Beaucoup de commentateurs ont cru nécessaires d'expliquer que, depuis la guerre géorgienne et la crise du gaz, nous étions revenu à "la guerre froide".
1/ Inepties, bien sûr. Car :
a/ on est loin de l'affrontement idéologique de l'époque
b/ de la construction de systèmes en opposition qui "polarisaient" les RI
c/ de la course aux armements qui rendaient cet affrontement crédible.
2/ Je ne reviendrai pas sûr les profondes modifications qui ont eu lieu depuis 1989 : nous avons changé de décennie, de siècle, de millénaire. En revanche, il paraît utile de cerner la puissance russe actuelle.
Or, cette puissance est bien moindre que ne le montrent les apparences.
a/ c'est un tigre militaire de papier qui a eu de la réussite à vaincre la faible Géorgie. Quant à la réforme de l'armée, la modernisation se fait toujours attendre, et les équipements ne brillent pas par leur modernité !
b/ la démographie est exsangue
c/ l'économie de rente est en train de s'écrouler avec la chute du prix des matières premières, et notamment énergétiques. Toutefois, ce dernier point est partagé par de nombreux pays à travers le monde, n'est-ce pas ?
3/ Cependant, la Russie garde des facteurs extrêmement positifs, et sait très bien en jouer.
a/ une très bonne utilisation des médias et de la guerre de l'information. Par exemple, au moment de l'affaire du gaz en janvier, on n'a finalement pas trop dit en Occident qu'ils étaient les grands méchants, car les Russes ont su montrer que les Ukrainiens n'étaient pas des enfants de chœur.
b/ Une volonté politique affirmée, et centrée sur un pouvoir groupé autour d'un stratège qui sait ce qu'il veut et maîtrise les arcanes du pouvoir. Il ne fait plus de doute aujourd'hui que D. Medvedev suivra V. Poutine, et que les espoirs d'une certaine libéralisation, évoqués lors de l'élection présidentielle, se sont désormais envolés. Pendant ce temps là, B. Obama doit courtiser les Républicains pour son plan de relance, et finalement ils ne le votent pas.
c/ Le pouvoir est en place depuis huit ans, et a eu le temps d'essayer de multiples stratégies. Constance, donc, et surtout habitude du calcul et du jeu d'échecs. Les Russes sont redoutables, et très fins. Et jouent le chaud et le froid : retrait des Iskander de Kaliningrad, fermeture de Manas, reprise des livraisons à la centrale de Bichkek,....
d/ le maintien de relais : dans "l'étranger proche" (je sais, ce vocable est surtout utilisé par les Russes, et il est marqué d'une résonance géopolitique très marquée) : Il n'y a qu'à voir la reprise en main de l'Asie centrale (dernièrement, affaire de la base de Manas et création d'une brigade d'intervention, juste pour nous rappeler que la CEI existe encore), Mais aussi dans les confins, cf. l'utilisation de Ioulia Timotchenko en Ukraine, ou la réutilisation de l'Azerbaïdjan. Signalons enfin le maintien de bonnes relations avec l'Iran : sans entrer dans le conflit interne entre radicaux (Ahmadinedjad) et moins radicaux (Rafsandjani), mais toujours de manière à jouer contre-poids alors que les Américains vont être obligés de faire des ouvertures.
4/ Conclusion : ils sont moins forts qu'il s n'en ont l'air, mais ils jouent diablement bien le coup. Et après avoir agité l'alliance chinoise (OCS), ils vont parvenir à lancer une grande conférence de sécurité paneuropéenne cette année, et obtenir gain de cause sur le BAM, mais aussi probablement sur le traité FCE, tout en signant le START III.
Bravo l'artiste : mais il serait temps qu'on prenne conscience qu'ils ne faut pas trop céder, et qu'ils ont plus intérêt que nous à l'accord, malgré les apparences !
O. Kempf