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Kadhafi : la fin est proche

Les rebelles libyens, descendus du djebel Nefoussa, ont coupé la liaison côtière entre Tripoli et la Tunisie. Ceci confirme le succès de la stratégie du salami, ou stratégie d'attrition, mise en place par les alliés. Autrement dit, on a beau me raconter ce qu'on veut, depuis des mois Kadhafi ne cesse de perdre.

source

Ceci amène quelques réflexions.

1/ Après, je veux bien admettre qu'il joue à "qui perd gagne" et qu'à ce jeu là, il va finalement gagner et que notre victoire sera une défaite, etc. Mais dans l'affrontement des volontés, la volonté alliée a prévalu, malgré les faiblesses du CNT.

2/ Voici la suite des événements :

  • fin mars, au moment de l'intervention franco-britannique, le colonel Kadhafi était aux portes de Benghazi : on peut certes discuter de sa capacité à investir la ville, et certains estiment qu'en fait, les alliés n'ont rien sauvé. Toutefois, symboliquement, ce sont eux qui ont donné un coup d'arrêt.
  • de fin mars à début d'avril, on a eu ces coups d'essuie-glace stratégique entre Brega et Ajdabyia : il reste que le front s'est stabilisé et que les insurgés tiennent maintenant le carrefour d'Ajdabyia, celui qui permettrait de contourner Benghazi jusqu'à Tobrouk. Aujourd'hui, on n'a plus ces inquiétudes.
  • mi avril, on a parlé de Misrata, assiégée : allait-elle tenir ? les bateaux des uns et des autres (humanitaires, bien sûr) pouvaient-ils accoster ?
  • fin avril début mai, on a réentendu parler des affrontements dans la barre montagneuse vers Naalout, au sud-ouest de Tripoli, et notamment des affrontements aux alentours de la frontière avec la Tunisie.
  • début mai, on évoque plusieurs raids sur des maisons bunkérisées de Tripoli : dans un cas, un fils de Kadhafi décède.
  • Fin mai, Misrata a desserré l'étau, repris l'aéroport, et les insurgés locaux parlent même de poursuivre leur offensive vers Kadhafi. On entend même des rumeurs d'insurrections qui se développeraient dans tel ou tel faubourg de Tripoli.
  • juillet : les combats reprennent du côté de Brega, tandis que l'insurrection reprend le contrôle de tout le djebel Nefoussa
  • 17 août : les rebelles prennent Garianne (80 Km sud de Tripoli) et surtout Zaouïa et Sourmane, deux villes sur la côte à l'ouest de Tripoli.

3/ Ainsi, Tripoli est virtuellement encerclée. Cela signifie que Kadhafi a raté le point où il pouvait encore négocier (le point culminant ?), lorsque l'incertitude de ses adversaires était à son comble, fin juin début juillet. Alors, il aurait accepté une retraite honorable dans une oasis du sud, et il réussissait sa sortie (même s'il est probable qu'il aurait été rattrapé par la justice de son pays, à l'instar de ce qu'on voit avec Moubarak en Égypte).

4/ C'est poser la question des négociations, et surtout de la garantie qu'on peut donner à un dictateur. Car il est coupable de crimes dictatoriaux (de guerre et contre l'humanité, je présume, et les juristes le préciseront bientôt) ce qui rend peu efficaces les garanties de sauf-conduit qu'on peut lui proposer. C'est l'inconvénient de ces guerres pour le droit et sous la juridiction de la CPI: le politique est forcé de se ranger devant elles.

5/ C'est la difficulté de ces guerres "légales" car on a voulu une "légitimité". Or, la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens, et non la continuation du droit par d'autres moyens. On n'est pas sorti de cette ambiguïté, celle qui fait qu’aujourd’hui les États n'entrent pas en guerre pour leurs intérêts (du moins officiellement) mais s'abritent derrière des justifications légalistes et pieuses qui s'avèrent finalement bien embarrassantes un peu plus tard.

6/ Dernière chose : Kadhafi a adopté une stratégie défensive : mais comme on l'a vu en lisant dernièrement Clausewitz, il n'a jamais pu l'utiliser pour reprendre l'avantage. La défensive n'est bonne que si on contre-attaque, après une guerre d'usure. Mais ici, c'est l'attaquant qui a mené l'usure : complexification des guerres modernes....

Réf :

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 18 août 2011, 15:59 par Christophe Richard

Bonjour,

Juste une petite réflexion en passant, cette campagne devrait être analyser à partir du concept de combat couplé "compound warfare", c'est à dire la synergie stratégique entre une force régulière invincible et une force irrégulière.
Ce couplage est difficile au niveau tactique, et il rend les opérations nécessairement plus lentes, par contre il reste stratégiquement imbattable, dès lors que la force régulière parvient au moins à sanctuariser la force irrégulière et à la soutenir.
Bien cordialement

égéa : oui, je ne connaissais pas le terme, mais il est expérimenté depuis pas mal de temps (Bosnie, Kossovo, ligue du nord.)

2. Le jeudi 18 août 2011, 15:59 par SD

Cela rejoint la notion d'hybridation de la guerre.

3. Le jeudi 18 août 2011, 15:59 par

"5/ C'est la difficulté de ces guerres "légales" car on a voulu une "légitimité". Or, la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens, et non la continuation du droit par d'autres moyens. "

Les vacances (ou pas, au vu de l'activité ici) ne vous ont pas fait perdre le sens de la formule !
Enfin il reste à anticiper ce qui va sortir de ce fameux CNT. Et là, bien malin qui y voit quelque chose dans l'entrelac ...

Vous êtes dans votre commentaire en 1 que c'est la Ligue du Nord ? U. Bossi apprécierait un soutien de ce poids mais je pense que vous vouliez parler de l'Alliance du Nord, appellation d'origine contrôlée pakistanaise dans le but de faire apparaître cette force comme non pashtoune et anationale.

4. Le jeudi 18 août 2011, 15:59 par Christophe Richard

Pour SD,

Bonjour,

Tel que je le comprend, le concept de guerre hybride renvoie à des acteurs non étatiques aux objectifs politiques "limités" (contrôle de territoires aux fins de leur système de prédation économique, maintien de leur influence...) qui disposent de capacités de niveau militaire.
Les Narcos mexicains (stratégie du parasite) et le Hezbollah (stratégie du symbiote) en sont deux exemples emblématiques.

Pour le combat couplé, nous sommes dans quelque-chose de plus classique, finalement Wellington en Espagne n'agissait pas autrement avec les guérillas locales (la guerre d'Espagne était un affrontement franco-britannique au milieu de 200 petites guerres locales franco-espagnoles).

Bien cordialement

5. Le jeudi 18 août 2011, 15:59 par yves cadiou

L’on doit bien sûr considérer positivement le fait que le parti que nous soutenons parvienne à ses fins. Cependant il faut se poser des questions qui se résument en deux mots : et après ? Kadhafi est resté au pouvoir pendant quarante ans parce qu’au fond il ne dérangeait personne.

On devine que ce sont ses accointances avec le président français qui lui ont été fatales. La résolution 1973 acquise, il n’y avait aucune urgence pour commencer les frappes : tenir compte des réticences notamment allemandes, russes et turques aurait été une bonne idée. Cette intervention intempestive est une nouvelle fois la marque d’une politique étrangère brouillonne et incohérente.
Heureusement le parti que nous soutenons a le dessus, ce qui limite les dégâts quant à notre positionnement international.

Tout le monde se demande maintenant quel genre de personnage succèdera à Kadhafi : rien ne dit que ce sera mieux.

Quant à notre armée, il reste que les militaires français ont encore parfaitement accompli la mission décidée par le pouvoir politique en dépit de la diminution continuelle de leurs moyens. On doit se demander s’ils ont raison de prêter ainsi le flanc aux comptables qui ne manqueront pas de conclure qu’on peut sans risque réduire le budget des armées.

égéa : votre dernier point est très pertinent.

6. Le jeudi 18 août 2011, 15:59 par Midship

@YC : doit-on pour autant ne pas faire ? Ne pas obéir ?

7. Le jeudi 18 août 2011, 15:59 par

@ Midship : certes non, mais nous réjouir parce que le temps est fini où on y allait « avec la bite et le couteau », ne réussissant nos missions qu’au prix d’une indiscipline qui compensait l’insuffisance des moyens (j’en ai témoigné comme vous savez). Je me rappelle que le Capitaine Jean-Claude Thomann était de ceux qui ne manquaient déjà pas une occasion de dire qu’il fallait arrêter de trop compter sur la fameuse « débrouillardise du soldat français ».

Nos protestations tombaient dans le vide mais aujourd’hui ce n’est plus le cas parce que nous pouvons désormais, en contournant le barrage des rédacteurs-en-chef, nous adresser directement et publiquement aux citoyens que ces questions intéressent et qui nous trouvent sur la Toile.

Par conséquent refuser d’exécuter, non certainement pas. Mais mettre les décideurs en face de leurs responsabilités en nous adressant directement aux électeurs parce qu’ils font la carrière des élus. L’on peut et l’on doit faire observer à nos compatriotes, en passant le cas échéant par des anciens comme moi et d’autres à qui personne ne pourra opposer aucun prétendu devoir de réserve, qu’il faut avoir les moyens de sa politique. Faire observer aux partis politiques qu’ils doivent cesser de présenter à nos suffrages des candidats incompétents et pour ceci en finir avec l’interdiction qui est faite aux militaires de les fréquenter.

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