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Paradis fiscaux, enfers géopolitiques

L'actualité évoque de plus en plus souvent les paradis fiscaux. Il y a énormément d'analyses économiques, je n'en connais pas de géopolitiques. Ce billet s'en veut une première esquisse.

1/ Paradis fiscal ? oui, paradis, pour ceux qui en profitent. Profit, le mot est dit.

11/ Il peut s'agir des gros revenus qui ne veulent pas payer d'impôts : défaut de solidarité avec "leur" pays. Egoïsme, certes, mais surtout acceptation de l'idée selon laquelle l'impôt c'est mal. Discutable, à l'évidence, car l'impôt paye les infrastructures, l'éducation, la recherche, la qualité de vie, et donc l'environnement de l'entreprise. L'entreprise a intérêt à payer l'impôt. L'impôt est une externalité positive, même si cette externalité est difficilement internalisée par l'entreprise. C'est la grande question des biens publics et des biens collectifs, mal "appréciés" par l'économie actuelle.

12/ Il s'agit aussi du blanchiment d'argent. Sans revenir sur le débat avec certains qui ne voient la géopolitique qu'à travers la criminilisation du monde, il faut reconnaître que les réseaux mafieux et criminels ne cessent de se développer. Et que les "paradis" fiscaux sont un havre splendide pour le blanchiment d'argent sale.

13/ Les habitants locaux : soit disant, ils en profitent : de faibles taxes sur de très gros montants permettent des ressources nombreuses pour des populations qui s'enrichissent à peu d'efforts. C'est artificiel. ON y reveindra.

2/ Enfer fiscal ?

21/ Bien sûr, car trou noir de l'économie. Asymétrie structurelle du système financier qui atteint fondamentalement la théorie de la concurrence pure et parfaite. Entre ceux qui s'évadent et ceux qui restent, entre les sociétés qui jouent le jeu et les autres, etc. Je crois qu'il faudrait utiliser la grille "asymétrique" à la situation économique actuelle : nous sommes entrés dans une ère économique "asymétrique", refoulant tous les fondements admis du système.

22/ Plus fondamentalement, trou noir de la confiance. J'ai déjà dit à de nombreuses reprises (et très tôt, début octobre, alors que l'idée n'était pas aussi populaire que maintenant, voir ici) que cette crise est une crise fondamentale de la confiance. J'ai du mal à comprendre pourquoi on blâme les actifs toxiques sans apercevoir que les paradis fiscaux sont les supports toxiques de ces actifs.

3/ Enfer géopolitique :souveraineté 31/ La première raison qui conduit à condamner ces "paradis" tient à la dérive de la notion de souveraineté. Au motif que vous êtes une île, ou un micro-territoire, vous accédez à l'indépendance, Nirvana de la rationalité internationale depuis que le processus de décolonisation est entré en œuvre. Attention, je ne dis pas que je suis pour la colonisation, etc. Seulement que la décolonisation, poussée à son extrême, aboutit à des excès négatifs. En clair, une souveraineté sans les moyens de la souveraineté n'est que le leurre de la souveraineté. Je pense à cette île du Pacifique, Tuvalu, qui espérait vendre son extension Internet (.tv) très cher à toutes les chaînes de télé. Seule ressource que cette île pouvait dégager.

Eternelle question de la liberté et des moyens de la liberté. Posée en philosophie éthique, rarement en philosophie politique.

32/ Excès de l'identitarisme, que j'ai dénoncé par ailleurs. Excès de communautés politiques obtenant les accessoires de la souveraineté sans en avoir la capacité. Et s'il faut se libérer d'une métropole, autant le faire en se fédérant avec ses voisins (le lien géographique a du sens politique, le saviez-vous?), et en organisant une communauté politique idoine.

33/ Souvent, ces micro Etats sont des îles (Caïman, Bahamas, ...). Danger de l'identité ilienne : le déterminisme géographique a toujours des écueils. La géopolitique a peiné, au cours de son histoire, à se défaire de ce déterminisme. Ce n'est pas pour le retrouver, impensé, dans la réalité: nous sommes d'une île, donc nous formons une communauté: oui, mais est-ce la seule communauté à votre disposition ?

4/ Enfer géopolitique : le refus de l'impôt 41/ Faut-il rappeler que la démocratie est toujours née du consentement à l'impôt ? Et qu'il y a une identification essentielle entre l'Etat et la capacité à lever l'impôt, d'abord pour payer la guerre ? Au-delà même de la question économique, ou de la question éthique, la question de l'impôt est politique. Elle est essentielle. S'abstenir de l'impôt, c'est refuser l'Etat et la démocratie. C'est donc avoir l'anarchie puis la tyrannie. L'impôt est une garantie. L'impôt est libérateur. Pas d'impôt, pas d'Etat. Pas d'acteur primaire de la géopolitique. Pas de démocratie.

42/ Cela est vrai dans les pays installés, et explique mon hostilité à toutes les mesures de défiscalisation générales.

43/ Cela est vrai pour les paradis fiscaux : l'absence d'impôt payé par les populations les entraîne encore plus radicalement dans l'esclavage. Car elles ne sont pas libres, chacun l'aura compris.

Ces paradis sont géopolitiquement des enfers.

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 19 février 2009, 21:53 par

". J'ai du mal à comprendre pourquoi on blâme les actifs toxiques sans apercevoir que les paradis fiscaux sont les supports toxiques de ces actifs."

Vous pourriez expliquer? J'ai beau chercher je ne vois pas le rapport entre subprimes et paradis fiscaux.

Sur les îles et "l'identitarisme", j'ai l'impression tout de même que vous avez une nette tendance à charger les minorités un tant soit peu indépendantiste de tout les maux. Que ce soit sur les îles ou ailleurs...C'est, je crois, oublier que ce type de problème ne se poserais pas si le gouvernement central s'est montré capable de forger une identité commune et fonder une réelle communauté d'intérêt.

Pour prendre un exemple complètement différent, on parle souvent des affreux et riches slovènes qui ne voulait pas payer pour le reste de fédération yougoslave. C'est oublier que l'appareil étatique de la fédération en question était incontestablement dominée par les serbes. Personne ne se faisait d'illusion là dessus. La Yougoslavie a été un échec car elle s'est montrer incapable de forger une identité fédérale.

"En clair, une souveraineté sans les moyens de la souveraineté n'est que le leurre de la souveraineté." Sans doute mais quelle alternative? Accepter la logique impériale, la destruction de sa culture, de son identité au nom du confort matériel et de la relative prospérité grâce aux bienfaits apportés par un pouvoir central méprisant et dominateur?

Sur l'impôt:
Le Fisc n'a jamais été populaire, demandez au malheureux Lavoisier. Le jour de la mort du cardinal de Richelieu, on dansait dans les villages...

Réponse O. Kempf

Ouh ! merci pour ces objections, auxquelles je vais essayer de répondre

1/Les actifs toxiques ne sont pas réduits aux subprimes. Il s'agit de titrisations de risque, dont on ne connaît pas la réalité, ni les tenants. On nous dit qu'il s'agit de la complexité des formules mathématiques. On passe généralement sous silence le fait qu'il y a multitude d'intervenants, dont tout un tas d'institutions financières opaques. Dont certaines ont des dépôts (au minimum) dans les paradis fiscaux. Ceux-ci sont devenus un agent incontournable dela planète financière. C'est d'ailleurs bien pour ça que de nombreux observateurs demandent de faire le ménage.

2/ Je confesse être assez partisan d'un Etat-nation. Mais la chose est différnte de l'mipérialisme, me semble-t-il. Après, la construction nationale doit permettre "le plébiscite de chaque jour" et le contart social. ENfin, il est tout à fait exact que je me méfie des "minorités" et des "identités". Ou plutôt, je trouve extrêmement réducteur de leur associer aussitôt la souveraineté comme seul mode d'expression. C'est pour moi un trait structurant. APrès, je suis tout à fait d'accord pour convenir que nombre de gouvernements n'ont pas fait suffisamment d'efforts pour apaiser, prendre en compte, soulager.... Exemple yougoslave, ou exemple antillais aujourd'hui. Je vous conseille de lire Amhin Maloouf et Alfred Grossser sur le sujet de l'identité (je crois en avoir rendu compte dans égéa). 

3/ Je ne dis pas que le fisc est populaire, je dis qu'il est nécessaire. Et qu'il y a incontestablement une démagogie générale à dire que "c'est mal".

J'espère avoir répondu à vos remarques....

O. Kempf

2. Le jeudi 19 février 2009, 21:53 par

"Ces paradis sont géopolitiquement des enfers."
Mazette ! Belle formule, ma foi.

Pour lire une (fidèle) description de la vie quotidienne d'un grand entrepreneur international, diplômé en commerce d'armes et relations diplomatiques, dans les paradis fiscaux (Nassau, Curaçao, Tortola, Panama...) : Le Directeur de nuit, de John le Carré.

OK: Ah ! Le Carré ! je lis en ce moment son dernier ouvrage, un homme très recherché. Je ne connaissais pas le directeur de nuit : je me le procure de ce pas. O. Kempf

3. Le jeudi 19 février 2009, 21:53 par

Crise des subrimes : une explication simple pour ceux qui essaient encore de comprendre.
(inspiré d'un blog)

Alors voilà,

Me Ginette a une buvette à Bertancourt, dans le Nord (ch'ti).

Pour augmenter ses ventes, elle décide de faire crédit à ses très fidèles clients, tous "alcoolo", et tous au chômage de longue durée.

Vu qu'elle vend à crédit, Me Ginette voit augmenter sa fréquentation et,
en plus, elle peut même augmenter un peu les prix de base du "calva"
et du ballon de rouge.

Ses créances deviennent assez importantes, mais elle tient (toujours/encore)

Max, jeune et dynamique directeur de l'agence bancaire locale, quant à lui,
pense que les "créances" du troquet constituent, après tout, des actifs recouvrables, et commence à faire crédit à Me Ginette
(il ignore ou pas qu'il a des dettes d'ivrognes comme garantie).

Au siège de la Banque, des "Traders" avisés transforment ces actifs recouvrables en CDO, CMO, SICAV, SAMU, OVNI, SOS et autres sigles financiers que nul n'est capable de comprendre, non sans expliquer que ces "actifs"
ont en réalité, 10 fois leur valeur annoncée : c'est sans danger..
La Banque récolte ainsi (n) fois la créance de Me. Ginette.

Ces instruments financiers servent ensuite de levier au marché actionnaire et conduisent, au NYSE, à la City de Londres, au Bourses de Francfort et de Paris, etc., à des opérations de dérivés dont les garanties sont totalement inconnues de tous, mais sur-cotées à chaque transaction (les ardoises des "alcoolo" de Me Ginette).

Ces "dérivés" sont alors négociés pendant des années comme s'il s'agissait de titres très solides et sérieux sur les marchés financiers de plus de 80 pays.

Jusqu'au jour où quelqu'un se rend compte que les "alcoolo" du troquet de Bertancourt n'ont pas un rond pour payer leurs dettes ..

La buvette de Me Ginette fait faillite,
Max a été viré, les "traders" ne sont pas inquiétés,
pas plus que le grands "pontes" de la Banque.

Maintenant je lance le jeu de piste :

OU EST PASSE LE POGNON ?
le premier qui trouve a gagné !

EGEA : et comme les alcoolo sont aussi contribuables, ils garantissent indirectement les emprunts de l'Etat pour renflouer les dettes des traders.... Mais c'est la prochaine étape, non?

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