Le titre "De l'Allemagne" a été inventé par Madame de Stael. C'est d'ailleurs en lisant "achever Clausewitz", de René Girard, que j'ai appris que ce livre constituait un des premiers essais de géographie politique.
Toutefois, ce n'est pas pour vous parler de la littérature française sous l'empire que je veux vous entretenir. Mais pour évoquer l'article d'A. Leparmentier, dans le Monde de vendredi. Que dit-il ?

1/ Que l'Allemagne s'isole dans un certain égoïsme : économique, car elle semble sûre de mieux se sortir de la crise que ses voisins, grâce au système voué à l'exportation ; politique, ainsi que la décision récente de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe le fait comprendre, dans sa décision du 30 juin, qui déclare le traité de Lisbonne compatible avec la Grundgesetz (Constitution) mais à condition qu'une loi garantisse les droits du Parlement national (voir ici et ici). La cour ajoute que les Etats-nations sont le cadre de la démocratie, que le parlement européen ne saurait représenter les peuples européens, et "que la loi pénale, la police, les opérations militaires, la politique fiscale, la politique sociale, l’éducation, la culture, les médias et les relations avec les groupes religieux relèvent exclusivement des souverainetés nationales et pas de l’Union européenne".
2/ Cet isolationnisme allemand (que j'avais déjà discerné en janvier, voir ici) met en cause deux choses : la construction européenne, ce qu'on déduit aisément ; mais au-delà, la notion de moteur franco-allemand. Surtout, on note une certaine indifférence envers l'Europe centrale et oriental (la MittelEuropa), sauf la volonté d'une relation particulière avec la Russie (pour des motifs énergétiques).
3/ D'une certaine façon, l'égoïsme allemand est aussi le résultat d'une perte de complexe par rapport à l'histoire, ce dont l'article de Leparmentier rend bien compte. Pourtant, plus que le cas allemand, il faut à mon avis comprendre que l'Allemagne n'est ici que le symptôme d'un tropisme européen. Ce désintérêt des affaires du monde, cette bonne conscience repue ou, plus exactement, cette absence de conscience paraissent l'archétype d'un sentiment européen le plus partagé.
4/ On comprend ainsi les réticences allemandes à seulement poursuivre la mission en Afghanistan. L'Allemagne, qui a longtemps été consommatrice de sécurité (en Europe au temps de la guerre froide) refuse désormais d'être exportatrice de sécurité. Elle constitue là un modèle pour tous les pays d'Europe centrale et orientale, qui ont rejoint Otan et UE et comprennent mal pourquoi il faut aller en Asie centrale.
5/ C'est en fait un irénisme porté à son terme, et finalement cohérent. Puisque l'Europe c'est la paix, pourquoi s'embêter à aller porter le fer ailleurs ? Ainsi, apparemment non-européenne, l'Allemagne semble au contraire la plus européenne, la plus conséquente.
6/ Oserai-je confier : cet isolationnisme m'inquiète. Car il est d'abord le signe d'un égoïsme, surtout quand celui-ci est décomplexé. Et l'excès d'égoïsme, dans les affaires internationales, est toujours préjudiciable à la bonne marche du monde.
O. Kempf