Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Moi René Tardi, prisonnier de guerre (tome II)

Subrepticement, le deuxième tome des aventures de guerre du père de Tardi, René, vient de paraître. René Tardi avait en effet été engagé dans l'armée française avant la guerre, dans les chars. Jacques Tardi, connu surtout pour son travail sur la Première Guerre mondiale, continue ici son travail de libération psychologique envers ce père taciturne. Dans le premier tome, il nous racontait non seulement cette brève campagne mais surtout la survie dans un camp de prisonnier, le Stalag III. Ce volume se concluait par la sortie du camp. Le deuxième tome présente la suite : celle du retour en France.

source

Toutes les qualités de Tardi sont mise en œuvre : un découpage serré, une maîtrise des noirs, une minutie historique qui résulte d'un long travail d'enquête. On appréciera ainsi le traitement donné à l'ambiance, très sombre et voilée au début, en période d'hiver, mais qui s'éclaire progressivement au cours de l'album, reflétant à la fois l'arrivée du printemps et l'éclaircissement du moral des prisonniers, à mesure qu'ils se rapprochent du but. Au troisième quart, des touches de couleurs apparaissent même jusqu'à une ultime case, toute en couleur pour manifester les retrouvailles.

Car il s'agit en fait d'une longue marche, élaborée à partir d'un bref carnet où le père de Tardi notait les étapes et de très brèves indications, une dizaine de pages (reproduites dans les intérieurs de couverture) à partir desquels le fils va élaborer son "histoire". Errances à travers la Poméranie, tours en rond au nord de Berlin en proie aux flammes, passage enfin du côté allié pour un rapide retour au pays.

Pourtant, il n'y en a pas , d'histoire : telle est la contradiction de cet album. Il "conte" une longue marche d'une bande de prisonniers, toujours gardés (escortés) par des soldats allemands qui continuent à appliquer les ordres dans la débâcle de plus en plus visible de cet hiver 1945. On est bien sûr étonné par ce mélange d'ordre et de chaos qui constitue l'autre histoire du livre. Tardi, pour agrémenter cette non-histoire, se représente tout au long du parcours. Un jeune Tardi, béret et veston mal ficelé, culotte courte et chaussettes tombantes, les mains dans les poches, qui dialogue avec son père et l'accompagne dans ce voyage dont les deux n'ont jamais parlé.

Voici ainsi un récit intime qui reflète plus les interrogations du fils que le vécu du père. Du coup, énormément d'à côtés sont donnés sur l'histoire de la guerre, la fin du Reich, tel bombardement, tel camp de concentration... Mais il y a une sorte d'interrogation solitaire face au silence de ce père taciturne qui n'a pas raconté ce qu'il a senti, au plus profond de lui-même, comme une défaite personnelle. Deux monologues silencieux qui ne font pas un dialogue et qui pourtant disent tant sur l'intimité des personnages.

Du coup, la virulence habituelle de Tardi, si nette dans ses œuvres touchant à la Première Guerre mondiale, paraît ici très atténuée car au fond, ce n'est pas de la guerre dont il est question. Celle-ci n'est qu'un décor. La révolte devient émotion muette.

BD intime et subtile, très intéressante pour ce tableau de la déroute du troisième Reich mais incontestablement atypique, cet album mérite le détour.

A. Le Chardon

Commentaires

1. Le vendredi 19 décembre 2014, 08:54 par le concombre masqué

Une très belle critique d'un ouvrage effectivement assez particulier, et incontournable, point seulement pour l'amateur de BD ou d'histoire. Car, c'est le paradoxe, si parfois Tardi fils pontifie manière politiquement correct, notamment sur les camps d'extermination, c'est une leçon d'histoire méconnue ce récit d'un cheminement vers et au travers le chaos, aux semelles de ces gens broyés, exposés à la mort mais surtout à celle de l'humanité (à commencer par la leur...), et pis encore, à la mort de l'utilité sociale*. Cette communication au-delà de l'incommunication avec le père (car la dimension philosophique d'une leçon de vie est intéressante, aussi) nous dit beaucoup sur cette destruction du sens subie par ces hommes, ces combattants improbables d'une défaite étrange, ces premiers ... post Français?

Quant à Tardi dessinateur ce n'est pas au Chardon, féru de BD, qu'à son lectorat qu'il faut rappeler la merveilleuse Adèle... et l'incomparable Nestor Burma de Léo Malet/Tardi.

* Tardi nous annonce sans le faire un troisième tome, sur le retour en Allemagne de l'ancien PG devenu occupant: pas certain qu'il le sortira... (pas très vendeur?). Mais encourageons le, en achetant et analysant, nombreux, ce tome 2, afin qu'il ne reste pas dans un état second.

ALC : oui, les Burma ont été tellement bons que la série a été poursuivie "dans le style de", avec une vraie qualité d'ailleurs : je prends plaisir à les lire. Dans le cas de ce retour de Stalag, je parlerais plutôt d'étrange victoire, puisque nous allusons à Bloch. Quant au tome III, effectivement, je suis très curieux car voici une période très peu évoquée. En fait, je ne me souviens que du bouquin de Deniau qui avait donné lieu à un film, celui de ce gars qui s'était fait passer pour un résistant dans la période trouble de l'immédiat après guerre. Dès lors, un traitement nouveau et BDistique serait très novateur, au moins quant au sujet.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/2458

Fil des commentaires de ce billet