Hérodote et la géopolitique de la France
Par Olivier Kempf le lundi 6 décembre 2010, 22:18 - France - Lien permanent
Je viens de terminer le n° 135 d'Hérodote, la revue de géopolitique d'Yves Lacoste, consacré à "France, enjeux territoriaux" (4ème trimestre 2009).
Et je me faisais quelques remarques.
En effet, Barbara Loyer signe, en fin de numéro, un article intitulé : "Retour sur les publications de l’équipe d’Hérodote : Hérodote et l’analyse des problèmes géopolitiques en France, une ambition citoyenne". Voici ce qu'en dit le résumé : "Cet article fait un bilan des travaux de l’équipe d’Hérodote sur la très grande diversité des situations politiques en France, les stratégies politiques et les représentations qui servent à les rendre légitimes. Il montre l’évolution de notre approche intellectuelle des problèmes géopolitiques de la France depuis 1981 : décentralisation, régionalisation, immigration postcoloniale, évolution du sentiment national, et l’importance de la dimension territoriale des analyses proposées".
Or, on s'aperçoit que le traitement de la géopolitique française se fait uniquement à l'échelon local. Cela me surprend. Yves Lacoste et sa Galatée, Béatrice Giblin, ont publié, à vingt ans d'intervalle, deux "géopolitique des régions françaises". Même le grand œuvre d'Yves Lacoste, "vive la nation", n'est tourné que vers la politique intérieure.
EN fait, Hérodote ne fait, pour la France (et à la différence d'autres contrées), que de la géopolitique interne. Elle ne va pas au bout de la démarche. Comme si :
- il y avait encore un fond de réticence, inavouée, envers une géopolitique de puissance : revanche inconsciente des pontes géographes d'autrefois contre qui Y. Lacoste s'est élevé, et qui bannissaient la géopolitique, marquée indélébilement de la Geopolitk allemande. Les Ancel, les Martonne inspireraient, encore, leurs lointains descendants, ceux-là même qui les avaient critiqué pour arriver au faîte.
- l'analyse d'Hérodote utilise la géopolitique pour une lecture simplement politique du pays, permettant de réintroduire un discours en quelque sorte post-marxiste : à l'origine, Hérodote avait dû rompre des lances avec le marxisme de strict obédience qui régnait, au mitan des années 1970, sur l'université française. 40 ans plus tard, l'écroulement communiste achevé, les héritiers de la pensée de gauche se retrouvent pour parler politique, comme autrefois.
Cela ne signifie pas que le discours est inintéressant, on y trouve encore des éclairages qui valent le détour. Mais on a l'impression d'une pensée en vase clos, parlant entre soi.
O. Kempf
Commentaires
Je pense plutôt que c'est une réticence à voir la France comme une puissance. On voit tellement la montée en puissance chinoise, les avancées brésiliennes ou indiennes et la place encore très prépondérante des Etats-Unis que l'on en oublie la place dans la France dans le monde (ses forces, ses faiblesse comme ses perspectives d'évolutions).
Mais à cela je vois aussi la crainte d'avoir des pensées néocolonialistes (à gauche comme à droite) ou qui pourraient être jugées comme telles. Comme un refus de l'idée que les Etats ne puissent pas avoir des intérêts (c'est à dire pour les citoyens aussi dans le cas de la France).
Mais cette difficulté à se penser comme puissance c'est aussi le problème de l'Europe ...
"EN fait, Hérodote ne fait, pour la France (et à la différence d'autres contrées), que de la géopolitique interne." : Giblin, "nouvelle" chef d'Hérodote, est justement celle qui a montré à son mentor Lacoste que la géopolitique pouvait s'exprimer à l'échelon local, notamment dans le cadre de ses travaux de thèse sur les élections dans le Nord Pas-de-Calais (expliqué assez longuement par le grand Yves lui même dans La géopolitique et le géographe dont j'ai déjà parlé)
égéa : oh ! je ne sais qui est à l'origine de la tendance : je ne fais que la constater, c'est tout. Si Lacoste est victime consentante de Giblin, c'est qu'il n'est pas guelfe !
Oh mais ce n'était pas un reproche ! D'ailleurs du coup j'ai appris un mot aujourd'hui, c'est déjà ça de gagné !