Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Afghanistan : vers l'inversion du facteur temporel

"Vous avez la montre, nous avons le temps" : voici le refrain des insurgés, qui constitue au fond l'axe stratégique de leur combat. Stratégique, et non pas géopolitique.

Tableau de Pierre Soulage, extrait de ce site, à propos de l'expo Soulage à Beaubourg. Pourquoi Soulage ? lire le commentaire de Françoise....

Et si on inversait ?

Si on abandonnait l'obsession américaine (euh ! européenne aussi, je vous le concède) du temps médiatique ?

Si on ne se précipitait pas ? si on considérait le temps comme une des dimensions de la guerre ? si on abandonnait le mythe de la rapidité, qui met la pression sur nous, et pas sur l'adversaire ?

SI on prenait son temps ? NOTRE temps ?

Et si notre refrain stratégique devenait, subitement : "puisque nous ne pouvons pas avoir le territoire, nous aurons la durée" ?

O. Kempf

NB : merci à Stent qui a suscité cette idée, et plein d'autres : j'attends avec impatience la publication de son dernier opus.

Commentaires

1. Le lundi 26 octobre 2009, 23:38 par

Excellent point. En effet, les insurgés échangent du territoire contre du temps et du temps contre de la volonté. En ce sens, la guerre irrégulière (c'est à dire non pas celle qui nous oppose à un adversaire non-étatique, mais celle dont l'enjeu est l'influence et la légitimité vis à vis d'un groupe social donné ou d'une population) vient contredire notre tendance multiséculaire à la spécialisation et à l'abstraction de la guerre.
En effet, nous luttons depuis plusieurs siècles de "modernité" pour extraire la guerre de la société (armées permanentes), du milieu physique (RMA )voire de la vie tout court (en ce sens, les armements de haute précision accroissent cet effet de distanciation avec l'adversaire/ennemi/Autre, autant qu'elles induisent l'image d'une guerre "propre" et pour tout dire virtuelle -cf. les réflexions sur la guerre dans le cyberespace). Le temps est donc une variable essentielle car il participe de cette illusion.

Par ailleurs, une autre difficulté se présente: celle du temps électoral des démocraties libérales. Peut-être faudrait-il modifier les processus de légitimation de nos dirigeants pour que ceux-ci ne soient pas non plus soumis à la pression du temps?
Une dernière réflexion: notre vision du temps n'est pas non plus semblable à celle des sociétés traditionnelles (quoique celles-ci s'en rapprochent de plus en plus par le jeu de la mondialisation et des échanges culturels). Pour nous, il s'agit d'un temps vectorisé et pour tout dire spatialisé: découpé, il est lui-même abstrait. Peut-être faut-il aussi prendre en compte cette intuition de Bergson sur la durée, l'entropie et la néguentropie et penser à la QUALITE du temps? Bref, il faut être à ce que l'on fait (présence) plutôt que de penser déjà à la phase suivante alors qu'on entreprend une action au profit de la population.

EGéA : merci du commentaire, d'autant qu'il vient d'un spécialiste éminent des COIN....  Quelques remarques en retour.

  • Je ne comprends pas ce que tu entends par "temps vectorisé".
  • Le temps est toujours abstrait, me semble-t-il : je me suis toujours élevé contre la notion de "temps matériel" qui me semble un abus de langage.
  • Enfin, sur la notion de durée et de qualité, cela revient à considérer qu'il faut  "penser" le temps comme une dimension, certes, mais avec plusieurs facettes : on peut évoquer par exemple : vitesse/lenteur, rythme régulier/saccadé, instant/durée, etc. Or, réduire le temps à une simple dimension ("unidimensionnel") revient à ne plus le penser. C'est pourquoi il est nécessaire, pour le philosophe comme pour le stratège, de considérer les subdimensions du temps. Cela permettra d'échapper à la tyrannie de la rapidité, et de l'urgence. Celle-ci est le plus souvent organique, et non extérieure.
2. Le lundi 26 octobre 2009, 23:38 par

temps vectorisé=le déplacement d'une aiguille sur un cadran forme un vecteur (note: je précise que les maths n'ont jamais été mon fort)

EGéA : Ben.... l'explication me laisse interdit....

J'ai fait jadis un peu de maths. Avec mes mots d'aujourd'hui (que les matheux me pardonnent), un vecteur, c'est un point et une flèche : point, c'est à dire une origine spatialement référencée ; flèche, pour indiquer l'idée de mouvement, et d'intensité. L'outillage est utilisable ensuite en physique pour décrire les forces (la mécanique). Si je tiens compte de cette signification-là du vecteur,  je ne comprends pas l'aiguile qui tourne telle que tu la présentes....

3. Le lundi 26 octobre 2009, 23:38 par

Je me rends: mon idée bien mal exprimée relève la singularité d'une vision du temps dont tous les segments seraient identiques... (1 journée=24H, 1H=60mins, 1mn=60s, etc...)


Je te l'avais dit: je suis nul en maths :)

EGéA : ben là, je comprends mieux : on évite le jargon américanoforme, et on parle français. En clair, le temps comporte des irrégularités....... Le temps peut être lisse, ou strié, pour reprendre une approche deleuzienne....

4. Le lundi 26 octobre 2009, 23:38 par Jean-Pierre Gambotti

J’ai hésité à entrer dans ce débat sur le temps, tant il est vertigineux…( pardon pour cette allitération binaire).
Ratiocinons.


Mon dernier professeur de mathématiques avait commencé son cours de mécanique par cette formule qui m’avait sidérée puisque nous étions dans le domaine des sciences dures, « Le temps est une notion subjective, mais il est aussi une valeur mesurable… ». La formule afghanisée devient « vous avez la montre, nous avons le temps ». Le temps mesuré peut prendre la forme d’un vecteur (direction , sens , module) , le temps mesurable s’inscrit sur un axe, l’axe des temps en mécanique, le temps subjectif est celui qui passe, qui file, quand on le met en rapport à soi. Ce temps qui passe si lentement quand on est enfant, si vite quand est plus loin sur la trajectoire. Je retiens pour l’appréhension de la subjectivité du temps qui passe une explication lue ou entendue récemment : on subjective la vitesse du temps en rapportant l’unité de temps considéré à son âge, une année pour un enfant de dix ans, c’est un 1/10° de sa vie, pour un homme de 50 ans, c’est 1/50°. Le temps subjectif coule d’autant plus vite que ce ratio est faible…
La formule afghane nous renvoie effectivement au vecteur temps et à son module, la durée de l’engagement est bornée, face à une appréciation subjective du temps, plus le temps passe plus il file ! A mon sens dans cette guerre le temps joue en faveur de celui qui a une acception molle de l’éphémère.
Jean-Pierre Gambotti

Eh! Eh! voilà de la bonne chronostratégie, non?

5. Le lundi 26 octobre 2009, 23:38 par Jean-Pierre Gambotti

Merci de corriger mon commentaire précédent, j'ai fait une faute qui m'aurait valu l'échec à l'examen d'entrée
en classe de sixième! Lire "sidéré" au lieu de "sidérée", of course. Certains de mes camarades de cette époque, qui furent également des ptits'cos lisent votre blog et pinaillent mon orthographe et qqs fois le choix de mes mots. Précieux disent-ils...Merci

EGEA : bon, certains ont es difficultés en maths, d'autres en orthographe : ce doit être l'asymétrie des facteurs....

Au passage, je note cette formule qui m'est tombée du clavier : "asymétrie des facteurs" : il y aurait une idée à creuser, non ?

6. Le lundi 26 octobre 2009, 23:38 par Françoise

J'ai lu vos commentaires , messieurs, et je ne sais pas si le temps est abstrait . Je ne suis pas étonnée (ceci n'est pas une faute , pas de panique ) que les insurgés n'aient pas la même notion du temps, ils n'ont pas la même relation aux générations suivantes, à leurs enfants et ceux des autres (là on parle de démographie, mais cela ne suffit pas).
Mais je ne veux pas être trop prosaïque ; en allant visiter l'exposition Soulages à Beaubourg ce soir, j'ai noté une parole du peintre, en pensant à cette conversation qui est la vôtre . Rien n'est plus intelligent qu'un peintre intelligent .
"Le polyptyque a été un moyen pour moi d'introduire une rupture dans la continuité d'une surface- comme , dès 1947, grouper des traces ininterrompues avec une forme se livrant d'un coup, c'était rompre avec tout ce qu'impliquait la continuité d'une ligne, trace et vestige d'un mouvement.
C'était le choix d'une simultanéité à l'opposé d'une continuité.
Décision qui induisent un rapport au temps et au sens fondamentalement différents."
P. Soulages , 1992

Enfin , en même temps, je ne suis pas certaine d'avoir éclairé le débat. Mais cette phrase était, dans le contexte, irrésistible.

EGéA : Soulages illustrera donc ce billet. Je l'ai vu à Montpellier, j'attendais d'aller à Beaubourg....

7. Le lundi 26 octobre 2009, 23:38 par Jean-Pierre Gambotti

Ratiocinons (suite)
Le « noir » de Soulages introduit par Françoise et votre titre « l’inversion du facteur temporel», m’ont immédiatement évoqué le…. « trou noir ». Oui, cet objet astrophysique tellement massif que nos petites intelligences en restent prisonnières quand on y tente une incursion! Mais quand on apprend que c’est une étoile qui s’effondre sur elle-même , que l’espace- temps peut se renverser au point de singularité et qu’à sa surface ( horizon) le temps s’écoule plus lentement qu’à un endroit plus éloigné, on peut trouver cette fulgurance, malheureusement, assez juste. Malheureusement, car l’Afghanistan est bien un pays qui s’effondre sur lui-même malgré les étais que sont les troupes de la coalition. Et il suffit de lire l’excellent article de Wikipédia (Trou noir, Horizon des événements) qui montre que l’écoulement du temps est fonction de la position de l’observateur par rapport à la surface du trou noir, pour juger que cette métaphore est appropriée pour imager l’aphorisme de la montre et du temps.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/363

Fil des commentaires de ce billet