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Lecture du Concept Stratégique (II et fin)

Lors de mon précédent billet, j'évoquai les trois premières parties du nouveau concept stratégique. Voici la fin de l'analyse.

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Les prochains billets évoquerons les points particuliers et contingents évoqués lors de ce sommet.

O. Kempf

Quatrième partie : La sécurité par la gestion de crise

Lors de la préparation du sommet, notamment à l’occasion du rapport des Sages dirigé par Mme Albright, on avait beaucoup parlé d’ « approche globale » (comprehensive approach), un terme qui datait de quatre ou cinq ans. Or, cette expression n’apparaît qu’un fois dans le concept, dans un des articles de cette partie : les opérations montrent « qu’une approche globale – politique, civile et militaire – est indispensable pour une gestion de crise efficace ». Mais si l’approche globale est mentionnée, elle est liée aux crises, dans un cadre plus global qui est celui de la sécurité coopérative, plus politique.

Cette gestion de crise passe donc par un certain nombre d’outils : l’approche globale, donc (« l’analyse, la planification et la conduite des activités sur le terrain » pour favoriser « la cohérence et l’efficacité de l’action internationale d’ensemble »), l’anticipation et la prévention, la gestion des crises proprement dite (par l’envoi, si nécessaire, des forces projetables de l’alliance), soutien à la stabilisation et à la reconstruction (domaine nouveau).

Pour cela, l’Alliance promeut le partage du renseignement, une doctrine expéditionnaire pour des opérations de contre insurrection, et surtout « une structure civile de gestion de crise appropriée mais modeste afin d’interagir plus efficacement avec les partenaires civils » : ceci constitue une véritable nouveauté, puisque logiquement cette capacité devrait revenir à l’UE. Or, comme celle-ci tarde à mettre en place un tel outil, l’Alliance s’y résout (car il semble bien que cette structure restera au niveau du secrétariat international, donc au niveau politique, donc pas au sein de la structure intégrée, ce qui devrait garantir sa taille « modeste » mais aussi son caractère civil). D’ailleurs, le concept évoque un annuaire des « spécialistes civils issus des États membres, qui seront mis à disposition en vue d'un déploiement rapide par les Alliés ». Ainsi, ce point demeure une innovation marquante dont il faudra examiner la mise en œuvre avec attention.

Cinquième partie : Promouvoir la sécurité internationale par la coopération.

Cette partie constitue le deuxième aspect de la « sécurité coopérative » et elle compte plusieurs sous-parties. La première a trait à La maîtrise des armements, le désarmement et la non-prolifération. Si l’objectif est affirmé « d'un monde sans armes nucléaires » qui renvoie au discours de Prague du président Obama en avril 2009, si les réductions d’armements nucléaires déjà effectuées sont rappelées, il n’est pas question de poursuivre le mouvement pour l’instant : « Nous chercherons à réunir les conditions pour de nouvelles réductions ». Les critères sont donnés : il s’agit de réduire la disparité existant avec les armes russes (« stocks d'armes nucléaires de courte portée, plus importants du côté russe »). Cela clôt la discussion concernant les armes sub-stratégiques de l’Alliance, débat qui avait été soulevé au printemps par l’Allemagne, suivie de la Belgique, des Pays-Bas et de la Norvège. Ces armes seront maintenues, et la position américaine s’impose sans ambages. Le concept évoque succinctement la maîtrise des armements conventionnels en Europe sans rien ajouter de nouveau à son point de vue traditionnel.

Le concept traite ensuite de « la porte ouverte » : un seul article, assez court, pour réaffirmer le principe des élargissements. On est loin des débats qui ont animé l’Alliance de Riga (2006) à Strasbourg (2009) : la porte reste ouverte « à toutes les démocraties européennes ». L’adjectif n’est pas anodin car il cantonne l’Alliance à une zone géographique donnée, bien loin de certains rêves qui à une époque évoquaient une « alliance de toutes les démocraties ».

Il est ensuite question des partenariats. L’Alliance étend là, plus que jamais, sa proposition de partenariat pour l’étendre à un partenariat global qui reprend les idées de Zbigniew Brzezinski, exposées l’hiver dernier : « un vaste réseau de relations de partenariat avec des pays et des organisations du monde entier ». Après l’affirmation de principes (l’Alliance est disposée à coopérer avec tout pays ou organisation intéressé par des relations pacifiques : autant dire tout le monde, officiellement, sauf Al Qaida), le concept évoque les partenaires les uns après les autres.

Le premier est l’ONU, qui rappelle la déclaration commune signée en 2008 (même si on peut s’interroger sur la valeur de ce document, (cf. mon livre p. 366). La sobriété de l’article suggère, en creux, la gêne persistante.

Le suivant est l’UE. Je crois qu’il ne faut pas douter de la sincérité de l’Alliance quand elle affirme que « l’UE est un partenaire unique et essentiel pour l’OTAN » : les Etats-Unis ont opéré leur mue depuis trois ans déjà (avant même Obama) et ont compris qu’ils ne pourraient pas faire sans elle (n’en déplaise aux sceptiques et même si – ou peut être parce que- les Etats-Unis regardent vers d’autres parties du monde). La citation du traité de Lisbonne, la mention du partenariat stratégique, le rappel des rôles complémentaires ne sont pas des mots vains (et surtout, ils ne sont pas le fait des seuls Européens). L’appel à une plus grande coopération pratique paraît donc fondé, même si aucune allusion n’est faite au seul point de blocage : le contentieux turco-européen qui se cristallise sur l’affaire chypriote ; s’il est en effet une chose que le retour de la France dans l’OTAN a permis de clarifier, c’est bien que les obstacles au dialogue otano-PESD n’étaient pas le fait des Français, comme on le leur a souvent reproché.

La relation avec la Russie fait l’objet de deux articles qui rappellent que « l'OTAN ne représente aucune menace pour la Russie, au contraire ». Dès lors, « malgré certaines divergences sur des points particuliers », « la sécurité de l'OTAN et celle de la Russie sont indissociablement liées », notamment dans les domaines suivants : « la défense antimissile, la lutte contre le terrorisme, la lutte antidrogue, la lutte contre la piraterie ». Si la DAMB est mentionnée comme un possible point d’accord (alors qu’il s’agit d’une initiative alliée qui avait provoqué le raidissement russe en 2007), rien n’est dit des accords sur l’accès logistique à l’Afghanistan. Malgré le discours prônant la coopération, on sent encore une certaine gêne sur la question russe, entre certains (à l’ouest) partisans d’une plus grande ouverture et d’autres (à l’est) en faveur d’une plus grande fermeté. Cette hésitation fondamentale se ressent dans ces lignes.

Les autres instances de voisinage allié sont enfin évoquées : partenariat pour la paix (PpP), dialogue méditerranéen (DM), initiative de coopération d’Istanboul (ICI). On remarque que c’est dans ce paragraphe que l’Ukraine et la Géorgie sont mentionnées (et non dans celui sur la porte ouverte).

La dernière sous-partie évoque la réforme et la transformation. Évoquant le bienfait de la mise en commun de moyens (l’Alliance « dispose de capacités essentielles que peu d'Alliés pourraient se permettre individuellement »), elle rappelle la question des ressources « financières, militaires et humaines » qui doivent être allouées « suffisamment ». En conséquence, le concept fixe des objectifs en termes de déployabilité (sic), de planification de défense, de capacités (avec moins d’insistance que ce qui avait été affirmée dans des sommets précédents en 1999, en 2002 ou en 2006) et « de réforme continue », seule allusion à la réforme de la prise de décision.

Appréciation générale

En conclusion, que penser de ce concept ? tout d’abord, qu’il est assez éloigné du document des experts même s’il en reprend les principaux thèmes. Sa sobriété surprend heureusement : on a plutôt l’habitude de documents très longs et se perdant dans des détails. On pourra interpréter cette cursivité de deux façons : les pessimistes diront que cela signifie que l’Alliance a moins à faire, ce qui serait méchant, les optimistes, ou bienveillants, penseraient qu’il traduit un style assez vif et enlevé, significatif de la nouvelle image allégée, souple et dynamique, que l’Alliance veut donner d’elle-même.

Il est vrai que cela évite surtout un certain nombre de pièges et contourne, par l’ellipse, pas mal de difficultés, que nous avons signalées au cours de notre lecture. On retient toutefois quelques thèmes : l’invention de la « sécurité coopérative », expression bienvenue et plus explicite que la prétentieuse « approche globale ». Elle permet surtout d’encadrer la notion de partenariat étendu et omni directionnel, même si la traduction de celui-ci bute rapidement sur quelques obstacles, qu’il s’agisse de l’ONU, de l’UE ou de la Russie. Le rappel de l’article 5, la définition européenne de l’Alliance ou la description réaliste des menaces démontrent une alliance qui ne se paye pas de mots et qui parait lucide : ni trop ambitieuse envers son environnement (on est loin des années Bush où une sorte d’universalisme transparaissait) sans pour autant se replier à l’intérieur des frontières, au risque de dépérir. La réaffirmation du caractère nucléaire de l’alliance est nette, plus affirmée en tout cas que l’appel à la défense antimissile, même si celle-ci est clairement identifiée. Les questions du terrorisme, de la cyberdéfense ou de l’élargissement sont remises à leur juste place. Le concept innove enfin avec la structure civile de gestion de crise.

On remarquera les sujets oubliés : nulle mention de l’Afrique, nulle mention de l’Arctique. Comme si les marges de l’Alliance n’en étaient pas, et qu’elle ne se préoccupait que de ce qui est à son est (la Russie), à son sud-est (Méditerranée et Moyen-Orient) ou à son extrême-est (Afghanistan).

Il reste que le texte est équilibré : cet équilibre général est séduisant et le concept apparaît comme réussi. Il doit maintenant être apprécié à la lumière de la déclaration des chefs d’Etat, qui évoque les questions plus contingentes. Ce sera l’objet des prochains billets.

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 21 novembre 2010, 21:41 par

Re,

Quelques commentaires de nouveau :
* le terme "comprehensive approach" n'apparait jamais dans le texte anglais, il est flanqué de "political, civilian and military".
* effectivement la contribution civile de l'OTAN est une nouveauté. Elle est significative, car l'Alliance est terriblement endettée et on peut se demander qui va payer pour cette innovation. En outre, cela va-t-il répondre aux besoins de l'OTAN ? A voir.
* J'ai oublié de mentionner dans le commentaire du post précédent que la "sécurité coopérative" était souvent utilisée dans les débats US-Russie sur l'arms control dans les années 60.
* Le texte ne consacre pas "un partenariat global", mais ce que Rasmussen appelle "la connectivité globale". La différence est notable, car si l'OTAN est prête à entretenir des relations avec des pays éloignés, type Chine et Inde, la coopération sera toujours différente de celle développée au sein des partenariats structurés. Certains Alliés s'en assureront.
* Sur l'UE, le problème turco-chypriote n'est pas le seul obstacle. Il ne faut pas oublier que la bureaucratie de l'UE n'est pas particulièrement encline à travailler avec le Secrétariat international.
* Pour ma part, je trouve le Concept peu visionnaire. A l'exception de la structure civile et de l'annonce d'une ébauche de réflexion sur la DAM, il ne fait que consacrer que l'OTAN fait déjà. Toutefois, il sera intéressant de voir les décisions qui vont suivre.
égéa :

  • Je travaille sur le texte français, qui fait autant foi que le texte anglais (c'est un des derniers moments où le français, langue officielle de l'alliance, est encore mis en oeuvre). Je précise d'ailleurs que la compréhensive approach est immédiatement définie, dans le sens que vous notez. Par rapport aux précédentes mentions de l'expression (de mémoire, mais je n'ai pas vérifié, Bucarest et Strasbourg), cette précision est nouvelle.
  • D'accord pour l'UE. Oui, réticence de la structure UE (de même qu'il y a une réticence de la structure ONU).
  • Le partenariat global, effectivement, était trop marqué (évoqué d'ailleurs à Bucarest en 2008) : si le mot n'y est pas, l'idée demeure, inspirée de Brzezinski.
  • Concept peu visionnaire : pas faux, mais je trouve que c'est justement sa qualité : il est pragmatique et lucide sur l'environnement à dix ans (sa portée chronologique). Après, on peut chipoter sur la validité des réponses (par exemple : faut-il réellement une DAMB pour répondre à une prolifération mimssilière ? je ne sais pas, mais une réponse affirmative n'est pas illogique et donc, que l'alliance soit le cadre de cette DAMB est là encore cohérent).

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