’opacité. Alors que la plupart des journalistes évoquent le cyberespace comme un milieu ouvert où il n’y a plus de vie privée, ils oublient que les spécialistes peuvent facilement s’y cacher et masquer leurs actions, qui par conséquent sont très nombreuses. Il s’ensuit que l’attribution des actions est extrêmement difficile : elle est souvent le résultat de conjecture. Il n’y a quasiment jamais de preuves techniques absolument convaincantes de la responsabilité de tel ou tel. Dès lors, désigner l’auteur d’une quelconque action devient un enjeu rhétorique.</p>
<p style="text-align: justify;">Si on prend l’exemple de l’affaire Sony Picture en 2014, la désignation a joué un rôle essentiel. Sony Picture est une société de cinéma qui se fait pirater un très gros volume de données, peu à peu rendues publiques. L’attaque est revendiquée de façon floue et très rapidement, beaucoup de commentateurs émettent l’hypothèse qu’il s’agit d’une agression nord-coréenne. En effet, Sony Picture venait de tourner un film satirique caricaturant le leader nord-coréen. Le mobile de l’agression aurait donc été de punir Sony Picture mais aussi d’empêcher la diffusion du film. Les choses en étaient là lorsque Barack Obama affirma, en décembre, que l’auteur était bien la Corée du Nord. Il se fondait pour cela sur l’identification d’adresses IP (<em>Internet protocol</em>) qui auraient été identifiées dans le pays. La « preuve » ne convainquit pas les spécialistes (rien de plus facile que de camoufler une origine en rebondissant sur une adresse IP à l’autre bout de la terre) mais l’essentiel n’était pas là : en se saisissant de l’affaire, en accusant ouvertement Pyongyang, une affaire somme toute privée et commerciale devenait publique et géopolitique. L’accusation prenait le pas sur le vol de données proprement dit. Constatons que dans l’affaire, la Corée du nord était le perdant. Qu’elle ait orchestré l’attaque ou non, d’une part tout le monde connaissait le film que le public regarda malgré sa piètre qualité ; d’autre part elle était désignée à la vindicte générale et ses dénégations n’y firent rien.</p>
<p style="text-align: justify;">La rhétorique est donc un élément important de la cyberconflictualité. Dans le cas d’espionnage, il s’agit surtout de demeurer discret : au fond, la révélation d’une affaire de cyberespionnage (son entrée donc dans le champ public, donc celui de la rhétorique) est la marque d’un échec : l’opération qui était couverte devient ouverte et les auteurs doivent alors déployer des stratégies de dénégation, difficiles à mettre en œuvre. Dans le cas du sabotage, celui-ci peut être discret (de façon que la victime s’en rende compte le plus tard possible) ou patent. Dans ce dernier cas, il s’agit en fait d’appuyer une manœuvre de subversion.</p>
<p style="text-align: justify;">La cyberagression technique devient alors le support d’une cyberagression sémantique. Les exemples sont très nombreux car dans ces cas-là, on cherche le plus souvent la publicité maximale. Par exemple, de nombreuses agressions par déni de service (DDOS) visent à empêcher le fonctionnement régulier d’un site afin d’appuyer une revendication. C’est une des armes favorites de nombreux activistes dans le monde, comme par exemple les Anonymous. De même, révéler des données secrètes que l’on a obtenues par espionnage ou par recel permettent de mettre en difficulté la cible, comme dans le cas de Wikileaks ou de l’affaire Snowden. Plus l’affaire atteint le grand public, plus le résultat apparaît comme victorieux pour ceux qui ont lancé l’agression. Ainsi, lors de l’affaire TV5 Monde, intervenue deux mois après les attentats de janvier 2015, le « cybercalifat » a-t-il parfaitement atteint sa cible. Peu importe que TV5 monde ait recommencé à émettre quelques heures après l’agression, le plus important a été la tempête médiatique autour de l’affaire. Dans ces différents cas, les réactions de la victime paraissent toujours décalées et inefficaces. Le fait d’avoir été victime montre tout d’abord une position de faiblesse, d’autant que même si l’attaque est revendiquée, l’inattribution technique empêche de lancer des actions de rétorsion contre l’agresseur.</p>
<p style="text-align: justify;">Au fond, la cyberconflictualité est partagée entre son opacité et sa publicité. Une grande partie se déroule de manière cachée, donc hors de toute rhétorique quand une autre partie, très visible, entre tout à fait dans le champ rhétorique. Dans un cas, la victoire appartient à celui qui se tait ; dans l’autre, à celui qui prend la parole.</p>
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<p><strong>IV Rhétorique, victoire et lutte jihadiste</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Beaucoup d’analystes ont montré le lien entre la propagande et le djihadisme. Il constitue une idéologie qui utilise le terrorisme comme un mode d’action, avec de plus de très grandes compétences en matière d’utilisation des nouveaux moyens de communication : diffusion de clips vidéo de qualité professionnelle, utilisant tous les codes modernes de la jeunesse mondialisée et abreuvée aux séries hollywoodiennes, pratique massive des réseaux sociaux, messages orchestrés dans de nombreuses langues afin d’atteindre une audience toujours plus large. De ce point de vue, le djihadisme est étonnamment moderne et il n’a que peu à voir avec le « retour en arrière » que les éditorialistes dénoncent malencontreusement.</p>
<p style="text-align: justify;">Il y a une autre confusion régulièrement faite à propos du djihadisme : celle qui consiste à le comprendre comme un terrorisme classique, assimilable à celui que les sociétés occidentales ont connu depuis la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Selon cette approche, l’acte violent vise à impressionner les populations de façon à instiller la terreur, donc à les fragiliser politiquement, donc à rendre possible un changement de pouvoir révolutionnaire (soit d’ordre politique, comme les mouvements anarchistes ou d‘extrême gauche, soit d’ordre nationaliste, comme la plupart des mouvements de libération nationale et de décolonisation). Le critère de succès est donc aisé à identifier : y a-t-il changement de régime ?</p>
<p style="text-align: justify;">Or, telle ne semble pas être la logique à l’œuvre dans le terrorisme djihadiste. La dimension rhétorique peut en effet s’assimiler au terrorisme « classique », en revanche le critère de succès est bien différent.</p>
<p style="text-align: justify;">Similaire est en effet la visée propagandiste. L’acte terroriste vise bien à faire passer un message. Toute la difficulté réside dans l’interprétation de ce message. Si tous les communiqués djihadistes signalent bien que l’action se place dans la perspective du combat, selon l’inspiration idéologique de l’islam radical, cela n’est pas tout. Il faut du moins distinguer les attentats qui se déroulent en terre d’Islam (une grande majorité) et ceux qui ont lieu en Occident. Pour les premiers, la logique de déstructuration sociale joue à plein. Pour les seconds, il s’agit d’autre chose.</p>
<p style="text-align: justify;">Comme le montre Jacques Baud<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftn11" name="_ftnref11" title="">[11]</a>, une des premières motivations de ces attentats consiste à dissuader l’Occident d’intervenir en terre d’Islam. Ces attaques ne sont pas des initiatives mais des ripostes aux actions occidentales. C’était vrai des attentats du 11 septembre 2001, destinés à ce que les Américains se retirent de la terre des lieux saints de l’islam ; c’est également vrai des attentats plus récents en France, en Belgique mais aussi aux Etats-Unis. Or, systématiquement, les Occidentaux ont répondu à l’inverse, augmentant leur engagement (et donc la probabilité de riposte djihadiste). Une seule fois l’attentat djihadiste a obtenu son effet, lors des attentats de Madrid en 2004, au prix cependant d’une confusion du pouvoir politique qui a inconsidérément accusé l’ETA et a perdu les élections qui suivaient. Constatons que plus récemment, l’Italie et l’Allemagne qui sont très mesurées dans leur participation à la coalition contre l’Etat Islamique, n’ont pas connu, à ce jour, d’attentat majeur.</p>
<p style="text-align: justify;">Ainsi, l’interprétation occidentale des attentats djihadistes est-elle probablement fallacieuse. Tout d’abord parce que très peu lisent jusqu’au bout les communiqués les revendiquant et quand ils le font, les prennent au sérieux. En effet, l’attentat terroriste semble tellement « hors de logique » qu’on a du mal à lui attribuer une signification. Le décalage rhétorique est immense et induit une incompréhension stratégique évidente. Dès lors, le cycle action-réaction (pour faire simple, attentat -bombardement) est sans fin : il ne s’agit pas d’une dialectique où les deux acteurs utilisent la même grammaire mais de deux discours parallèles qui ne se rencontrent pas. L’impasse est telle qu’aucun ne peut « gagner » : pas plus les terroristes que les Occidentaux.</p>
<p style="text-align: justify;">Toutefois, ceux-ci ont la prétention d’annihiler les djihadistes, selon l’approche stratégique traditionnelle. A défaut de convaincre l’ennemi, détruisons-le ! C’est là encore une erreur de perception car selon la logique djihadiste, la mort n’est pas un échec ! Ici, petit djihad et grand djihad se rejoignent. On sait en effet que grand djihad est d’abord spirituel, quand le petit djihad serait sa version terrestre et éventuellement combattante. Pourtant, tous deux ont en commun de considérer que le djihad est d’abord un effort sur soi. Peu importe le résultat, ce qui compte est d’avoir été jusqu’au bout de la démarche.</p>
<p style="text-align: justify;">Jacques Baud l’explique : « Alors qu’en Occident, la victoire est associée à la destruction de l‘adversaire, dans l’islam elle est associée à la détermination à ne pas abandonner le combat. Nul ne peut vaincre un adversaire plus fort que lui, mais il est de son devoir de tenter de le faire. Ainsi, dans le Grand Djihad comme dans le Petit Djihad, la notion de victoire est analogue : c’est essentiellement une victoire sur soi-même » (p. 271). « Aujourd’hui, avec le concept de terrorisme individuel, la démonstration d’une détermination par la violence constitue un objectif, plus que son résultat effectif » (p. 273). Dès lors, un attentat suicide compte plus pour le simple fait d’avoir été que pour son résultat : la logique est ici totalement différente de la conception occidentale, qui accepte le sacrifice au combat, pourvu qu’il soit « utile » et apporte le succès. Rien de tel chez les djihadistes. Ce qui compte, c’est de montrer à la communauté qu’on a été capable d’aller jusqu’au bout de soi, c’est devenir un exemple et un héros, peu importe finalement l’efficacité tactique de l’action<a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftn12" name="_ftnref12" title="">[12]</a>.</p>
<p style="text-align: justify;">Cette démarche explique la fascination morbide de bien des terroristes. En fuite, les frères Kouachi reviennent vers Paris parce qu’ils n’ont pas de plan d’évasion et qu’ils recherchent la mort. Mohamed Coulibaly s’enferme dans l’hypercacher en sachant que la mort est au bout de l’action : il la recherche, au contraire, car c’est elle (et la revendication associée) qui donnent du sens à son acte. Lors des attentats de Paris, Salah Abdeslam est celui qui a échoué puisqu’il ne se fait pas exploser. Au fond, la victoire pour chacun consiste à être reconnu par ses « frères ». La rhétorique est dirigée d’abord à l’endroit de la communauté plutôt que contre la société que l’on frappe. La mort est le signe de l’exemplarité, celle du « martyre » qui élève son auteur au rang de héros. Aussi est-il absurde de voir les équipes policières occidentales envoyer des « négociateurs ». La chose est inutile, non parce que ce sont des sauvages mais parce que c’est profondément inutile, au regard de la logique du djihadiste qui a décidé de passer à l’action.</p>
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<p><strong>Conclusion</strong></p>
<p style="text-align: justify;">La victoire apparaît donc le résultat d’un processus mental, le terme d’une rhétorique : il s’agit d’abord de convaincre l’autre. La force physique n’est qu’un des éléments de cette conviction. La fortune des armes signe une ordalie, c’est-à-dire un jugement qui vient sanctionner l’affrontement et créer un nouvel état de droit, reconnu par les deux parties. Pas de victoire sans rhétorique, même implicite. Encore faut-il que les deux parties s’accordent sur les termes du débat autant que sur les formes du combat. Elles ont besoin d’un vocabulaire partagé nécessaire à une conclusion commune. Une des plus grandes difficultés a lieu finalement quand les deux adversaires ne parlent pas le même langage. Là réside la véritable asymétrie, bien plus que dans celle des procédés de combat, comme cela a été abondement répété depuis quinze ans. Car la guerre est d’abord un affrontement des significations :<a name="_GoBack"></a> Gagne celui dont le discours est le plus fort.</p>
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<p><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a> V. Hanson, <em>Le Modèle occidental de la guerre : La bataille d'infanterie dans la Grèce classique,</em> Les belles lettres, 1990.</p>
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<p><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[2]</a> A. Beaufre, <em>Introduction à la stratégie</em>, Fayard Poche pluriel, 2012 (1<sup>ère</sup> édition 1963).</p>
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<p><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftnref3" name="_ftn3" title="">[3]</a> B. Dax, Le flou de la victoire au service du <em>Hezbollah </em>en 2006, <em>Revue Défense Nationale</em>, janvier 2014.</p>
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<p><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftnref4" name="_ftn4" title="">[4]</a> C. von Clausewitz, « Le premier de ces trois aspects intéresse particulièrement le peuple, le second le commandant et son armée, et le troisième relève plutôt du gouvernement » in <em>De la guerre</em>, trad. Denise Naville, éd. de Minuit, 1955, et éd. 10-18, 1965, p. 65).</p>
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<p><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftnref5" name="_ftn5" title="">[5]</a> O. Kempf, La sphère stratégique nucléaire, <em>Revue Défense Nationale</em>, été 2015.</p>
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<div id="ftn6">
<p><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftnref6" name="_ftn6" title="">[6]</a> C. Gray, <em>La guerre au XXI<sup>e</sup> siècle</em>, Economica, 2008.</p>
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<div id="ftn7">
<p><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftnref7" name="_ftn7" title="">[7]</a> J. Cocteau : « le tact dans l’audace c’est savoir jusqu’où ne pas aller trop loin », <em>Le coq et l’arlequin</em>, Ed de la Sirène, 1918.</p>
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<p><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftnref8" name="_ftn8" title="">[8]</a> Aux échecs, le pat signale une partie qui se termine par la non victoire des deux joueurs qui obtiennent « le nul ».</p>
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<div id="ftn9">
<p><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftnref9" name="_ftn9" title="">[9]</a> Voir O. Kempf, <em>Introduction à la cyberstratégie</em>, Economica, 2015 (2<sup>ème</sup> édition) et, pour l’action dans la couche sémantique, FB Huyghe, O. Kempf, N. Mazzucchi, <em>Gagner le cyberconflit</em>, Economica, 2015.</p>
</div>
<div id="ftn10">
<p><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftnref10" name="_ftn10" title="">[10]</a> Seulement suggéré, cf. l’audition de l’amiral Coustillère (officier général cyberdéfense) devant l’Assemblée Nationale le 28 juin 2016 : « <em>nous faisons désormais partie des trois nations occidentales dotées de telles capacités [offensives] et avec la volonté de s’en servir – de fait nous sommes en guerre contre Daech notamment</em> ».</p>
</div>
<div id="ftn11">
<p><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftnref11" name="_ftn11" title="">[11]</a> J. Baud, <em>Terrorisme, mensonges politiques et stratégies fatales de l’Occident</em>, Le Rocher, 2016, notamment pp. 266-273.</p>
</div>
<div id="ftn12">
<p><a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#_ftnref12" name="_ftn12" title="">[12]</a> “And there is no victory except from allah”, in <em>Al Risalah</em>, octobre 2015, pp. 23-27</p>
</div>
</div>http://www.egeablog.net/index.php?post/2017/02/04/Guerre-et-rh%C3%A9torique-%28version-longue%2C-Medium-n%C2%B0-50%29#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/2125Europe Mad Max demain (B. Wicht)urn:md5:ca98095ff4bf519c2316a1d38f3f189e2016-03-17T21:40:00+00:002016-03-17T21:40:00+00:00Olivier KempfFiche de lectureEuropeStratégieStratégie d entreprise<p>Le titre de l'ouvrage est tellement "racoleur" qu'on est forcément méfiant en saisissant le volume : va-t-il être sérieux ? Mais comme c'est un ami qui vous l'a instamment conseillé et prêté, vous y jetez un coup d’œil. Au bout de dix pages, vous foncez sur la FNAC, achetez ledit bouquin, rendez l'original à l'ami : voici un livre qu'on doit garder chez soi, dans toute bibliothèque stratégique sérieuse, un livre qu'on peut annoter et crayonner comme on veut, un livre "à soi". Car il met à plat en 144 pages tout un tas de bouts d'idées qu'on avait par devers soi, qu'on ne savait pas vraiment comment articuler même si on sentait qu'il s'agissait de quelque chose d'important.</p>
<p><img src="http://static.fnac-static.com/multimedia/FR/Images_Produits/FR/fnac.com/Visual_Principal_340/7/5/5/9782828913557.jpg" alt="" /></p> <p>Cela fait en effet quelque temps que j'estime Bernard Wicht, notamment pour l'avoir entendu lors d'un colloque à Genève mais aussi pour l'avoir lu de-ci, de-là. Les auteurs suisses sont suffisamment hors du moule pour avoir une pensée originale. Celle-là, elle l'est car je ne l'ai jamais lu ailleurs. Que nous dit-il ?</p>
<p>Que la guerre a changé/ Cela, vous l'aviez noté. Mais il explique qu'alors que nous vivions sur un paradigme liant l’État à la guerre (s'il ne cite pas Norbert Elias, curieusement, il pense bien sûr à Charles Tilly), il explique que ce paradigme touche à sa fin. Désormais, les grandes structures ne font plus la guerre ou sont inefficaces, à cause de la mondialisation, à cause de la pulvérisation des formes combattantes : entre le terroriste et la société militaire privée, il ne s'agit plus simplement d'une guerre asymétrique ou irrégulière, mais d'un nouveau mode de guerre qui entraîne un nouveau mode d’organisation politique, selon un "nouveau Moyen-Âge" (oui, il cite aussi Minc, mais il faut dire que son livre était prémonitoire).</p>
<p>La décentration de la guerre entraîne donc la décentration de l'organisation politique et donc invalide tous les modèles que nous poursuivons vainement depuis la fin de la guerre froide. Autrement dit, il y a un "déclin irrémédiable de l'Etat-nation". IL pense donc à la fois les nouvelles formes de guerre (avec des pages les plus convaincantes sur la "criminalité armée", phénomène autour duquel je tourne depuis plusieurs années sans arriver à bien le conceptualiser).</p>
<p>Notons également que "c'est la fonction coercitive de l’État qui se réoriente : le passage d'un <em>État militaro-territorial</em> tourné vers la guerre externe à un <em>État pénal carcéral</em> accentuant le rôle répressif à l'intérieur" (p. 46) : cela a été écrit en 2013 ! L'évolution récente de nos sociétés (affaire Snowden ou réaction sécuritaire française à la suite des attentats de 2015) confirme, s'il était besoin, ce diagnostic. "Dès lors, on assiste mutatis mutandis au retour des classes dangereuses : les groupes sociaux marginalisés se détachent de la trame sociale dominante et se réorganisent au niveau local pour assurer leur survie" (p. 47).</p>
<p>Il évoque aussi des notions comme "l'obsolescence de la Nation en armes", "la perte de pouvoir politique du peuple", le "changement dans la désignation de l'ennemi ("l'ennemi extérieur commun est replacé par un ennemi intérieur"). En fait, "un nouvel espace stratégique se redessine". "L’État se reféodalise et ses concurrents se réarment" (p. 59). Trois archétypes militaires occupent le champ guerrier : le terroriste, le combattant des forces spéciales et le contractor (p. 60). Par conséquent, on peut se demander "quel est le marchandage que le citoyen peut faire fonctionner pour retrouver ses droits et ses libertés politiques" (63).</p>
<p>Reprenant le Machiavel de "l'art de la guerre", il montre comment l'armée peut redevenir l'ossature d'une ressaisie du politique par le citoyen, mais en l'articulant avec autonomie, récit, loi des petits nombres, et capital guerrier.</p>
<p>Je vois une seule limite à son discours, celle où il affirme que "avec la fin de la guerre froide s'est close l'ère nucléaire et opérative de la stratégie moderne, à savoir la période où l'art de la guerre se déclinait en grandes manœuvres réalisées par des armées de masse appuyées par le feu nucléaire". Deux erreurs dans ce fait : la première (fréquente) consiste à voir dans le nucléaire une super-artillerie alors que toute la stratégie nucléaire consiste justement à montrer l'enjeu politique irrémédiable de l'emploi de l'arme ; surtout, il ne voit pas que justement la guerre irrégulière est une conséquence de l'interdiction de la guerre provoquée par la présence du nucléaire (cf. mon article sur "la sphère stratégique nucléaire"). Or, le nucléaire n'est accessible qu'à quelques États mais par là-même pérennise la forme étatique. Il y aura donc demain toujours des États, même si le reste du diagnostic sonne terriblement juste et montre bien par ailleurs la dépossession politique des citoyens (par les pouvoirs) mais aussi des États (par les puissances mondialisées).</p>
<p>Voici donc un livre furieusement emballé, extrêmement novateur, qui apporte plein de réponses théoriques à tout un tas de problèmes stratégiques que nous nous posons aujourd'hui. Qui a dit que les Suisses n'étaient pas révolutionnaires ? B. Wicht vient de publier un <a href="http://www.editions-lepolemarque.com/products/lavenir-du-citoyen-soldat-bernard-wicht/">nouveau livre</a> que je vais me dépêcher de lire mais en tout cas, il a écrit là une œuvre majeure qu'il faut avoir lue. Indispensable. Malgré son titre.</p>
<p>Bernard Wicht, <a href="http://livre.fnac.com/a5556625/Bernard-Wicht-Europe-Mad-Max-demain">L'Europe Mad Max demain, retour à la défense citoyenne</a>, Favre, 2013.</p>
<p>O. Kempf</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2016/03/16/Europe-Mad-Max-demain-%28B.-Wicht%29#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/2086A propos de la "Doctrine Obama" de la guerreurn:md5:20a118f40586e4b45d842cfd558ecac62014-12-21T18:08:00+00:002014-12-21T18:08:00+00:00Olivier KempfStratégieGuerreObamaStratégieÉtats-Unis<p>Très tôt, les commentateurs on voulu discerner une « doctrine Obama » de la guerre constituée autour de trois piliers (Forces spéciales, drones et cyber), dite "stratégie furtive". Une telle présentation mérite toutefois quelques approfondissements.</p>
<p><img src="http://referentiel.nouvelobs.com/file/4627158.jpg" alt="" /> <a href="http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-us-2012/20121022.OBS6506/afghanistan-pourquoi-obama-a-perdu-la-guerre.html">source</a></p> <p>Tout d’abord, elle vient à la suite d’une décision très directe, celle du « surge » qui vit les troupes américaines en Afghanistan augmenter sensiblement, afin à l’époque d’obtenir un effet durable sur le terrain. Aussi, la stratégie « furtive » n’est-elle peut-être qu’un moment entre deux périodes d’interventions plus directes. Certes, l’Amérique connaît aujourd’hui une « fatigue de la guerre » mais il demeure possible que ce moindre engagement ne constitue qu’une parenthèse dans un dispositif plus large. De ce point de vue, la stratégie « furtive » serait un moyen, parmi d’autres, de continuer à marquer le terrain.</p>
<p>Constatons toutefois que B. Obama a été élu sur un programme général de retrait opérationnel : retrait d’Irak lors du premier mandat, retrait d’Afghanistan lors du second. Toutefois, face au complexe militaro-industriel et à une opinion publique qui est malgré tout beaucoup plus militarisée qu’en Europe, il lui fallait trouver des accommodements pour prouver que les objectifs demeuraient, seules les méthodes changeaient. Ainsi s’explique le triptyque décrit par J.-L. Gergorin : Forces spéciales, drones et cyberattaques.</p>
<p>Constatons toutefois qu’il faut peut-être relativiser ces « interventions ». Si les forces spéciales continuent effectivement d’être engagées (du raid contre Ben Laden jusqu’au déploiement, à l’automne 2014, de « conseillers » en Irak), l’emploi des drones doit être remis à sa juste place. Constatons d’abord que l’essentiel des la panoplie américaine est constituée de drones d’observation et non de drones de combat, ensuite que ces drones d’attaque sont principalement placés sous le « commandement de la CIA » et qu’ils appartiennent dès lors non aux Forces spéciales mais régulières, mais à des pôles « action » des services de renseignement. Enfin, s’agissant du cyber, le scandale Snowden a démontré que l’essentiel de l’activité consistait en espionnage, et que l’essentiel des moyens dépendait d’une agence de renseignement, non du Cybercommand : là encore, l’emploi n’est pas le fait d’une pratique de la guerre mais de services secrets.</p>
<p>Il y a de ce point de vue là un changement de portage réel qui passe par la moindre utilisation de l’outil militaire et un recours accru à des moyens qui peuvent être offensifs mais qui sont mis en œuvre par des organes certes souverains, mais en dehors de la chaîne de défense.</p>
<p>O. Kempf</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2014/11/10/A-propos-de-la-Doctrine-Obama-de-la-guerre#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/1971Penser les réseauxurn:md5:52c820edc55efaa35c118e89fd37d3a12014-09-16T21:10:00+01:002014-09-16T21:10:00+01:00Olivier KempfLivres et écritsCyberRéseauxStratégie<p>Je suis heureux de vous annoncer la parution du petit dernier ouvrage que j'ai dirigé : <ins>Penser les réseaux, une approche stratégique</ins>. Il s'agit des actes d'un <a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2013/05/20/Strat%25C3%25A9gie-et-r%25C3%25A9seaux-%2528Colloque-27-mai%2529">colloque tenu en juin 2013</a> augmentés de quelques textes qui permettent de construire un ouvrage complet et cohérent. Trois thèmes se succèdent : approche théorique, perspectives militaires et stratégique, point de vue techno-économique. Au fond, il s'agit de penser la notion de réseau avant d'aller voir du côté du cyber et de l'informatique même si cette approche est aussi présente, bien sûr.</p>
<p>Avec des textes de l’amiral Arnaud Coustillère, Philippe Davadie, Frederick Douzet, Eric Hazane, François-Bernard Huyghe, Olivier Kempf, Colin L’Hermet, Dominique Lacroix, Jarno Limnèll, N. Mazzucchi, Jamel Metmati, Kave Salamatian, Daniel Ventre (oui, en name dropping, c'est un must). Ci-dessous vous trouverez la présentation détaillée du livre et les résumés des articles. Si vous le demandez sagement, je vous donnerai le texte de l'introduction un de ces jours. <strong></strong></p>
<p><img src="http://static.fnac-static.com/multimedia/Images/FR/NR/e7/64/5e/6186215/1507-1.jpg" alt="" /> <a href="http://static.fnac-static.com/multimedia/Images/FR/NR/e7/64/5e/6186215/1540-1.jpg">source</a></p> <p><strong>Présentation du livre</strong></p>
<p>Le préfixe « cyber » est désormais très fréquent, que ce soit dans les médias ou dans le monde académique. Le plus souvent, il incorpore deux notions : celle d’informatique et celle de réseau. L’association des deux (l’informatique en réseaux) constituerait le cœur du cyberespace.</p>
<p>Or, les analyses cyberstratégiques ont souvent porté sur la dimension « informatique » du cyberespace, quand la notion de réseau est souvent relativisée dans ces approches. Elle mérite pourtant de faire l’objet de plus d’attention, notamment pour ce qui concerne sa dimension stratégique.</p>
<p>Plusieurs prismes sont en effet possibles : ainsi, les stratégistes, les économistes, les sociologues, les philosophes et les politistes expriment, au côté des informaticiens, des vues originales sur la question. Ils y répondent dans cet ouvrage articulé autour de trois thèmes d’étude :</p>
<ul>
<li>Un premier thème s’intéresse aux perspectives théoriques : les réseaux emportent-ils une stratégie particulière ? à l’inverse, la stratégie doit-elle intégrer les réseaux ? ne l’a-t-elle pas déjà fait dans le passé ? qu’y a-t-il de nouveau dans cette confrontation ?</li>
<li>Le deuxième thème se penche sur des perspectives militaires et géopolitiques, aussi bien du point de vue de la stratégie intégrale que d’une éventuelle théorie stratégique de la cyber-dissuasion ou de la conduite des opérations militaires.</li>
<li>Le troisième thème se place du point de vue techno-économique, en adoptant un double point de vue : celui du cyberespace proprement dit, mais aussi celui d’autres réseaux, comme les réseaux électriques ou les réseaux d’énergie.</li>
</ul>
<p>À partir des discussions tenues lors d’un colloque académique organisé le 27 mai 2013 à l’École Militaire, ce livre ajoute des contributions supplémentaires pour offrir un aperçu original, innovant et multidisciplinaire. Il réunit les textes de l’amiral Arnaud Coustillère, Philippe Davadie, Frederick Douzet, Eric Hazane, François-Bernard Huyghe, Olivier Kempf, Colin L’Hermet, Dominique Lacroix, Jarno Limnèll, N. Mazzucchi, Jamel Metmati, Kave Salamatian, Daniel Ventre.</p>
<p><a href="http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=44237">Penser les réseaux, une approche stratégique</a></p>
<p><strong>Résumés des articles</strong></p>
<p><ins>Les réseaux et le monde réticulaire : définitions et caractéristiques (Daniel Ventre)</ins> : La cyberstratégie pourrait être pensée non pas en fonction de la notion de cyberespace, mais de celles de réseau et de monde réticulaire, qu’il convient donc de définir précisément. De nombreuses disciplines permettent d’appréhender ces notions, dont les définitions évoluent, reflétant une évolution des représentations du monde et de ses perceptions. Nous retiendrons de la réticulation du monde qu’elle n’est ni nouvelle, ni universelle, ni seulement technologique.</p>
<p><ins>Réseaux et stratégie (Olivier Kempf)</ins> : Traditionnellement, le réseau a été utilisé par les stratèges, mais plutôt dans des cadres opératifs ou tactiques que proprement stratégiques. C’est pourquoi il est nécessaire de déterminer les caractéristiques stratégiques du rapport à l’espace du réseau, afin de proposer des stratégies réticulaires génériques.</p>
<p><ins>Du réseau à l’exercice du pouvoir (Philippe Davadie)</ins> : Le cyberespace semble avoir accaparé la notion de réseau au point qu’on ne puisse plus concevoir qu’un réseau ne possède au moins une ramification dans le cyberespace. Pourtant, les réseaux sont contemporains de l’Homme. Chaque personne possède un réseau sanguin, un réseau nerveux, et les échanges entre personnes ont nécessité des réseaux de communication et des réseaux humains.
Au début de son utilisation, le terme réseau avait une connotation négative. Avec le récent développement de la théorisation de son fonctionnement d’un réseau et le recensement de ses caractéristiques, ses aspects positifs ont été mis en valeur.
Offensif et défensif d’un point de vue militaire, un réseau est propice à la prise du pouvoir, qu’elle soit effectuée de manière légale ou violente (réseau de conspirateurs). Cet instrument de prise du pouvoir peut-il également servir à l’exercer ? Et pourquoi les États en place ont-ils autant de mal à s’accommoder de l’existence du réseau des réseaux qu’est l’Internet ?</p>
<p><ins>Réseaux : inventer des stratégies (François-Bernard. Huyghe)</ins> : Il y a plus d’un siècle que les réseaux font l’objet d’un travail théorique. De la vision de réseaux techniques irriguant un territoire national à celle de la "société en réseaux" à l’ère numérique ou de l’utopie des médias sociaux qui donneraient du "pouvoir aux sans-pouvoir" jusqu’à la vision stratégique des réseaux comme champs de bataille... Les réseaux fournissent la nouvelle métaphore pour exprimer la complexité et les contradictions de notre monde.</p>
<p><ins>Réseaux technologiques, réseaux humains et organisation sociale (Olivier Kempf et Colin l’Hermet)</ins> : Les réseaux ont habituellement été humains. Or, le progrès technologique permet des types apparemment nouveaux de réseaux. Favorisent-ils, ou non, la cohésion des sociétés dans lesquelles ils se mettent en place ? Oui, car après avoir considéré les caractéristiques des réseaux naturels et humains, ce texte explique comment les réseaux technologiques viennent modifier ces caractéristiques.</p>
<p><ins>Stratégie et réseaux : une vision militaire (Arnaud Coustillere)</ins> : Le Livre Blanc sur la Sécurité et la Défense Nationale d’avril 2013 a pris la mesure des enjeux de cyberdéfense en l’élevant au rang de priorité nationale. Ce nouveau domaine opérationnel est traité à un haut niveau de priorité par le ministère de la défense. En coopération avec les autres acteurs majeurs de la cyberdéfense française que sont l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) et les ministères des affaires étrangères et de l’intérieur, le ministère contribue fortement à la consolidation de la posture nationale de cyberdéfense. Une chaîne de commandement interarmées et ministérielle, placée sous l’autorité du chef d’état-major des armées, a été mise en place pour organiser et conduire la défense des systèmes d’information du ministère et des armées. Plusieurs priorités ont été définies dans ce domaine, notamment concernant la consolidation de la chaîne de cyberdéfense mais également la formation, que ce soit au travers du développement d’une expertise technique et spécialisée au sein de la filière « systèmes d’information », que de la sensibilisation du personnel. Enfin, pour soutenir la posture nationale de cyberdéfense, le ministère a mis en place un réseau de réservistes citoyens spécialisés en cyberdéfense, dans une logique interministérielle, en vue de sensibiliser des publics variés aux problématiques de cyberdéfense, telles que les jeunes, les PME/PMI, les journalistes….car la cybesécurité doit être l’affaire de tous.</p>
<p><ins>Is Cyber changing the Mechanics of Warfare? (Jarno Limnéll)</ins> : We are at the beginning of a new and dangerous era of cyber warfare. Governments are taking potential threats seriously, and while cyberwar is something new in itself, it does not have to be part of any revolution in military affairs, but rather a sign of normal evolution. War always reflects the characteristics of the societies waging it. At the same time it is vital, for soldiers and politicians, to understand how the increasing importance of cyber is changing the “idea of warfare” and how to prepare for it.</p>
<p><ins>Stratégie de dissuasion et réseaux informatiques (Frédérick Douzet</ins>) : La question de la dissuasion est au cœur du débat stratégique face à la croissance de l’interconnexion des systèmes d’information et les menaces potentielles ou avérées qu’elle représente. Le cadre actuel de référence le plus sophistiqué est la dissuasion nucléaire, que beaucoup sont tentés d’appliquer aux réseaux informatiques et l’espace d’échange et de communication qu’ils génèrent, plus communément désignés sous le terme de « cyberespace ». Or le sujet est loin de faire l’unanimité, dans la littérature stratégique comme dans les milieux politiques. Ce chapitre explore la montée en puissance et les limites stratégiques de la cyber-dissuasion. Il conclut que la menace de la riposte constitue au mieux un volet de la stratégie de dissuasion et probablement pas le principal en raison de la difficulté d’attribution de l’attaque, et du caractère trop souvent intangible, imprévisible et incertain de la riposte. La cyberdissuasion peut s’appuyer sur le renforcement des capacités de défense, des capacités de reconstruction, de réparation et de résilience des réseaux, ce qui n’est pas (ou moins) possible dans le secteur nucléaire.</p>
<p><ins>La cyberstratégie, quatrième pilier de la stratégie intégrale ? (Eric Hazane)</ins> : Notre dépendance de plus en plus marquée au cyberespace, associée à l’apparition de conflictualités dans celui-ci est l’occasion, au même titre que l’arme nucléaire en son temps, d’un renouvellement de la pensée stratégique. Cette intervention se propose d’en explorer les contours et de réfléchir à la place du domaine cybernétique sous l’angle du concept de stratégie intégrale développé par Lucien Poirier.</p>
<p><ins>Stratégie et réseaux dans la conduite des opérations militaires (Jamel Metmati)</ins> : La convergence des réseaux humains et techniques influent sur la conception, la planification et l’exécution d’une opération militaire. Alors que la plupart des armées mondiales se structurent sur des modèles d’intervention, leurs déploiements s’appuient sur des principes liés aux caractéristiques des réseaux. Leurs engagements impliquent à la fois une maîtrise des élongations pour assurer la coordination des unités et une domination temporaire du cyberspace. Cet art opératif qui peut résulter d’une stratégie voulue conditionne la capacité d’une armée à manœuvrer dans un contexte où le réseau s’étend désormais jusqu’aux échelons tactiques les plus bas.</p>
<p><ins>De la cyberdéfense à la cyberstratégie (Kavé Salamatian)</ins> : Le terme cyberdéfense est aujourd’hui un des mots émergents les plus cités quand on parle de l’Internet. Cet article tente une définition de la cyberdéfense, et discute des implications que la primauté de la terminologie associée à ce terme implique dans la réflexion stratégique. Cette discussion fait apparaître un risque de fermeture conceptuelle dans l’utilisation de la terminologie associé à la cyberdéfense et de l’exagération parfois mercantile du risque cyber.</p>
<p><ins>Ranger la Terre : Le nommage des domaines est-il l’expression d’une stratégie américaine de domination des réseaux ? (Dominique Lacroix)</ins> : Depuis la grande vague de libéralisation globale des années 90, la stratégie américaine a consisté à pousser ses entreprises à conquérir le monde, par tous moyens : standards, lois, facilités fiscales, commandes publiques (souvent militaires) et espionnage. En matière de nommage Internet, les entreprises états-uniennes, gagnantes au jeu dont elles ont inventé les règles, portent avec elles l’identité américaine projetée ainsi à travers le monde qu’elles tentent de réorganiser. Tout se passe pourtant comme si elles se heurtaient à des murs de résistance en Orient, des murs d’écritures.</p>
<p><ins>Les réseaux de pipelines en Asie Centrale, effets d’une stratégie géoéconomique (Nicolas Mazzucchi)</ins> : Les infrastructures d’exportation d’hydrocarbures, oléoducs et gazoducs, constituent l’un des meilleurs exemples de réseaux stratégiques à l’échelle internationale. Infrastructures rigides, demandant d’importantes ressources financières et mettant en lumière des rapports politiques complexes, ils manifestent le plus souvent l’image d’une volonté politico-économique sur un territoire. S’il est une région du monde qui se prête plus particulièrement à l’impact stratégique des pipelines, c’est bien l’Asie Centrale. Le poids de l’histoire se fait particulièrement sentir dès lors qu’on étudie les réseaux instaurés dans les cinq républiques d’ex-URSS. La volonté de Moscou avait en effet façonné les infrastructures de manières à ce que ces dernières soient un reflet tangible des rapports qu’elles entretenaient avec le grand frère russe. Le retour de la puissance russe depuis le milieu des années 2000 s’effectue d’ailleurs via la relation pétro-gazière que Moscou entretient avec elles. À la chute de l’URSS, Américains et Européens se sont également intéressés à la région dans l’optique de sécuriser les approvisionnements de l’Occident via la Méditerranée en contournant le territoire russe. Néanmoins l’inconstance de leurs projets couplée à la concurrence d’autres acteurs a eu raison de relations marquées par le sceau de l’opportunité. Dernier acteur majeur, la Chine est lancée dans une grande stratégie de sécurisation terrestre de ses approvisionnements où l’Asie Centrale, étendue vers le Sud, joue un rôle majeur. L’Asie Centrale se trouve ainsi au centre du grand dessein de Pékin destiné à la fois à sécuriser sa propre économie et à affaiblir ses concurrents grâce à la construction d’importants réseaux de pipelines.</p>
<p><ins>Le cas des réseaux électriques intelligents (Olivier Kempf)</ins> : Les réseaux électriques intelligents (REI) sont à la mode : pourtant, la démarche existe depuis les années 1960, initiée notamment en France. Toutefois, la révolution cybernétique tend à conjuguer les deux types de réseaux : les réseaux d’électricité et le réseau de données, ce qui n’est pas sans susciter des considérations stratégiques.</p>
<p>O. Kempf</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2014/09/16/Penser-les-r%C3%A9seaux#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/1952Penser la stratégie, de l’Antiquité à nos jours (B. Heuser)urn:md5:372f927c3bca3097946292d9afa82f2a2014-07-27T18:56:00+01:002014-07-27T18:56:00+01:00Olivier KempfFiche de lectureStratégie<p>Voici une fiche de lecture que j'avais <a href="http://alliancegeostrategique.org/2013/10/16/penser-la-strategie-de-lantiquite-a-nos-jours-b-heuser/">publiée sur AGS</a> et omis de publier sur égéa. C'est réparé.</p>
<p><img src="http://alliancegeostrategique.org/wp-content/uploads/2013/10/44574-33170-large.jpg" alt="" /></p>
<p>Voici un ouvrage ambitieux, bourré de qualités avec en même temps quelques défauts, mais montrant du caractère, une pensée autonome et une manière de traiter le sujet qui en font, déjà, un ouvrage de référence.</p> <p>Le sous-titre « de l’Antiquité à nos jours » donne l’indication du traitement : il s’agira d’un abord chronologique, insistant sur l’évolution des concepts, leurs continuités et leurs ruptures, que celles-ci soient dues à l’innovation technologique ou à des percées conceptuelles. Quand au sujet, Béatrice Heuser choisit l’énoncé : « Penser la stratégie ». Régulièrement pourtant (mais l’adverbe pourtant est-il ici adéquat ?), je me suis fait la remarque qu’il s’agissait d’un « Penser la guerre ». On me dira que je chipote, que les deux notions paraissent bien liées et que la distinction n’est pas forcément utile. Il reste que la stratégie est souvent « pensée », même si elle est « pratique ».</p>
<p>Les stratégistes ne font pas le même métier que les stratèges, même s’il est fréquent que les stratèges aient lu les stratèges, mais aussi (surtout) les récits de bataille, qu’ils aient « pensé la guerre » avant de penser la stratégie. Chez notre auteur, on a parfois l’impression que l’approche historique suscite une histoire des pratiques stratégiques répondant aux thèmes dominants de l’époque, au lieu de « n’être que » une histoire de la pensée stratégique : cet aller-retour entre les théories stratégiques et leurs mises en œuvre politique constitue, à mon sens, une des grandes caractéristiques de l’ouvrage.</p>
<p>Celui-ci est articulé en sept grandes parties : Une introduction qui s’interroge, en un seul chapitre, sur ce qu’est la stratégie ; une partie sur des constantes de longue durée (II), avant d’exposer le paradigme napoléonien et la guerre totale (III), puis d’évoquer la stratégie navale et maritime (IV), les stratégies aériennes et nucléaires (V), les guerres asymétriques et les petites guerres (VI) pour terminer sur la quête d’un nouveau paradigme après les guerres mondiales (VII).</p>
<p>La thèse de B. Heuser consiste à exposer et démontrer les limites du « paradigme napoléonien ». Selon elle, la pensée stratégique occidentale est fondée sur le culte de la victoire, et de la bataille décisive (curieusement, elle cite V. Hanson deux fois seulement, p. 76 et p. 303). Au fond, et même si la distinction n’est pas toujours claire (mais je lisais simultanément Aron), le but dans la guerre est souvent assimilé au but de guerre : la liaison entre le champ militaire et le champ politique, à la matrice de la pensée clausewitzienne, était confondue au point d’aboutir à des impasses, ce qui justifie la nécessité de dépasser la seule stratégie militaire par une grande stratégie (l’auteur est anglais) ou stratégie totale, selon le mot de Beaufre. Ainsi, dès le début, la guerre comme chose politique est clairement mise en avant dans la définition de la stratégie. Mais la guerre est aussi « dialectique des volontés », qui doit de plus s’exprimer en temps de paix comme en temps de guerre. B. Heuser nous propose alors sa définition (p. 27) : « <em>la stratégie est une voie globale visant à réaliser des fins politiques et incluant la menace ou l’usage effectif de la force, dans une dialectique des volontés</em> ».</p>
<p>L’auteur, dans la deuxième partie, nous fait part de quelques beaux rappels d’auteurs sinon oubliés, du moins négligés : Honoré Bonet, Christine de Pizan et son Livre des faits des armes et de la chevalerie, François de Saillans (B de Loque), Emerich de Vattel et son Droit des gens, … Cette partie s’intéresse grandement aux questions éthiques et à la découverte du jus in bello/ad bellum. La question des sièges est également évoquée, car très longtemps, les sièges sont plus fréquents que la bataille (le rôle de la poliorcétique me semble ici quelque peu minoré : le mot n’est pas prononcé, et Séré de Rivière n’est pas cité). De même, les questions de l’organisation des forces et de la nature des soldats (professionnels ou citoyens) suscitent de vigoureux débats. L’auteur livre au passage des remarques qui ouvrent de beaux champs d’étude : ainsi quand elle affirme « <em>nous percevons à nouveau l’émergence d’un concept reliant les républiques à la guerre défensive</em> » (p. 74). Toutefois, « l<em>es guerres de la Révolution Française et de Napoléon marquèrent un tournant dans ce contexte. Depuis lors et jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’offensive et la ‘bataille décisive’ constituèrent les éléments essentiels de la guerre, et de ce fait l’objectif de toute stratégie</em> » (p. 82). La suite du livre explique comment ce primat conceptuel domine, puis échoue finalement à rendre tous les services espérés.</p>
<p>C’est d’abord l’objet de la troisième partie. On y lit des choses intéressantes, comme celle-ci : « <em>Par opposition à toutes les théories postulant que les peuples partaient en guerre les uns contre les autres en raison de leurs différences idéologiques, la cause de la Première Guerre mondiale était qu’ils se ressemblaient trop et se comprenaient si bien qu’ils cherchaient tous à prendre les premiers des mesures de rétorsion</em> » (p. 103). Toutefois, sur la question du moral, elle ne cite pas Ardant du Picq, ce qui surprend. Il reste qu’à la suite de Clausewitz, on observe « <em>le refus de contraintes politiques dans les œuvres de la plupart des stratégistes. Au contraire, ils soulignaient sans cesse la nécessité de la victoire décisive, sur el modèle des batailles d’anéantissement livrées par Napoléon</em> » (p. 114) : « <em>la victoire était recherchée pour elle-même</em> ». Voici le grand mérite du livre, celui de nous aider à relativiser cette notion de bataille décisive et à nous départir de la double fascination pour Napoléon et pour Clausewitz. Elle relève de même, avec Corbett, l’opinion erronée selon lesquelles « <em>les forces de l’ennemi étaient l’objectif principal et non pas son territoire</em> » (p. 131). Les deux guerres mondiales voient la « culmination de la guerre totale », et d’une certaine façon l’épuisement du paradigme.</p>
<p>Mais avant cela, l’auteur évoque la stratégie navale et maritime. Ai-je mal lu ? j’ai trouvé que Mahan paraissait tellement évident à l’auteur qu’elle l’a peu expliqué, alors que pourtant elle ne cesse d’y faire référence (l’index est ici fautif, car il oublie plus d’une dizaine de citations des pages 160-186). Toutefois, B. Heuser montre bien les atermoiements des différentes théories, la fascination pour le « contrôle de la mer » qui s’avère impossible, et donc les stratégies alternatives, dont celle de Corbett. Elle discerne bien la stratégie maritime de la stratégie navale, l’école historique de l’école matérielle, ou rappelle cette belle citation de Campanella « Che e signore del mare e signore della terra ». La question de la guerre de course est intelligemment abordée (fausse tradition française), tout comme la Jeune école (école matérielle française) ou l’apparition de la lutte sous-marine. Ainsi « <em>la stratégie d’une flotte de dissuasion était qu’elle ne permettrait jamais d’acquérir par elle-même la maîtrise de la mer</em> » (p. 202) : au fond, c’est tout le débat sur la mer comme territoire ou la mer comme lieu de communication, et donc de guerre dans un cas, de guerre économique dans l’autre, qui est posé. Il reste qu’à l’âge nucléaire, il n’est plus possible d’envisager de stratégie maritime autonome : celles-ci sont forcément subordonnées au primat de l’atome, qui sur mer comme sur terre abolit la notion de bataille décisive (il est ici curieux que l’auteur n’évoque pas les SNLE, ni même l’articulation des flottes de combat autour des appareils de dissuasion). On est donc obligé de moderniser la vieille diplomatie de la canonnière, d’inventer la projection de puissance ou d’élaborer des dissuasions conventionnelles. En conclusion, « <em>la stratégie navale était, presque toujours, étroitement liée à la stratégie terrestre, tandis que l’inverse n’était pas vrai. (…) La géographie dominait la stratégie navale alors qu’elle affectait seulement la tactique, et moins la stratégie, dans la guerre terrestre et la guerre aérienne. (…) Au début du XXI° siècle, on a peine à imaginer de grandes batailles navales mahaniennes, tandis que nombre des idées de Corbett on gardé toute leur validité</em> » » (p. 225).</p>
<p>La guerre dans la troisième dimension pose trois questions au stratège : celle de l’autonomie par rapport à la stratégie terrestre, celle du lieu de la bataille décisive, celle du contournement des forces ennemies pour atteindre les centres vitaux. On a l’impression de relire les mêmes débats que pour la stratégie navale : une maîtrise de l’air est-elle possible ? On voit ainsi les Douhet, Trenchard ou Mitchell vanter les mérites de la nouvelle arme aérienne. Le tchèque Miksche remarque pourtant que « <em>si l’avion a sa place dans la machine de guerre, il ne peut en aucun cas devenir par lui-même la machine de guerre</em> » (p. 238). B. Heuser signale ensuite quatre écoles de stratégie aérienne : celle du bombardement stratégique, celle des objectifs militaires, celle du bombardement de précision, celle des signaux politiques. Dans le chapitre suivant, l’auteur évoque la stratégie nucléaire : cela sous-entend que celle-ci n’est qu’une variation de la stratégie aérienne, une forme un peu radicale de bombardement. Si chronologiquement la pensée nucléaire a suivi d’abord cette voie, il reste qu’elle a rapidement évolué.</p>
<p>La partie sur la guerre asymétrique évoque classiquement la petite guerre, la guerre de partisan évoluant jusqu’à la guerre populaire : ou comment une approche tactique peut se transformer, parfois, en une « stratégie » menant à la « victoire » politique. Quant à la contre-insurrection, l’auteur rappelle une nouvelle fois Mendoza, qui « <em>influa sur le premier auteur à apporter une vision réellement globale de la contre-insurrection : Santa Cruz de Marcenado</em> » (p. 332). C’est que « <em>dans le contexte des petites guerres, les auteurs se sont aperçus très tôt que la clé d’un succès durable devrait être la pacification d’un pays ou d’une région, non point par l’imposition brutale de la force, mais par l’amélioration des relations avec la population (…). La Persuasion, et non pas l’imposition de sa propre volonté (qui est l’essentiel de la plupart des définitions de la stratégie militaire de nos jours) est au cœur du succès dans une guerre asymétrique</em> » (p. 338).</p>
<p>La dernière partie pose la question de la fin du paradigme napoléonien : non seulement parce que les guerres totales ont abouti aux deux Guerres mondiales, amis aussi parce qu’elles ont été dépassées et annihilées par le nouveau paradigme nucléaire. Cela ne signifie pas la fin de la stratégie, mais son déplacement : vers les guerres limitées (Guibert, Osgood), la coercition, le renoncement à la victoire, le sport-spectacle, le droit d’ingérence, le retour des petites guerres, … Pour dire le vrai, cet exposé des débats stratégiques contemporains m’a paru le plus faible de l’ensemble : mais peut-être est-ce parce que nous avons tous baigné dedans depuis quelques années que l’imprégnation nous ôte le recul nécessaire ! Il reste à l’auteur à conclure : « <em>même en cas d’emploi de la force, ce qui est nécessaire en fin de compte est que l’ennemi soit disposé à se laisser persuadé d’accepter une situation nouvelle, ce qu’il fera uniquement s’il y participe et s’il peut en espérer une vie meilleure</em> » (p. 380). La victoire ne peut qu’être partagée !</p>
<p>On l’aura compris, ce livre est très riche, et passionnant. L’auteur, anglais, a séjourné en France et a fait l’effort de s’intéresser aux écoles européennes, françaises et allemandes en particulier. Il reste qu’on est d’autant plus tonné de ne pas voir certains noms cités, ou alors très marginalement : Poirier n’est évoqué qu’une fois, Coutau-Bégarie jamais cité ! Rien n’est dit des penseurs soviétiques ni même des travaux sur la stratégie soviétique. Les pensées asiatiques sont négligées. Par ailleurs, la traduction est convenable mais pas fulgurante, et l’on s’étonne parfois (« Ethique Nicomaquéenne » au lieu de l’attendu « Ethique à Nicomaque » ; « séniorité » p. 126 au lieu d’un simple « ancienneté » ; « guerre au milieu du peuple » au lieu de l’habituel « guerre au sein des populations). La bibliographie est, on l’a compris, très abondante malgré les omissions signalées. L’index est en revanche limité aux noms de personnes, et il manque clairement un index des notions qui aurait véritablement aidé à établir des correspondances à travers l’œuvre.</p>
<p>Ces quelques défauts ne sont finalement que des peccadilles, par rapport à un ouvrage riche et dense, suscitant de nombreuses ouvertures et réflexions, et qu’il faut lire un crayon à la main. A détenir d’emblée dans tout fonds de bibliothèque stratégique.</p>
<p><a href="http://www.editions-picard.com/product.php?id_product=44574">Penser la stratégie, de l’Antiquité à nos jours</a>, Béatrice Heuser, Editions Picard, Paris, 2013.</p>
<p>O. Kempf</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2014/07/20/Penser-la-strat%C3%A9gie%2C-de-l%E2%80%99Antiquit%C3%A9-%C3%A0-nos-jours-%28B.-Heuser%29#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/1931Indirection stratégique et guerre limitéeurn:md5:0c26bfebb6acf00b2e6b0eda210e78a12014-06-16T18:46:00+01:002014-06-16T19:26:43+01:00Olivier KempfStratégieStratégie<p>En train d'écrire un article sur les nouveaux modèles stratégiques (que je qualifie d'indirection stratégique), je conclus sur le retour des guerres limitées.</p>
<p><img src="http://www.lesbatailles.com/page35/page38/files/IMA_FontenoyPhil2.jpg" alt="" /> <a href="http://www.lesbatailles.com/page35/page38/page38.html">source</a></p>
<p>Au fond, ces nouvelles manières de faire la guerre (ou plus exactement d’utiliser la panoplie militaire à des fins stratégiques) correspond à un besoin établi, celui des guerres limitées.</p> <p>En effet, le régime westphalien s’accommodait, à l’origine, des guerres limitées. Plus exactement, il ne fonctionnait que dans un régime de guerres limitées. On a pu brocarder la « guerre en dentelles », oubliant qu’elle pouvait être extrêmement meurtrière. Pourtant, si les Etats s’affrontaient dans ce système westphalien, ils reconnaissaient à l’autre son existence et son altérité. La guerre était le moyen de résolution d’un conflit, non une lutte à mort. Les traités de paix qui en résultaient étaient solides car ils sanctionnaient la fortune des armes. Ils pouvaient même être durables et ne pas constituer de simples armistices jusqu’à ce que l’un ou l’autre eût repris des forces.</p>
<p>Or, ce système westphalien fut profondément affecté par trois « évolutions ».</p>
<p>La première est politique puisqu’elle tient à la Révolution française qui invente une nouvelle souveraineté, celle de la Nation, entraînant par là le citoyen en armes. Certes, Napoléon utilisera les principes de Guibert et ajoutera son génie manœuvrier, mais l’empereur n’aurait pu exister s’il n’avait été le général de la campagne d’Italie à la tête d’une armée révolutionnaire. Clausewitz théorisera l’apport napoléonien. Il voit bien l’émergence du « peuple » comme un des pôles centraux de la guerre, au sein de la « remarquable trinité (le stratège militaire, le chef politique et le peuple). Or, il s‘agit d’une révolution qui est d’abord politique avant d’être militaire. Le système du Congrès de Vienne tentera de revenir au format westphalien en inventant un jeu d’équilibre des puissances qui aura des effets durables. D’ailleurs, Bismarck aura l’ambition de le perpétuer à l’issue du traité de Versailles en 1871 en pratiquant une politique d’autolimitation : cela fonctionnera tant bien que mal jusqu’à son départ en 1890.</p>
<p>Entretemps, une deuxième évolution sera intervenue, celle de la guerre industrielle. Apparue dès la guerre de Sécession, visible dès la guerre de 1870 avec le rôle stratégique des chemins de fer, elle se manifestera sa radicalité lors de la Première Guerre mondiale puis dans la Deuxième.
La conjonction de la guerre nationale et de la guerre industrielle aboutira à concevoir la « guerre totale », selon l’expression inventée par Léon Daudet dès 1018 et reprise ultérieurement par Ludendorff (1935). Il s’agit d’une « absolutisation » de la guerre, la guerre totale correspondant bien aux régimes totalitaires de l’époque. Désormais, l’autre n’est plus accepté dans son altérité, son régime doit être abattu, la guerre n’a plus de limites. On peut bien sûr voir les prémisses de ce bannissement dans l’action des Coalisés en 1814 puis en 1815 après les Cent-Jours : toutefois, à l’époque, on combattait surtout la puissance de Bonaparte (et le déséquilibre que ses campagnes provoquaient en Europe) plutôt que son régime.</p>
<p>La fin de la Deuxième Guerre mondiale a coïncidé avec l’avènement du nucléaire qui est la troisième évolution. Pourtant, l’ère stratégique nucléaire a réellement commencée plus tard, au cours des années 1950, lorsque l’URSS atteint tout d’abord la parité nucléaire et mit au point une supériorité dans l’espace avec le Spoutnik. Alors, le phénomène d’absolutisation de la guerre atteint un sommet, perceptible lors de la crise de Cuba. La stratégie nucléaire dominait toutes les autres stratégies, la guerre devenait encore moins possible que jamais tant l’anéantissement ne concernait plus un seul des belligérants mais les deux (et collatéralement la terre entière).</p>
<p>Ce durcissement des conflits affecta profondément le système stratégique au point qu’on rendit la guerre quasiment illégale, sauf en cas de légitime défense, ainsi que le prévoit la charte des Nations-Unies. La guerre limitée n’était plus envisageable. Le simple fait d’envisager la guerre comme moyen de résolution des conflits parut insupportable. La juridicisation de la guerre sous des motifs éthiques provoqua énormément d’hypocrisies. On en vint à inventer des motifs moralement acceptables pour entrer dans des conflits : guerres de décolonisation, guerres révolutionnaires, plus récemment « opérations de maintien de la paix », droit d’ingérence (Kosovo 1999), actions préemptives (Etats-Unis contre l’Irak, 2003), Responsabilité de protéger (Libye, 2011). Un blanc-seing des Nations-Unies est désormais requis.</p>
<p>Face à ces contorsions, Etats-Unis comme Russie prennent leurs distances. Les premiers ne cessent de faire prévaloir leur droit national et refusent toute juridiction supranationale : ainsi considèrent-ils qu’ils sont en guerre depuis 2001 et que leurs actions armées ne sont pas illégales, que ce soit au Pakistan, au Yémen ou en Somalie. De même, la Russie voit dans les Nations-Unies une machine instrumentalisée par les Occidentaux et M. Lavrov ne cesse d’évoquer le précédent de la résolution 1973 au sujet de la Libye comme un abus de "guerres morales" de l'Ouest.</p>
<p>Constatons enfin que le monde est aujourd’hui beaucoup plus désordonné qu’il ne l’était au cours de la guerre froide. On ne peut plus parler de « système » ce qui rend vain les débat sur sa nature (monopolaire, multipolaire, duopolaire, apolaire…). La société internationale a retrouvé une nature « post-hobbésienne » qui révèle un certain retour à l’état de nature, celui de la guerre de tous contre tous. Désormais, il n’y a plus de vrais amis ni de vrais ennemis et chacun agit au mieux de ses intérêts souverains.</p>
<p>Cette réalité s’impose aux grandes puissances qui ont, plus que d’autres, les moyens de conduire des stratégies adaptées à ce nouvel environnement. L’indirection stratégique pratiquée par Moscou et Washington répond aux nouvelles conditions tant stratégiques que géopolitiques. L’indirection de la guerre constitue en fait la réinvention de la guerre limitée qui avait disparu quelque part au XIXe siècle.
Il ne s’agit pas de s’en plaindre, simplement de le constater pour trouver les moyens de traduire juridiquement les conséquences de ces nouveaux conflits limités. Car comme tout conflit, ils sont destinés à créer un nouvel ordre de droit.</p>
<p>O. Kempf</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2014/06/15/Indirection-strta%C3%A9gique-et-guerre-limit%C3%A9e#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/1921Le retour du chocurn:md5:1ee23ff77df5fe3d1bcfcd822dd487292014-05-25T15:48:00+01:002014-05-25T15:48:00+01:00Olivier KempfStratégieGuerreStratégieTactique<p>On oppose traditionnellement le choc au feu. Et si nous revenions à cette question du choc, qui semble avoir disparu, malgré les théories américaines du <em>shock and awe</em> ?</p>
<p><img src="http://users.skynet.be/ym04/waterloo/Charge_des_Cuirassiers_Francais_Victoria_et_Albert_Museum_London.jpg" alt="" /> <a href="http://users.skynet.be/ym04/waterloo.htm">source</a></p> <p>J’avais déjà évoqué cette <a href="http://www.egeablog.net/index.php?post/2012/12/26/Choc-et-feu">relation du choc et du feu</a>. .</p>
<p>La guerre moderne aurait vu la montée en puissance du feu jusqu'à son paroxysme, l'arme nucléaire. Le choc aurait du coup été mis sous le boisseau, malgré l'importance temporaire du char de bataille. En fait, sauf exceptions localisées, le choc ne jouait plus de rôle sauf dans le cas d'affrontements limités. Avec la fin du choc venait la fin de la bataille.</p>
<p>Or, c'est omettre que le choc n'est que le résultat de la mobilité (multipliée par la masse) et que celle ci à elle aussi remarquablement cru depuis la fin du XIX° siècle.</p>
<p>Le feu à gelé la guerre quand la mobilité n'a cessé de croître.</p>
<p>Aussi observe-t_on un retour du choc. Mais alors que celui ci favorisait la concentration de l'effort en un point (l'énergie cinétique, un peu à la manière d'une charge creuse), voici qu'elle permet au contraire une déconcentration et un éparpillement des efforts.</p>
<p>Tel est le sens tactique des combats de harcèlement de la petite guerre contemporaine. L'attentat suicide est un retour du choc, dans sa version la plus primitive. Le choc vise alors non la rupture en un point mais le harcèlement en de nombreux points, non la rupture mais l'usure. Alors, l'intensité vibrionnante du nuage de moustiques forcerait l'ennemi à se retirer du terrain.</p>
<p>Dès lors, la multiplication de chocs tactiques provoquerait un effet stratégique, selon un processus jominien (la stratégie comme élévation de la tactique). Et l'ouest perdrait souvent car ayant peu de stratégie et des difficultés à répondre au défi tactique : l'exemple afghan est éclairant de ce point de vue là, même si des possibilités existent comme l'action au nord-Mali : dans ce dernier cas, on a accepté le combat direct et tactique que l'on a gagné grâce à une grande manœuvre opérative (intégration des appuis de toute sorte à grande distance).</p>
<p>La conclusion partielle serait alors : le choc demeure mais au niveau tactique alors que nos modèles d'armée ne sont pas bâtis face à cette configuration.</p>
<p>O. Kempf</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2014/04/30/Le-retour-du-choc#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/1889