Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

L’énergie de la première moitié du 21e siècle, c’est la donnée

L'autre jour, un journaliste m'appelle pour un article que j'avais publié il y a quelques mois sur la géopolitique de la donnée (avec Th Berthier, ici, voir aussi sur egea). Il avait travaillé le sjet, du coup la discussion a été passionnante, du coup il en a tiré quelques éléments écrits, que je reproduis avec plaisir sur ce blog. Car la donnée revêt uen dimension stratégique très forte, ce qui est peu soupçonné. Merci à Romain Ledroy (voir ses articles ici et ici).

source

Vous parlez de géopolitique de la donnée, pouvez vous expliquer cette notion ?

Olivier Kempf : Depuis l’entrée dans l’ère contemporaine, les conflits sont à coupler avec les intérêts pour l’énergie. Au 19e siècle, l’énergie est le charbon, et il joue un rôle crucial dans les conflits de l’époque, comme la guerre de 1870. La question à laquelle on s’affaire pendant la guerre : comment organiser les déplacements de troupe grâce au train, et donc grâce à l’énergie ? Plus tard, pour la première moitié du vingtième siècle, le pétrole et donc le moteur à explosion seront au cœur de la seconde guerre mondiale avec le couple « char et aviation », les forces blindées mécanisées, etc. Après la guerre, l’énergie nucléaire et sa maîtrise permettent la dissuasion nucléaire, l’armement nucléaire et entraînent le monde dans une nouvelle époque. Le fond du problème, c’est que l’énergie de la première moitié du 21e siècle, c’est la donnée. Nous avons de facto une course à l’armement, une course à la technologie. Cette course à la technologie est encouragée par deux facteurs propres au développement de la donnée. Le premier est un effet quantitatif, ce que je qualifie de « tsunami du big-data ». Les systèmes d’information actuels dans de grandes organisations traitent des données en « dix puissance onze, dix puissance douze », soit des téraoctets de données. Dans quelques années, les prévisions s’accordent à dire que l’on passera à des ordres de grandeur de « dix puissance vingt », soit une multiplication par un milliard des données traitées par les organisations. Toutes les structures vont devoir y faire face : les grandes entreprises, les collectivités, les états. Il est avant tout question d’absorber le choc, et pouvoir répondre à cette démultiplication de la donnée. Le second effet est qualitatif. Ces données produites en masse doivent être analysées, valorisées, exploitées dans l’intérêt de l’organisation. C’est dans ce cadre que fleurissent des innovations technologiques décisives dans le traitement qualitatif de la donnée : le big-data, la blockchain, les intelligences artificielles… Ce contexte amène donc à considérer une approche politique de la donnée.

En quoi la donnée représente une valeur aujourd’hui, et pour longtemps ?

Olivier Kempf : Il suffit de regarder la valorisation boursière des GAFAM ! Autre exemple, comment expliquer la valorisation boursière de AirBnB, qui n’a aucun hôtel dans le monde et environ 3000 salariés, et le groupe Accor qui a 4200 hôtels dans le monde et 250 000 salariés ? (NDLR : AirBNB a une valorisation boursière de 31 milliards USD contre 12 milliards d’euro pour le groupe Accor). La différence : l’adaptation des acteurs aux nouveaux marchés ouverts par la profusion de données. Sur le marché, les challengers dynamitent les barrières à l’entrée grâce à l’exploitation des données des utilisateurs, et ce big-data se monnaye. De toute façon, soit les organisations, publiques comme privées, comprennent cette transition et s’adaptent, soit elles subiront de plein fouet cette évolution structurelle. La collecte de données est une chose, mais sa valorisation en est une autre. Elle doit permettre aux entreprises, aux collectivités, aux états d’anticiper la prise de décision, de minimiser les inconnues et donc les risques afférents. En tant que tel une donnée a une certaine valeur, mais elle a surtout une valeur que l’on ne soupçonne pas, celle d’être croisée avec d’autres données. La création de richesse viendra de ce croisement de données parfois étrangères pour corréler, prédire et donc, concrétiser une stratégie politique, économique (NDLR : cette notion fait écho à la data-driven architecture).

Vous semblez nuancer la thèse selon laquelle l’Europe souffre d’un retard permanent, vis-à-vis des États-Unis, dans la prise en considération de cette ère de la donnée ?

Olivier Kempf : Très honnêtement, on assiste en ce moment à une réelle prise de conscience, et en ce sens la perspective du Règlement européen sur la protection des données est un signal fort. Nous pouvons convenir qu’il n’y a pas un dirigeant européen qui est étranger aux concepts du Big-data et de l’importance des données des citoyens. Dans le même sens, les récentes amendes liées à l’évasion fiscale de certaines grandes firmes nord-américaines témoignent d’une volonté d’un plus grand contrôle du cyberespace. Cela dit, nous sommes quand même en retard par rapport au gigantisme nord-américain, qui a su créer un nouveau modèle économique, avec des masses de capitaux liées à la mondialisation financière, en créant de la richesse, et de l’économie virtuelle. Pour autant, là où l’Europe est en difficulté, c’est dans la création d’ETI, les Entreprises de taille intermédiaire pouvant devenir des fleurons de l’industrie numérique. Il faut pouvoir encourager la constitution d’organisations à même d’imposer des modèles européens, créer des valeurs et une culture au sujet des données.

Le Règlement général sur la protection des données, le RGPD, insiste sur un autre point : les libertés fondamentales numériques. Ce point incarne cette volonté de l’Europe de créer un référentiel culturel.

Olivier Kempf : Oui, et c’est essentiel. Le mot protection des données peut contenir une ambiguïté. Il ne s’agit pas pour moi en premier lieu d’organiser la souveraineté, mais de veiller aux libertés individuelles. On reconnaît ici l’influence de la Commission nationale informatique et libertés, la CNIL, sur ce point. À ce titre, ce que le RGPD crée est tout à fait différent de la conception nord-américaine sur les données, mais c’est aussi différent de ce que proposent certains états dans l’emballement sécuritaire actuel. Ce cadre législatif est innovant. Quand bien même le RGPD est perçu comme une contrainte, un obstacle par beaucoup d’organisations, une application habile de ce texte entraînera un autre effet, celui de la confiance. Rappelez-vous le cas d’Apple qui refuse d’ouvrir ses données au FBI : certains félicitent l’entreprise dans leur volonté de protéger les données. Sans en être dupes, nous voyons ici que la question de la confiance est essentielle et le RGPD permet aux organisations d’affirmer une vision des données personnelles.

O Kempf

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/2153

Fil des commentaires de ce billet