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Clausewitz III, 18 (Tension et repos, la loi dynamique de la guerre)

Ce dernier chapitre du livre III conclut donc le discours de Clausewitz sur la stratégie.

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1/ Dans une campagne, quand aucun des deux camps n’a intérêt à prendre l’initiative, « ils sont au repos, et donc en équilibre » (p. 228). « Dès que l’un des adversaire adopte un nouveau but positif et se met à y œuvrer, ne serait-ce qu’en préparatifs, et que l’autre résiste, la tension des forces renaît ». Par là, CVC expose la loi qui explique l’alternance des phases statiques et dynamiques de la guerre. En effet, le primat qu’il donne à la défensive explique mal pourquoi il y a, malgré tout, des opérations…..

2/ « Quand ce mouvement s’épuise, à cause des difficultés rencontrées, comme les frictions internes ou à cause de l’opposition de nouvelles forces, on retourne au repos ou à un nouveau cycle de tensions » (p. 229). « Cette différence théorique entre équilibre, tension et mouvement est plus importante pour l’action pratique qu’il n’y paraît à première vue ».

3/ Disons le tout de suite : on a du mal à suivre CVC dans cette loi, aussi bien d’équilibre, que de reprise de la dynamique. Car la distinction paraît très artificielle, et peu expliquée. Peut-être est-ce dû à ce que, pour CVC, la guerre semble se dérouler à un seul endroit. Les opérations modernes permettent de distinguer plusieurs échelles d’analyse des opérations (stratégique, opératif, tactique). Toutefois, ajoutons immédiatement que la guerre irrégulière simplifie, d’une certain façon, l’analyse : en effet, le belligérant irrégulier aura le plus souvent une approche tactique, locale, sans avoir forcément une coordination de plus grande échelle. De ce point de vue, (mais uniquement de celui-là), CVC paraît pertinent.

4/ « L’état de repos et d’équilibre n’exclut pas toutes sortes d’actions, celles qui sont d’opportunité sans viser de grands changements ». Cette phrase est curieuse : soit on est en équilibre, et alors les actions n’ont pas pour but de changer le cours de la guerre ; soit elles ont ce but là, et comment est-on alors en équilibre ??? « La leçon à tirer de ces réflexions est qu’une même action entreprise sous tension est plus significative et plus efficace que si elle est prise en situation d’équilibre » : certes : quand on cherche à modifier la situation, de façon active, on a plus de chance d’y arriver qu’en ne le faisant pas….

5/ « Cet état d’équilibre, ou de tension si légère, si atténuée et si lointaine, constituait l’essentiel des guerres anciennes, ou de la plupart d’entre elles » (p. 230) : Notons ici deux choses : tout d’abord, l’équilibre n’en est pas vraiment un, ce qui vient valider notre étonnement précédent devant la notion exposée par CVC. Surtout, on retrouve là encore la similitude entre la guerre « ancienne » et la guerre irrégulière, où il ne se passe pas « grand chose » dans une garde sur le poste très Buzattienne….

6/ Notons en passant que Clausewitz donne, en passant, l’exemple de la campagne de 1806 dont on sait qu’elle eut une grande influence sur sa réflexion : selon lui, la défaite serait dû à une mauvaise appréhension de l’état de la guerre, qu’on croyait à l’équilibre alors qu’elle était au maximum de tension.

7/ CVC conclut ainsi son chapitre et son livre III : « Cette distinction conceptuelle est nécessaire au développement de notre théorie ; tout ce que nous dirons sur le rapport entre l’attaque et la défense, et sur le développement de cette action biface, se réfère à l’état de crise où se trouvent les forces sous tension et en mouvement (…). Car cet état de crise, c’est la guerre elle-même. L’équilibre n’en est que l’ombre portée » (p. 231). Que Clausewitz conclue sur l'état de crise est significatif de son sentiment profond, et affaiblit quelque peu la démonstration qui précède.... Mais nous le rejoignons pourtant dans ces derniers mots : l'état de crise, c'est la guerre elle-même.

Il serait d'ailleurs intéressant d'approfondir la notion d'état de crise guerrière, qui serait fort utile pour faire le lien non entre repos et guerre, mais entre guerre irrégulière et guerre régulière : nous voici revenus dans le thème du mois.....

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 2 septembre 2009, 21:59 par Jean-Pierre Gambotti

Clausewitz, Livre III Chapitre XVIII
Tension et repos.
La loi dynamique de la guerre

La dynamique est la partie de la mécanique qui traite des mouvements et des forces.
On sait Clausewitz très influencé par les sciences physiques et la mécanique en particulier, qui connaissaient en ce début de XIX° siècle des progrès considérables et un intérêt non moins considérable de nombreux contemporains voyant dans la science en général la réponse à toutes les interrogations humaines. "De la guerre" est tout entier marqué par cette tendance scientiste et ce chapitre n’y échappe pas. Aussi pour le comprendre, faut-il conserver en fil rouge la notion de loi dynamique du sous-titre et se référer au Livre I, le seul abouti, pardon de la rappeler, Chapitre I, alinéas 12 à 19 qui traitent de la suspension des opérations. Je n’en ferai pas l’exégèse, je rappellerai simplement qu’ils expliquent la dynamique de la guerre par les rapports des forces entre elles et leur cinématique, mouvements (tension) et pauses (repos). Mais est introduit dans ces explications un concept fondamental chez Clausewitz curieusement oublié dans le Chapitre XVIII, le principe de polarité.

Simplifions : l’intérêt des deux commandants dans l’action est diamétralement opposé puisque chacun veut obtenir la victoire, de cette polarité nait l’élan, l’énergie qui meut l’ensemble des forces, mais qui peut aussi les mettre au repos quand l’intérêt de chacun, la victoire ou l’action décisive, est en jeu. Remarquons que la notion de polarité est d’origine électromagnétique, la science toujours, et que cette lutte à somme nulle, l’un gagne ce que l’autre perd, ressemble à l’explication de la guerre selon René Girard par sa thèse du désir mimétique, l’un désire toujours ce que l’autre possède.
Revenons à notre Chapitre XVIII et à l’absence dans le texte de la notion de polarité indispensable pour en comprendre le sens. Je m’interrogeais à nouveau sur la qualité de la traduction et j’ai donc consulté le texte original. Nos traducteurs- Denise Naville pour l’édition de 1955 et Laurent Murawiec pour l’édition¬ 2006, traduisent l’une par « acte bilatéral », page 235, l’autre par « action biface » page 231, ce que Michel Howard et Peter Paret ont traduit de l’allemand dans leur "On War" par « polarity » et qui bien entendu renvoie immédiatement aux alinéas évoqués supra, ce qui m’a permis d’interpréter ce Chapitre XVIII en le rapprochant du Livre I. Mais je dois à la vérité de dire que dans le texte original Clausewitz écrit « doppelsietigen Aktes » qui signifie bien « acte bilatéral ». Mais il faut prendre des risques pour comprendre "De la guerre" et je pense que dans un ouvrage inachevé, complexe, rédigé sur un aussi long terme, réarticulé par un proche et publié post mortem, une rétro-lecture et quelques interprétations sont nécessaires pour sa bonne compréhension! Je persiste donc dans ma démarche : pour comprendre le Chapitre VIII, mieux vaut le rapprocher des alinéas 12 à 19 du Chapitre1.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

EGEA : ce n'est pas la première fois que vous nous rappelez l'importance du Livre I, seul achevé et, d'une certaine façon, authentifié par son auteur. Toutefois,lire l'ouvrage en entier, avec toutes ses imperfections, paraît fructueux. Et d'une certaine façon, heureusement qu'on sursaute et qu'on marque son désaccord : peut-être s'agit-il là des pistes que CVC n'a justement pas voulu avouer. Peut-être aussi permettent-elles de revenir au chapitre 1 et d'en approfondir certaines parties elliptiques, et pas forcément convaincantes. 

Il reste que dans le cas présent, la notion de polarité paraît fondée. J'apprécie l'allusion faite au mimétisme de René Girard...

2. Le mercredi 2 septembre 2009, 21:59 par Jean-Pierre Gambotti

Loin de moi l'idée qu'il faille réduire l'étude de Clausewitz au seul Livre Premier de "De la guerre"! Au contraire je pense qu’il faut lire, relire, la totalité de cette géniale compilation mais, me semble-t-il, avoir la prudence, comme le suggère ses grands exégètes, d’user de son sens critique et de comparaison. Certaines parties de l'ouvrage relèvent du carnet de notes, une somme de fulgurances en quelque sorte, d’autres sont déjà des idées peaufinées, d’autres sont des raisonnements aboutis,…que les clausewitziens pardonnent ce raccourci, aussi faut-il comme je le suggère dans mon précédent commentaire, faire une retro-lecture de "De la guerre". Ou plutôt ne jamais faire de lecture de "De la guerre" sans rétro-lecture. Tout est important dans cette œuvre, ce qui est abouti, ce qui ne l’est pas et même ce qui suggéré.
Vous avez entrepris une œuvre de salubrité stratégique en nous proposant ces fiches de lecture de "De la guerre". Je pense, très naïvement peut-être, que tout a déjà été écrit sur la guerre et que depuis des décennies nous souffrons de psittacisme, nous réinventons et commentons ad nauseam les lois fondamentales de la guerre. Et vos fiches le démontrent cruellement. Si nous avions encore quelque clairvoyance nous demanderions à nos officiers de lire et méditer Clausewitz. Pour concevoir et mener les guerres d’aujourd’hui.
Vox clamanti in deserto ?
Jean-Pierre Gambotti

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