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Fusée coréenne

Derrière les condamnations unanimes et panurgiques du tir nord-coréen, n'y a-t-il pas des éléments autrement significatifs, d'un point de vue géopolitique ?

source

1/ Tout d'abord, la profonde ambiguïté entre les mots "missiles" et "fusée". Donc, les Occidentaux dénoncent ce tir de "missile", sous-entendant une étape vers la prolifération et un accroissement de tension. Pourtant, les faits, rien que les faits : il s'agit du lancement d'une fusée et de la mise en place d'un satellite. Ce qui amène plusieurs commentaires :

  • comme je l'ai déjà indiqué, il y a plusieurs proliférations. Et une des plus importantes est la prolifération balistique. De missiles balistiques.
  • un missile balistique est "balistique" parce que sa trajectoire est, pendant quelque temps, exo-atmosphérique. Mais après, elle redevient terrestre.
  • une fusée, elle, reste dans l'espace. Ou du moins, soyons exacts, la tête de la fusée qui pose un satellite ou emporte une navette ou tout autre objet.

Conclusion partielle : en quoi l'accès à l'espace par la Corée du nord est-il condamnable ?

2/ Il reste, évidemment, que les techniques sont les mêmes (ou, soyons toujours exacts, présentent de nombreux points communs, au moins pour la partie initiale) entre un missile balistique et une fusée. Donc, implicitement, il y a "risque" de prolifération balistique.

3/ A quoi jauger ce risque ? aux intentions ? c'est en fait ce qui se passe. La Corée est jugée "hostile", donc on condamne son accès à l'espace même s'il est, en l'espèce, objectivement pacifique (avez vous remarqué que le missile a été tiré de la côte Ouest pour éviter que les débris ne tombent en mer du Japon, ce qui aurait été le cas si les Coréens du nord avaient utilisé leur pas de tir habituel, sur la côte est ?). Pourquoi pas, même si cela ressemble aussi à de la "fabrication de l'ennemi", pour reprendre les mots de P. Conesa. Toutefois, remarquons aussi le lien entre l'espace et le nucléaire (et plus généralement, les liens entre les différentes sphères stratégiques qui se recoupent mutuellement) : aujourd'hui, pour être une puissance nucléaire qui compte, il faut être une puissance spatiale.

4/ Une fois passée cette expression de relativisme qui me paraît saine, vis-à-vis des bêlements des médias, what else ? Tout simplement que le tir a été réussi, ce qui manifeste beaucoup de choses, et tout d'abord l'élévation du niveau technologique des Coréens du nord. Le satellite ferait une centaine de kilos (certains m'ont dit que ça pouvait aller jusqu'à 250 Kg) : ce n'est pas rien.

5/ De même, je constate une gestion médiatique bien plus évoluée qu'autrefois. Je l'avais déjà suggérée dans le dernier billet consacré au sujet, mais elle se confirme, avec l’invitation de journalistes au pénultième tir (qui avait d’ailleurs échoué), les photos de la compagne du nouveau leader et autres signes subreptices d'évolution. Poussons le trait : ne serions nous pas en face d'une évolution du régime, dans une sorte de mélange sino-vietnamien, de main-mise du régime par son autoritarisme, mais qui passerait vers un krypto-affairisme passant par le développement d'affaires avec le reste du monde ? A la différence de la Chine et du Vietnam, le symbole serait non le parti communiste, mais la dynastie Kim, largement épaulée par un entourage militaro-business qui aurait décidé d'utiliser la jeunesse du nouveau "grand leader" pour pousser ses pions. Cette évolution irait de pair avec une certaine technologisation, qui serait le vrai message stratégique du lancement d'hier.

6/ Se pose alors la question du "comment" : comment, en effet, un pays qu'on dit fermé (même si on commence désormais à avoir des reportages, ce qui était impensable il y a cinq ans) réussit à rattraper son retard économique, au point de mettre sur orbite un petit satellite ? Outre un territoire et une population assez nombreuse, outre une direction stratégique qui sait se fixer des objectifs et les tenir dans le temps, constatons surtout que l'essentiel se trouve désormais en source ouverte : la troisième couche du cyberespace, informationnelle, permet désormais (même sans espionnage) à réaliser assez aisément des performances techniques qui auraient été autrefois impensables.

Hypothèses, bien sûr. L'avenir nous éclairera...

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 12 décembre 2012, 20:42 par Patrick Saint-Sever

Remarquable papier, et point seulement, même si c'est essentiel, parce qu'il sort du consensus des agneaux plus silencieux qu'ils ne le pensent en croyant "s'exprimer"....
Deux remarques en forme de complément
- "la fabrication de l'ennemi A NOTRE MERCI" est le leitmotiv de la (pseudo) "communauté internationale", un concept qui est largement devenu le cache misère de notre isolement ainsi dénié. Certes nous refusons la prolifération nucléaire en violant ouvertement les textes qui la conditionnaient au désarmement de ceux qui s'étaient arrogé, aux origines puis récemment le droit d'entrer dans ce cercle restreint. Mais par un raisonnement controuvé nous en avons excipé un "droit" à interdire le vecteur qu'est le missile balistique. Or, ainsi que vous le rappelez fort bien ici, après l'étape de la bombe, celle du design du vecteur primaire (charge) et secondaire (lanceur) prend des décennies. Donc ce second aspect est en fait premier: nous voulons autoriser la fronde ou le cure-dents, maximum: nous qualifions (chez l'ennemi fabriqué, pas chez nous) d'armes lourde/destruction massive/de civils tout ce qui dépasse le fusil d'assaut (qui redevient arme lourde quand il sert l'ennemi intérieur en métropole...). Pour deux raisons me semble-t-il. Une évidente: zéro morts, avec un ennemi équipé d'aiguilles à tricoter (souples, hommage à Robert Lamoureux) c'est facile à obtenir et cela est devenu notre standard de "guerre"... Seconde, plus essentielle pour l'avenir: l'aiguille souple sera plus compatible avec l'état de nos budgets, surtout dans les décennies qui viennent, où le niveau REEL de dettes ... balistiques, nous fera tangenter les moyens techniques développés par les ... "sous développés".
- C'est le sens du second point: en réalité dans un délire qu'un psychiatre qualifierait mieux que nous, nous voulons à la fois (US mais aussi Europe) nous sanctuariser, géographiquement et historiquement: ah le bon temps où nous étions supérieurs/surpuissants. Et comme nous ne supporterions pas un simple pétard mouillé nous approchant, nous sommes prêts à faire la guerre zéro morts partout pour garder le zéro morts dans notre sanctuaire tout en pratiquant une politique d'agression systématique au nom de notre paix. Improbable dialectique, impuissante et délirante posture qui de surcroît est paranoïaque voire schizophrène: car il n'est point seulement besoin d'aller sur le cyber pour obtenir des technologies.

L'Occident les vend, et à tour de bras, souvenons-nous de ce président français transformé en porte serviette du lobby atomique offrant (comme cela s'est toujours fait, tartuffes, RELIRE DOMINIQUE LORENTZ) même à ceux qu'il allait bombarder et liquider quelques semaines plus tard, des installations atomiques, et des technologies du plus haut niveau: la chaîne de montage du Rafale est ce que nous vendons, avec les systèmes d'armes, pas la coque qui n'a pas grand intérêt (idem pour les BPC...).

In fine, cette posture est davantage le reflet d'un affaissement, voire d'un effondrement de puissance plutôt qu'une simple bassesse géopolitique. dans les deux cas le strike back en termes de "deux poids deux mesures" etc. que nous éprouverons sera certes invisible à court terme, mais puissant. Ne cherchons pas plus loin la source de l'ambiguïté chinoise: les continents arabo-persique et asiatique sont fiers de notre agressive trouille, nous les encourageons. Nous les excitons. Personne ne s'interroge quant à la perception par 4 ou 5 milliards de personnes de notre morgue face au djihad technologique iranien, qui a été CONSTRUIT par nous, au surplus...

N'oublions pas qu'aux tréfonds de tout cela il y a 150 ans déjà nous étions en train de conseiller (aider... Emile Bertin) les Japonais à construire non une flotte mais une technologie du cuirassé, idem envers les Russes et que seule une grille de béotien permit de découvrir horrifiés que les "jaunes" avaient battus des blancs (doublements russes blancs) à Tsushima, quand en réalité nous nous affrontions technologiquement et colonialement derrière ces paravents. Après avoir, avec une facilité déconcertante, humilié l'Asie, lui volant ses technologies (l'histoire du vol des technologies de tissage par les britanniques de la seconde révolution dite industrielle reste à écrire) et nos honneurs réciproques (superbes et grandioses guerre de l'opium, qui nous frappent au coeur une siècle plus tard...). Une Asie qui n'oubliera jamais.

D'ailleurs, qui a vendu les procédés des sous-marins d'attaques dernières technologies (anaérobies) qui grouillent autour des mers chinoises et asiatiques, certains de ces pays disposant de flottes en la matière supérieures à nombre de grandes puissances européennes?

Car, et c'est le point le plus essentiel: dans notre décadence économique et financière, nous n'avons d'autre choix que de vendre nos plus hautes technologies, souvent pour une bouchée de pain, d'ailleurs. Et ceci pour nous retrouver face à des clients devenus, selon les clauses mêmes de nos contrats, nos concurrents. Il serait intéressant de creuser la nature des contrats signés par le passé avec des pays tiers du monde, pour voir si le phénomène "proliférant" en matière spatiale ne relève pas d'un procédé cousin?

Bravo docteur, sortir du cadre est le seul moyen qui eut permis à nos civilisations occidentales de rester devant la vague. Game over? En tous cas, au plan métastratégique, nous jouons très mal cette (dernière?) partie. Nous n'avons même plus les moyens de nos agressives et piteuses crispations.

2. Le mercredi 12 décembre 2012, 20:42 par

Très bon billet, Olive... Je suis d'autant plus heureux que tu sois l'un des rares blogueurs à mentionner cette (volontaire?) confusion des médias et de maints gouvernements entre missile et fusée. Mais de qui se moque-t-on?

3. Le mercredi 12 décembre 2012, 20:42 par Colin L'hermet

Bonjour à vous,

Techniquement, les questions de prolifération balistique concernent les systèmes de fusées complets et véhicules aériens non pilotés (notamment les missiles balistiques, les lanceurs spatiaux, les fusées-sondes, les missiles de croisière, les drones-cibles et les drones de reconnaissance).

Les principaux sous-systèmes (dont étages de fusée, moteurs-fusées, systèmes de guidage et corps de rentrée) et logiciels et technologies connexes, ainsi que toute installation de production spécialement conçue pour ces articles, font l'objet d'une vigilance qui se veut internationale afin d'en encadrer voire limiter toute exportation.
Sont également ciblés, évidemment les éléments à double usage liés aux missiles, et les moyens de production des éléments énoncés supra.

On peut retenir 2 grandes catégories qui s'articulent autour du binôme charge-portée : capacité d'emport de 500 kg et portée 300 km.

On pourra utilement se référer à l'initiative intergouvernementale MTCR, quoique non contraignante pour ses membres (une petite trentaine, de mémoire, dont la France).

Sinon demeure, bien évidemment le Code de conduite de La Haye de lutte contre la prolifération des missiles balistiques (HCOC, 134 signataires) adopté le 26/11/2002 et dont on vient ironiquement (? voir votre point 5) de fêter discrètement le 10eme anniversaire.
Il ne traite que de mesures de confiance et de transparence entre Etats signataires :
. sensibilisation globale ;
. et prénotification des lancements spatiaux et tirs balistiques à fin de transparence sur le plan de la sécurité collective.

Il vise essentiellement à étayer le corpus juridique international émergeant :
. du Traité de 1967 sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes ;
. de la Convention de 1972 sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux ;
. et de la Convention de 1974 sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique.

En dépit de ces évidentes limites, c'est l'un des seuls instruments internationaux de lutte contre la prolifération balistique, aussi est-il parfois rappelé dans des Résol.AGNU.
Ce sont justement ces limites et ces flous, additionnés au recours simpliste à un droit international inachevé, qui permettent le battage intellectuellement malhonnête sur l'activité "balistique" de la RPCN.
Votre billet tombe point nommé.

Bien à vous,
Colin./.

4. Le mercredi 12 décembre 2012, 20:42 par Patrick Saint-Sever

Voici l'activité de l'un des fondateurs du MTCR http://www.spiegel.de/international...

diagnostic: non proliférant

autre exemple:
http://www.japantoday.com/category/...

Dernier point (d'interrogation): pourquoi hier lisions-nous que la RPCN démontait sa "fusée"? Les satellites étaient en grève? Les radars américains et japonais également qui avaient été jusqu'à évoquer une destruction du site de lancement? Bizarre...

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