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Les relations entre le commandement et le management.

Je poursuis mes études sur le commandement. Voici l'état de mes élucubrations sur la question du management.

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Je ne cache pas que j'ai longtemps dit, comme beaucoup, "le commandement ce n'est pas du management". Et c'est vrai. Il reste qu'il faut un peu creuser les choses et aller au-delà de la formule, certes rassurante, mais qui n'a pas force convaincante dans le civil. Bref, il s'agit bien d'un "essai", destiné à être charogné (comme disent les marins) : je compte sur vous.

Gouvernance : le mot est à la mode, car même s’il a une origine vieux-française, il a été réintroduit par l’usage anglo-saxon. Or, il faut bien constater la réticence de beaucoup d’officiers, qui voient dans ces choses plus des figures imposées que des aides réelles au commandement. Surtout, l’opinion courante affirme régulièrement que « commandement et management, ce n’est pas la même chose ». Pourtant, force est de constater que la pratique du commandement a radicalement évolué et se présente, dans une majorité de cas, comme du management.

Au fond, il faut revenir aux sources et bien distinguer le commandement des hommes (à la guerre, à la paix), et le management des organisations qui accompagne cette continuité. Ce travail analytique a été peu conduit, il paraît pourtant essentiel.

Plénitude du commandement.

A l’origine était le rapport Bouchard 1. Ce rapport d’un député, en prélude à la loi de 1882 sur l’administration de l’armée, examinait les raisons de la défaite ignominieuse de 1870. Comment en effet concevoir qu’une armée, élevée aux principes napoléoniens tout au long du XIX° siècle, ait pu déchoir à ce point ? De ce moment-là date la création de l’école de guerre, décidée afin d’imiter le modèle allemand qui avait montré ses vertus 2 . Mais la loi de 1882 a surtout posé un principe essentiel, qui a sous-tendu l’organisation des armées pendant plus d’un siècle, celui de la « subordination des services au commandement ». De là vient l’autonomie organique des armées, de là vient la « plénitude du commandement » qui confiait au chef de corps l’autorité sur l’ensemble des services administratifs, et pas seulement sur les opérations. Cela entraînait que les colonels, dans leurs garnisons, devaient s’occuper non seulement de l’entraînement, mais aussi de matières « vulgaires » comme l’administration, les finances ou l’infrastructure.

Ces principes sont restés assez stables tout au long du siècle, malgré quelques amendements : pour la période récente, on citera le décret de 1982 (définissant les attributions propres du CEMA par rapport aux CEM), de 1991 (décrets dits « armée 2000 ») et de 2005 (renforcement des pouvoirs du CEMA), allant tous vers une interamisation accrue et donc la mise en commun des moyens de soutien.

Les réformes engagées en 2008 ont poussé la logique à son terme et radicalement modifié ce dispositif. D’une part, la création d’une chaîne interarmées du soutien qui regroupe l’ensemble des bases de défense a définitivement mis fin au niveau local à la notion de « plénitude du commandement ». Le commandant de formation demeure responsable des opérations et de la maintenance, quand la base de défense est responsable de l’administration générale et des soutiens communs (AGSC). Le chef de corps bénéficie donc des services de la base selon la demande qu’il fait : il ne peut plus « l’ordonner ».

On s’aperçoit ainsi que ces questions « administratives et techniques », qui avaient été régulièrement décriées par nombre de chefs proclamant leur volonté de se concentrer sur « leur cœur de métier, les opérations », constituaient finalement un outil essentiel de liberté d’action au quotidien de ces mêmes chefs. Toutefois, la réforme était inéluctable, et pas seulement pour des raisons d’économie ou de réduction de format, comme beaucoup l’ont cru. En effet, l’environnement avait radicalement changé par rapport aux conditions du rapport Bouchard, conditions qui avaient plus ou moins prévalu tout au long du XX° siècle, en fait jusqu’à la fin de la guerre froide.

D’autre part, cette chaîne interarmées du soutien est placée sous l’autorité directe du CEMA, qui dispose pour cela du centre de pilotage et de conduite du soutien (CPCS, regroupant l’ensemble des bases de défense) et du service du commissariat des armées (SCA, regroupant les trois commissariats d’armée). La subordination des services au commandement demeure, mais alors qu’elle était déconcentrée jusqu’au niveau du corps, elle ne l’est plus qu’au niveau central 3.

La modification de l’environnement

L’environnement moderne des armées s’est beaucoup transformé. On peut bien sûr évoquer des facteurs propres à la sphère publique 4 : tout d’abord, l’interarmisation a crû, comme l’ont illustré les derniers décrets de 2009 qui placent les chefs d’états-majors sous la subordination directe du CEMA. De même, la réforme de l’Etat a eu de grandes conséquences, qu’il s’agisse de la Loi organique sur les lois de finances (LOLF) ou de la récente Révision Générale des Politiques publiques (RGPP).

Toutefois, des facteurs extérieurs plus profonds sont à l’œuvre :

  • L’internationalisation et l’interministériel. Auparavant, on prenait une « opération militaire » qu’on adaptait aux circonstances. Aujourd’hui, une opération est forcément internationale (dans un cadre multinational : ONU, OTAN, UE, UA, ... ou bilatéral) et forcément en lien avec la société civile publique (interministérielle : MAE 5, MININT, MEFI, grandes organisations internationales : FAO, PAM, UNHCR… ) ou privée (ONG, grandes sociétés de reconstruction, sous-traitants locaux, SMIP, … ). L’action militaire s’insère dans une « coopération globale », selon les mots du Plan stratégique des armées.
  • La prégnance de la logique économique, qui pose systématiquement la question de la performance (Capacité à obtenir durablement les résultats attendus (efficacité) en utilisant au mieux les ressources disponibles (efficience) et donc du coût. Auparavant, la défense vivait selon une logique implicite suivant laquelle la fin justifiait les moyens. Aujourd’hui, les moyens conditionnent forcément la fin.
  • L’informatique. Le développement incroyable de cette technique a permis une automatisation des procédures, et la facilité de production des informations. L’ordre d’opération pour la percée de Saverne, signé par Leclerc, comptait trois pages. Désormais, n’importe quel Ordrops de GTIA compte une soixantaine de pages 67 ! On gagne en précision ce qu’on perd en intention, et en autonomie des échelons subordonnés.
  • La judiciarisation. Désormais, toute décision a besoin d’être justifiée, car en cas de problèmes, on cherchera souvent à établir « l’arbre des causes » pour déterminer les responsabilités des uns et des autres. Cela est allé de pair avec un étiolement du cantonnement juridique qui permettait aux armées de bénéficier, dans tous les champs du droit public, d’une situation « dérogatoire du droit commun ». La judiciarisation est l’outil de la « transparence », un autre mot en vogue. Il s’ensuit que l’exception de la décision militaire s’amenuise.

L’ensemble de ces facteurs a, forcément, des conséquences sur le commandement. Le retour de la France dans l’OTAN a permis de retrouver les mots de standardisation et de normalisation : mais ce qu’on entendait d’un point de vue opérationnel (l’interopérabilité) a aussi un sens plus général. Le commandement militaire, en temps de paix mais aussi en temps d’opération, doit être de plus en plus « fiable ». Il se normalise.

Autrefois, le chef pouvait donner un ordre sans avoir à le justifier, au motif des décisions prises dans la circonstance radiale de la guerre, qui débordaient sur les décisions du temps de paix. Aujourd’hui, la guerre est rare (en Afghanistan, on ne parle que d’opérations de guerre, puisque selon la Constitution la guerre doit être « déclarée ») et aucun chef ne pourra, en service courant, prendre une décision sans motifs. Cela ne signifie pas que ses motifs doivent être systématiquement exposés, mais qu’on doit pouvoir le faire en cas de nécessité. La décision du chef est « sacrée » mais elle est de moins en moins mystérieuse. Elle est de plus en plus justifiable, afin d’assurer les responsabilités.

Autrement dit : autrefois, le commandement était subjectif et les décisions se transmettaient entre deux chefs, qui étaient « sujets ». Aujourd’hui, le commandement est de plus en plus objectif. Le chef est à la tête d’une organisation, et il prend des décisions. Ces décisions sont certes « en situation d’incertitude », mais les marges d’incertitude sont limitées de façon croissante. Cette objectivation du commandement impose l’adoption de techniques « de management ». Le commandement est de plus en plus un management, même s’il demeure des situations exceptionnelles (heureusement, c’est ce qui fait la beauté du métier) où le management ne sert plus de rien. Le chef de guerre ne peut plus négliger les techniques managériales.

La convergence du commandement et du management.

Le mot « stratégie » est ambivalent, puisqu’il traite aussi bien des questions militaires (ou géopolitiques) et des questions d’organisation. L’histoire de cette évolution est décrite dans tout manuel de management. Ce qui est nouveau, c’est d’observer comment l’approche stratégique des organisations rétroagit sur le commandement, qu’il s’agisse de l’organisation militaire, ou de la personne du responsable.

On observe ainsi depuis une quinzaine d’années la diffusion d’une démarche de pilotage, qui a été acculturée dans les armées. Ainsi, le réseau pilotage constitue le seul réseau généraliste déployé dans tous les organismes du ministère de la défense, et plus particulièrement dans les armées. Et les cellules de ce réseau sont systématiquement placées aux côtés du chef. Au point qu’il faut considérer désormais qu’il s’agit, dans les faits, d’un attribut fonctionnel du chef, au moins en temps de paix 7.

Acculturation, car on observe récemment l’appropriation des techniques civiles selon des outils et un langage militaire. Ainsi, le récent Plan stratégique des armées, qui déploie la stratégie d’organisation des armées à l’horizon 2015, est orienté vers une vision stratégique énoncée par le CEMA, qui prend la forme de l’intention d’un ordre d’opération (en vue de…, je veux … ; pour cela….). De même, l’armée de terre a conduit sa transformation depuis 2008 à coup d’ordres d’opération, actualisés chaque année. La « carte stratégique » des armées a été entièrement refondue, et ne reproduit pas le schéma en croix usuellement proposé dans les manuels civils, mais a adopté un schéma triangulaire, organisé selon des axes stratégiques qui peuvent être assimilés à des missions.

De même, les documents subordonnés à ces plans ont beau s’intituler « Directives », « plan d’action », « tableau de bord », ils correspondent assez exactement à des pratiques militaires solidement ancrées (Ordres, exécution, compte-rendu), ce qui fait d’ailleurs que le système marche, et obtient d’ailleurs la reconnaissance de son efficacité par le monde civil. Autant dire que l’utilisation de techniques civiles, jointe aux qualités militaires permet d’obtenir des résultats réels. Surtout, elles modifient la pratique du commandement, mais pas forcément son essence.

En effet, l’essentiel demeure, pour les mêmes raisons que pour l’informatique. Si les décisions bénéficieront d’un appareil conséquent de données spécialisées, elles sont toujours de la responsabilité du chef. C’est toujours lui qui décide, quelle que soit la solidité de l’expertise qu’on lui apporte. Le chef est toujours celui qui est « responsable », aussi bien des succès que des échecs. Mais en même temps, ces dispositifs constituent une aide (pour dissiper l’incertitude) et une garantie. Sa responsabilité demeure. Le chef doit donc s’y intéresser, pour le maîtriser. Comme toujours, la technique et l’expertise ne sont là que pour épauler le but principal de la mission. Et s’il y a division du travail, et donc spécialisation croissante dans des métiers toujours plus raffinés, le besoin demeure d’une mise en cohérence de ces micro-domaines. Le management n’est que le moyen permettant au chef de conserver cette cohérence, qui est sa vraie mission.

Management et commandement ne sont donc pas si éloignés qu’on se complaît à le dire trop souvent, par méfiance et méconnaissance.

O. Kempf

1 Rapport à M. le ministre de la guerre fait au nom de la commission mixte chargée de préparer un projet de loi sur l’administration des armées, par M. Léon Bouchard, 16 mars 1882. 2 En effet, c’est à la suite de la tornade napoléonienne que l’arme allemande s’est réorganisée, inventant non seulement l’école de guerre, mais aussi une organisation moderne des états-majors. 3 On remarquera ainsi que le chef d’une BdD est un « COMBdD » : il « commande », ce qui nécessite d’ailleurs qu’il soit systématiquement militaire. 4 L’environnement géopolitique joue assurément son rôle : soixante ans de paix et l’éloignement durable d’une menace directe à nos frontières rendent la chose militaire moins évidente aux décideurs. 5 MAE : ministère des affaires étrangères. MININT : Ministère de l’intérieur. MEFI : Ministère de l’économie et des finances. FAO : Food and Agriculture Organisation. PAM : Programme alimentaire mondial. UNHCR : United Nations High Committe for Refugee. – ONG : organisation non gouvernementale. SMIP : Société militaire d’intérêt privé. 6 Il va de soi que la démultiplication des moyens (par une spécialisation de plus en plus poussée) ainsi que la complexité des systèmes d’arme permise par une technologie de plus en plus élaborée sont des facteurs de ce grossissement. 7 Ce qui impose d’ailleurs des difficultés réelles sur la continuité de ces systèmes avec le temps de crise et plus encore les temps d’exception qu’il faut toujours envisager, selon le scénario le plus exigeant du LBDSN : malgré toutes les espérances, la guerre n’a pas encore été bannie.

Commentaires

1. Le dimanche 23 janvier 2011, 19:04 par

Si vous ne voulez plus dire, cher Olivier Kempf, que "le commandement ce n'est pas du management", alors une formule voisine pourrait faire consensus : «le commandement c’est du management plus autre chose ». J’ai déjà eu le regret de vous contredire, par anticipation, ici sur cette question : « ma conclusion, c’est qu’il faut clairement différencier le commandement (militaire) du management (civil et militaire) », écrivais-je le 2 janvier dernier http://www.egeablog.net/dotclear/in... et j’en ai remis une couche le 6 janvier : « vous étiez capitaine, vous commandiez. Promu commandant, ironie du grade, vous ne commandez plus : vous gérez. Ou vous "managez" si le mot "gérer" vous semble trop prosaïque. » http://www.egeablog.net/dotclear/in...

Si l’on dit que "le commandement c'est du management", alors on doit se demander pourquoi l’on éprouve le besoin d’utiliser deux mots différents : dans notre fine langue française, même lorsqu’elle adopte un mot exotique, il n’y a pas de synonymes absolus, deux mots différents ne recouvrent jamais exactement la même notion. Ici, la différence est spécifique au métier de chef au combat ou préparant sa troupe pour le combat : c’est l’existence (commandement), ou non (management), du danger mortel créé par l’ennemi présent ou possible d’un instant à l’autre. Parce que le danger change tout, on ne peut pas dire exactement que le commandement c’est du management. Mais on est encore dans l’approximation si l’on dit le contraire.

Si l’on dit que "le commandement ce n'est pas du management", on est à côté de la vérité. Certes au combat, on gère la situation, on manage sans négliger la logistique, la comm, les voisins, les partenaires plus ou moins dignes de confiance, désormais la judiciarisation, les ingérences inopportunes d’incompétents ne doutant de rien : http://www.egeablog.net/dotclear/in...
Mais l’on fait plus que du management parce qu’on y ajoute la gestion des émotions, qui est sinon prépondérante du moins essentielle voire fondamentale : ses propres émotions et celles des subordonnés, aussi les émotions de l’ennemi pour les exploiter si c’est possible. Dans le management la gestion des émotions n’existe que très secondairement et seulement dans des situations conflictuelles, ou le plus souvent n’existe pas du tout.

En écrivant ceci j’ai bien conscience d’être très influencé par mon expérience de Capitaine de La Coloniale, expérience inoubliable mais ancienne mais rafraîchie par la fréquentation de mon Régiment. J’ai longtemps eu ensuite la possibilité de constater à quel point la pratique du commandement militaire, au feu ou en zone d’insécurité, « n'a pas force convaincante dans le civil » et n’en avait pas non plus auprès des brevetés d’état-major de la guerre froide. Par conséquent mon décalage est une certitude mais je suppose que mon point de vue, même s’il est périmé, n’est pas forcément inutile.
égéa : mais vous avez tout à fait raison. Ce bilelt vient enf ait à la suite d'une série d'autres où j'ai essayé d'évoquer aussi ces aspects là. Mais il m'a sembnlé intéressant de regarder justement la valeur des deux mots. Enfin, ce que vous dites est toujorus très vrai aux niveaux lesplus subrdonés, là où l'on fr"ééquente la troupe : lieutenant, capitaine, voire chef BOI et chef de corps. Vous aurez compris, sans doute, que je m'adresse à ceux qui ont passé ces étapes là et qui "servent" (c'est servile...) dans les états-majors et autres directions.

2. Le dimanche 23 janvier 2011, 19:04 par

Il est vrai que la différence entre management et commandement, de nos jours et compte tenu de notre organisation, résulte du grade mais là n’en est pas l’essentiel : la différence résulte de l’utilisation des émotions, « la qualité de la moustache et le mouvement du menton ». On manage plus qu’on ne commande au-dessus de chef de GTIA parce qu’alors on utilise rarement, voire jamais, les émotions. Les officiers qui servent en état-major ne commandent pas (au passage, en voici une qui est plus tradi que votre qualificatif de « servile » : « l’officier d’état-major est comme la porcelaine, il craint le feu mais supporte la décoration »).

Le grade n’est pas un critère absolu, le commandement n’a pas toujours été et n’est pas toujours réservé « aux niveaux les plus subordonnés » : l’Empereur ne manageait pas seulement, il commandait lorsqu’il pinçait l’oreille d’un Grognard ou déclarait « Soldats, je suis content de vous ». Clovis, Roi des Francs, commandait et ne manageait pas lorsqu’il promettait de se faire chrétien. Plus près de nous Gallieni commandait en déclarant « j’ai reçu mandat de défendre Paris contre l’envahisseur, ce mandat je le remplirai jusqu’au bout ». Exemple moins célèbre, j’ai connu un général, breveté de l’Ecole de Guerre et passé par le Centre des Hautes Etudes Militaires tout bien comme il faut, qui pourtant commandait réellement en opex et ne se contentait pas de manager : s’invitant à la popote, il était capable de raconter des « souvenirs glorieux et pittoresques » avant de lancer les chants tradi.

.
J’entends parfois dire, par des gens qui citent Clausewitz, que la guerre est un affrontement de volontés. C’est certainement exact et c’est pourquoi l’on ne peut pas se contenter d’y manager quand on a dépassé le grade de capitaine : pour affermir les volontés de son camp il faut aussi savoir au bon moment pincer l’oreille du Grognard, invoquer le Dieu de Clotilde, affirmer sa propre volonté d’aller jusqu’au bout, donner le ton pour les chants tradi à la popote.


Sur ce sujet qui pourrait surgir à un concours je n’ai pas le droit, parce que je ne suis pas général de brigade ni de division, de dire que « je constate » la rareté des commentaires des préparants, futurs brevetés et brevetés qui fréquentent pourtant assidument ce blog et que « je m’en étonne ». Cordialement

égéa : je suis également surpris de ce silence. C'est probablement qu'ils ont par ailleurs énormément de devoirs à rendre à al revue verte. Et surtout, qu'ils se considèrent plus consommateurs que producteurs : en cela, et même s'ils se croient tradis, ils sont bien de leur temps !

3. Le dimanche 23 janvier 2011, 19:04 par Jean-Pierre Gambotti

« ….Vous reconnaitrez désormais pour votre chef… »
Je ne voudrais pas proposer une réponse simpliste à votre question de cours, mais si j’avais à plancher sur ce sujet périlleux, je rappellerais d’abord que les seuls responsables qui commandent dans nos armées sont ceux qui sont désignés par cette superbe formule, au cours d’une cérémonie officielle présidée par l’autorité immédiatement supérieure. Et seuls ces « chefs reconnus » jouissent de la plénitude du commandement. Mais évidemment je n’ai pas répondu !
A mon sens, pour tenter de répondre juste, il faut avoir le courage de chercher un angle chez les sociologues des organisations plutôt que chez les « organisateurs » militaires. Car les entités militaires sont aussi des organisations, des systèmes d’hommes, et je crains de devoir ajouter, surtout à la guerre. Car les chefs, pas seulement reconnus officiellement mais que les événements adoubent, sont ceux qui ont d’abord maitrisé – managé- les problématiques ordinaires de l’organisation, pour avoir la possibilité de manœuvrer l’entité opérationnelle-commander- jusqu’à la victoire, j’oserais dire « pour le succès des armes de la France. »
« On ne change pas la société par décret », disait Crozier on ne commande pas un régiment seulement avec des ordres, peut-on paraphraser. Car dans ce complexe champ de forces qu’est l’organisation militaire, le chef doit d’abord être un expert des ressources humaines. Pour porter des hommes mus naturellement par des motivations personnelles à agir et s’investir dans une dynamique de groupe, c'est-à-dire arriver à ce que chacun agisse aussi pour l’autre jusque dans les circonstances exceptionnelles de la peur, de la terreur et de la sidération, il faut arriver à une forme suprême d’altruisme. Aussi, pour faire court, je dirais que commander c’est faire abandonner à l’autre son égoïsme naturel. Le reste est du management.
Mais mon éloignement d’avec toute forme de sanction académique me donne le droit d’être hors sujet !
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

4. Le dimanche 23 janvier 2011, 19:04 par Jean Quinio

messieurs,
à tenter de suivre vos réflexions je note des convergences sur les grandes différences entre commandement et management : les lieux où ils s'exercent, les niveaux hiérarchiques. Je note aussi que commandement et management ne peuvent être différenciés en raison de leurs objectifs qui peuvent être similaires, ainsi qu'en raison du contexte (friction, tension, stress...).
En revanche, je trouve qu'il manque sérieusement un élément : celui de la relation. Commandeur et manager ne sont-ils pas d'abord des personnes investies. Cette investiture est liée à d'autres personnes. Or c'est là qu'est à mon sens le cœur du sujet : la plus ou moins grande obligation qu'ont les uns et les autres vis-à-vis du chef. Le vocabulaire est d'ailleurs remarquable : subordonné (pour le commandé) et collaborateur (pour le managé). Quels sont les obligations légales des uns et des autres ? Qui peut abandonner sa mission, démissionner ?

PS: le concours français est plus tard cette année. cela fait un devoir de plus ...

J. QUINIO

5. Le dimanche 23 janvier 2011, 19:04 par vincent

Bonsoir,

Cette question me fait sourire car je l'ai eu à l'oral du CID il y peu de temps...
N'ayant eu à ce moment que 10s de réflexion, je vais juste exposer ce que j'ai alors exprimé avec les tripes plutôt que la cervelle.
Cette question rejoint celle plus large de la définition du commandement et j'avoue me l'être posée en entrant à l'école navale et me la poser toujours même si mes réponses ont évolué.
J'avais dit très simplement que commandement commençait de la même façon que le mot combat (mon fil directeur). Et toute la question est là, on commande certes au feu et au combat mais également quand on s'y prépare ou on s'y entraine. En revanche les activité militaires qui sont loin du combat (la finance, les appros, une partie de la formation...) sont bien le cadre d'une forme de direction qu'on appelle le management. Ces activités que je n'ai pas listées de façon exhaustive peuvent également être passionnantes et n'ont rien d'incompatible avec les qualités militaires.
Mais la notion de commandement a également une autre facette: si la plupart de militaires commandent à un moment donné d'autres militaires, peu exercent les fonctions de commandant. Il y a en effet, un abime, pour un marin, entre le commandement d'un service ou d'un secteur (unité élémentaire sur un bâtiment de guerre) et celui d'un bâtiment. En effet quand on commande dans ces conditions, on est seul...et seul responsable.
Et c'est je pense dans ces situations où on doit décider seul, en risquant parfois ses hommes et son matériel qu'on touche de près la notion de commandement.
Pour en terminer, si le management s'apprend dans des écoles dont c'est le nom, il n'y a qu'une seule pour le commandement, la mer pour certains, le ciel ou le terrain pour d'autres.
Cordialement

6. Le dimanche 23 janvier 2011, 19:04 par

"si le management s'apprend dans des écoles dont c'est le nom" > si on parle de "manadj'ment des hommes", ce n'est clairement pas le cas, hormis quelques éléments théoriques et études de cas plus ou moins simplistes ! Le terrain est là aussi la seule vraie école.

Une remarque en passant, j'ai l'impression (après être passé par une école dont c'est le nom et quelques années d'expérience dans le conseil en manadj'ment) que "manadj'ment" et "gestion" ne sont plus du tout équivalents dans la langue de Molière, le premier ayant absorbé toute la dimension humaine et dynamique, quand le second paraît plus technique, inanimé, statique. Question de sonorité, de langue, de polysémie ?
égéa : ah! je suis heureux qu'un civil interveinne enfin sur ce sujet, car je ne voyais que des mili m'expliquer ce que j'entends depuis des lustes. Qui n'est pas faux, mais qui mérite un peu de réflexion que le "c'est différent" ex abrupto, qui me fait souvent l'effet d'un acte de foi.
Moi, en ces matières, je suis pratiquant et tout disposé à être croyant, mais je rappelle que les deux colonnes de la foi sont l'intuition et la raison.

7. Le dimanche 23 janvier 2011, 19:04 par Idioma

Bonjour
Après le pincement d'oreille de Mr Cadiou, management voire commandement par sollicitation pertinente de la susceptibilité du consommateur, je franchis le rubicon de la production.
Faisons d'abord honneur au gestionnaire/manageur du site : j'estime pour ma part que les facteurs modifiant l'environnement et la convergence management commandement affectent tous les décideurs, sur le terrain ou en EM, moyens informatiques, judiciarisation, économie des moyens... affectent/aident/impactent nos décisions.
Pour Vincent :
Cher camarade, que je soupçonne issu de la même promo, je reconnais là le discours primant le "chef de guerre", certes combat commence de la même façon que commander, mais manoeuvre (terme terrien, doublement marin et aérien) commence lui de la même façon que manager! Je titille. En revanche je ne suis pas du tout d'accord concernant l'abime entre le commandement d'un service et le commandement d'un navire. Tes chefs de service peuvent être amenés aux même considérations (tu devineras aisément ma spécialité, mais tu deviendrais livide en prenant connaissance des évènements qui peuvent se passer en-dessous du pont principal, non par désir d'insubordination mais simplement par responsabilisation "à niveau" d'officiers, je parle bien entendu de risques mesurés mais pourtant souvent réels).
Au final, je trouve toujours cette distinction délicate, la présentation de Mr Cadiou me séduit Commandement = management + X car c'est mathématique et j'aime cela, reste à définir le X. La gestion des émotions? les actualités montrent que les DRH ne sont pas des plus calinothérapie avec leurs ouailles (mais changez l'intitulé RH en GH Gestion humaine, et déjà l'on gagnera en sensibilité) toutefois qu'il soit tyran ou docile, le dirigeant exprime des émotions qui, à mon sens, impactent le comportement des employés. En revanche je suis plus convaincu par l'aspect combat et je plagie l'expression "hostiles agressifs" de l'article la place du soldat dans la société, le commandant doit prendre en compte la volonté affichée de l'ennemi de le détruire, aspect affectant la sensibilité de chacun que ne pourra jamais ressentir un manageur. Concernant la responsabilité vis-à-vis du risque que l'on fait courir aux personnels et/ou aux matériels, ce marqueur ne différencie pas toujours le manager du commandant, allons demander leurs avis aux chefs de chantiers (ambitieux ou pas), aux chefs des plateformes pétrolières...
J'opterai donc bien pour une synthèse : commandement = management + confrontation physique avec l'ennemi/menace.
Au pire, une petite tautologie, "un commandant ça sert à commander, un manageur à manager"??

8. Le dimanche 23 janvier 2011, 19:04 par Nino

Les écoles de Saint-Cyr Coëtquidan proposent depuis peu un master en « management opérationnel » par validation des acquis d’expérience aux diplômés de l’EMIA justifiant de X années de chef de section, dont une expérience OPEX. N’aurions nous pas là l’once d’un début de réponse à la récurrente question ?

Plus largement, le débat sous-jacent est à rapprocher selon moi de celui portant sur l’indéfinissable lien armées-nation, dont rend compte O. Kempf dans un récent billet. Il tourne autour de la spécificité militaire, de ce qui fait de nous des citoyens à part, acceptant sciemment, tout du moins statutairement, de donner ou de recevoir la mort au nom de la Nation, parce que dépositaires de la violence légitime.

Petit problème, le monde Westphalien a vécu, et semblerait-il avec lui la définition Aronienne des relations internationales. Les managers disposent aujourd’hui de véritables états-majors, chargés de concevoir des stratégies d’entreprise tournées vers la productivité et répondant aux offensives combinées de la concurrence et du marché. Sur ce théâtre d’opérations global qu’est la finance, les managers sont eux aussi dépositaires de la violence légitime et, depuis la crise, plus seulement au nom de leurs actionnaires.

Comme toujours donc, traiter le sujet impose de reformuler la question. Se limiter à en définir les termes expose les prétendants à la vérité à ne la cerner que partiellement. Commander, mannager, au final qu’importe. Ce qui compte chez un chef, qu’il soit chef d’entreprise ou chef de corps, c’est la capacité à mobiliser. Pour rester chez Weber, que l’on soit investi d’une autorité traditionnelle ou fonctionnelle, nanti ou dépourvu d’autorité charismatique, la décision s’obtient par la capacité à faire agir au bon moment, au bon endroit et en juste quantité, les ressources disponibles. Principe tactique de base ou loi élémentaire de l’économie ? La frontière est ténue, les deux lectures sont pertinentes.

Je partage donc l’avis de notre hôte numérique sur la proximité des termes, la distinction entre commandement et management relevant plus selon moi d’une volonté de se démarquer du civil que d’un réel problème de fond.

égéa: discutant avec pas mal de responsables civils, sur ces questions, quand j'explique qu'un chef passe son temps à alternativement absorber le stress, et en diffuser, je rencontre un assentiment profond. Les qualités sont les mêmes, non ? autant dire qu'au-delà du débat essentialiste, qui attire forcément les officiers (puisque la profondeur de l'engagement possible pose la question du sens), une analyse qualitative suggère de profondes ressemblances au quotidien....

9. Le dimanche 23 janvier 2011, 19:04 par Karine60

Bonjour,

J'ai trouvé votre débat passionnant....et je saisis l'opportunité de vous poser 1 question et présenter une requête....
1- Quel est l'impact de la création de la chaine de soutien (AGSC) sur la pratique (côté chef) et le ressenti (côté subordonné) du commandement, maintenant que l'on ne parle plus de "plénitude"? Je pense notamment aux régiments de l'armée de terre : fonctionnement courant (RH, cadre de vie, condition du personnel), cohésion, réactivité, capacité opérationnelle etc
2- Je souhaiterais me procurer le rapport Bouchard dont il a été question. Où puis-je le trouver?
Cordialement
égéa :
Votre première question est cruciale, et aujourd'hui peu documentée..... Je trnasmets votre question au rédac chef de la RDN, qui prépare un dossier sur le sujet.

Pour la deuxième, c'est extrêmement difficle, car je ne l'ai pas trouvé en ligne. QUelqu'un pourrait-il nous aider ? au besoin, me l'envoyer scanné ou sous toute autre forme, et on essayera de le mettre en ligne.

10. Le dimanche 23 janvier 2011, 19:04 par O.S

Bonjour,
Le débat est passionnant, et en tant civil (bien que réserviste)je ne possède malheureusement pas toutes les connaissances techniques pour y contribuer pleinement.
Pour trouver le "management plus autre chose" évoqué par M. Cadiou, peut être faut-il revenir aux différents constituants de la grande stratégie, à savoir une stratégie opérationnelle, une stratégie déclaratoire et une stratégie des moyens. En effet, Couteau-bégarie rappelle que "la science du commandement, c'est la stratégie".

Ainsi, si on adopte cette distinction, le commandant est celui qui met en oeuvre ces trois stratégies (opérationnelle, déclaratoire et des moyens) à l'un des trois niveaux de l'action militaire (tactique, opérationnel ou stratégique). Au contraire, le manager serait le spécialiste de la stratégie des moyens, là aussi à l'un des trois niveaux évoqués.

Ceci permet de comprendre pourquoi des capitaines qui étaient des "commandants" (si l'on peut dire) lors de leurs déploiements, ayant la responsabilité de la mise en oeuvre des trois stratégies, se retrouvent managers en prenant un galon, suivant leur affectation en Etat-major. Ils sont simplement passés de commandants au niveau tactique/opérationnel à managers au niveau opérationnel/stratégique.

Je serais ravi d'être corrigé si mes impressions sont fausses.

Cordialement

égéa : votre catégorisation, surtout celle du dernier paragraphe, rejoins avec vos mots ce que je voulais exprimer : seule l'idée compte, et une réappropriation sémantique importe peu : nous sommes d'accord !

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