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Paroles d'officier, par J Dufourcq et JC Barreau

Voici un livre intéressant, à plus d'un titre. Et tout d'abord, plus par la façon dont il a été écrit que par son sujet, même si son sujet, n'est pas négligeable, loin de là.

1/ Au départ, il y a une idée d'éditeur, Claude Durand, alors directeur des éditions Fayard. IL réunit donc trois auteurs : J Claude Barreau, Jean Dufourcq et Frédéric Teulon. Le premier est un grand esprit, visionnaire et qui représente l'intellectuel, s'interrogeant sur l'armée (on se souviendra de l'excellentissime "Toute la géographie du monde" {fiche de lecture ici} qu'on ne se lasse pas de consulter pour sa clairvoyance ; de même pour "Toute l'histoire du monde") ; le deuxième est le spécialiste de la chose, accessoirement directeur de recherche à l'IRSEM. Le dernier est un agrégé, qui représente le "grand public" et pose les questions "de base" aux quelles les deux autres n'auraient pas forcément pensées, mais qui intéressent M'ame Michu.

2/ Les trois se réunissent deux ou trois fois pour définir les thèmes d'intérêt : ça négocie, se chamaille, s'accorde.

3/ Puis J. Dufourcq rédige un questionnaire, et l'envoie à une sélection d'officiers (60% de terriens, 60% de moins de 40 ans). Ceux-ci répondent, Jean trie, répartit suivant les thèmes, premier jet. Réunion avec les deux autres, ont affine : non pas en modifiant le citations des questionnaires, mais dans le traitement des thèmes, les sélections opérées.

4/ Voici donc un travail doublement collaboratif, qui le rend donc profondément original : à une classique enquête s'ajoute une écriture à trois mains où les prismes se conjuguent. Ainsi a-t-on non seulement les "paroles d'officiers", mais aussi la compréhension qu'on en a en dehors de l'armée (les questions sur le suicide, par exemple; ou encore "la France est-elle en danger?) : ce n'est donc pas seulement une affaire d'initiés, comme trop souvent dans ces publications militarophiles et donc claniques ; ce n'est pas non plus un reportage où une plume décrit une vaste enquête, comme un reporter envoyé dans une réserve africaine.

5/ Il s'agit ainsi d'une double médiation intelligente et de haute tenue. Et pour le lecteur, elle doit susciter un intérêt double : non seulement pour comprendre ces "officiers", mais aussi pour comprendre la distance entre les questions du public, et les préoccupations des officiers : c'est au fond cette distance qui est la plus passionnante.

Un livre hautement recommandable, donc...

réf :

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 25 mars 2010, 21:45 par Jean-Pierre Gambotti

Faire une fiche de lecture de ces « Paroles d’officiers » serait à mon sens inadéquat, la nature des sujets et la qualité des réponses méritent plutôt une solide exégèse que ne manqueront pas de conduire ceux qui s’interrogent sur ce que pensent certains de nos « grands muets » !
Je ne ferai pour ma part que quelques commentaires.

D’abord j’insisterai sur le fait que les officiers sélectionnés appartiennent ou appartenaient à la pointe de diamant de nos armées, la photo de couverture est signifiante, cinq jeunes officiers du CID en conciliabule dans une belle cour pavée de l’Ecole militaire. Ce faisant la voix qui s’exprime est une voix très minoritaire quantitativement, mais fortement majoritaire si l’on considère la représentation de ces officiers dans le commandement et la technostructure de nos armées. Aussi les lecteurs- blogueurs ne devront pas s’étonner que les propos tenus dans cet ouvrage présentent quelques différences avec les véhémentes diatribes « sous x » des blogs de certains journaux et magazines parisiens.

Ensuite je m’interrogerai sur la part relativement congrue réservée à l’éthique dans ce questionnement alors que je considère la morale comme cardinale dans l’exercice du métier de soldat. Je pense même que ce mot galvaudé et abusivement utilisé dans d’insignifiants espaces sociétaux, nous devons le réintroduire dans notre vocabulaire, nous le réapproprier vigoureusement et rappeler à ceux qui en doutent que l’éthique est consubstantielle à notre métier et peut-être à ceux qui en sont déficitaires dans la nation, que l’éthique est aussi consubstantielle à la citoyenneté.

Enfin je regretterai que nos futurs stratèges et futurs maîtres des opérations, s’il s’agit bien d’eux, aient une appréciation quelque peu erronée sur la pensée militaire française, ce qui démontre que notre formation à la guerre n’est pas absolument efficiente, pour faire dans la litote. A mon sens, et je l’ai défendu me semble-t-il à plusieurs reprises sur ce blog, tout a été déjà dit et écrit sur la guerre. Et si nous n’avons plus de Foch, de Beaufre, de Gallois ou de Poirier, par exemple c’est que nous avons, présentement, suffisamment de matériaux pour « penser la guerre ». Encore faut-il en avoir la volonté, c'est-à-dire de considérer que les concepts d’opérations ne sont pas issus de quelques fulgurances ou intuitions du chef, mais sont le produit d’une méthodologie, d’une maturation collective de l’action conduite avec rigueur, patience et détermination. L’instinct n’est pas exclu, encore faut-il solliciter d’abord l’intelligence.

Et puis soyons clair, si nos écoles, collèges ou académies avaient le courage de mettre sérieusement Clausewitz à leur programme, les opérationnels disposeraient du substrat intellectuel de base leur permettant de dominer la conception et la conduite de la guerre dans ses formes les plus caméléonesques. La pensée militaire ce n’est pas que de la théorie générale de la guerre, c’est aussi la production du Centre d’opérations, le noos au bénéfice direct de la praxis.

Je terminerai par un regret qui semblera dérisoire à ceux qui oublient que la friction et la gravité contraignent la liberté et l’agilité du terrien sur le champ de bataille, c’est l’absence du corps dans ce dialogue avec ces officiers. J’aimais dans certaines circonstances où le physique des hommes était fortement sollicité, rappeler cette formule tirée d’un document sur le commandement du général Lagarde, CEMAT, et citée par Jean Guitton « Le soldat pardonne rarement à celui de ses chefs qui ne lui a pas appris à se dépasser ». Et ce reproche n’est pas d’ordre esthétique, il signifie que le chef a d’abord le devoir d’entrainer ses hommes à l’effort, parce que leur survie, un jour, est à ce prix. Mais aussi parce que la victoire elle aussi est à ce prix, car dans la sidération et la panique de la bataille qu’évoquent Ardant du Picq, le corps doit aider la tête et permettre de reprendre la maîtrise de soi avant que le collectif ne puisse reprendre l’ascendant sur l’adversaire. De surcroît pour les chefs de tout niveau la longue, persévérante et fréquente confrontation du corps avec les lois de la physique et les contingences est-elle un exercice obligé du commandement. C’est particulièrement dans ces périodes de surproduction d’acide lactique et de stress, que se forgent les belles qualités du chef détermination, courage, volonté… Mais aussi permettent-elles, ces longues périodes d’effort de méditer l’action de guerre, un juste retour de la praxis sur le noos !

Mais ces commentaires sont dérisoires au regard de l’intérêt de ce livre. « Recommandable » disait egea, j’ajouterai rare et indispensable.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

Egéa : eh! eh! voici ce qui s'appelle lancer un débat. Reprenons en quelques miettes :

Elitisme (car c'est bien de cela qu'il s'agit, cher JP Gambotti, même si vous ne mentionnez ps le mot). D'abord, je suppose que la hiérarchie suppose une certain conception de l'élite, qui pourrait s'opposer à la critique. Ensuite, c'est justement l'intérêt du bouquin que de mélanger des préoccupations de civils et des réponses d'officier. J DUfourcq a, logiquement, regardé autour de lui à l'école militaire. L'échantillon a tous les défauts d'un échantillon, il  peut ne pas être représentatif. Toutefois, vu la méthode (long questionnaire) il faut trouver des questionnés qui se prêtent au jeu. Pas forcément évident. Enfin, les armées sont régulièrement auscultées, par les rapports sur le moral, et les sondages (CRH? C2SD, ..). Enfin, les commentaires qu'on peut lire sur les blogs de défense (et notamment celui de JDM) flirtent parfois (!) avec le poujadisme.... risques de la consultation large.....

Ethique : je ne suis pas d'accord avec vous : une grosse part de la production des "auteurs militaires" est justement consacrée à l'éthique et cette étude morale (Bachelet, Royal, ...).  J'ai l'impression (impression seulement, bien sûr) qu'il y a justement "abus" de discours moral.

Pensée : pas d'accord avec vous, on assiste justement à un renouveau bouillonnant de la pensée stratégique française, qui semble d'ailleurs la seule à être autonome par rapport à la pensée anglo-saxonne. 

Programme du CID : je crois qu'il y a beaucoup de choses à en dire. Certains lecteurs d'égéa sont en ce moment au CID, et j'ai cru comprendre que ce n'était pas forcément satisfaisant. IL y a là matière à débat. Appel à témoignage (Joseph, toi qui enseignes là bas, peux-tu nous en dire un mot?)

Acide lactique : nouvel adjuvant de la pensée stratégique ? intéressant.

Merci en tout cas pour ce commentaire de lecture.

OK

2. Le jeudi 25 mars 2010, 21:45 par Jean-Pierre Gambotti

Donc nous ne sommes pas d’accord sur grand-chose, mais c’est la loi du genre, par « balancements successifs » nous rapprocherons peut-être nos idées !
Je passerai sur l’élitisme, je constatais que les officiers dont les Paroles font l’objet de ce livre fréquentent les arrêtes sommitales des pyramides des grades et des fonctions plutôt que les points d’inflexion, c’est le choix des auteurs et l’argument du livre, no more comments.
Pour l’éthique, mon approche a toujours été de la considérer comme l’un des comburants de notre métier dans sa terrible humanité. Mais aussi dans sa très banale humanité. Je veux parler du fonctionnement de nos armées comme organisations sociales vouées à la Défense. Dans ce domaine du quotidien l’ethos est tout aussi fondamental que dans le domaine de l’action de guerre, même si la gloire rend peu visite au besogneux ! Veiller à la présence des boutons de guêtres pendant toute une carrière à fort Bastiani nécessite aussi, à mon sens, un capital de belles et indispensables vertus militaires. L’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction ressortissent au pouvoir, l’éthique de soutier, au devoir. Mais dans sa carrière, l’officier sera plus souvent Drogo que McChrystal !
Concernant la pensée militaire française je ne vous suivrai pas. Non que nous manquions de belles intelligences, au contraire, mais je pense que la focale que nous avons choisie pour observer la situation géostratégique actuelle, et le niveau de notre outil de défense, ne poussent pas à l’élaboration d’une stratégie équivalente à la brillantissime stratégie de dissuasion des généraux nucléaires, pour faire court. Certes nous « bouillonnons », ou plutôt nous œuvrons dans certains espaces interstitiels stratégiques et tactiques, mais cette activité ne pousse pas à la refondation de notre pensée stratégique. En revanche je crois que nous accumulons un formidable bagage opérationnel grâce aux retours d’expérience et que ces données fonderont si nécessaire une doctrine d’emploi des forces dans des guerres de type asymétrique. Mais si nous possédons tous les matériaux pour raisonner la stratégie du futur Livre Blanc, reste à agir sur la focale si nous le souhaitons, en espérant pouvoir lire l’avenir plus justement que dans les runes. Rappelons qu’après plus de dix années passées dans les postes clefs de la Défense, le CEMA descendant nous mettait encore en garde à son départ récent, contre une éventuelle surprise stratégique !
Je terminerai par l’acide lactique, en vous rappelant que G.Chaliand dit du terrain qu’il donne « le savoir de la peau ». Incontestablement notre métier qui « est tout d’exécution » s’apprend aussi par les pieds. Et la stratégie itou. Ainsi l’acide lactique, résidu de l’effort, est-il le marqueur de notre investissement dans le métier, plutôt qu’un quelconque adjuvant.
Mais j’espère que je ne choque pas ? L’effort et sa pratique assidue dans nos armées seraient-ils devenus révolutionnaires ?
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

égéa :pas d'accord sur tout ? que nenni, vous forcez le trait pour le plaisir de la polémique, du débat, et des beaux mots. Mais le terrain me convient également.

Elitisme : oui, ça manque de lieutenants et de capitaines, je suis d'accord avec vous. Difficulté d'accéder à eux, disons les choses nettement. IL faudrait donc une contre enquête 'paroles d'officiers subalternes".

Ethique : non, je ne la déconsidère pas. Je trouve que beaucoup s'abritent derrière des discours éthiques, compassionnels et, pour tout dire, politiquement conformes. Oui à la morale, non au moralisme. Ou plutôt : oui à la vertu, mot passé de mode. L'éthique se trouve trop sur la place publique pour qu'on ne soupçonne pas, a priori, celui qui emploi ce mot. L'abus rend toc.

Pensée stratégique : je partage votre analyse. Mais les quatre généraux de l'apocalypse avaient un pouvoir politique qui avait lui même des buts politiques. Autres temps, autres mœurs ....

Lactique : je ne sais si c'est le bon acide. Acide citrique, ou acide critique ? Adjuvant, comburant, nucléaire tout cela est bien chimique. Mais de quoi parle-t-on ? de l'éducation d'un officier? ou de pensée stratégique ? Gallois a-t-il transpiré ses idées grâce à des piétinements de fantassin ? répondre non ne signifie pas forcément qu'on méconnait le mérite du corps pour faire la guerre - et Clausewitz, vous le savez mieux que moi, le rappel. La guerre, acte physique, nous le savons. D'ailleurs, regardez nos fantassins cuirassés, avec leurs armures : leur alourdissement empêche leur agilité : y compris intellectuelle?

Amitiés

OK

3. Le jeudi 25 mars 2010, 21:45 par Jean-Pierre Gambotti

Ce n’est pas le plaisir des beaux mots qui m’importe mais l’usage des mots justes pour mieux défendre mes idées ! Mais il est vrai que je ne déteste pas les argumentaires robustes et si possible élégants, mes professeurs étaient de l’école de l’écrit….Enseignez, enseignez, il en restera toujours quelque chose, du moins je l’espère.
J’en viens immédiatement à notre petit désaccord sur l’effort et l’intérêt de sa pratique pour le bon exercice de notre métier. J’apprécie le drolatique raccourci entre le physique de l’officier et la pensée stratégique, et l’humour des « piétinements de fantassin » d’un général aviateur, mais je crois que si « la réflexion doit féconder l’action », selon la belle formule du Général (Vers l’armée de métier ?) il faut bien que l’une et l’autre se pratiquent assidument. Et il n’est pas exclu que la réciproque ne soit pas imbécile, c’est à dire que l’action rétroagisse sur la réflexion. Mais effectivement lorsque je parle de l’effort je vais un peu plus loin et j’aurais aimé être l’auteur de la formule de G.Chaliand, le terrain qui donne « le savoir de la peau ». Car croyez-vous vraiment qu’on peut traiter de la stratégie en négligeant ce « savoir de la peau » ? Ainsi l’acide lactique est-il aussi un résidu de la pensée. Mais j’accepte volontiers la critique quant à la compacité réductrice de cette formule !
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

égéa: il y a une vraie question sous-jacente à vos propos : faut-il être obligatoirement stratège pour être pertinemment stratégiste? autrement dit, faut-il être obligatoirement "homme de guerre" pour "penser la guerre" ? Allons plus loin : quand Clausewitz écrit "De la guerre", la pratique-t-il encore ? fait-il seulement  de l'exercice ? C'est toute la question du courage. De mémoire, je cite mes cours de Coutau Bégarie, évoquant comparativement Lassale (courageux, mais stupide) et Mannerheim (le dirigeant finlandais) qui sait décider le moment de signer la paix avec  les soviétiques. Qu'il faille donc enseigner l'aptitude physique aux jeunes officiers, personne n'en doute. Mais ensuite, à l'école de guerre ? Plus le temps passe, et moins ces qualités physiques présentent un atout.

Très cordialement aussi,, O. Kempf

4. Le jeudi 25 mars 2010, 21:45 par Jean-Pierre Gambotti

Ne nous crispons pas sur la métaphore de l’acide lactique, je méditerai sur un « éloge de l’effort » moins primaire au cours des mes prochaines randonnées à ski et je tenterai d’être plus convaincant ! Mais pour répondre à vos interrogations stratège vs stratégiste, je ferai dans le truisme : le stratégiste traitera différemment de la guerre s’il a une culture de l’action, et évidemment le stratège pensera différemment la guerre s’il est quelque peu stratégiste. Ainsi n’est-il pas nécessaire d’être homme de guerre pour étudier la guerre, mais je crois qu’il vaut mieux être un homme de guerre pour penser la guerre. Et penser la guerre dans l’acception fochienne, c'est-à-dire raisonner les opérations en s’appuyant sur des principes et produire une manœuvre répondant à la question de son épigone Gamelin : Comment avec les moyens dont je dispose, puis-je faire ce que je veux – atteindre le but de la guerre-malgré l’ennemi ?
Concernant Clausewitz, nous savons tous que De la guerre est l’œuvre d’un stratège sans être un ouvrage de stratégie- plutôt un ouvrage de philosophie de la guerre, et qu’ainsi son contenu est aussi précieux pour le stratège que pour le stratégiste. Cadet à 14 ans, âge auquel il participa à la campagne de France, Clausewitz est un bel exemple du stratège qui avait aussi « le savoir de la peau ». Indéniablement cette expérience de la guerre est l’une des raisons de la pérennité et de la pertinence de ses idées. Qu’il n’ait point « tiré » et « monté » assidument dans sa période intellectuellement et rédactionnellement la plus féconde n’en fait pas qu’un pur esprit !
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

5. Le jeudi 25 mars 2010, 21:45 par Un "inculte"

Un livre insultant pour les officiers qui ne sont pas issus de la voie directe, et vu par un "Amiral" qui n'a pas su faire preuve de toute la hauteur dû à son rang.

Un seul mot, repris par l'ensemble des officiers de l'armée française, affligeant, et pour ma part, attristant.

Des officiers meurent encore au combat, ne l'oublions pas, et arrêtez vos litanies et propos "philosophiques" qui semblent d'un autre age face à la réalité de notre temps.

Il reste encore des races de dinosaures à éteindre !!!

6. Le jeudi 25 mars 2010, 21:45 par

Ancien officier issu de Saint-Cyr (68 / 70), je capte la réaction du prétendu « inculte » ci-dessus comme prévisible et justifiée.

Avant même d’avoir ouvert le livre, l’on devine que cet ouvrage est pétri de pédantisme et totalement à côté de la plaque. Le choix de la photo, d’abord : quatre officiers des trois armées (deux pour l’AdT), plus un pékin qui ne dit rien, sont en train de tchatcher dans la cour de l’Ecole Militaire. C’est si conventionnel que l’on s’étonne de trouver ça ailleurs que sur une publication de la Dicod.

Puis ce titre qui insinue une notion de supériorité morale, cette notion est d’une autre époque. Nous sommes désormais dans une armée d’engagés volontaires. La supériorité de l’officier n’est pas autre que technique : la capacité au commandement, pour le dire simplement.

Mais ce titre insinue que sa supériorité est morale parce qu’évidemment l’on ne va pas parler ici de la manœuvre de la division blindée.
Du fait que l’on ne va pas non plus faire un bouquin où ces Messieurs comparent leurs conquêtes féminines ou leurs voitures, ni évoquent le tableau d’avancement, l’on va donc probablement parler des grandes considérations morales qui sous-tendent la vocation militaire. Mais alors, pourquoi seulement des officiers ? J’étais hier dans mon ancien régiment à l’occasion d’une cérémonie qui évoquait les quarante années de sa professionnalisation (3°RIMa) et je peux vous affirmer que les paroles des sous-officiers et des soldats, d’active ou devenus civils de tous âges, ne sont pas moins édifiantes que celles des officiers.

Le titre de ce livre est parfaitement déplaisant qui suggère que les officiers détiendraient une supériorité autre que technique et hiérarchique. C’est au motif de cette absence de différence morale que dans mon Amicale régimentaire on se tutoie sans tenir compte des différents grades que l’on portait autrefois.

L’on me permettra, pour terminer, un petit souvenir personnel assez significatif : je voulais m’engager à dix-huit ans (il y a longtemps) comme EVAT dans l’Infanterie de Marine. J’ai donc fait « les trois jours » et passé des tests psychotechniques. Au vu des résultats de ces tests, l’on m’a orienté vers le Prytanée (gratuit, car j’étais d’origine sociale très modeste) et vers le concours de Saint-Cyr (seul concours littéraire). Je suis donc devenu Marsouin comme je le voulais, mais avec un statut d’officier et non d’EVAT. Cette différence de grade, qui ne résultait que de ma capacité à passer un concours de culture générale et une formation technique poussée, ne me conférait aucune supériorité morale. Ce livre aurait été d'aspect beaucoup plus sympathique s'il avait été intitulé « paroles de soldats ».

7. Le jeudi 25 mars 2010, 21:45 par dufourcq

Réponse du dinausaure pédant élitiste à ceux qui fustigent son ouvrage "Paroles d'officiers".

Bien sûr rien n'est jamais parfait, encore moins un livre écrit par un amiral et deux civils. Je regrette que ce livre dont la substance a scrupuleusement été captée à la source ait pu en indigner voire en blesser quelques uns, et je leur demande sincèrement de m'en excuser. Mais au fond de moi je ne crois pas vraiment qu'il ait atteint dans leur honneur ou leur vertu l'ensemble des officiers de l'armée française comme il est dit plus haut. Beaucoup d'officiers de tous poils m'ont dit autre chose et sur un ton en général plus amène. Je ne crois pas non plus que la supériorité morale s'y affiche d'une quelconque manière comme le dit mon camarade nass qui était au Bahut en même temps que moi, soumis au dur régime de la valeur exigée par le travail et entretenue par l'effort et la camaraderie.

Bien sûr, il y a des propos partiels, partials, incorrects, insuffisants, superficiels. A l'évidence, la trentaine des officiers qui y ont contribué de façon spontanée mais aussi je crois réfléchie et responsable ne représente pas la totalité des armées françaises. Si vous voulez, d'ailleurs, une enquête sociologique rigoureuse sur ce milieu très composite, n'allez pas la demander à un éditeur comme Fayard, allez voir le SGA.

Ceci étant posé et d'ailleurs explicité clairement dans le livre page 253, j'encourage simplement mes détracteurs critiques et parfois même insultants (voir certains propos surprenants par leur violence type lutte des classes sur le web) à tout simplement lire le livre dans son intégralité et à ne pas se contenter d'en commenter tel ou tel paragraphe contestable colporté généreusement par ceux qui y voient une atteinte délibérée à leur dignité de soldat et de chef que personne, et bien évidemment aucun des auteurs, n'a songé à contester.

Je suis frappé par le fait que personne ne voit aujourd'hui clairement que nous ne sommes plus que moins de 30.000 officiers dans une France de 65 millions de Français et que l'anonymat guette notre confrèrie. L'un des objectifs que je poursuivais en répondant à cette sollicitation extérieure était de faire savoir ce que pensaient nos officiers aujourd'hui, c'était de tenter d'éviter que nous ne devenions invisibles, indiscernables, et au fond illégitimes dans notre pays et que le beau métier que nous exerçons au milieu de nos compatriotes ne soit plus perçu pour ce qu'il est, le service de leur sécurité en tous temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression comme dit la chanson ...

Bien sûr on peut faire mieux, alors à vous de jouer maintenant! Comme souvent s'y coller, c'est s'exposer, j'assume; mais le courage, intellectuel, doit aussi faire partie du paquetage. Organisons un petit colloque entre nous pour en parler, pour parler du courage d'être chef! D'assumer et de valoriser nos différences de métier, de savoirs, d'expériences, d'origines comme autant d'atouts apportés à la sécurité du pays.
Le débat peut continuer en vrai, autour d'une table, j'y suis disposé.
A vous lire.
Jean Dufourcq

égéa : Je suis un peu désolé que des commentaires aient pu être jugés insultants : en tant que modérateur, la responsabilité m'en revient et je prie donc les lecteurs de m'en excuser. Les critiques initiales m'avainet paru vigoureuses, mais authentiques t intéressantes. Je remercie J Dufourcq de ne pas céder à "l'ascension aux extrêmes" qui existe également dans les polémiques publiques : sa courtoisie est ici digne d'éloge.

Dépassons cette question de forme. Il y a, je crois, deux questions :

  • celle du débat , plus ou moins public, et donc de la parole des officiers, (selon le titre du livre).
  • celle du courage intellectuel, qui est légèrement différente, et qui est soulevée aussi par la réponse de jean Dufourcq.
Je souhaiterais qu'égéa contribue à répondre à ces deux questions. Connaissant la valeur intellectuelle des uns et des autres, je ne doute pas que les hommes de bonne volonté se conforment à cette ambition.
8. Le jeudi 25 mars 2010, 21:45 par

Nos armées pâtissent, depuis longtemps, d’un problème essentiel : au cours de leur carrière, nos officiers supérieurs et généraux ne sont jamais civils. De plus ils ont l’interdiction formelle de fréquenter les partis politiques. De ce fait ils n’ont pas la connaissance concrète, ils ont seulement entendu parler, des arcanes de la société qui les emploie.

Je reviendrai sur ce problème grave mais d’abord il faut aborder le petit problème récurrent, agaçant, des militaires (peut-être militaires, peut-être pas) qui semblent si mal dans leur peau qu’ils s’expriment sous anonymat même quand aucun devoir de réserve ne les y oblige. C’est ici le cas du pseudonommé « inculte » au commentaire n°5 ci-dessus. Je mentionne volontiers mon origine sociale à la fois parce que je ne suis pas le seul Saint-Cyrien d’origine modeste et parce qu’il faut rappeler sans hésitation, ni culpabilisation ni compassion qu’il y a seulement deux conditions (et pas trois) pour être cyrard : le vouloir et en être capable. Certains de ceux qui n’ont pas rempli ces deux conditions semblent revendiquer une sorte de discrimination positive qui compenserait leur manque de volonté ou de capacité. Le problème n’est pas nouveau, depuis longtemps abordé dans les popotes et résolu en laissant dire.

.
Mais ce qui est nouveau, c’est la Toile qui a permis à des pékins malins de voir la faille et de l’exploiter : c’est ainsi que sur les blogs, lorsque la conversation devient intéressante, l’on voit surgir des intervenants qui se prétendent « dolo » et viennent détourner le débat. Ce sont des trolls. Leur objectif pourrait être de s’amuser aux dépens des milis qui mordent à l’appât. En ce moment, il peut s’agir plutôt de militants d’un parti politique mal à l’aise et en voie de scission qui cherchent à confirmer que les militaires sont des « amateurs », des « imbéciles » et que l’on a eu bien raison de « leur botter le cul ». Soyons sûrs que tout ce qui s’écrit en ce moment sur l’armée française est analysé en cherchant les failles qu’une partie du microcosme pourra discrètement exploiter contre les militaires. Je regrette que ce livre montre, dès sa couverture, qu’il s’exposera à ce genre d’attaque et qu’ensuite il s’y expose effectivement.

Ceci me ramène au problème essentiel que j’évoquais au premier paragraphe. Vingt ans de fonction publique territoriale dont de (trop) nombreuses années au contact des élus m’ont appris à voir les choses autrement. Dans l’intérêt général il serait souhaitable que nos officiers supérieurs fassent preuve de moins d’angélisme et prennent conscience qu’il existe des gens qui sont supposés leur donner des directives et des moyens au nom du Peuple français mais qui, aussitôt que c’est leur intérêt personnel, n’hésitent pas à leur tirer dans le dos directement ou par l’intermédiaire de partisans plus ou moins camouflés. J'espère que ceux-ci me lisent, pour qu'ils sachent qu'on les a vus.

9. Le jeudi 25 mars 2010, 21:45 par Jean-Pierre Gambotti

Le commentaire n° 5 ne méritait pas que l’on monte au créneau en gants blancs, sabre au clair !
Tout le monde connait la formule de Talleyrand « Tout ce qui est excessif est insignifiant » et pour ma part, concerné par mon dialogue avec Olivier Kempf à propos de Paroles d’officiers, donc cible collatérale de cette vindicte anonyme, après un intense débat avec moi-même, j’ai préféré le silence…
Mais puisque l’un des auteurs s’est exprimé et que la polémique est installée, je voudrais citer la conclusion de la critique d’André Thiéblemont dans la livraison de mai de la RDN : « Cet ouvrage n’est pas une enquête, ce n’est même pas un essai ! C’est un précieux document : le témoignage en 2010 de la contestation latente d’officiers devant l’absence d’horizons d’une Armée française qu’ils ont au cœur. » Pour ma part, lieutenant en 68, je n’aurais jamais imaginé à cette époque que je lirais un jour un document d’une telle liberté, traitant d’une problématique, disons pour déplaire à certain, ontologique de notre métier. Sous notre réserve de soldats perçait déjà le mutisme qui a annihilé pendant des décennies toute réflexion libre sur la défense interdisant en particulier tout progrès doctrinal pertinent et participatif.
A notre camarade qui s’exprime sous X, restons dans l’euphémisme, je voudrais rappeler que « l’obligation de réserve » des militaires offre des espaces à la liberté d’expression et que le débat d’idées, pour être productif, ne peut être conduit masqué. Je voudrais lui suggérer de signer ses commentaires, c’est la meilleure solution pour soigner sa rhétorique,affuter la dialectique, peser ses idées et considérer que les mots ont un sens. Que derrière l’écran il y a aussi des sensibilités, des individus qui ont un passé et une expérience.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti


égéa : je dois à la vérité de dire que Jean Dufourcq ne faisait pas allusion principalement aux commentaires de ce blog, mais à des commentaires beaucoup plus virulents parus sur d'autres espaces webistiques que je ne citerai pas. Ceux-là ont d'ailleurs dépassé les bornes.
Je prends de plus la défense de "inculte" qui se voit ici la cible de reproches : le responsable, ne nous y trompons pas, est le maitre de ce blog qui agit en modérateur, c'est-à-dire moi.
Ensuite, la règle du jeu d'un blog est claire : on y signe, ou pas, ses commentaires. Personnellement, j'admets l'anonymat et les pseudos. N'allez donc pas lui reprocher la pratique habituelle des forums, même si je comprends votre souci de militer pour une parole responsable, c'est-à-dire signée : je signe moi-même ce blog.
A moi de voir si le commentaire est publiable, utile, pertinent. Je peux faire des erreurs d'appréciation : ce sont les miennes. Je les revendique, car elles permettent aussi de revendiquer la qualité qui peut exister par ailleurs.

10. Le jeudi 25 mars 2010, 21:45 par Jean-Pierre Gambotti

Soit. Mais il ne s'agit pas seulement de la gestion ou de la maîtrise d'un blog. Je ne reprendrai pas ici les termes de Michel Onfray dans une récente chronique du Monde, mais je suis d'accord avec son approche, la limite du pseudo c'est l'existence d'idées dans le débat. Le sénateur Lambert, défendant l'anonymat sur le web contre son collègue Masson, argumente: " l'usage du pseudonyme est dans la tradition française en matière de production intellectuelle." Je suis absolument d'accord, "production intellectuelle" pose justement la bonne limite, au bon niveau. C'est ce que j'apprécie sur egea.
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

égéa : je le concède. A une restriction près : sur Internet, personne ne garantit que l'interlocuteur est réellement celui qu'il prétend être. Qui me garantit que vous êtes, vous qui écrivez, JP Gambotti et non un affabulateur qui a , soit pris l'identité du vrai, soit inventé un personnage ? Cela me rappelle ce formidable bouquin de JF Deniau, "un héros ordinaire"....

11. Le jeudi 25 mars 2010, 21:45 par

La réponse à la question d’Olivier Kempf « Qui me garantit que vous êtes, vous qui écrivez, (l’un de mes commentateurs habituels) et non un affabulateur qui a usurpé l'identité du vrai ? » c’est qu’il existe deux indices techniques : l'adresse e-mail et l'adresse IP.

L’adresse e-mail du commentateur n’est connue que du modérateur ; le commentateur est probablement authentique si l’adresse ne change pas. Même chose avec l’adresse IP qui ne change pas, sauf lorsque le commentateur change de machine ou de connexion.
Bien entendu, ça ne constitue pas un « contrôle d’identité » au sens judiciaire du terme, mais ça donne des indices déjà sérieux d’authenticité.

En ce qui concerne le commentateur nouveau qui a inventé un personnage et que le modérateur ne connaît pas, il suffit qu’un contrevenant éventuel (au regard de la loi du 29 juillet 1881 notamment) puisse être retrouvé par une enquête judiciaire.

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Il y a deux sortes d’anonymats : vis-à-vis du Maître du blog (vous apprécierez la majuscule, cher Olivier Kempf) et vis-à-vis des lecteurs (ici pas de majuscule, mais c’est de la modestie du fait que je suis l’un d’eux). L’anonymat vis-à-vis des lecteurs me semble devoir être garanti si le commentateur le souhaite alors qu’au contraire l’anonymat vis-à-vis du Maître du blog serait nocif : tout commentateur doit pouvoir être retrouvé par enquête judiciaire s’il commet un délit qui n’est pas détecté par un modérateur pressé ou peu juriste, délit qui peut être plus ou moins discret, plus ou moins constitué (diffamation, incitation à la haine, etc) et dont l’existence ne pourra être confirmée ou infirmée que par un tribunal.

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Ce qui fait problème dans le débat sur l’anonymat de la Toile, c’est qu’on mélange deux notions totalement différentes : le délit clairement constitué et la simple impertinence. Il ne faudrait pas, sous prétexte de pourchasser le délit, que les pouvoirs publics restreignent excessivement la liberté d’expression.

Un procédé comparable a longtemps été cultivé par les autorités politiques et par le commandement militaire à l’encontre de l’expression du Soldat, en mélangeant les notions de « secret professionnel » et de « devoir de réserve », qui ne sont pas du tout du même niveau : le manquement au premier menace la sécurité de la Nation, des armées ou des militaires en opération, alors que le manquement au second menace seulement le confort intellectuel des autorités et dans certains cas, on peut l’espérer, secoue la paresse intellectuelle toujours prête à s'installer sous n'importe quel abri.
égéa : d'accord avec vous. C'est pourquoi j'ai publié le commentaire d'"inculte", impertinent et grognon, mais qui avait du sens. J'ai fondamentalement tendance à penser que les imprtiences sont, par définition, pertinentes. MAis attention, je parle d'impertinence, qui n'est pas l'insolence. L'insolence a un côté agressif que je ne vois pas dans l'impretinence, qui joue seulement sur les marges. L'insolence remet en cause le principe de marge, de limite. Or, je crois à l'utilité des "positions".

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