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L’opération Anarchist vue d’Allemagne : quel drone adopter ? (T. Wattelle)

L'opération Anarchist a été récemment révélé par The Intercept, le journal en ligne de Glenn Greenwald, sur la base de révélations Snowden (voir ici : les Américains et les anglais auraient observé pendant de nombreuses années les évolutions opérationnelles du drone israélien Heron. Or, l'Allemagne a décidé d'acheter les mêmes drones. Quelles conséquences Anarchist aura-t-il sur ce contrat ? C'est l'analyse que nous propose Tancrède Wattelle. Merci à lui. O. Kempf

Source

Un « tremblement de terre »

Considérée comme l’une des pires failles du renseignement israélien, l’existence de l’opération Anarchist est révélée en janvier 2016 par une étude poussée des documents publiés par Edward Snowden. Lancé en 1998, ce pilier de la coopération suivie entre la NSA américaine et le GCHQ britannique a notamment consisté dans la surveillance des mouvements de troupes israéliens durant leurs différentes offensives et opérations contre le Liban (2006) ou la bande de Gaza (2008, 2012, 2014). Le piratage de ces données, mais aussi d’autres systèmes de communication égyptiens, turcs, iraniens ou syriens permit entre autres d’obtenir des images précieuses d’un drone de fabrication iranienne. A partir de la base aérienne britannique de Troudos (Chypre), Londres et Washington visaient en particulier les communications pourtant cryptées entre les drones israéliens et leur centre de commande. Les techniques employées relevaient parfois d’une simplicité étonnante. Ainsi, au lieu d’employer des moyens lourds pour décrypter les données, les intercepteurs ont préféré utiliser des logiciels connus comme ImageMagick ou AntiSky pour regrouper les pixels et ainsi reconstituer les photographies aériennes prises par les drones. De plus, un rapport de 2010 du GCHQ notait qu’il était possible mais difficile d’avoir accès aux vidéos prises en direct par les engins. Durant l’opération israélienne dans la bande de Gaza (2008), les Britanniques réussirent même à obtenir une vidéo de 14 secondes du cockpit d’un F-16 en mission de bombardement. En plus des drones et des avions de combat, une attention particulière était portée à l’utilisation de missiles Black Sparrow.

De même, le mouvement des drones israélien était surveillé depuis la base satellite de Menwith Hill, connu pour être un haut lieu du système ECHELON (1), mais aussi d’interopérabilité et de coopération anglo-américaine en termes de surveillance des communications. En plus de cela, l’un des documents qui a fuité indiquait un intérêt certain pour le retour d’expérience issu de l’utilisation sur le terrain de ces drones à des fins commerciales. En effet, les concurrents du drone israélien Heron TP ne sont autres que les américains Reaper et Predator (produits par General Atomics), les trois étant en concurrence pour de nombreux marchés, notamment en France, aux Pays-Bas et en Allemagne.

L’Allemagne achète israélien

En effet, en attendant l’aboutissement du projet de drone MALE (2) tripartite (France, Allemagne, Italie), la ministre de la défense Ursula von der Leyen a annoncé le 12 janvier dernier que son pays allait acquérir entre 3 et 5 drones Heron TP auprès de son constructeur IAI. Si cette décision a surpris ses partenaires européens qui se sont tous positionnés pour le MQ-9 Reaper, elle s’inscrit dans la continuité d’un partenariat de longue date avec le constructeur, à qui elle avait déjà commandé des Heron 1, mais aussi entre les deux pays. En effet, la défense est un axe privilégié et historique de leur coopération, qui s’est traduit récemment par l’achat à des conditions très généreuses de sous-marins Dolphin (3). En ce qui concerne les drones, Airbus et IAI avait signé un accord d’association en mai 2014 pour fournir la Luftwaffe en drones, cette dernière ayant le choix entre l’achat et la location. C’est donc un contrat de leasing de 580 millions d’euros qui a été paraphé pour des livraisons d’appareil s’étalant jusqu’en 2018 (4), mais qui reste à être validé par le parlement allemand. D’un côté, il est intéressant de noter que Berlin a sensiblement réduit son ambition, passant de 16 appareils à seulement 5. De l’autre, contrairement à la position française (5), l’Allemagne aux positions ordinairement éthiques a souhaité contre toute attente que ses drones soient armés. En attendant l’Eurodrone, notre voisin semble donc obligé d’assumer son choix et de faire face aux limites décelées, sous réserve d’un vote positif du Bundestag.

Une problématique de plus outre-Rhin

Au-delà du scandale que provoque l’espionnage d’un allié historique des États-Unis par son principal soutien, l’Allemagne peut exprimer ses inquiétudes autour de son futur drone MALE. La révélation par les journaux Der Spiegel (6), The Intercept et Jedioth Achronoth de l’existence de l’opération Anarchist témoigne de l’existence d’une brèche grave de sécurité qui nuit à un éventuel emploi. En effet, comme en témoigne l’article du journal allemand, les Allemands, probablement influencés par la révélation des écoutes américaines de la chancelière, s’étaient décidés après mûre réflexion pour le Heron en mettant en avant la possibilité d’une « porte de derrière » dans le Predator permettant à la NSA d’accéder aux données du drone. C’est donc un contrecoup sérieux pour la Bundeswehr et pour l’exécutif qui n’avait cessé de se déplacer entre Israël et la Californie depuis 2 ans par l’entremise de Katrin Suder, secrétaire d’état à l’armement. De manière optimiste, les responsables avancent qu’Airbus devait de toute façon réaliser un système de sécurité différent de celui en vigueur. L’élaboration et la mise en place de ce dernier, qui tenaient de la routine, seront donc particulièrement observées. Néanmoins, la morosité est de mise, comme en témoigne un officier de la Bundeswehr, selon lequel « les Américains peuvent tout pirater » (7). Face au condominium américano-israélien sur le marché du drone et aux limites qui en découlent, il semble donc urgent d’accélérer le programme du nouveau MALE européen, qui verra le jour à l’horizon 2025, d’autant que cette problématique ne concerne pas seulement nos voisins allemands, mais aussi l’Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la France et probablement l’Espagne, tous dotés de drones de fabrication américaine MQ-9 Reaper.

  1. Système mondial d’interception des communications mis en œuvre par les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni
  2. Medium Altitude Long Endurance
  3. Wattelle Tancrède, « L’exception germano-israélienne », Revue Défense Nationale, n°642
  4. Belan Guillaume, « L’Allemagne choisit le drone Heron TP », Air Cosmos, 13/01/2016
  5. Cabirol Michel, « La France va-t-elle se doter d’un drone armé », La Tribune, 27/10/2015
  6. Gebauer Matthias, Repinski Gordon, Stark Holer, « Operation Anarchist », Der Spiegel, n°5, 30/01/2016
  7. Ibid

Tancrède Wattelle, étudiant à Science-Po Paris, Vice-Président Sciences Po Défense et Stratégie, Ambassadeur de la Marine Nationale

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