Voici en effet un beau travail de 300 pages qui se lisent aisément, sans le jargon des stratégistes et sans les détails techniques dans lesquels certains auteurs se rassurent et se perdent, au risque de lasser le lecteur. Notre auteur a appris à écrire dans une belle école (normale-sup, je le précise) et cela s'apprécie à la lecture.

Son projet est ambitieux, comme le titre le laisse entrevoir. Pourtant, alors que beaucoup d'amateurs se risquent à des titres osés sans avoir les capacités, Christian Malis dresse un très beau panorama de la situation (géopolitique et) stratégique contemporaine. Je mets le mot "géopolitique" entre parenthèses car il s'agit bien d'un ouvrage de stratégie, portant sur la conduite de la guerre et les conclusions qu'on peut en tirer. Toutefois, pas de bonne stratégie sans le diagnostic préalable qui appartient, bien souvent, à la géopolitique.

Il s'interroge donc sur le "nouvel âge de la guerre" (chap. 1) pour démontrer que "la guerre ne va pas disparaître" (2), elle va juste changer de forme. Ainsi, plusieurs "cycles stratégiques" se sont succédé depuis les années 1990. Les perspectives stratégiques 2030 (3) dessinent donc un état du monde confrontant trois types d’États : les pré-Westphaliens (États faillis ou écroulés ou très fragiles), les États Westphaliens (souvent les émergents qui obéissent à une logique classique des relations internationales), les États post-westphaliens, le plus souvent européens et se targuant d'être à la pointe du progrès. Toutefois, cette pointe paraît très décalée par rapport à la majorité sans avoir la force d'entraînement qu'elle eut dans le passé.

Ceci nous amène à un troisième âge nucléaire (4) où il faudra probablement gérer la multipolarité nucléaire, l’avènement de nouveaux acteurs de la guerre (5), soldats numérisés, robots, forces spéciales, sous-traitants de toute sorte, enfants-soldats, cyberguerriers... Le combat explorera de nouvelles limites (6), dans l'espace ou le cyberespace. Enfin, la technologie continuera d'influencer le cours de la guerre sans la déterminer (7) puisqu'une armée ne doit pas être considérée à la seule aune des troupes déployées (4000 hommes au Mali) mais en prenant en compte les appuis directs (40 000 h) et tout l'appareil militaro-industriel élargi, ce qui monte l'effectif à 400 000 : S'il y a toujours gros bataillons, ils sont beaucoup plus dispersés et spécialisés, et leur concours au combat prend des formes détournées. (Ici, je précise que le chapitre a beau s'intituler "technostratégie", il ne se perd absolument pas dans des détails techniques assommants, contrairement à ce que j'ai pu lire dans des critiques très rapidement parues après la sortie du livre : trop ?).

Le chapitre suivant s’interroge sur la question de la puissance au XXIème siècle (une micro remarque, je trouve qu'il s'est surtout interrogé sur les déterminants militaires de la puissance sans étudier assez le volet politique de celle-ci) avant d'explorer la possibilité d'un nouvel art de la guerre (9) qui pose la question de la sagesse, de la prudence, des lois et des coutumes. Le lecteur l'a compris, ces deux derniers chapitres sont plus délicats car abordant des questions non liées directement à la stratégie mais à son environnement.

Ainsi, une œuvre personnelle, fourmillant d'idées neuves et d'aperçus intéressant, dans un parcours cohérent et tenu : que demande le peuple ?

L'ouvrage est complété d'un index, de l'appareil de notes, d'une bibliographie classée. Le livre est important et fructueux et suscite de nombreuses réflexions. A l'évidence, le livre de stratégie de l'année (je le dis vite car je ne connais pas les publications de la rentrée)...

PS : ci-dessous, mes notes d'idées et les références correspondantes. Parce qu'une fiche de lecture est aussi un instrument de travail (surtout pour les livres importants, comme celui-ci, je me tue à vous le dire).

• Guerre et stratégie au XXIème siècle
• Christian Malis
• Fayard, 352 Pages, 22 euros.

O. Kempf

• 37 2ème âge nucléaire
• 65 : Pour la première fois de l’histoire, Chine et Japon sont simultanément des puissances régionales. Plus loin : Avec l bascule états-unienne avec l'Iran, les US s'appuient désormais sur des puissances non-arabes : Turquie, Israël, Iran
• 83 les trois mondes westphaliens
• 92 : idée des trois âges nucléaires. (IL n'indique pas si cette triade recouvre la triade précédente : à creuser)
• 123 naguère fluide, le soldat est augmenté, un cyborg
• 154 Il lie l'espace au cyber, car selon C Gray sont les deux lignes de communication des armées modernes
• 166 Manœuvre électronique intégrée : TB formule
• 169 TB notion de dissuasion par le doute
• 176 Csq de la loi de Moore sur l'espace : besoin de lanceurs moins lourds....
• 178 : X 37B et dissuasion spatiale
• 184: Technostratégie (mais en quoi est-ce différent de la stratégie des moyens ?)
• 198 Dans ce cadre, ne croit pas au modèle européen, conclusion très nette.
• 206 TB dvpt sur éco-stratégie!
• 208 La révolution robonumérique mettra fin à la loi d'Augustine
• 211 : Révolution militaire de la précision ? cf armes EM pages suivantes
• 237 Notion de diplomatie de défense, incluant prévention et démonstration de force jusqu'à la coercition au seuil de l'escalade.
• 256 sur la technostructure impériale US : il existe trois complexes !
• 265/268 : TB dvpt de la guerre limitée à la guerre retenue
• 282 Puissance des grands espaces...
• 283 Sécurité sociale versus sécurité nationale !
• 287/288 Influence et cyber. TB articulation stratégie directe/indirecte
• 288 Les 4 pôles de la stratégie directe
• 290 Rétorsion conventionnelle et angle mort nucléaire.