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De la nation et du peuple juif chez Renan, par Shlommo Sand

Shlomo Sand a écrit un remarquable « Comment le peuple juif fut inventé », paru chez Fayard au printemps 2008 ;

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Ce livre, exigeant et complet, avait pour objet de prouver que l’origine uniquement sémitique du peuple juif est une construction moderne, destinée à servir un dessein politique, quels que soient les arrangements avec la vérité et quelles que soient les conséquences politiques, en Israël, de ce projet. Le livre est passionnant, et nécessite une fiche de lecture exhaustive que je n’ai pas eu le temps d ‘écrire, alors qu’il le faudrait. Livre exigeant, dont je ne saurais trop vous conseiller la lecture.

Mais revenons à celui qui est l'objet de cette fiche : les deux discours de Renan, avec une présentation par S. Sand, professeur d'université en Israël, là-bas pas en auteur de sainteté.

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Au début de son premier livre de 2008, Sand qui retrace les origines du nationalisme juif au XIX° siècle, mentionne le discours de Renan sur le sujet. C’est l’origine de ce nouveau petit livre, destiné à présenter à ses étudiants israéliens les textes de Renan, précédés d’une introduction générale. C’est ce texte, traduit de l’hébreu, ainsi que l’original des deux conférences de Renan, qui constitue l’ouvrage.

L’introduction, d’une quarantaine de pages, se divise en trois chapitres. Ils présentent Renan et décrivent son parcours intellectuel, notamment par rapport à la nation et à la question juive. Sand démontre en quoi Renan fut un précurseur, et en quoi son propos reste plus que jamais actuel. Ainsi, « aux yeux de Renan, la nation est avant tout une solidarité entre des sujets modernes et autonomes, désireux de vivre sous une même souveraineté. Pourquoi modernes ? Parce que c’est l’idée politique de détenteurs d’un libre arbitre qui crée la nation » (p. 26). Et Sand de retenir deux moments essentiels de la démonstration de Renan : « ce n’est ni la race ni la langue qui fait la nationalité », et « pour créer une nation, il ne faut pas uniquement se souvenir mais aussi beaucoup oublier » : cela sonne comme un démenti au devoir de mémoire qu’on ne cesse de nous claironner.

Quant au discours sur le peuple juif, Sand ne peut que se reconnaître dans la démonstration selon laquelle « la plupart des juifs dans le monde sont des descendants de convertis » : il y retrouve la thèse centrale de son livre précédent, et remarque que dès le XIX° siècle le fait était connu (et toujours soutenu par un Marc Bloch, dans « l’étrange défaite » de 1940). Et de préciser : « Les juifs ne constituant pas un peuple et se trouvant dépourvus d’une « culture populaire » commune, tandis qu’ils étaient dépositaires d’une culture religieuse séculaire, les adeptes modernes du sionisme furent obligés de nationaliser la croyance divine et d’intégrer dans le projet national nombre de composantes du culte ». (p. 44).

Suit le texte de la conférence « Qu’est-ce qu’une nation ? » fort citée en ce moment. Et c’est pourquoi il est utile de le (re)lire, car il conserve toute sa capacité démonstrative. Tout est dit dès la deuxième page : « on confond la race avec la nation, et l’on attribue à des groupes ethnographiques ou plutôt linguistiques une souveraineté analogue à celle des peuples réellement existants » (p. 52) : cf. ce que j’ai écrit sur l’ethnisme. « Les Nations sont quelque chose d’assez nouveau dans l’histoire : l’antiquité ne les connut pas » (p. 54). « L’oubli, et je dirai même l’erreur historique, est un facteur essentiel de la création d’une nation » (p. 59). Puis, après avoir étudié les divers fondements possibles de la nation ( : « nous venons de voir ce qui ne suffit pas à créer un tel principe spirituel : la race, la langue, les intérêts, l’affinité religieuse, la géographie, les nécessités militaires. « (p. 80). Alors ?

« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs : l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis » (p. 80). Ceci explique les deux racines du « plébiscite de tous les jours » (p. 82), si souvent cité mais jamais explicité. Or, une formule le dit simplement : « Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour faire un peuple » (p. 81). Ces conditions sont souvent oubliées par les tenants du « plébiscite » qui n’exposent jamais comment on y parvient....

Le texte suivant est beaucoup moins connu (« le judaïsme comme race et comme religion »). Prononcé en 1883, il explique l’utilisation du mot race qui signifiait encore, à ce moment là, peuple. Renan veut dénoncer une thèse courante à on époque, et encore du nôtre : « on se laisse volontiers à croire que ce petit peuple créateur est resté toujours identique à lui-même, si bien qu’un juif de religion serait toujours un juif de sang » (p. 88). Or, entre les religions nationales et les religions universelles, seules ces dernières ont survécu. Le judaïsme constituerait-il une exception ? Renan en doute. Il montre tout d’abord la primauté du judaïsme, qui invente une religion morale, universelle (p 95) : « apparition unique au monde, celle de la religion pure. Vous voyez, en effet, qu’une telle religion n’a rien de national ». Or, cette religion est prosélyte, aux époques grecques et romaines. « c’est le moment où l’ethnographie du peuple juif, jusque là enfermé dans des milites assez resserrées, s’élargit tout à fait et admet une foule d’éléments étrangers » (p 100). Ces conversions font que « à partir de cette époque le mot judaïsme n’a plus guère de signification ethnographique » (p. 111). « En d’autres termes, le judaïsme à l’ origine fut une religion nationale ; il est devenu de nos jours une religion fermée ; mais, dans l’intervalle, pendant de longs siècles, le judaïsme a été ouvert ; des masses considérables de populations non israélites ont embrassé le judaïsme ; en sorte que la signification de ce mot, au point de vue de l’ethnographie, est devenue fort douteuse ». (p 117).

Autant le dire : ce petit ouvrage est passionnant de bout en bout, et devrait être lu avec attention, en ces temps de débat national où on dit souvent n'importe quoi. Le géopolitologue s'en inspirera avec grande utilité.

O. Kempf

De la nation et du peuple juif chez Renan, Shlomo SAND, Editions « Les liens qui libèrent », Paris, octobre 2009, 124 pages

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