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Maalouf et le "dérèglement du monde"

Fiche de lecture sur Maalouf (Amin), « Le dérèglement du monde », Grasset, 2009

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Trois chapitres se succèdent dans ce livre de 300 pages : Les victoires trompeuses, les légitimités égarées, les victoires imaginaires.

Victoires trompeuses : celle de l’Occident après la chute de l’URSS : « on pourrait soutenir, de la même manière, que la victoire stratégique de l’Occident, qui aurait dû conforter sa suprématie, a accéléré son déclin ; que le triomphe du capitalisme l’a précipité dans la pire crise de son histoire ; que la fin de ‘l’équilibre de la terreur’ a fait naître un monde obsédé par la ‘terreur’ » (p. 22). « Mais nous sommes passés à un monde où les clivages sont principalement identitaires » (p. 23).

A propos du choc des civilisations, « ces vénérables civilisations ont atteint leurs limites, elles n’apportent plus au monde que leurs crispations destructrices, elles sont moralement en faillite ». « Ce que je reproche aujourd’hui au monde arabe, c’est l’indigence de sa conscience morale ; ce que je reproche à l’Occident, c’est sa propension à transformer sa conscience morale en instrument de domination ». (p. 32).

« L’Occident a gagné ; mais par sa victoire, il a perdu ». Distinguer « entre l’Occident universel, diffus, implicite, qui a investi l’âme de toutes les nations de la terre ; et l’Occident particulier, géographique, politique, ethnique, celui des nations blanches d’Europe et d’Amérique du nord » (p. 41). « La situation est particulièrement délicate pour l’Europe qui est prise, en quelque sorte, entre deux feux : celui de l’Asie et celui de l’Amérique, pour aller vite. Je veux dire la concurrence commerciale des nations émergentes, et la concurrence stratégique des Etats-Unis dont l’effet se fait sentir dans les secteurs de pointe, tels l’aéronautique et l’ensemble des industries à usage militaire » (p. 43).

A propos de l’Amérique : « La tentation paraît désormais grande pour les puissances occidentales, et surtout pour Washington, de préserver par la supériorité militaire ce qu’il n’est plus possible de préserver par la supériorité économique ni par l’autorité morale » (p. 46). « S’ils renonçaient à leur gestion rapprochée et musclée des affaires du monde, ils seraient probablement entraînés dans une spirale d’affaiblissement et d’appauvrissement ». (p. 49).

« Le communautarisme est une négation même de l’idée de citoyenneté » (p. 58) « Contrairement à l’idée reçue, la faute séculaire des puissances européennes n’est pas d’avoir voulu imposer leurs valeurs au reste du monde, mais très exactement l’inverse : d’avoir constamment renoncé à respecter leurs propres valeurs dans leurs rapports avec les peuples dominés » (p. 62).

« C’est en quelque sorte un nouvel équilibre de la terreur qui s’instaure, notamment entre les Chinois et les Américains – ’’si vous cherchez à me ruiner, je vous entraînerai dans ma chute’’ » (p. 83).

« L’Internet, qui est un accélérateur et un amplificateur, a pris son essor à un moment de l’Histoire où les identités se déchaînaient, où l’universalisme s’effritait » (p. 93)

« Subitement se pose, pour la première fois dans l’histoire, la question du pouvoir et de sa légitimité au niveau planétaire » (p. 96). « Les nations qui se sentent menacées d’anéantissement culturel ou de marginalisation politique prêtent forcément l’oreille à ceux qui appellent à la résistance et à l’affrontement violent » (p. 97).

NB : On peut énoncer ainsi le théorème : 1/ La domination culturelle 2/ Ressentie comme une menace 3/ provoque en retour 4/ Résistance, affrontement, violence. C’est différent du mimétisme girardien. La domination culturelle (soft power) passe par les canaux de la mondialisation de la communication. L’outil (le média) devient en lui-même le message, et non le porteur du message.

Légitimités égarées : ou l’égarement du monde arabe après le nationalisme nassérien et ses différents succédanés.

« La légitimité, c’est ce qui permet aux peuples et aux individus d’accepter, sans contrainte excessive, l’autorité d’une institution, personnifiée par des hommes et considérée comme porteuse de valeurs partagées » (p.107).

Sadate l’Egyptien succède à Nasser l’Arabe : en signant la paix avec Israël, « non seulement les Arabes ne pourront plus faire la guerre, mais ils ne pourront même plus obtenir une paix honorable ; en choisissant la voie d’une paix séparée, Sadate a rendue impossible une paix régionale véritable, et installé la région dans l’instabilité permanente » (p. 175).

Les certitudes imaginaires : à propos de l’identitarisme musulman, et de religions comparées

« Une autre grande leçon du siècle qui vient de s’achever, c’est que les idéologies passent et que les religions demeurent. Moins leurs croyances, d’ailleurs, que leurs appartenances : mais sur le socle des appartenances se reconstruisent des croyances (…) C’est qu’elles offrent un ancrage identitaire durable » (p. 217).

« Contrairement à l’apparence des choses, l’une des tragédies du monde musulman, hier comme aujourd’hui, c’est que la politique y a constamment empiété sur le domaine religieux – pas l’inverse ». « Nul ne prétendra que les papes ont été, à travers l’histoire, les promoteurs de la liberté de pensée, de l’avancement social ou des droits politiques. Pourtant, ils l’ont été, indirectement (…) En tenant faisant contrepoids aux tenants du pouvoir temporel, ils ont constamment limité l’arbitraire royal, rabattu l’arrogance impériale, et ménagé de ce fait un espace de respiration à une frange significative de la population européenne, notamment dans les villes » (p. 222). « Ce qui a assuré la pérennité des papes et qui a cruellement manqué aux califes, c’est une église, et c’est un clergé » (p. 225).

« Si le christianisme a contribué à faire de l'Europe ce qu’elle est devenue, l’Europe a également contribué à faire du christianisme ce qu’il est devenu ». (p. 234).

« Car l’une des conséquences les plus néfastes de la mondialisation, c’est qu’elle a mondialisé le communautarisme » (p. 265).

« Si nos civilisations éprouvent le besoin d’affirmer bruyamment leur spécificité, c’est justement parce que leur spécificité s’estompe » (p. 273).

Au final, un livre intéressant, même si l'intérêt s'émousse au cours de la lecture : le diagnostic initial est plein d'idées neuves ; le deuxième chapitre sur Nasser et ses suites est instructif et constitue un bon rappel historique de la période. Le dernier a quelques formules heureuses, mais pour se conclure par un préchi-précha un peu décevant car trop pontifiant.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 25 août 2009, 18:56 par

Il faudra que je lise cet ouvrage. Son livre sur les guerres de civilisation m'avait agréablement surpris, surtout sa conclusion que je trouvais clairvoyante. Les passages cités ne m'incitent pas toujours à abonder dans le même sens, notamment sur l'Amérique et Sadat, mais j'attends de voir l'ouvrage complet.
EGEA : j'ai oublié de mentioner que j'avais beaucoup apprécié, en son temps, "les identités meurtrières". Je le trouve ici beaucoup plus pessismiste.

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