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lundi 30 novembre 2009

Suisse et minarets

La surprise est grande : alors que les sondages annonçaient à 53% un refus de la proposition de référendum, ce furent 57 % des électeurs qui l'approuvèrent : ainsi, la Suisse n'autorise pas la construction de minarets supplémentaires sur son territoire. L'écart de prévision de dix points illustre l'ampleur de la surprise.

1/ Le cas suisse n'est que la dernière variation d'un mouvement qui balaye l'Europe : mouvements antimusulmans aux Pays-Bas ou en Belgique, persistance d'une extrême-droite en Autriche, succès des listes anti-hongroises en Slovaquie : ce sont toutes les marges extérieures de l'Allemagne qui sont ainsi touchées. Pourtant, je ne pense pas qu'il faille se concentrer sur la seule MittelEuropa : qu'on pense à la Padanie italienne, ou au récent succès du British National Party aux élections européennes.

2/ Ainsi, le phénomène est européen. Il est dorénavant généralisé.

3/ C'est donc un symptôme. Plusieurs facteurs l'expliquent. Il y a la crise et le développement du chômage, il y a l'insatisfaction à l'encontre des hommes politiques, il y a la visibilité de la religion musulmane, il y a une mondialisation économique et culturelle qui remet en cause bien des suprématies,....

4/ Qu'en conclure ? que Dominique Moïsi a touché une vérité profonde, avec sa "Géopolitique des émotions" (voir ici pour la fiche de lecture). A l'époque, je trouvais que le mot peur ne s'appliquait pas vraiement à l'Europe. Je trouvais l'expression trop huntingtonienne. Je proposai à l'époque (fiche écrite en mars, pour un livre paru l'automne précédent) le mot doute. En fait, j'ai l'impression d'une profonde crise d'angoisse.

5/ Ce diagnostic suffit-il ? non, à l'évidence. Mais au moins paraît-il constituer un facteur partagé, avec des éruptions différentes selon les endroits.

O. Kempf

dimanche 4 octobre 2009

Suisse : USB, Kadhafi, Polanski : des normes fluctuantes ?

Ces dernières semaines, on a beaucoup parlé de la Suisse, à différentes rubriques des journaux : économie, relations internationales, people.... Pourtant, à chaque fois, un point commun se dégage. Examinons.

carte_suisse.jpg

1/ La banque suisse UBS a dû trouver un arrangement avec les autorités américaines, afin de livrer les noms de ses clients qui avaient fraudé le fisc états-unien. Pour cela, il a fallu tordre le cou, d'une certaine façon, à la règle du secret bancaire. La législation suisse n'y a pu mais.

2/ Le fils du colonel Kadhafi (le dirigeant Libyen) a été temporairement arrêté l'an dernier pour des sévices qu'il aurait donnés à un de ses employés (ici). Très mécontent, le père a menacé la Confédération Helvétique (voir ici et surtout ici la demande de dislocation de la CH par le Libyen), au point qu'un dirigeant suisse s'est rendu en Libye pour "présenter ses excuses". Il avait également signé un accord prévoyant la mise sur pied d'un tribunal arbitral chargé de se prononcer sur la légalité de l'arrestation du fils Kadhafi. Au-delà de la polémique intérieure à la Suisse, on remarquera que la Suisse a dû en rabattre quant à sa souveraineté judiciaire....

3/ Dernier exemple, l'affaire Polanski. Qu'on me pardonne cette incursion dans les affres du people, mais il faut bien en dire un mot. Donc, le metteur en scène fut arrêté à Zurich à la suite d'une demande d'extradition d'une juridiction américaine, pour une affaire de pédophilie datant de 30 ans. Or, R. Polanski avait déjà été en Suisse à plusieurs reprises : cette fois-ci, c'est donc à dessein, selon une décision particulière, que la justice suisse a fait procéder à son arrestation. Sans se prononcer sur l'opportunité de la décision (ni sur son équité ni sur sa légalité), remarquons simplement qu'il s'agissait d'une convention juridique internationale qui a été à la source de cette affaire.

4/ Qu'en tirer comme conclusion ? Qu'un pays comme la Suisse, qui aimait tenir le discours de son exception, de son particularisme, de sa différence, et notamment envers l'Europe environnante, a été obligé, par trois fois, de composer avec des règles juridiques internationales ou de faire composer ses règles juridiques avec des intérêts internationaux.

C'est une double illustration : à la fois de l'émergence continue d'un droit international qui peut à peu s'impose aux souverainetés (une sorte de gouvernance mondiale dans les faits et non pas des gouvernements) ; mais aussi du gommage de beaucoup de particularités helvétiques : il est ainsi remarquable que chacune de ces affaires lie la Suisse à l'extérieur de l'Europe : celle-ci paraît, a contrario, comme plus familière, proche, et finalement amicale.

O. Kempf