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Clausewitz (VI, 9) La bataille défensive

1/ Clausewitz précise le rôle des aspects offensifs d'une bataille défensive : "le défenseur peut avoir recours à une bataille tactiquement offensive (...). Le défenseur peut attendre l'attaque ennemie campé sur ses positions et se borner avant cela à le faire attaquer par la défense territoriale. (...) Mais nous maintenons que la composante offensive de la bataille ne doit jamais être absente". (p. 300). A noter l'usage de la "défense territoriale", qui correspond à ce qu'on appellerait aujourd'hui une guerre de partisans. (nous y reviendrons dans le prochain chapitre) Mais l'intérêt vient ensuite, quand CVC pose la question du temps et de l'espace, par rapport à cette relation OFF/DEF.

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2/ "De même que le champ de bataille n'est qu'un point dans l'espace stratégique, la durée de la bataille n'est qu'un moment dans le temps stratégique. La mesure stratégique n'est pas donnée par le déroulement de la bataille mais par son issue et ses résultats". Cette phrase me semble essentielle, comme si elle décrivait une deuxième "fameuse trinité". On y distingue en effet les trois facteurs du calcul stratégique : l'espace, le temps, et les forces.

3/ "S'il était possible de lier une victoire totale aux éléments offensifs présents dans toute bataille défensive, il n'y aurait pour aucune différence stratégique entre bataille offensive et bataille défensive. C'est bien ce que nous pensons, même si les apparences sont différentes " (301). Cette phrase ne manque pas de sel si l'on considère l'intitulé du chapitre (bataille défensive) et celui du titre (la défensive) : cela fait des pages et des pages que CVC nous explique que la défensive c'est mieux, mais en précisant que c'est à cause des ferments offensifs que cela recèle, pour finalement en arriver à dire que l'un vaut l'autre. Je force un peut le commentaire, cela va de soi... Car le maître est plus subtil que ça.

4/ En effet, un peu plus loin, il répète : "Le défenseur attend l'attaquant bien campé sur ses positions : à cet effet, il a choisi et préparé son terrain" (facteur spatial). Au contact, le but est "de détruire un maximum de troupes ennemies en risquant les siennes au minimum " (facteur forces). "II a établi sa position en profondeur, a créé des réserves pour parer à l'imprévu et pour relancer l'action" (facteur spatial et temporel). "Cette réserve (..), dans la troisième phase de la bataille (je souligne) (...) peut être lancée sur un point des forces ennemies, ouvrant ainsi une petite bataille offensive (pour...) créer de la pression sur le centre de gravité de la bataille alors que la décision est encore dans la balance, afin de renverser la vapeur" (302) (facteur temporel et forces).

5/ Mais cette manœuvre n'est pas sans risque : "Concédons que dans une bataille défensive, le danger qui pèse sur les lignes de retraite est éminent. Si on ne peut l'écarter, l'impact de la défaite et de la poursuit initiale en sera vivement aggravé". On retient surtout que la défensive est d'abord une option manœuvrière.... bien loin de l'idée statique que l'on s'en fait.

6/ Mais alors, pourquoi la défensive est-elle si peu populaire, alors que selon CVC elle procure de meilleurs chances de succès ? "Dans l'histoire militaire, il est rare que les victoires remportées dans les batailles défensives aient été aussi éclatantes que dans l'offensive" (p. 304). "C'est que le défenseur est souvent en position de faiblesse (...) et souvent incapable de donner sérieusement suite à sa victoire" : comme si la défensive n'était pas un choix, mais une contrainte (infériorité numérique, rapfor défavorable, et qu'on ne la choisissait que pour combler ce rapfor défavorable en se mettant à l'abri de ses places-fortes.

7/ Du coup, "l’absurdité selon laquelle la bataille défensive n'est faite que pour repousser l'ennemi , et non le détruire, s'est muée en vérité première". Idiotie, selon Clausewitz, qui conclut : "nous réaffirmons que dans la forme d'action qu'est la défensive, la victoire n'est pas seulement plus probable que dans l’offensive, mais aussi son ampleur et son efficacité". Ici, le maître est moins convaincant : admettons qu'il plaide pour la défensive, avec des qualités réelles : de là à généraliser et à en faire la garantie du succès, il y a un emportement rhétorique excessif. Car CVC est aussi extrême dans son systématisme que celui de la fausse vérité qu'il dénonce....

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 28 août 2011, 17:49 par Jean-Pierre Gambotti

Sans vouloir faire dans l’uchronie, je pense que si Clausewitz avait travaillé lui-même à la publication de "De la guerre", il aurait taillé dans ces chapitres sur la défensive. Sa théorisation de cette deuxième forme de la guerre est tout à fait géniale et d’une modernité incontestable, mais je pense que toute la cinématique de la défensive est déjà dans le Chapitre VIII. Aussi éviterai-je de me répéter en présentant la défensive selon Clausewitz plutôt comme un exercice de tribologie, cette science des frottements, ou des frictions, pour utiliser un vocabulaire plus clausewitzien. L’assaillant est un corps en mouvement dont l’énergie cinétique s’épuise progressivement à cause des rugosités de la guerre et qui tend vers une vitesse nulle même si aucun obstacle majeur ne lui est opposé. Si le défenseur organise le freinage de l’ennemi en travaillant sur les "espaces interstitiels", ce dernier atteindra plus rapidement son élongation maximale, ce que Clausewitz nomme le point culminant, ce moment où l’ascendant change de camp, cet instant où le défenseur pourra porter "le coup fulgurant de la vengeance". La condition essentielle pour vaincre dans une manœuvre défensive c’est de disposer d’une profondeur stratégique suffisante. Chez les "relativistes restreints" la masse, c’est de l’énergie, chez les "tribologistes clausewitziens", l’espace, c’est du temps. Et le temps à la guerre est la donnée suprême. Citons le Mars de la guerre selon Clausewitz : « A la guerre il y a l’espace et le temps, l’espace perdu se reconquiert, le temps perdu jamais. »
Echanger de l’espace contre du temps et frapper au kairos, une clé pour lire certains désastres orientaux.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : deux choses :

l'espace c'est du temps : CVC est donc un stratégiste einsteinien avant l'heure !

Quand à la rugosité, cela fait penser aux espace lisses et espaces striés chers à Deleuze (voir par exemple ici), et qui sont réutilisés depuis peu par les stratégistes contemporains (voir par exemple ici).

2. Le dimanche 28 août 2011, 17:49 par Jean-Pierre Gambotti

Bien que dans un de mes billets j'ai tenté de rapprocher Clausewitz et Bertalanffy, je ne me revendique pas de Shimon Naveh ! Faire accepter les nouveaux théâtres comme systèmes est ma seule guerre, glisser Deleuze et Guattari dans l'équation serait suicidaire. Néanmoins je serais curieux de lire du Shimon Naveh "pour les nuls", son approche système semble séduisante .
Jean-Pierre Gambotti

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