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US: susciter l'incertitude ?

La stratégie, désormais, doit agir dans l'incertitude : c'est son milieu naturel, il n'y a rien de nouveau à cela. Une des principales incertitudes du moment tient à l'incertitude américaine. L'incertitude au sein des États-Unis, mais aussi incertitude provoquée par les États-Unis chez les partenaires. Au point qu'on peut émettre l'hypothèse : et si la stratégie américaine consistait non pas à agir dans l'incertitude, mais à susciter cette incertitude. Examinons cette hypothèse.

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Tout vient probablement d'une certaine incertitude intérieure des États-Unis. Cela est dû à plusieurs éléments :

  • la fatigue d'un système politique totalement obsolète, constitué selon des principes de la fin du XVIII° siècle. Dès lors, les pouvoirs sont en concurrence permanente avec en plus une logique ultra oligarchique qui accentue ce clivage fondamental. Toutefois cette oligarchie s'autonourrit à coup de think tank et lobbyistes (oui, c'est le revers de la médaille du spoil system : à l'alternance, les anciens aux affaires vont remplir les think tanks et les cabinets de conseil en attendant la prochaine) : il reste que cette multiplication des acteurs complique la décision au point que pour chaque problème, on se demande ce que veut Washington : mais Washington met un temps infini à savoir ce qu'il veut, sans compter les initiatives locales ou privées qui contredisent la politique de l'Etat. Les lignes politiques sont faibles, tardives, hésitantes, moyennes, instables.
  • la fatigue de la guerre, à la suite des expériences décevantes d'Irak et d'Afghanistan. Car M. Obama avait un projet politique : celui de sortir de ces guerres et de ne pas entrer dans de nouvelles. De ce point de vue là, on ne peut que constater sa cohérence et admettre, ex post, qu'il a mérité son prix Nobel. Il reste que malgré la récente QDR (qui n'a suscité aucun commentaire de la communauté stratégique française, allez savoir pourquoi) qui serait la première construite sous contrainte budgétaire, l'empire continue de dépenser 600 milliards de dollars par an. Mais ne sait pas très bien comment utiliser l'outil.
  • la fatigue économique et écologique. Certain s’émerveillent de la révolution des gaz de schiste, payée toutefois très cher en termes d'environnement. Elle est l'opposé du développement durable puisqu'elle consiste justement en une consommation accélérée. Comme toute l'économie américaine, peu productive, le gain est toujours plus de court terme et magnifie la logique américaine de l'ultra consommation immédiate. Pourtant, même ce système là s'écroule et les mécaniques financières infernales ne cessent de s'accumuler au-dessus des bulles toujours non purgées depuis trente ans. Autrement dit, la fragilité économique américaine est évidente : il n'y a plus de ticket de rationnement en France depuis 1947, il y en a toujours aux États-Unis.

On comprend que cette triple fatigue est à l'origine d'une profonde crise intérieure américaine : l'Amérique ne sait plus qui elle est vraiment. Elle est à l'ouest, dans le bleu, perdue. Incertaine d'elle-même, elle fabrique de l'incertitude.

Celle-ci apparaît logiquement dans la politique extérieure. Que veut l'Amérique ? surtout ne pas y aller. Au fond, malgré l'énormité de son dispositif militaire, malgré l'immensité de son soft power et de son brain drain, malgré la domination quasi frauduleuse de ses géants financiers, l'Amérique hésite à tout. Ne pas aller en Libye. Gérer l'Afrique de loin. Ne pas intervenir en Syrie. Abandonner la Géorgie.

Tous les alliés de l'Amérique s'interrogent : les Européens ont l'habitude, du moins ceux de l'Ouest qui ont passé la Guerre Froide à se demander si le lien transatlantique allait jouer. C'est très surprenant pour les nouveaux alliés de l'est qui découvrent, décuplée, cette incertitude de la garantie américaine. C'est très visible en Extrême-orient où Coréens du sud, Japonais, Philippins ne cessent de questionner l'intensité de la "garantie" américaine face à la montée en puissance chinoise (ce que vient d'illustrer le récent voyage de B. Obama dans la région). C'est nouveau au Moyen-Orient où l'Arabie Saoudite croit avoir été abandonnée, la Turquie ne cesse de se méfier et que même Israël se défie du grand cousin.

Il y a pourtant une certaine logique à cette incertitude : elle est la conséquence du déclin américain. Celui est certes relatif dans les chiffres, il est plus prononcé et visible dans l'ordre politique. Peu importe le gigantisme des moyens s'il n'y a plus la volonté de s'en servir. Inventer le "leading from behind" revient à dire qu'on ne leade plus.

Cela présente des avantages. On est moins prévisible et donc on augmente le nombre de ses options. De ce point de vue, voici de la bonne stratégie. Susciter de l'incertitude revient aussi à masquer ses intentions, donc à fabriquer de la surprise potentielle. Un vrai atout stratégique.

Encore faut-il que cela soit le résultat d'un vrai calcul. Or, l'observateur se demande si cette incertitude suscitée n'est pas plus subie par l'empire que vraiment voulue.

Mais il y a quelque logique à conclure un billet sur l'incertitude par une question....

A. Le Chardon

Commentaires

1. Le mercredi 30 avril 2014, 12:24 par un simple lecteur

Bonjour,
je suis entièrement d'accord avec cette analyse. En effet, les Alliés sont plus que circonspects devant les hésitations "obamaniennes" à s'investir plus fermement dans les crises actuelles. Mauvais présages que tout ça... Car la faiblesse et l'inaction du 1er Etat de la planète (et l'absence d'une Europe forte) encouragent les régimes dictatoriaux à se croire intouchables et à commettre l'irréparable. Cela me rappelle une célèbre phrase de Churchill au lendemain des accords de Munich....

2. Le jeudi 1 mai 2014, 12:03 par pss

Les Etats-Unis agissent, et fortement. Mais sur un plan vectoriel moins visible faute d'être moins essentiel, qui paraît virtuel (invisible) aux profanes quand il est essentiel: le financement par captation de l'essentiel des flux d'épargne mondiale, et le contrôle des rentes (énergétiques, process, brevets etc.). Comme cela passe notamment par la destruction de la crédibilité financière "européenne", il est bon de cultiver de tels doutes sur des sujets à ce stade périphériques (à ce stade, dis-je, car in fine, une fois le financement contrôlé, bien sûr le militaire redevient central) pour obvier ce point gênant pour nos dirigeants complices du "US building" à nos dépens. Pour qu'ils restent en place et accomplissent leur mission quand nous regardons ailleurs lors même que les manœuvres de destruction de l'euro comme vecteur de placement de l'épargne mondiale sont pourtant flagrantes.
Se méfie-t-on d'une super puissance alliée que nous osons décréter en déclin militaire avec notre poutre dans l’œil? Non, surtout avec un œil bandé... Le second revêtu de lunettes "guerre froide/ ils sont nos amis".

La substantifique moelle analytique du sujet du jour se trouve dans la conclusion, et dans l'image:
Le terme stratégique est "billet", la synthèse est la photographie: les USA comme Obama sont sur le sable et font de la "deception" pour dissimuler le sable: l'imbécile (we the people) regarde le doigt d'Obama, ou lit Le (phare du) Monde qui "guillemette" sur "Qui a peur du grand méchant loup américain" pour nous divertir, nous circonvenir, nous endormir.
Au fait, Le Monde s'est-il posé la question, lui qui a si vite oublié le sujet des écoutes (citoyens, politiques, industriels) de l'impact direct de l'espionnage de notre "allié from behind" sur l'affaire Alstom, ou les négociations sur le traité de libre échange et la possibilité pour les avocats d'entreprises US d'attaquer les Etats les entravant (ISDS), par exemple? Non. Mission remplie à 100%, les USA agissent, il suffirait de brancher le sonar pour suivre leurs évolutions... mais si le brevet et nos opérateurs sont américains... avec un bon brouillard venant d'Ukraine ou ailleurs... it is safe comme dit le dentiste du marathonien.

Clinton avait tracé la voie, et la grille de lecture: "it's all about economics (and financing), stupid!". A tout le moins, faute de "théorie de complot" (superbe concept forgé pour écraser toute analyse dérangeante), il apparaît stratégiquement prudent d'élargir le spectre des écoutes pour ne pas tomber dans l'un des panneaux que les amis Américains nous tendent, en nombre. Le soft power n'a de soft que le nom.
L'analyse US de nos psychologies est peut-être meilleure que nous le percevons: jouer sur nos vanités et notre mépris/jalousie, en affectant la faiblesse, c'est probablement plus intelligent que la politique vantarde de Bush, sans en changer les objectifs.

Le système lutte pour sa survie, il n'y a pas d'amis. La guerre est désormais financière et économique, avant tout. D'ailleurs, dotés d'un solide humour cynique, les USA nous rassurent: la guerre avec les Russes ne sera qu'économique et financière, comme... avec nos alliés!

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