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Attali et les ports

Dans le Monde d'hier, J. Attali, grand gourou de notre temps, nous explique que "nous sommes même le seul pays osant se dire puissance mondiale dont la capitale ne soit pas un port".

(image tirée d'ici)

Il y a là des relents d'un ébat géopolitique fort ancien, entre puissance terrestre contre puissance maritime, initié notamment par les Anglo-Saxons (Mc Kinder, Mahan) mais aussi par un théoricien allemand (Carl Schmitt).

Il reste que ce débat est assez stérile, y compris dans son acception moderne (la mondialisation est maritime) qui est une sorte de Fukuyamisme (?) vaguement stratégique. Bref, on pourrait voir là les lubies de J. Attali, mondialisant et toujours un peu fasciné par les Américains.

Il reste que ce monsieur dit des bêtises. La capitale américaine, Washington, n'a pas la réputation d'être un grand port. Londres, bien sûr (quoiqu'au bout de la Tamise). Mais qui dira que Moscou, que Berlin, que Rome, que Vienne, que Toronto, que Dehli soient des ports. Pékin ? mais ce n'est pas sa fonction portuaire qui en fait la dimension capitale (à ce titre là, Canton et Shanghai paraissent mieux armées). Bon, j'admets São Paulo. Ah! oui, c'est vrai, la capitale, c'est Brasília.... et en plus, São Paulo n'est pas un port (voir ici)

Alors? alors, M. Attali confond la nécessité d'être une puissance littorale à la nécessité que sa capitale soit portuaire. Et ce n'est pas parce qu'il écrit dans le Monde et qu'il a du succès qu'il a forcément raison. Charles, toi qui le connais, offre lui un atlas......

Réf :

  • voir ce billet sur les enclaves.
  • billets sur des articles idiots parus , notamment à propos de la guerre en Afghanistan, dans le Monde : ici et ici ou dans le Figaro ici.

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 6 novembre 2010, 15:12 par behachev

Il est vrai qu'écrit comme cela, cela semble terriblement perfectible.

Néanmoins, il faut tout de même avouer que toute puissance à vocation mondiale possède sa capitale "culturelle" soit en port ou en zone d'influence du port. Washington étant sans doute le pire exemple car à sa fondation très récente les capacité de communications étaient déjà telles que la ville est très proche de la cote. En outre la capitale politique n'a jamais cherché à supplanter les capitales "culturelles" (New-York, Los Angeles...).
Berlin, Ottawa ne sont pas un port mais l'Allemagne et le Canada osent-t-ils se dire puissance mondiale ? (avec tout les outils que cela représente (diplomatie, armée, économie, culture, diaspora...)

Brazilia n'est pas un port... sur l'océan, mais c'est un port sur l'Amazonie. Amazonie dont plus personne ne doute en 2010 de la souveraineté Brésilienne. Alors qu'il y a un temps la question de sont internationalisation était discuté.

Le déménagement de la capitale chinoise à Pékin (et sa préhiminance sur Shanghai/Nankin) ne correspond-elle pas aussi à des périodes de replie ?

Reste qu'il est intéressant de réfléchir sur l'importance du fait maritime dans la mentalité des élites d'une nation.
(penser à Saint-pétersbourg)

Si Attali considère Paris comme non portuaire, il a partie faux car Rouen puis Le Havre tiennent leur importance première d'être le port de Paris.

Quitte à s'interroger Sur l'originalité de Paris de ce point de vu, je le verrais plutôt sur le contrôle d'un isthme intermaritime : l'axe Rhône-Saône-Seine. Les autres exemples n'ayant pas réussit à se hisser à l'échelle "mondiale" (Vienne, Istanbul) sauf peut être Moscou, ville aux cinq ports (isthmes Neva-Dvina septentrionale-Volga-Don-Amour

2. Le samedi 6 novembre 2010, 15:12 par DanielB

Bonjour ,
Vous aviez il me semble publiè une étude sur l'accés à la mer de Paris et l'amenagement de la Seine ;0)
Concernant le Brésil - un des états du BRIC - le fait est d'autant à souligner puisque la capitale qui etait à Rio de Janeiro a été transférée à Brasilia justement pour se projeter vers " l'interieur " Bresilien et le maitriser .
http://fr.wikipedia.org/wiki/Rio_de...
Si le Bresil se lance actuellement dans une politique qui passe par la creation de nouveaux ports , il n'est nullement question de transferer la capitale à Santos ...
Et pourtant tout le monde parle au Bresil de la " maritimisation " de ce pays et de sa projection vers l'exterieur ...
Tres Cordialement
Daniel BESSON

égéa : mais il va de soi que la maritimisation du monde est un trait majeur du 21° siècle, d'où l'intérêt de l'axe Paris Le Havre. Mais je m'en tiens à ce qui est écrit : de la part d'Attali, c'est au mieux une maladresse.

3. Le samedi 6 novembre 2010, 15:12 par

Il faut remettre cette remarque d'Attali dans son contexte : il est l'auteur d'un intéressant rapport intitulé Paris et la mer dans lequel il (avec un comité d'"experts") dresse 50 propositions pour ouvrie Paris sur la mer ( http://www.amazon.fr/Paris-mer-Sein... ).
Votre remarque "Si Attali considère Paris comme non portuaire, il a partie faux car Rouen puis Le Havre tiennent leur importance première d'être le port de Paris." est donc à l'opposé des idées qu'il défend !!!

égéa : mais je le sais bien (même si son livre n'est pas le meilleur, car il est trop composite et manque d'une vision plus unifiée) : c'est bien d'ailleurs pour cela que je lui reproche son assertion hasardeuse...

4. Le samedi 6 novembre 2010, 15:12 par DanielB

Bonjour ,
Le smiley etait bien sur pour M. Attali car je m'étonne que Sa Suffisance n'ait pas été au courant de ce projet d'aménagement !
Sans verser dans une exégèse de sa pensée , je pense que sa fascination pour les sociétés multiculturelles , mercantilistes et nomades lui fait confondre les époques ! Mis à part Tokyo , peu de capitales nationales sont en effet des ports . En Afrique , il y a bien entre autres Alger mais sans être vexant l'Algerie ne repond pas au critère de " grande puissance " !
Par contre si l'on commence à remonter le temps , on peut donner raison à M.Attali :
- Istanboul - Constantinople (1918- 1924 )pour l'Empire Ottoman
- Saint Petersbourg ( 1918 ) pour l'Empire Russe
- Alger ( jusqu' à 1830 ) capitale de la Régence d'Alger
- Les républiques maritimes Italiennes Gênes , Amalfi et surtout Venise par laquelle M.Attali semble fasciné.
- Lisbonne , mais la Lisbonne d' Henri le Navigateur ( 1394- 1460 ) à l'époque ou le Portugal repondait au critère de " grande puissance " . Ici encore sans être vexant , il faut constater que le centre de gravité de la Lusosphère se déplace vers l'Amerique du Sud.
- Athènes

Toutes ces cités , ports et capitales de " grandes puissances " , étaient en effet multiculturelles et mercantilistes et aussi " nomades " dans le sens ou le commerce necessitait ce nomadisme .

Maintenant en temps que Marseillais , j' accepte bien volontiers le transfert de la capitale de Paris sur le Vieux-Port et non pas à Bordeaux qui devient la capitale de la France chaque fois que la France subit une défaite militaire ! ;0)
Cordialement
Daniel BESSON

5. Le samedi 6 novembre 2010, 15:12 par Pierre AGERON

Bonjour,
Il me semble que le problème fondamental ne réside pas dans la fonction portuaire de la capitale ou non. Plus important à mes yeux est la capacité d'un Etat et des différents acteurs territoriaux à mettre en place une gouvernance à l'échelle de la région métropolitaire ou "méga-région" anglosaxonne.
Les derniers cahiers de l'IAURIF s'interrogent sur le bassin parisien comme méga-région, disponibles sur http://www.iau-idf.fr/fileadmin/Etu... ou FLORIDA R., GULDEN T., MELLANDER C., «The Rise of the
Mega Region », The Martin Prosperity Institute, oct. 2007, etsurtout LANG & NELSON, « The Rise of the Megapolitans »,Planning, APA, janv. 2007.et je pense en effet que c'est à cette échelle d'un grand ensemble métropolitain polycentrique et interconnecté qu'il faut réfléchir sur la mise en place de la mondialisation.
O. Dollfus avait mis en évidence en 1997 l'Archipel Megalopolitain Mondial, villes mondiales interconnectées. Allen J. Scott (UCLA)va même plus loin en parlan de "Global city-regions: trends, theory, policies", 2001 OUP.
Il en est de cette question comme de toutes celles touchant aux échelles pertinentes de gouvernance urbaine, paraphrasant P.Valéry, réponse n'est pas dans l'objet mais dans le regard sur l'objet...

égéa : oui, je me souviens de Dolfuss et cette notion d'archipel (mondialisation archipélagique, de mémoire). Sans entrer dans trops de détails géographiques (tout simplement parce que ce n'est pas mon métier..... même si ç m'intéresse), la mégarégion organise son territoire, c'est une chose. Ses rapports avec "le reste du monde" (pour parler américain) renvoient à son caractère de "puissance" (notion très ambiguë) et ensuite à sa littoralisation. Mais la "capitale" n'a pas besoin d'être un port : éventuellement d'en avoir un pas loin, pour organiser ses échanges avec le monde....

6. Le samedi 6 novembre 2010, 15:12 par yves cadiou

Tous les commentaires ci-dessus sont sans aucun doute pertinents mais ils passent à côté de l’essentiel. Je le dis avec aplomb parce que c’est mon opinion et je la partage. L’essentiel est suggéré par la photo qu’Olivier Kempf a choisie pour illustrer son billet, photo où il ne manque qu’une massue, qui ne serait pas trop lourde mais juste assez pour être assommante : l’essentiel, c’est que l’on assiste à la fin d’une époque. Pour ma part, j'y assiste avec satisfaction.

Ce n’est pas l’affirmation d’Attali que je veux analyser mais son environnement. L’affirmation est assez vaine : elle tente de s’appuyer sur plusieurs notions qui sont très floues (parlant de la mer, j’évite de dire que c’est vague, ah ah), d’une part la notion de puissance mondiale (c’est quoi, au juste ?) et d’autre part le genre de capitale dont on parle (puissance et capitale économiques, politiques, culturelles ?). Avant d’affirmer, l’affirmeur devrait situer le domaine dans lequel il se place. Mais non il ne le fait pas, parce que c’est inutile : dès l’avant-titre de l’article (débat : pourquoi la France doute de son avenir) on devine que l’on va lire un de ces exposés éternellement à la mode, ces « on est mal partis » et ces « on voudrait y croire, mais… », dont on a déjà parlé ici après que Zemmour s’y est collé pour les plagistes de l’été dernier avec sa « mélancolie française ». http://www.egeablog.net/dotclear/in... On peut souligner avec humour la banalité de ce pessimisme récurrent en citant l’alcoolique joué par Coluche : « Vous les jeunes, vous êtes tristes ! Tristes, vous êtes. Tristes, voilà. Nous, on avait la guerre. Et mondiale qu’on l’avait, la guerre ! Mais maintenant, même les jeunes Allemands y veulent pas la faire, tu vois dans quelle merde on est !»

L’affirmation d’Attali ne concerne en fait pas tellement la puissance ni la mer : mais elle est indirectement intéressante parce que, venons à l’essentiel, elle illustre une nouvelle fois l’essoufflement et le dépassement d’un certain système de naissance (ou plutôt de rabâchage) des idées et de leur diffusion. Cet essoufflement n’est pas dommage : il correspond à un renouvellement qui pousse à l’optimisme.

L’affirmation contestable et ici contestée d’Attali, « nous sommes même le seul pays osant se dire puissance mondiale dont la capitale ne soit pas un port », est de celles qui passent toujours très bien oralement devant un auditoire plus ou moins somnolent. Cette affirmation s’adresse à des gens qui sont venus à la séance non pas vraiment pour écouter l’orateur mais pour pouvoir dire demain « j’étais à la conférence d’Attali : très bien, des idées neuves ». Et si tout le monde sait que l’influence du personnage est en baisse l’on ajoute « il est encore très percutant » (noter l’importance du « encore »).

Pour beaucoup de gens qui achètent Le Monde, le processus est le même et l’appréciation ci-dessus « très bien, des idées neuves » passe sans problème après simple lecture du titre de l’article et surtout de sa signature, sans trop perdre son temps avec ce qu’il y a entre les deux.

Dans ce système qui heureusement s’essouffle, l’important n’est pas de lire Le Monde mais d’être vu et classé lecteur-du-Monde (ou lecteur-du-Figaro, peu importe : un journal réputé sérieux, pas Charlie hebdo). Pour pas cher, ça vous pose socialement.

.
Ce système factice est en cours de disparition grâce à internet et aux blogueurs. Jusqu’à présent ce qu’on intitulait « débat » (comme l’avant-titre de cet article du Monde) n’en avait que le nom : le lecteur, ou le téléspectateur, était invité à prendre connaissance passivement des échanges qu’on lui montrait sans qu’il puisse y intervenir.

Cet article de Monsieur Attali est intéressant parce qu’il illustre la crise où se trouve désormais la presse lorsqu’elle persiste à fonctionner à sens unique, du rédacteur vers le lecteur ou de l’orateur vers l’auditeur.

La presse que je décris ci-dessus était nietzschéenne, s’adressant à des singes privés de la parole. J’étais (et chacun de vous était, excusez-moi de vous le dire) l’un de ces singes.

Mais désormais nous parlons, ça change tout. Les lecteurs, téléspectateurs, consommateurs d’info, clients en un mot, qui acceptent d’être passifs se font rares et par conséquent les rentrées d’argent, directes ou publicitaires, baissent en proportion. Or les sociétés de presse, comme toutes les entreprises, doivent équilibrer leurs comptes. Elles ont aujourd’hui le choix entre deux solutions : continuer à l’ancienne ou bloguer à leur tour.

Certains journalistes se sont mis au blog, obtenant des ressources par la publicité, peinant à gérer les commentaires parce que c’est un nouveau métier. Mais ce dont parle le billet d’aujourd’hui, ce sont en fait les journaux qui continuent à l’ancienne : ils doivent continuer pour moins cher parce que les recettes baissent.

Moins cher, ça consiste à ouvrir ses colonnes à des signatures connues depuis longtemps, connues mais pas cher. Ces signatures sont à bon prix parce qu’elles appartiennent à des « has been » qui, en écrivant dans Le Monde, remédient ainsi à leur angoisse de disparaître. On en voit périodiquement. Zarathoustra et ses avatars s’angoissent de n’avoir plus ce qui leur permettait d’exister : le monopole de la parole.

Et à propos de pub, Olivier, sachez que grâce à vous et en cliquant ici j’ai trouvé des vols à des prix abordables, par icelandair, vers l’Islande que je veux depuis longtemps visiter.

égéa : Bravo tout d'abord pour avoir cliqué sur la pub : vous prouvez ainsi que ce n'est pas seulement une aumône faite au titulaire du blog, mais aussi un moyen, qui sait, de voir des choses intéressantes. Yves, nous attendons donc un billet sur l'Islande (et non un billet vers l'Islande) qui nous raconte la géopolitique de cette île transatlantique, péripolaire et attirée par l'euro mais finalement en plein doute.

Attali est un has been, nous sommes tous d'accord, mais ses bouquins ont du succès il faut également le constater. Ce qui ne signifie pas qu'ils sont bons ou justes, d'ailleurs. Il appartient à ces dix sommités qui ont le droit de parler : Slama, Adler, Duhamel, Sorman, Debray, Glucksman, ... qui dissertent sur tout et n'importe quoi. Le mécanisme que vous évoquez sur le "débat"  public est forcément réduit. Parce qu'en ville (les fameux dîners que vous évoquiez) on ne débat plus.

Alors les blogs.... vous parlez des blogs de journalistes : mais ils sont odieux car ils ne correspondent pas à l'esprit blog : ils ont très rarement des liens vers des "amateurs" puisque ce sont des blogs "maison", payés par le journal. C'est la raison pour laquelle j'en mets très peu en lien. Ils ont tort car dans le dernier classement Wikio (la catég internationale, celle que je regarde) vous observerez qu'ils baisent tous. C'est logique, l'audience est mesurée par la capacité à faire des liens.

Quant au déclin, cela fait tellement longtemps qu'on en parle : c'est un "donné" de la géopolitique française : non pas son déclin, mais son discours du déclin qui traduit son angoisse du déclin :je m'en expliquerait plus exactement dans mon prochain bouquin sur la géopolitique de la France. Mais pour l'oinstant, je ne saurais trop vous inviter à lire le dernier, sur "l'OTAN au 21° siècle"....

Amicalement, OK

7. Le samedi 6 novembre 2010, 15:12 par yves cadiou

On va sortir du sujet, tant pis : amis d’égeablog, je vous prends tous à témoins parce que vous avez vu. Aussitôt que j’ai dit à Olivier Kempf qu’en cliquant sur une de ses pubs j’ai trouvé un vol vers l’Islande à un prix abordable, il m’a taxé : « mais alors, vous pourrez me faire un article sur l’Islande, pour mon blog ? » Ce n’était même pas une question, c’était l’expression d’une certitude. Avec le stylo sous la gorge, je ne pouvais pas refuser. Alors j’ai dit « bon d’accord, OK ! ».
Ce qui m’embête, ce n’est certes pas d’écrire au retour un article, j’aime beaucoup écrire. Non : ce qui m’embête, c’est qu’il va être déçu parce que je ne suis pas vraiment géopolitologue. Si je fais volontiers de la sociologie niveau café du commerce, je ne suis pas vraiment un analyste des relations internationales. Vous voilà prévenus. Et me voilà, j'espère, pardonné.

Pour parler d’Islande je vais procéder en deux temps. Le mieux à faire est de commencer à écrire avant de partir, d’expliquer sans l’avoir vue pourquoi l’Islande m’intéresse, à peu près les mêmes motifs pour lesquels, j’en suis sûr, elle vous intéresse tous. On verra ensuite ce qu’il en sera quand j’aurai fait connaissance.
Ce pays m’intéresse au point d’accepter pour le voir de me taper quelques corvées qui n’ont même plus l’attrait de la nouveauté pour moi : les heures d’avion, plus la valise à faire et à défaire, le train pour aller à Roissy en traînant ladite valise, au guichet d’icelandair l’enregistrement de la brosse à dents (je veux dire « mes bagages », ce qu’il y a dedans ne vous regarde pas… à ce propos, on verra comment sont les contrôles islandais, sûrement pas pires que leurs homologues états-uniens pour qui le monde est peuplé de terroristes), l’attente avant l’embarquement, et au retour bis repetita.

Ce cérémonial voyageux, devenu presque habitude parce que naguère j’ai beaucoup voyagé, ne devrait plus m’ennuyer mais ça m’ennuie pourtant. En plus des vrais voyages j’ai aussi un peu essayé, ce fut un temps dans le sillage d’une blonde dont la peau sentait bon, de faire partie de ces gens qui croient voyager quand ils vont bronzer à la piscine en prenant l’avion. Des séjours d’une semaine de sieste entre deux avions, certains clients appellent ça voyager. Dans ces conditions rien, ou presque rien, ne différencie Zanzibar de Marie-Galante, de Bodrum, de Djerba. J’ai laissé tomber ce genre de voyage répétitif et laissé tomber, bien que sa peau fût douce, cette vraie blonde qui n’imaginait pas voyager autrement. Ceci pour vous dire à quel point l’Islande m’intéresse en vous précisant que ma motivation essentielle n’est pas (pas seulement) le charme des Islandaises qui sont des Vikings, une origine que leur drapeau scandinave revendique ostensiblement.

L’Islande d’abord pour moi depuis longtemps, c’est l’angoisse de mes lectures d’ado, le naufrage du « Pourquoi-pas ? » avec Charcot et la majeure partie de son équipage, par mauvais temps à la sortie d’un port imprononçable, en panne de chaudière à cause d’une mauvaise tourbe qui chauffe mal. Charcot, avant de couler dans la nuit (je ne sais pas si c’est la nuit mais c’est l’imaginaire que j’en ai gardé), ouvre la cage de son oiseau de compagnie pour lui laisser une dernière chance. L’oiseau accepte de s’envoler dans la tempête. Cet oiseau sédentaire, on doute qu’il s’en soit tiré mais il n’y avait plus rien d’autre à faire.
Par-dessus cette image sombre, l’Islande est ensuite un sommet. Je vous prie par avance d’excuser le simplisme des explications « scientifiques » qui vont suivre, je ne suis pas compétent pour faire mieux. L’Islande est un sommet non parce que nos cartes sont orientées avec le nord en haut, mais bien le sommet d’une chaîne de montagnes volcaniques, la dorsale médio-atlantique que vous connaissez tous. D’autres sommets de cette dorsale émergent, Jan Mayen, les Açores, Ascension, mais le sommet islandais nous rappelle opportunément que la planète dite « bleue » sur laquelle nous vivons est surtout une boule de métal en fusion recouverte d’une fine croûte, solide mais qui présente quelques points faibles.
Sous l’Islande existe un « point chaud », comme sous l’Auvergne et autres lieux volcaniques. Le couvercle auvergnat étant moins fissuré que le couvercle islandais je ferais peut-être mieux d’aller à Saint-Flour, ou à Chaudesaigues dont les sources sont à 82°. Non : l’Auvergne vaut le voyage mais je connais déjà. Sous nos pieds, cette boule de métal en fusion peut certes nous inquiéter mais il faut surtout se souvenir qu’elle est génératrice d’un phénomène grâce auquel notre vie à la surface de la Terre est possible : ce métal fondu et mouvant induit le champ magnétique terrestre qui absorbe (ou qui dévie, je ne sais pas) la radio-activité solaire. Le Soleil est une énorme bombe H qui n’en finit pas d’exploser. Cette bombe crache continuellement dans l’espace une radio-activité mortelle à laquelle heureusement nous échappons grâce au champ magnétique à 60 kkm au-dessus de nos têtes (les « ceintures de Van Allen »).

Une récente hypothèse attribue la disparition des dinosaures à un arrêt temporaire du champ magnétique terrestre. On est tenté de dire « Dieu merci » parce qu’avec ces bêtes monstrueuses qui bouffaient tout, nous ne serions pas ici. L’Islande, avec son volcanisme à fleur de peau, nous rappelle ce miracle. Par conséquent on ne lui en veut pas de charger l’air, de temps en temps, avec de la poussière qui gêne nos avions.
Les dinosaures disparus, la vie sur Terre a pu reprendre à partir de petits mammifères qui, vivant dans des terriers, avaient été protégés. Ou peut-être à partir de mammifères marins, eux aussi protégés, devenus ensuite terrestres. Puis l’Evolution s’est faite peu à peu, produisant enfin après quelques dizaines de millions d’années de progrès génétiques celui que l’on attendait tous, la perfection de la Création, le roi du monde, j’ai nommé : l’Homme ! Tsa-tsoin-in... (tonnerre d’applaudissements).
« Je suis navrée de vous contredire, monsieur. L’homme n’est pas le sommet de la création. Voyez, j’ai là un document irréfutable : la Genèse. L’homme ne fut créé que le cinquième jour. Le sommet de la création, c’est la Femme parce qu’elle fut, et elle seule, créée le sixième et dernier jour.
---- Ah…? Je… euh… oui, vous avez raison Madame, excusez-moi, j’ai été inattentif pendant un instant.
---- Un instant qui dure depuis cinq mille ans. Mais il faut réviser vos vieux préjugés, monsieur : maintenant on est au Troisième Millénaire, depuis dix ans.
---- Pas tout à fait : dix ans dans un mois seulement. » Ouf, j’ai eu le dernier mot. Mais de justesse.

L’Islande, c’est aussi l’île de Calypso si l’on en croit l’Odyssée. Je devine que je ne suis pas au bout de mes surprises. Je vous raconterai. Si j’en reviens, de mes surprises.

Ah et puis pour recentrer en finale sur l’objet de ce blog : le volcanisme islandais s’explique parce que l’île est située à la jonction (ou à la séparation) de la plaque américaine et de la plaque eurasiatique. Tout un symbole. A suivre.

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