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"Faut-il souhaiter le déclin de l'Amérique", de Thomas Snégaroff

La petite collection "à dire vrai", de Larousse, nous avait déjà proposé le dernier bouquin de JD Merchez sur l'Europe de la défense (voir fiche de lecture d'EGéA ici). Voici qu'elle nous propose un nouvel opus intéressant, avec les mêmes qualités : style simple, 125 pages, une bibliographie succincte, moins de dix euros : ça se lit en cinq trajets de transport en commun, idéal.

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Voici donc "Faut-il souhaiter le déclin de l'Amérique", de Thomas Snégaroff. Cinq chapitres : trois qui content un déclin incontestable, un qui raconte le moment Obama, le dernier qui explique qu'on ne peut pas se débarrasser de l'Amérique comme ça, et qu'elle recèle encore à la fois des ressorts de puissance qui continueront d'apporter leur inertie, et des "ressorts" internes qui lui permettront de rebondir. Tout d'abord, parce que l'Amérique est "la clef de voûte de la mondialisation". On sent chez l'auteur comme le besoin de contrer ce qui serait devenu une opinion courante : l'Amérique est sur le déclin.

Avant de revenir sur ce thème, signalons quelques citations, et les réflexions qu'elles inspirent.

  • " Le communisme s'est effondré comme un château de cartes. Au même moment, le Japon entrait en récession. En quelques mois, l'Amérique s'est débarrassée de son concurrent géopolitique et de son concurrent économique" (fait rarement mentionné).
  • à propos des csq du 11 septembre, certains "y ont vu finir le monde ancien, d'autres la preuve irréfutable d'un choc des civilisations. Ces analyses globalisantes parient sur un monde de chaos sans l'Amérique, sans l'Occident" : on note là l'assimilation du monde chaotique à un monde sans Amérique, et surtout l'assimilation de l'Occident à l'Amérique.
  • "L'Amérique n'accepte guère les institutions supranationales qui sapent sa souveraineté" : on notera en passant que l'Amérique naît en même temps que l'idée de souveraineté, avec Westphalie : à l'heure où la souveraineté change de forme, il est cohérent que son expression la plus accomplie se dénature, elle aussi.
  • "Après le 11 septembre, d'un défi, d'une promesse de conquête, la frontière devient un risque". M. Foucher a de longtemps distingué la "frontier" à l'anglo-saxonne, front pionnier conquérant, de la "border", délimitation frontalière à l'européenne. Avec le 11 9, l'Amérique passe de la frontier à la border.....
  • "ainsi, de fin, la diffusion des valeurs américaines est devenue un moyen"
  • "en réalisant le rêve de produits mondiaux, les FMN américaines ont largement 'désaméricanisé' leurs produits".
  • "à la veille du 11 septembre, seulement 2 % des Arabes écoutent Voice of America".
  • "l'émancipation de l'Amérique latine et les pertes de position en Asie centrale sont des manifestations indirectes spectaculaires de l'obsession sécuritaire américaine"
  • "le succès des SMP est le symbole d'une privatisation de la guerre et une manifestation éclatante et inquiétante du déclin de l'idéal civique américain" : intéressant, la SMP est ressentie comme un déclin, non comme une solution.
  • "La crise économique actuelle a porté un coup fatal à des classes américaines à la dérive (...) L'ascenseur social est désespérément en panne".
  • Obama : "son souci permanent d'évoquer les erreurs passées apparaît comme nettement plus original". "Il a eu l'intelligence de ne jamais chercher à représenter une rupture historique". "Sous des dehors révolutionnaires, c'est en fait un discours conservateur que prononce Obama". "les valeurs américaines ne sont jamais remises en cause. Elles ont une dimension absolue, ce sont des 'vérités' presque révélées".
  • "le pragmatisme d'Obama trouble beaucoup de commentateurs. Ils y voient des contradictions, voire des incohérences là où ils devraient y voir une adaptation constante à des enjeux différents". En fait, c'est de la Realpolitik : "la différence fondamentale tient au nouveau ton, dans la promotion affichée du dialogue et du multilatéralisme. Adapter ses moyens en fonction de la réalité du monde, n'est-ce pas cela de la Realpolitik?".
  • "pour autant, l'Amérique n'est pas aux abois".
  • "c'est précisément parce qu'elle a façonné le monde qu'elle est devenue indispensable" : VOILA l'argument majeur, la bottom line du livre.....
  • " la défense ne représente que 4 % du PIB, moins que durant la guerre froide".
  • "l'Amérique, clef de voute de la mondialisation".
  • à propos des relations économiques sino-américaines : "C'est ce qu'André Grjebine appelle un 'équilibre des déséquilibres', qui est à la géoéconomie ce que l'équilibre de la terreur a pu être à la géopolitique" : excellente comparaison... à ceci prêt que l'écroulement est plus probable....
  • "à nouveau, l'Amérique semble détenir les clefs de la stabilisation du monde" : là, je ne suis absolument pas d'accord... car cette proposition part du principe 1/ qu'un pays peut stabiliser le monde 2/ qu'on peut revenir à l'ordre ancien, en l'occurrence celui des Etats-Unis
  • "l'Amérique est incontournable pour dénouer les grandes crises de notre monde" : je n'en suis pas sûr : que ce soit le cas pour un certain nombre, je l'admets volontiers. Mais que ce soit vrai pour "les" grandes crises, sous-entendant ainsi une universalité, je n'y crois plus.
  • l'auteur conclut par ces phrases : "Contrairement à tous les empires qui se sont effondrés, et que l'Amérique regarde avec angoisse, craignant d'y déceler son destin, aucune puissance potentiellement rivale n'a aujourd'hui intérêt à la voir s'effondrer. Tel est l'un des grands enseignements de la crise actuelle".

On remarque dans ces lignes la légère ambiguïté de l'ouvrage : car si personne n'a intérêt à souhaiter l'Amérique s'effondrer, je crois qu'ils sont nombreux à souhaiter son déclin. Ou plutôt, souhaiter que ce déclin se poursuive. Car derrière tous les artifices, le livre est clair : il y a déclin, même si ce déclin est moins lent que ne le croient certains. Je ne crois pas en revanche à la capacité du rebond, ce que l'auteur laisse entrevoir comme possible.

Au fond, il y a une part de nostalgie qui anime le discours : les choses étaient plus simples quand l'Amérique dominait. Surtout, nous "Européens", nous régnons par procuration : ce n'était pas réservé à la seule Albion, et "nous" étions du même camp. L'Amérique est en déclin. Nous aussi, dès lors, et cela rend triste... Je suis moins radical qu'un Philippe Grasset qui pronostique un écroulement rapide....

A mon avis, il n'y a pas de doute sur la réalité du déclin, et le seul débat qui vaille se porte sur l'ampleur (et donc la rapidité) de ce déclin, et par conséquent sur les tendances qui animeront (verbe préférable à organiseront, car cette 'organisation' n'est justement pas sûre) la scène internationale une fois ce déclin mené à son terme. Pour le reste, ce livre est de très bonne facture, présentant honnêtement les choses, cherchant à donner une présentation équilibrée d'un processus inéluctable. A lire par tout honnête homme, cherchant un point complet de l'Amérique après la guerre froide, à la recherche de quelques faits et d'idées (pour nourrir une réflexion qui sait réparer un examen...) pourvu que l'on sache éviter la sorte de nostalgie de "l'America is back" qu'on sent pointer, de ci, de là....

Réf : on lira un blog qui s'intitule précisément "Faut-il souhaiter le déclin de l'Amérique"

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 16 novembre 2009, 20:31 par Un nostalgique de la France

"L'Amérique n'accepte guère les institutions supranationales qui sapent sa souveraineté"
C'est le principe même de l'expression démocratique d'un peuple: celui ci est souverain. Le caractère multinational, c'est l'empire qui domine les peuples et l'Amérique s'est construite contre cela.

L'Amérique n'est pas sur le déclin car elle a la compétence et le dynamisme d'une population qui aime le risque, la compétition et adhère très largement au libéralisme Schumpéterien et recréateur.
Son modèle d'immigration filtre largement les prétendants sur justement ce modèle.
En politique étrangère elle est passée de l'isolationisme originel voulu par les Pères Fondateurs au rôle de gardien (autoproclamé) des valeurs occidentales et démocratiques.

Évidemment l'émergence de la Chine voire de l'Inde lui redonne de nouveaux compétiteurs potentiels mais qui sont loin d'avoir son niveau technologique et de liberté d'entreprendre dans le cadre d'un pays de droit.
L'Amérique a ses crises et rebondit aussi vite qu'elle s'y est enfoncée.
Elle maîtrise l'accès aux matières premières chez elle mais aussi au Canada ou en Australie, alliés indéfectibles, plus le reste.

Sa puissance militaire est sans partage et le restera pour 50 ans au moins car leur maîtrise de la technologie militaire ne peut être rattrapé en 2 décennies par les Chinois ou Indiens tant que les USA continuent à courir avec un tel niveau d'investissement et d'innovation.
Les projections démographiques parlent d'USA à plus de 600 millions d'habitants à la fin du siècle.

Personne ne les concurrencera pour longtemps en terme de puissance nationale.

Les Européens et particulièrement les Francais ont une "schadenfreunde" mauvaise quant à l'Amérique qui les écrase dans leur orgueil d'avoir été et de ne plus être, en s'enfonçant dans la sociale démocratie dirigiste à l'Européenne ou l'on méprise le risque, l'entrepreneur et le soldat.
Mais ce mépris des forces vives d'un pays est justement le signe de la plus profonde décadence et une unification hypothétique de l'Europe n'y changera rien.
L'Amérique régnera sans partage tant que sa population adhérera au modèle et valeurs qui font sa force.
En tant que patriote français travaillant encore inlassablement pour le maintien à flot de notre défense, je ne fais que regretter qu'aucun homme d'Etat digne de ce nom n'ait voulu et pu restaurer la France. Mais même De Gaulle avait jeté l'éponge...

EGéA : Intéressant, de citer Schumpeter : c'est une percpetion alternative et séduisante. Toutefois, elle manque de modélisation pour aller au-delà des vues générales. Canada, allié indéfectible ? méfiez vous des positions acquises. Enfin, continuer de dire aujourd'hui "l'Amérique régnera sans partage" me semble être un position néo-impériale qui ne correspond pas à l'état actuel du monde, qui me semble plus chaotique (et épais) qu'au temps où l'ordre "régnait".

2. Le lundi 16 novembre 2009, 20:31 par Jean-Pierre Gambotti

Dans les pages Rebonds de Libération du 18 novembre, vous trouverez la thèse lumineuse de Zaka Laïdi sur Obama et le monde multipolaire. Je vous en conseille la lecture, elle peut éclairer votre débat.
Jean-Pierre Gambotti

http://www.liberation.fr/monde/0101603536-non-obama-ne-veut-pas-d-un-monde-multipolaire

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