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Les jeux enseignent-ils la stratégie ?

Le thème du mois d'AGS porte sur les jeux stratégiques. Une des questions sous-jacentes est la suivante : ces jeux qu'on dit "vidéo" mais qui, au sens propre, sont "informatiques", permettent-ils d'apprendre la stratégie ?

Il ne fait pas de doute qu'ils la simulent. Ni même qu'ils atteignent un niveau de complexité qui "rende" les situations "proches" de la réalité.

Ou plutôt de ce qu'on croit être la réalité. Car ils reposent sur un codage de cette réalité, permettant justement de la mimer. Je ne parle bien sûr pas de la ressemblance graphique, mais de la ressemblance avec ce qui arrive "dans la vraie vie" ou, plus exactement, "dans la vraie guerre".

Là réside probablement le défaut principal qui fait que je n'ai jamais accroché à ces "simulations" : je me suis en effet toujours senti enfermé dans un scénario, et quels que soient les efforts pour élargir le spectre des solutions proposées, on passait toujours par des passages obligés ou des situations de confinement qui rendaient l'affaire peu plaisante intellectuellement : faussement créative.

C'est qu'au fond, nous sommes là devant la même difficulté qu'avec la guerre infocentrée : celle que l'informatique et donc la connaissance toujours plus poussée de "ce qui se passe" permettrait de modéliser la guerre et donc d'obtenir l'avantage. Or, la guerre ne se calcule pas, et le brouillard de la guerre n'est pas dû seulement à la plus ou moins grande maîtrise de l'information.

Au fond, dans les jeux stratégiques, il manque deux choses : d'une part, le hasard ; d'autre part, un adversaire qui pense - ou pas- comme vous. La vraie difficulté résidant justement dans le "ou pas", car l'altérité de l'adversaire le fera rechercher deux choses : soit une asymétrie (cf ce que nous observons dans nos guerres irrégulières), soit un stratagème pour surprendre et donc déjouer les codes.

En fait, les jeux informatiques sont "logiques" et donc irréalistes. Cela ne veut pas dire qu'ils sont inutiles ou qu'on a tort de s'y adonner, ni même qu'ils ne puissent contribuer à une certaine éducation stratégique. Mais je ne crois pas qu'ils puissent aller bien au-delà.

C'est un non-pratiquant qui vous le dit !

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 14 août 2010, 18:45 par

Intéressant même si les spécialistes (du jeu) semblent dire exactement le contraire de vous.
J'ai récemment découvert le monde des "serious games" (jeux vidéo éducatifs autour de thèmes dits "sérieux" comme l'environnement, la politique, la guerre). Comme sur ce blog : http://yasminejoue.wordpress.com/
(au passage je ne suis pas l'auteur ou l'"envoyée" de ce blog)
Merci pour vos billets toujours intéressants ;-)

égéa : mais je ne suis pas un spécialiste du jeu, justement : éventuellement, un spécialiste de stratégie. Peut-être aussi n'ai-je pas été initié convenablement, même si mon fils geek sur WoW...

2. Le samedi 14 août 2010, 18:45 par

Et contre un adversaire humain? Pratique généralisée, du jeu Blitzkrieg à Europa Universalis III.

Il est certain que l'intelligence artificielle manque de fantaisie, mais lorsque le joueur est opposé à un esprit humain, cette limite est levée.

3. Le samedi 14 août 2010, 18:45 par Marc

Bonjour,

Lecteur occasionnel d'alliance géostratégique, votre article sur l'éventuelle relation entre les jeux vidéos et l'apprentissage de la stratégie me fait réagir.

Dans les jeux vidéos, ou les simulations s'il ne s'agit pas d'un jeu, il ne manque un adversaire comme nous que dans la mesure ou nous avons décidé de ne pas l'y introduire ! On peut diviser les jeux en deux grande catégories, les jeux PVE (player versus environnent) et PVP (player versus player). La plus part d'entre eux, parmi les plus récents, offrent les deux capacités, notamment les jeux de stratégie. En effet, les capacités d'intelligence artificielle sont trop limitées à l'heure actuelle (en tout cas dans ce que nous offre l'industrie du jeux vidéo), et affronter un joueur humain devient rapidement la meilleur façon de s'amuser avec un même jeu.

Comme vous le dites, les situations de confinement arrivent, d'ailleurs tellement qu'elles en sont inévitables. Les championnats de jeux vidéo de stratégie voient d'ailleurs s'affronter des joueurs qui connaissent l'ensemble des limites offertes par le jeu en question. Les parties ressemblent alors à un jeu d'échec, à une gestion de possibilités limitées et connu dans un cadre restreint, "coup contre coup" plus qu'à une guerre ou initiative signifie aussi inventivité (déjouer les codes).

Autant je puis supposer que les simulations de combats faites dans une école comme le CID ne ressemblent pas aux manœuvres de l'union soviétique, autant j'imagine qu'elles ont elle aussi leurs limites en terme de créativité. D'autant qu'il s'agit de faire ingérer à des plus jeunes des connaissances acquises par des plus anciens. Ces anciens, qui réfléchissent d'une manière qui est limitée (si l'on peut dire ça comme ça) par leur expérience. L'histoire de notre pays nous a douloureusement appris qu'en terme de stratégie et de tactique, la créativité apporte tout autant que l'application des connaissances acquises.
Ce que je veux dire par là, c'est que les limites de l'informatique ne sont sans doute pas si éloignées de celles de la réalité. En tout cas, l'écart ne cessera de se réduire au fur et à mesure des progrès en terme d'intelligence artificielle et de modélisation. (et d'ailleurs uniquement de modélisation si l'on fait s'affronter des "joueurs humains")
Si l'on ajoute à ça l'informatisation à outrance du domaine militaire, c'est aussi la réalité qui tend à se rapprocher de la simulation...

Je trouve que le hasard est une caractéristique propre aux jeux vidéos, et non à la guerre. En effet, dans la réalité, rien n'est du au hasard. La trajectoire des projectiles, comme la météo, peuvent être calculés, tout dépend des moyens et du savoir à notre disposition. La connaissance que l'on peut avoir des décisions stratégiques et tactiques de l'ennemi dépend elle aussi de nos moyens en terme de renseignement. C'est du hasard si nous n'avons pu le prévoir, mais si nous l'avons pu, alors c'est le résultat positif d'un travail ou d'une recherche.

Le hasard intervient certes, mais pas de façon arbitraire, comme le ferait une machine, qui, elle le détermine d'une manière qui bien que prévisible car liée à des algorithmes, est en réalité imprévisible car liée à aucun raisonnement ou aucune action d'un être humain ou même d'un environnement (au sens large). Autant Il est possible d'introduire de l'aléatoire à volonté dans un jeu vidéo, autant; dans la réalité, ce qu'on nomme hasard n'est en fait que le résultat d'un enchainement de faits que nous n'avons pu découvrir, comprendre, ou calculer, dans des délais suffisants. Reste que certaines choses paraissent effectivement difficiles à prévoir, particulièrement les réactions humaines...

Voilà ! Je souhaitais juste vous faire partager mon opinion sur ce sujet :)

Marc...

égéa : mille mercis pour ces objections fondées et cohérentes. Par certains côtés, elles apportent de l'eau à mon moulin, par d'autres, elles le contredisent.

Voici ce que je réponds aux commentaires postés sur AGS :

Hey ! les commentaires chauffent dur, preuve que j’ai été suffisamment provocateur pour les nourrir. Or, donc : Bien sûr, je sais que dorénavant il y a du multijoueur, mais convenez que tous ces joueurs acceptent la “règle du jeu”.
Tout le débat actuel ne tient-il pas justemnt à l’absence de règle du jeu ? ou plutôt, à des règles du jeu différent selon les joueurs. Sans faire le pédant, je signale mon article dans la RDN sur les Rules of Engagement dont je décris l’objet multifonctionnel (règle d’ouverture du feu, règle de comportement, règle éthique, règle de propagande envers la population locale ou la population nationale, etc…). Vos règles du jeu me paraissent justement trop codées. Et même si vous avez un esprit humain (ou plusieurs) en face de vous, au moins savez vous qu’il joue le même.
Or, le brouillard de la guerre ne réside plus seulement, comme au temps de Clausewitz, dans la méconnaissance de ce qui se passe, mais aussi dans la méconnaissance de ce que l’autre veut faire, et dans la méconnaissance de la façon dont le niveau tactique va l’appréhender.
Car nous voici à un autre point faible : dans un jeu vidéo, le joueur est à la fois le stratège, l’opérateur et le tacticien, jouant les trois niveaux de la guerre, sans tenir compte du travail collectif des chaînes de commandement.
C’est d’ailleurs pour cela que la guerre réelle, d’une certaine façon, est bien moins évoluée que la guerre virtuelle, car on n’a connaissance que d’une partie du tableau.

Mais une fois encore, ma critique vient d’un non-pratiquant de jeux vidéos, et notamment des jeux récents…..

4. Le samedi 14 août 2010, 18:45 par Cadfannan

En tant que praticien (frustré) des jeux vidéo en particulier de stratégie, je suis tout à fait d'accord avec vous sur ces points: la possibilité de connaître de manière absolue les règles du jeu ainsi que la "marge de hasard", la sûreté de l'information (l'interface ne présente aucune erreur d'appréciation, les valeurs, lorsqu'elles sont connues, sont exactes) demandent finalement au joueur davantage une réflexion de technicien (exploitation optimale de sa connaissance du système) plutôt que de stratège (décider dans l'incertitude, absence du facteur moral, qu'on aura - au passage - bien du mal à modéliser correctement un jour, sans doute plus que l'IA).
J'en profite pour remarquer l'influence de la pensée technocentrée: dans la plupart des jeux, un avantage souvent définitif peut être trouvé par la supériorité technologique. Ce qui est normal: il est bien plus facile de modéliser les capacités des matériels et leur évolution que le moral et l'entraînement des hommes, les effets de la fatigue, la peur etc...
C'est en fait la volonté des tenants de la RMA et autre Transformation que de vouloir éliminer ces parties non modélisables: diminuer l'influence du "facteur humain", pour pouvoir se reposer sur des données sûres, et pouvoir raisonner en technicien plutôt qu'en stratège... Les technocrates veulent éliminer les "stratocrates"?
égéa : vous avez identifié les deux ressorts du débat : d'une part, le niveau forcément tactique des jeux ; d'autre part, le défaut RMAesque de la technologisation. Une fois qu'on l'a dit, remarquons alors que néanmoins, ces jeux conservent de l'intérêt, justement pour simuler ou acquérir des réflexes.

5. Le samedi 14 août 2010, 18:45 par

Les jeux de stratégie où il y a de l'espace pour exprimer ses talents de stratège sont en effet peu nombreux à ma connaissance. Le meilleur jeu de stratégie auquel j'ai joué assidûment n'est en fait pas un jeu de stratégie pur, mais plutôt arcade à première vue : Battlefield 1942 (le 1942, pas les autres...). La partie arcade étant plutôt simple à maîtriser, la stratégie prend le dessus par la suite, contre d'autres joueurs humains, dans des parties en réseau vraiment intenses (encore qu'aujourd'hui, il ne reste guère de joueurs actifs). Il me semble (sans connaître) que Counter-Strike soit du même accabit. Les meilleurs jeux de stratégie ne sont pas forcément ceux auxquels on pense en premier !

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