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Un acte de guerre

Il est toujours délicat de commenter à chaud un événement grave comme l'attentat qui a eu lieu aujourd'hui contre le journal Charlie Hebdo. Toutefois, la gravité de l'événement et la portée probable qu'il aura incitent à s'y risquer, au vu des éléments connus à l'heure où j'écris (21h30). D'un mot, il s'agit d'un acte de guerre.

source

Des circonstances

L'attaque doit d'abord être considérée comme une "attaque", opération commando préparée et exécutée de sang froid. On est loin en effet des pratiques jusque là répertoriées. Jusqu'à présent, on avait soit des "attentats à la bombe", avec des bombes de fortune ou des grenades (Drugstore Saint Germain, Tati rue de Rennes, métro Saint-Michel, marathon de Boston, Londres, Madrid), soit des agressions individuelles avec des armes de poing (Merah, Memmouche, Brevik ou la plupart des massacres aux États-Unis). Dans le cas présent, un groupe coordonné (deux ou trois hommes) intervient avec des fusils d'assaut.

L'opération est préparée, avec un dossier d'objectifs et une mise en œuvre de sang froid. La vidéo sur Internet, à la sortie de la tuerie, montre comment le binôme se déplace conjointement vers le policier touché pour l'abattre. On remarque que cet assassinat se fait "dans la foulée" : le tueur ne s'arrête pas et tire au passage dans la tête : autrement dit, un tir en mouvement, certes à proximité mais sans arrêt pour ajuster le coup. De même, le retour vers le véhicule, la prise de la basket qui traine par terre, la fuite en bon ordre démontrent là encore de l'entraînement. Enfin, la façon de changer de véhicule un peu plus loin dans Paris, avec l'arrêt d'un passant, la réquisition "polie" de sa voiture, le temps pris à dégager le chien qui s'y trouvait, constituent autant de signe d'une maîtrise des nerfs. Le commando a l'habitude du stress, du maniement des armes de guerre. Surtout, il ne s'agit pas d'un attentat suicide puisque la fuite est organisée et préparée.

Ce nouveau mode d'action témoigne d'une évolution très nette. Il ne s'agit pas simplement d'un individu qui déraille mais d'un groupe constitué. On ne sait aujourd'hui s'il a surgi "tout seul" ou s'il bénéficie d'un réseau, nous l'apprendrons quelque jour. Mais le déroulement des opérations constitue un signal : il s'agit d'un acte de guerre.

Des auteurs

Les auteurs sont probablement Français. Un communiqué récent de la police l’affirme (voir ici ), mais chacun l'avait saisi en entendant les paroles prononcées. On ne sait pas pour l'instant l'origine, mais cela témoigne d'une inculturation très nette. Ici, deux hypothèses se font jour. Soit il s'agit de "terroristes nationaux", soit il s'agit de "retournants", jihadistes partis en Syrie ou ailleurs et revenant porter le combat contre "l'ennemi". Le sang froid et le maniement des armes orientent peut-être vers la deuxième option, mais il est bien trop tôt pour l'affirmer.

Toutefois, remarquons une certaine imprécision : s'il y a visiblement un dossier d'objectif (on connaît l'adresse, l'entrée dérobée, que la conférence de rédaction a lieu le mercredi, que les locaux sont au deuxième étage), les agresseurs hésitent devant la porte : gauche ou droite ? ceci suggère que le dossier d'objectifs s'est fait sur des renseignements ouverts, par Internet, sans repérage dans les lieux proprement dits. Si l'hypothèse est exacte, cela signifie un nouvel usage du cyberespace par les terroristes de tout poil qui peuvent désormais préparer des opérations assez complexes à partir de chez eux, sans grosse infrastructure.

De même, les armes utilisées (une kalachnikov et un fusil à pompe) sont trouvables en France sans trop de difficultés. Là encore, pas besoin d'un gros réseau pour les acquérir.

Les cris islamistes lâchés dans l'opération (allah akbar, on a vengé le prophète) désignent aisément des "jihadistes". Ceux-ci obéissent à la désignation de l’ennemi au rang des quels se comptent les Américains et les Français.

Analyse et conséquence

On avait vu se multiplier ces derniers mois des agressions individuelles : Ottawa, Sidney, Bruxelles, Toulouse. Autant de signes avant-coureurs. L'émotion suscitée par trois affaires au cours des fêtes de fin d'année (une agression à Joué lès Tour, deux voitures folles visiblement non préméditées) témoignent de l'inquiétude qui grandissait.

La nationalité des auteurs est la plus préoccupante. Les attaquants sont désormais "de chez nous". Il ne s'agit pas d'agresseurs extérieurs, comme lors du 11 septembre, ce qui avait incité les États-Unis à rechercher ses ennemis à l'étranger ou comme l'importation d'un combat de l'extérieur (Palestiniens des années 1970, Algériens des années 1990). Dans le cas présent, l'ennemi est là. Cela rend la lutte d'autant plus difficile puisqu'elle va buter sur un dilemme : le besoin de sécurité suggère des mesures très restrictives, pour défendre une liberté qui pâtit justement de cette lutte. Conserver les libertés publiques tout en se défendant contre les agissements extrêmes : voici la mission délicate qu'il va falloir remplir.

L'attaque de ce jour marque l'ouverture d'un nouveau cycle. Il y avait eu celui du terrorisme marxisto-palestinien des années 1970 et 1980, celui lié au GIA algérien des années 1990, celui lié au 11 septembre au cours des années 2000. Avec l'attaque de Charlie Hebdo, un nouveau "moment" s'ouvre. L'émotion nationale suscitée, les déclarations internationales de soutien, le changement de procédé constituent autant de révélateurs de cette nouvelle période.

Elle intervient dans des sociétés troublées et en crise, subissant depuis de nombreuses années une crise politique, économique, morale. C'est le cas en France mais c'est aussi le cas en Europe, aux États-Unis, au Proche- et au Moyen-Orient, en Afrique. La dégradation des conditions rendent les sociétés plus fragiles et donc plus susceptibles de sur-réagir. S'il convient bien sûr de séparer nettement la majorité des musulmans des quelques rares extrémistes qui agissent au nom de l'islam, constatons qu'il y a un risque de durcissement des relations entre concitoyens.

L'attentat d'aujourd'hui n'est pas simplement un révélateur des tensions, il peut devenir un accélérateur du conflit. IL y aura un avant et un après 7 janvier.

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 8 janvier 2015, 00:04 par oodbae

Bonsoir,

Je ne suis pas d'accord avec la conclusion delon laquelle il y aura un avant et un après 7 janvier. De fait, il n'y a pas eu non plus d'avant et après Merah, comme aujourd'hui le montre.

En fait si, il y a eu un avant et un après Merah: une montée en intensité de la guerre civile menée dans la société francaise. Aujourd'hui, on a encore atteint un seuil supérieur.

Je devrais le savoir qu' egea a raison d'une manière òu d'une autre.

Cordialement,

PS: Ce qui ajoute encore de la douleur à la douleur, c'est qu'ils ont tué la moitié des quelques rares personnes qui parvenaient encore à faire rire. En cela, ils ont fait mal à une grosse partie de la société, vu que le rire est la seule chose qui reste en ces temps de délitement pour garder l'espoir.

2. Le jeudi 8 janvier 2015, 00:13 par oodbae

J'ajoute que je ne vois pas là la nouveauté dans l'utilisation du cyber-espace par les terroristes. Est-ce parce qu'ils ont utilisé googleview? Mais il na s'agit que d'une amélioration des outils cartographiques. Est-ce parce que Internet sert des desseins criminels? Mais le phishing comme outil de vol de données sensibles , telles que les coordonnées bancaires, ou même la divulgation libre de plans (http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2...) sont des pratiques déjà établies pour servir des desseins criminels.

3. Le jeudi 8 janvier 2015, 20:18 par Athena defense

Ecrire à chaud sur une telle monstruosité ne m’apparait pas nécessaire, c’est moche, impudique, mais se taire est tout aussi lâche. Alors ce soir je dirais simplement comme je l’ai déjà écris que nous sommes en guerre, une guerre chaotique qui ne veut pas dire son nom. Ce soir évidemment, nous sommes solidaires. Nous sommes au-delà de l’affect tous avec Charlie, ceux qui sont morts avaient le courage de s’attaquer aux tabous des religions, de toutes les religions. Je n’approuvais pas toute leur prise de position, mais je respecterais toujours ceux qui font ce que nous sommes : un peuple qui s’est battu et qui se bat pour la liberté..
Aussi, il faut faire attention, à ne pas tomber dans l’amalgame, à ne pas désigner du doigt des coupables faciles, les barbares sont lâchés, nous le savons, les dérives sectaires naissent avant tout de la passivité des uns et des autres, des musulmans comme des non-musulmans. Le crime qu’ils ont commis a pour but de nous faire tomber dans le piège de la division. Attention, attention à ne pas tomber dans le piège de la haine. Mais ne cédons plus sur nos valeurs, ne reculons plus sur le terrain culturel, ni sur les cantines, ni sur les piscines, ni sur la liberté des femmes, ni sur les mariages imposés. L'angélisme n'a plus lieu d'être, le racisme non plus: pas plus le racisme anti-français que le racisme anti-arabe ou anti-juif. La liberté n'a pas de prix. Ton prophète a venger n'est pas le mien, n'est pas le notre, n'est pas le leur. Luttons avec justesse, dans l'équilibre des valeurs.

EGEA : j'aime bien la notion de "guerre chaotique".
4. Le vendredi 9 janvier 2015, 11:29 par Charlotte Nelh

"Conserver les libertés publiques tout en se défendant contre les agissements extrêmes : voici la mission délicate qu'il va falloir remplir."
Voilà qui est bien dit et présente ce que chaque pays va devoir poser dans ses principes de gouvernance.

Cependant, le problème n'est pas, à mon sens , l'après 7 janvier car l'après 11 septembre avait déjà engendré l'état de guerre terroriste .
Le 11septembre a brisé la notion de sécurité totale pour les peuples, le 7 janvier à brisé celle de la liberté totale d'expression.
Peu importe la nationalité des terroristes, ils se posent au delà de cette entité . Ils sont hors de la sphère des nations et bien évidement dans une conception purement idéaliste et fondamentalement religieuse de leur personne. Ils ne se revendiquent d'aucune nation , ils sont dans la sphère de l'idéologie et sont les camicases du XXI siècle .
Lorsque je lis "il ne faut plus céder sur nos valeurs , ne reculons plus sur le terrain culturel ...", Je suis un peu surprise ... Il me semble que les autorités de notre pays ( quelque soit le parti politique à le tête du gouvernement ) ont déjà posé certaines bornes ( interdiction du tchador , du port de la croix , etc..,).
Or , moi qui suis française et chrétienne, je trouve bien ici l'ébauche du respect des libertés publiques mais je sais aussi que ceci n'est pas suffisant même si ceci est nécessaire pour arrêter le processus du conflit actuel.
Si je ne porte plus ou pas ma croix en certaines occasions, c'est bien par respect des règles de mon pays qui finalement ne touchent que le facteur apparent, distinctif de ma croyance . Si moi-même, croyante, vous l'avez compris, je suis en mesure de passer au delà du port de ce symbole par volonté de paix et de concorde, c'est aussi parce que mon éducation, mon parcours me donnent aujourd'hui la lucidité nécessaire pour changer mon comportement .
Nous arrivons alors à la source du problème, l'éducation et l'enseignement.
Tant que nous ne ferons que sanctionner sans expliquer dès le plus âge .les règles de la vie en société , en un mot de la morale,nous ne parviendrons pas à retrouver les facteurs nécessaires à la paix.

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