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Clausewitz (III, 15, L'élément géométrique)

Que vous dire ? cela fait longtemps que je n'ai pas publié mes recensions de CVC (15 jours). C'est que le chapitre d'aujourd'hui ne m'a pas convaincu.

clausewitz_portrait.jpg

C'est très anti-médiatique, ce que je suis en train d'écrire....

Pourquoi cette déception ?

1/ Parce qu'on a du mal à comprendre à quoi Clausewitz veut réellement en venir . "L'art des fortifications (...) nous montre que le facteur géométrique, soit la forme du déploiement des forces, joue à la guerre le rôle de principe éminent". (p. 220). "La géométrie est le point de départ de la tactique, au sens restreint, la théorie du mouvement des troupes". CVC fait ici allusion à l'ordre droit et à l'ordre oblique, grandes affaires du XVIII° siècle. Cela s'était conclu par l'ordre mixte, que certains proposent de revivifier (voir Stent ici). Oserai-je dire que ces préoccupations, que CVC jugeait déjà dépassées en 1830, me paraissent aujourd'hui parfaitement obsolètes (ce qui ne vaut pas pour la réflexion de Stent qui est, vous l'avez compris, bien plus évoluée que la simple forme de la ligne...).

2/ On peut toutefois tirer une ou deux perles. Par exemple, celle-ci "Dans la tactique, le temps et l'espace atteignent rapidement leur degré zéro" (p. 221). CVC en conclut : "c'est pourquoi toutes les dispositions tactiques visant à l'enveloppement sont si utiles". Bref, plus que l'affrontement, il faut privilégier l'enveloppement, pour rompre le dispositif.

3/ "Le domaine stratégique, où les temps et les espaces sont vastes, se soucie peu de cela. Les armées ne bondissent pas d'un théâtre à l'autre". "L'effet des combinaisons géométriques est bien moindre dans le domaine stratégique". "Au niveau stratégique, le nombre et l'ampleur des engagements victorieux l'emporte de loin sur la forme des lignes qui les connectent : nous n'hésitons pas à faire de cette vérité un axiome".

4/ on reconnaît là des obsessions clausewitziennes : le souci de se démarquer des penseurs de la fin du XVIII° qui cherchaient la formule magique, valable en tout temps ; et la volonté, simultanément, de donner une discipline quasi scientifique à son étude de la guerre (faire d'une vérité un axiome... ! pour mémoire, un axiome est une vérité indémontrable qui doit être admise).

5/ Moui... Au-delà du brillant des formules, et de l'assurance du major-général, cela nous apporte-t-il vraiment des lumières très éclairantes ? Non, vraiment, ce chapitre n'est pas convainquant.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 15 juillet 2009, 21:46 par Richi

Peut-être que les limites de ce chapitre sont liées à l'absence chez Clausewitz d'un niveau opératif clairement défini. Pourtant l'art de la guerre de son époque avait vu l'avènement de ce niveau (manœuvre d'Ulm).

Cordialement

EGEA : peut-être. le général Gambotti n'en est pas convaincu.... D'ailleurs, un certainnombre de gens trouvent que le niveau opératif ne sert à rien. D'autres y voient le moyen du succès.

2. Le mercredi 15 juillet 2009, 21:46 par Jean-Pierre Gambotti

L’élément géométrique
Souvent chez Clausewitz les idées "a priori" les idées les plus contestables et les plus datées méritent une analyse approfondie et une critique… apaisée! Bien entendu il faut se garder de la tentation thuriféraire qui pousse à faire de Clausewitz " l’éveillé" de la stratégie et de sa parole la vérité absolue, mais je pense que ce chapitre, "L’élément géométrique", a quand même du sens.
Selon moi Clausewitz dépasse ici la notion "d’ordre droit" ou "d’ordre oblique" pour traiter d’une notion opérationnelle importante pour les armées qui manœuvrent, c’est à dire qui organisent la bataille d’unités d’armes différentes en combinant le choc et le feu , je veux parler du "dispositif" ou de la "formation". Pour le tacticien la disposition des unités sur le terrain, le dispositif, est capitale pour la bonne exécution de l’idée de manœuvre et, ce faisant, la disposition des unités blindées en tête et des mécanisés en deuxième échelon par exemple est, pour le mode d’action choisi, essentiel au succès. En conséquence il ne peut s’agir en tactique ou stratégie de géométrie euclidienne, c’est à dire de la disposition de figures et de leurs liaisons, mais plutôt d’économie des forces, c'est-à-dire de la disposition sur le terrain d’entités disposant d’énergies délivrables et de la maitrise du "champ de forces" ainsi créé. Pour faire bref et nous rappeler la lande bretonne, une section d’infanterie en formation "triangle base en avant" pourra comme l’évoque Clausewitz, prendre le contact, fixer, déborder, détruire….De la géométrie certes mais surtout de la mécanique !
Dans la suite du chapitre Clausewitz revient sur ses antiennes, c'est-à-dire sur la différence entre les niveaux tactique et stratégique que cette approche géométrique permet encore d’expliciter, et sur l’inanité de la démarche scientifique dans la conception et la conduite de la guerre qui s’appuie sur la géométrie, véhicule habituel des "scientistes" en stratégie qu’il voue aux gémonies.
Enfin permettez-moi d’appeler une nouvelle fois votre attention sur la malignité de la traduction dans l’œuvre de Clausewitz. Vous citez comme perle à mettre au passif de l’auteur « Dans la tactique, le temps et l’espace atteignent rapidement leur degré zéro », traduction de L.Murawiec. Dans leur traduction anglaise M.Howard et P.Paret proposent « In tactics time and space are rapidly reduced to their absolute minimum ». Je pense que l’idée de Clausewitz est ici réhabilitée, il s’agit pour lui de montrer que la liberté d’action, par la réduction du champ spatio-temporel , est annihilée chez l’adversaire quand le dispositif des forces amies est pertinent.
Très cordialement.
JP Gambotti

PS. En ce qui concerne le niveau opératif je suis respectueux de la terminologie officielle IA : le stratégique est le niveau de la guerre, l’opératif est le niveau du théâtre. Mais l’ambiguïté vient paradoxalement du terrain : les guerres actuelles se conduisent sur un seul théâtre – Afpak ou Irak par exemple. Encore que pour "la guerre contre le terrorisme" la question peut se poser !

EGEA : j'attendais vos commentaires depuis un certain temps, et m'inquiétait de votre silence....

Pour l'élément géométrique : je vous suis s'il s'agit d'évoquer le "dispositif" (notion familière au géopolitologue que je suis), ou d'évoquer l'interarmes (qui est d'ailleurs, si mes souvenirs sont exacts, la grande nouveauté de Napoléon, et probablement l'objet de l'intérêt de CVC, d'où la question : aborde-t-il ailleurs ce sujet de l'interarme?).

Pour la traduction, j'accepte votre objection. Je dois vous renvoyer toutefois à mon propos initial (consultable sur le vieil egea) où j'explique les raisons de ma "re"-lecture, la précédente traduction m'ayant rebuté, et celle-ci me paraissant plus accessible. Je reconnais que je m'en contente, et qu'il s'agit en fait d'une simple lecture, non comparative.

Pour la notion opérative : c'est un vieux débat, récurrent ces temps-ci et sur ce blog-ci, mes aussi sur d'autres blogs similaires (voir J Henrotin, etc.). Je prétends quant à moi que la notion a de l'utilité, même dans les guerres modernes où la notion de théâtre géographiquement localisé fait défaut....

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