La crise antillaise qui est en train de se répandre à l'ensemble des DOM-TOM (Réunion puis Guyane, celle-ci ayant déjà connu un épisode similaire il y a quelques mois) attire mon attention, et une certaine inquiétude.
Se nouent là-bas trois crises : une crise économique, une crise sociale, une crise politique. Mais elles peuvent avoir de graves répercussions géopolitiques.
1/ La crise économique sert de révélateur : on reconnaît là le même symptôme que dans d'autres endroits, Grèce en décembre (voir billet ici), Islande en janvier. Révélateur d'une deuxième crise plus profonde.
2/ Car cette crise est le plus souvent sociale. Elle est très nette dans les DOM-TOM où l'inégalité des patrimoines et des revenus paraît patente. Elle a longtemps été corrigée par les subsides de l'Etat, la défiscalisation et les revenus du tourisme. Or, ces freins s'amoindrissent. Dans le même temps, la tolérance aux inégalités s'abaisse : on l'a vu même aux États-Unis, il n'est pas surprenant que cela scandalise ailleurs.
3/ La troisième crise est politique, et liée aux rapports blanc-noir et à l'histoire de la présence française.
Car si les possédants sont, si j'ai bien compris, aussi antillais que les autres, ils se démarquent malgré tout par leur couleur de peau et contredisent "visiblement" une égalité proclamée par ailleurs par la République. Il ne faut pas mépriser l'authenticité du soutien de la population au mouvement, même si celui-ci est aussi "conduit" par certains leaders... Cette crise intervient après l'élection d'Obama, ne l'oublions pas !
De plus, la mentalité ilienne favorise naturellement une identité territoriale rendue évidente par la limitation du rivage. On est d'abord de l'île (phénomène visible ailleurs, pensez à la Corse, à l'Irlande, etc..). Il s'ensuit un tropisme indépendantiste naturel, renforcé ici par la question de la couleur de peau.
Il faut accepter la part identitaire qui s'exprime, même si cette expression ne doit pas aller jusqu'à l'extrême de l'indépendance, comme certains en débattent déjà.
Cela complique la résolution politique de tout problème.
4/ Ainsi, les trois crises se conjuguent. Ce qui est nouveau, c'est leur durée, et surtout leur extension à l'ensemble des DOM-TOM. On a le début d'une cristallisation : or, politiquement, ces phénomènes de cristallisation sont toujours délicats, car ils créent les conditions où une minorité déterminée et consciente peut emporter une majorité indécise mais mécontente.
5/ L'inquiétant, c'est que la crise puisse dégénérer : en violences, avec au-delà le risque de l'indépendance. Faux projet qui ne tient pas compte de l'histoire et des liens tissés en profondeur depuis deux cents ans. Les Antilles sont françaises, intimement.
Risque de l'indépendance ?
Risque pour les Antilles (car je ne crois pas qu'elles bénéficieraient d'une indépendance abandonnée par négligence) ; risque pour les Antillais qui sont français, en Métropole comme dans les îles ; risque pour la France car cela signerait la fin d'un principe de solidarité nationale, et le début d'un processus d'abord belge, puis yougoslave (n'oublions pas que l'éclatement yougoslave est d'abord dû à la volonté de Slovènes et des Croates de ne plus contribuer à la solidarité nationale); risque mondial car cela ouvrirait les vannes de la fragmentation générale, rendue possible par la crise universelle.
Bref, on joue avec le feu en ce moment, et il est impératif que les esprits se calment.
O. Kempf