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L'invention des continents

Je vous l'avais conseillé à la veille de Noël. Madame Kempf, qui est futée comme savent l'être les femmes, me l'a offert le surlendemain..... et après l'avoir parcouru, j'ai attendu que l'été fût venu .. et je n'ai pas été déçu !

Ainsi donc, Cette "Invention des continents" de Christian Grataloup constitue un ouvrage remarquable et que je vous conseille vivement d'acquérir et même de lire : pas seulement d'en parler dans les dîners en ville (du style "oui, j'ai vu ça l'autre jour, on m'en a dit le plus grand bien, tu as raison, il faut ab-so-lu-ment que je l'achète")

Il est formidable pour plusieurs raisons.

1/ Tout d'abord, voici un ouvrage en reliure cartonnée et excellemment illustré, avec un papier de très bonne qualité, qui ne coûte que 23 euros. Je ne sais pas comment font les éditeurs, mais vraiment, ce n'est pas cher. Quand je dis que l'iconographie est remarquable, ce n'est pas mentir : elle est judicieusement choisie, de bonne qualité de reproduction et elle accompagne parfaitement le texte.

2/ Le texte, justement. D'habitude, dans les beaux livre, le texte est ennuyeux, un peu pédant, discursif, en fait... on n'achète pas un "texte" pour ses illustrations, et on n'achète pas un livre d'images pour son texte. Là, c'est totalement différent. Christian Grataloup a réalisé le fantasme de tout auteur: écrire un texte qui, par lui-même, vaut l'intérêt du lecteur, et en plus, l'agrémenter de toutes les illustrations nécessaires, d'autant plus pertinentes qu'il traite des représentations du monde.... cartes anciennes, portulans, allégories, mappemondes, peintures, gravures, ... le renvoi entre la carte et sa représentation contemporaine est remarquable et agrémente parfaitement le propos de l'auteur qui démontre une thèse et l'illustre non seulement d'arguments, mais aussi des reproductions de ces arguments....

3/ Quelle thèse, donc ? que la notion de "continent" qui nous paraît si naturelle, est au fond extrêmement ambiguë ; qu'il n'y a pas autant de continents que de parties du monde et que le découpage que chacun a à l'esprit est au fond fort imprécis. Il part de l'antiquité (et même de la Bible et de Canaan) pour descendre le flot chronologique et les conséquences des découvertes scientifiques, et de leur transmission dans la connaissance collective, donc commune, donc forcément partielle et simplificatrice.

4/ C'est la question du découpage du monde qui est posée. Il nous semble aller de soi, conséquence d'une méthode scientifique qui distingue pour classer et identifier... mais s'agissant des continents, cette méthode est-elle valide ? De même, Ch. Grataloup note, à un moment, que l'Asie a perdu son sens de continent pour représenter, aujourd'hui, la seule extrême Asie, quasiment réduite à la Chine et à ses rivages... Et l'Océanie, ce continent en est-il encore un ? (c'est après avoir lu ce livre que j'ai écrit le billet récent sur l'Australie, qui a suscité quelques commentaires).

5/ On sait que Grataloup est le leader d'une nouvelle école française de géopolitique, alternative à celle d'Hérodote. Il est spécialisé dans la géohistoire et la mondialisation. Il est ici très convaincant, et on en retire le même bonheur qu'à la première lecture de Foucher ou de Lacoste, justement.

Vraiment, ce livre est plus qu'hautement recommandable : il est indispensable et vous passerez d'excellents moments à le lire. Bravo à l'auteur et à sa maison d'édition (Larousse) qui ont fait un très bel ouvrage....

  • Christian Grataloup
  • "L'invention des continents"
  • Larousse, 2009, 224 pages, incluant les annexes (fort bien faites : atlas, index et bibliographie)

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 28 août 2010, 21:07 par Pierre AGERON

Voir critique par Hervé Regnauld (Rennes II) sur http://www.nonfiction.fr/article-31...

2. Le samedi 28 août 2010, 21:07 par yves cadiou

Merci de cette fiche de lecture qui va me permettre d’ajouter ce livre à l’impressionnante collection des œuvres dont je peux dire « je l’ai pas lu, je l’ai pas vu mais j’en ai entendu parler ». Non, je blague : en fait vous m’avez convaincu, j’ai commandé ce livre par internet et j’attends le facteur. Je vous en reparlerai peut-être mais je crois votre fiche de lecture assez claire pour pouvoir dès maintenant ajouter un commentaire qui porte sur le découpage du monde.

D’après votre fiche l’invention des continents serait un regroupement opéré par les géographes, un procédé de classification plus qu’une réalité géographique. Cette façon de voir nous raccroche à d’autres billets où nous avons parlé (euh… surtout vous mais on a suivi) des « archipels » et des « isolats civilisationnels ».
Comprenant que l’invention des continents est une construction intellectuelle qui a évolué au cours des âges, l’on peut supposer qu’elle évoluera encore. Avant de parler de l’avenir, je fais un détour par Arthur C. Clarke, auteur de science-fiction bien connu qui, le premier, a imaginé l’usage que l’on pourrait faire (et que nous faisons effectivement désormais) de l’orbite géostationnaire : http://fr.wikipedia.org/wiki/Orbite...

J’imagine pour ma part que les futurs « isolats civilisationnels » devront beaucoup à cette orbite : les satellites géostationnaires (télévision notamment) qui « arrosent » l’Europe sont stationnés à 35786 km sur l’équateur au dessus de l’Afrique et « arrosent » de ce fait aussi l’Afrique. Réciproquement et pour le même motif physique les émissions de télé africaines sont captées en Europe.
L’on peut faire le même raisonnement au-dessus des Amériques, qui sont couvertes par les mêmes satellites de télévision depuis l’île d'Ellesmere jusqu’au Cap Horn, satellites situés à la verticale de l’Amazonie.
Nous parlions l’autre jour de l’Australie, dont la population compte environ 10% de Chinois, effectif en augmentation. Un simple coup d’œil sur google-earth nous montre que l’Australie et « l’archipel asiatique » (Chine côtière, Corée, Japon) sont desservis par les mêmes satellites situés au-dessus du Pacifique ouest.
Or la télévision est un vecteur de culture. De ce fait l’on peut imaginer que les futures solidarités culturelles s’établiront selon des fuseaux au centre desquels stationneront ces satellites équatoriaux.

Dans ces conditions (je reviens à l’objet principal d’Egea) certaines solidarités stratégiques qui prétendent se fonder sur des solidarités culturelles sont destinées à s’atténuer : Otan et ANZUS notamment. Quant à la théorie du choc des civilisations, elle a du plomb dans l’aile grâce à l’orbite géostationnaire. Pour le même motif elle est heureusement supplantée par la réalité du mariage des civilisations qui est constamment la nôtre depuis que les Romains ont apporté la civilisation à nos ancêtres gaulois, que « grâce à la hache de Clovis que la patrie reprit conscience d’elle-même après la chute de l’Empire », que les Maures nous ont apporté leurs chiffres et l’algèbre, que les Vikings nous ont légué leur art de la navigation, et que beaucoup d’autres ont apporté leur part à notre culture collective. L’avenir, c’est que la réponse à la question du découpage du monde passera par l’orbite géostationnaire.

égéa : oui, mais Internet n'est pas géostationnaire, et la télé va disparaitre dans l'ordinateur et la VOD.

3. Le samedi 28 août 2010, 21:07 par

Bien entendu, Olivier Kempf, l’importance de la Toile ne doit pas être minimisée : elle contribue à l’entretien de solidarités culturelles, comme par exemple la francophonie dont ce blog fait partie. Nonobstant la Toile (vous avez dit nonobstant ? comme c’est bizarre), le découpage du monde en fuseaux est et restera favorisé par la nature avec ces mystères que sont la gravitation et la radioélectricité. Un satellite de télévision n’est jamais saturé par le nombre de ceux qui reçoivent ses émissions, alors que la Toile est parfois encombrée. Faiblesse supplémentaire de la Toile, certaines zones (en Afrique notamment) ne sont couvertes qu’en bas débit parce que le haut débit nécessiterait des investissements trop coûteux pour être rentables. Au contraire, un satellite de télévision est exactement le même s’il émet pour un million de récepteurs ou pour cent millions de récepteurs : si on lance un satellite GS pour couvrir la Chine, aucun dispositif supplémentaire n’est nécessaire pour que les Chinois d’Australie puissent le capter. L’on peut multiplier les exemples de solidarités culturelles d’un hémisphère à l’autre favorisées par le satellite GS et découpant le monde en fuseaux alors que la fibre optique ne suffit pas pour innerver les « archipels ».

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