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De la différence d’application entre Sun Tzu et Clausewitz (Y. Couderc)

Le Chef de bataillon Yann Couderc, promotion Général de Gaulle de l'Ecole de guerre, m'envoie ce texte très intéressant : Sun Tzu est très en vogue pour des tas de stratégies civiles, Clausewitz n'est en vogue que pour les stratégies militaires. La question posée est : pourquoi ?

sun_tzu.jpg

Et ce que j'apprécie beaucoup dans cet article, c'est qu'après une enquête scrupuleuse de toutes les raisons possibles de cette différence, l'auteur n'est finalement convaincu par aucune, et le dit. Ce qui nous change agréablement des articles où l'on nous assène des certitudes. Merci donc à lui.

O. Kempf

Sun Tzu et Clausewitz sont communément considérés en Occident comme étant les deux plus grands stratèges de l’Histoire. Cependant, leur traitement est totalement différent.

Qui n’a jamais remarqué l’un des ouvrages appliquant Sun Tzu au monde des affaires ? Si seulement quatre sont disponibles en français , les références anglo-saxonnes foisonnent. Plus encore, loin de se restreindre au seul univers de l’entreprise, L’art de la guerre est également transposé aux domaines les plus insolites. En français, les seuls thèmes iconoclastes traités sont la médecine, la séduction et le développement personnel des femmes ; mais en anglais, sont abordés des thèmes aussi inattendus que la vie de couple, l’éducation des enfants, la gestion du budget familial, le golf, la prévention criminelle ou même le flirt !

Si les interprétations de Sun Tzu dans les domaines autres que le conflit armé sont légion, il n’existe en revanche aucun ouvrage français étudiant L’art de la guerre d’un point de vue strictement militaire ! Quelques livres ont été écrits en langue anglaise sur le sujet, mais ils s’avèrent cependant peu nombreux .

Étudions maintenant le cas de Clausewitz.

A contrario de Sun Tzu, le nombre d’articles et de livres étudiant le stratège prussien sur le strict plan militaire est impressionnant. Dans son ouvrage Clausewitz en France , Benoît Durieux n’en recense pas moins de 500 !

A l’opposé, les applications de Clausewitz au monde de l’entreprise sont très réduites. Si quelques ouvrages de ce type existent en allemand, seuls deux sont parus en français et un seul en anglais . Quant à des applications à d’autres domaines de la vie courante, il n’y en a tout simplement pas !

Partant du principe que la quantité de livres écrits, quelle qu’en soit la qualité, représente un indicateur assez fiable de l’activité de recherche dans le domaine, on constate donc bien que le traitement de Sun Tzu et Clausewitz s’avère totalement opposé.

Aussi sommes-nous en droit de nous demander pourquoi une telle opposition symétrique existe entre les deux plus grands classiques de la stratégie militaire : Pourquoi Clausewitz est-il plus étudié par les militaires que Sun Tzu ? Et pourquoi L’art de la guerre n’est-il pas pratiqué comme un véritable manuel militaire ?

Cet article ne prétend pas donner de réponse définitive à ces questions. Il aspire seulement à ouvrir le débat en alimentant la réflexion sur le sujet.

Une stratégie philosophique ?

Une explication quasi systématiquement avancée pour justifier que l’on détourne Sun Tzu de son discours initial sur la guerre est que son traité se place au niveau des constantes psychologiques du comportement humain. On lui attribue en effet un contenu purement philosophique pouvant inspirer de manière générale la conduite des individus ou des groupes.

Pour Hervé Coutau-Bégarie , Sun Tzu traite de stratégie selon une méthode classifiée de « philosophique » : elle part des concepts pour donner lieu à un enchaînement logique de propositions. Cette méthode abstraite cherche plus à penser la guerre qu’à donner les techniques pour la faire. Comme le dit Sun Tzu, « un général ne cherche pas à rééditer ses exploits, mais s’emploie à répondre par son dispositif à l’infinie variété des circonstances. » La pensée philosophique de Sun Tzu est en fait la transposition au domaine de la guerre des préceptes généraux d’une sagesse qui doit s’appliquer dans tous les secteurs de la vie sociale. D’où des maximes qui surprennent le lecteur occidental imprégné d’une pensée manichéenne opposant radicalement l’Ami à l’Ennemi, telle l’injonction de toujours laisser une possibilité de fuite à l’armée adverse encerclée. Un tel précepte ne se justifie en effet que par une conception de la guerre qui n’a pas pour but la conquête ou le pillage, mais le retour à un juste ordre des choses.

Il ne paraitrait dès lors pas absurde de chercher à savoir si une méthodologie qui aurait prouvé son efficacité dans le monde militaire ne pourrait pas être transposée dans d’autres domaines de la vie sujets à des confrontations. Comme l’avait définit le général Beaufre , la stratégie est en effet « l’art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit ».

Pour intéressante que puisse paraître cette explication, elle ne nous semble cependant pas satisfaisante. En effet, Clausewitz correspond tout autant à la définition de stratégie philosophique que Sun Tzu. Pour Hervé Coutau-Bégarie, il en est d’ailleurs « le modèle indépassable » . Or le général prussien n’a, à quelques exceptions près, été décliné dans aucune discipline non militaire.

Une simple question de nombre de pages ?

Pour expliquer que Sun Tzu soit transposé dans les domaines les plus divers et pas Clausewitz, l’idée communément répandue est que L’art de la guerre est très facile à lire et a donc été lu par tous, à la grande différence son homologue prussien.

Si l’on prend le texte seul, sans note, L’art de la guerre ne fait que quelques dizaines de pages. Et le style est simple, la lecture ne pose aucune difficulté. La comparaison avec le pavé aride que représente De la guerre est flagrante. Alors que le style de Clausewitz est particulièrement rêche, L’art de la guerre est rempli d’aphorismes en apparence très faciles à saisir. Selon Hervé Coutau-Bégarie, « le seul stratégiste qui ait davantage été traduit que Clausewitz est Sun Zi. Encore sa vogue ne tient-elle qu’en partie à sa valeur intrinsèque : elle s’explique aussi par le prestige de l’ancienneté – 2400 ans – et plus encore par sa brièveté. Les versets de Sun Zi, gloses exclues, ne représentent en effet qu’une vingtaine de pages et ils semblent d’une approche si facile que le lecteur le plus paresseux peut en tirer sans peine de quoi briller en société. Clausewitz, lui, a écrit une somme de 800 pages imprégnées d’idéalisme allemand : c’est long, c’est difficile et pour dire le fin mot de l’affaire, c’est de prime abord très ennuyeux. »

Un indicateur inattendu de la volonté du public d’aborder ces ouvrages peut être trouvé dans le recensement des applications existant sur iPhone respectivement consacrées à Sun Tzu et à Clausewitz : 80 pour Sun Tzu, deux pour Clausewitz ! La comparaison est sans appel.

Mais là encore, cette explication nous laisse sur notre faim : si la rudesse d’abord de Clausewitz devait conduire à une faible lecture, comment alors expliquer les 500 références françaises évoquées en introduction ?

Une différence de profondeur ?

« Les essais de Sun Tzu sur L’art de la guerre constituent le plus ancien des traités connus sur ce sujet, mais ils n’ont jamais été surpassés quant à l’étendue et à la profondeur du jugement. Ils pourraient à juste titre être désignés comme la quintessence de la sagesse sur la conduite de la guerre. Parmi tous les théoriciens militaires du passé, Clausewitz est le seul qui lui soit comparable. Encore a-t-il vieilli davantage et est-il en partie périmé, bien qu’il ait écrit plus de 2000 ans après lui. Sun Tzu possède une vision plus claire, une pénétration plus grande et une fraîcheur éternelle. » Ces propos sont de Liddell Hart . Constitueraient-ils une explication à notre problème ?

Ces quelques lignes qui introduisent la traduction anglaise très largement répandue de Samuel Griffith de L’art de la guerre méritent en réalité d’être relativisées. Ce tropisme anti-clausewitzien n’était en effet pas partagé par tous les stratégistes anglo-saxons, et Liddell Hart lui-même a d’ailleurs par la suite grandement atténué sa position à l’égard de Clausewitz. Hervé Coutau-Bégarie adopte même un point de vue tout-à-fait contraire : « Clausewitz a produit une théorie de la guerre articulée dans ses moindres détails, donc infiniment plus profonde que les simples pistes de réflexion proposées par Sun Zi. »

Face à ces deux positions, il est donc permis de considérer que tant Sun Tzu que Clausewitz présentent une grande profondeur, largement suffisante pour justifier ne serait-ce qu’une exégèse militaire. Or ce n’est pas le cas pour Sun Tzu.

L’argument de la différence de profondeur ne se révèle donc pas valide.

Un texte ayant moins bien vieilli que l’autre ?

« Clausewitz, homme de son temps, n’envisage la guerre que comme un conflit entre des Etats. Il ne lui vient pas à l’idée qu’elle puisse opposer un Etat à une nébuleuse terroriste, comme aujourd’hui. De fait, ses enseignements doivent être réinterprétés, réadaptés en profondeurs. Quand on est confrontés à un conflit asymétrique contre un groupe non-territorialisé, la dimension politique est prépondérante. » Ce propos d’Hervé Coutau-Bégarie laisserait penser que Clausewitz a mal vieilli et n’est plus adapté aux conflits contemporains. Or le stratégiste britannique Hew Strachan répond : « Clausewitz garde sa valeur interprétative précisément parce que son approche n’a rien de définitif, parce qu’il traite de nombreux thèmes et non d’un seul et parce qu’il savait bien que si une génération peut privilégier l’un d’entre eux, la suivante peut en préférer un autre. » Benoît Durieux conclut : « Clausewitz ne fournit pas de recette pour gagner une guerre, ni après le 11 septembre ni avant. Il constitue plutôt un outil extrêmement puissant qui nous permet de comprendre la conflictualité. » C’est ainsi que les réinterprétations ont finalement permis de transposer les idées de Clausewitz à toutes les nouveautés stratégiques telles l’aviation ou les « opérations autres que la guerre » (qui en fait relèvent des militaires).

Nous nous retrouvons donc à notre point de départ, puisque les deux traités présentent une importante plasticité et peuvent ainsi être interprétés à l’envie.

Or Clausewitz ne l’est pas.

Une explication par morceaux ?

Une dernière tentative d’explication peut être avancée : le bond économique que vit la Chine est source d’intérêt pour les Occidentaux ; ces derniers pourraient alors paraître désireux de comprendre la stratégie de leur adversaire économique afin de la contrer, voire l’adopter. La toute première adaptation chinoise de Sun Tzu au monde de l’entreprise date d’ailleurs de 1984, coïncidant ainsi avec la croissance économique chinoise des deux dernières décennies.

Cet argument n’amène pas de contradiction immédiate. Il convient cependant de noter que les Japonais n’ont pas attendu les années 90 pour décliner Sun Tzu au monde des affaires : en 1963 paraissait déjà une exégèse de Sun Tzu hors du champ strictement militaire .

Cette explication pourrait donc s’avérer moins critiquable que les précédentes, mais elle n’explique pour autant pas la déclinaison de L’art de la guerre à tous les domaines iconoclastes tels ceux évoqués en introduction ni la désaffection pour l’étude militaire de Sun Tzu.

Concernant la déclinaison aux domaines iconoclastes, un deuxième volet d’explication pourrait provenir du fait que l’enseignement de Sun Tzu venant de Chine, il bénéficie dès lors d’un parfum d’exotisme permettant de dédouaner les interprétations les plus farfelues de son traité. Clausewitz en revanche étant Occidental, les extrapolations qui en sont tirées seraient plus susceptibles d’être contredites par des experts du stratège prussien. Comme le souligne Hervé Coutau-Bégarie, « même si la pensée allemande n’est pas toujours très accessible à un esprit français, Clausewitz nous est au fond plus proche que Sun Zi. »

Peut-être convient-il cependant de noter que les avatars de Sun Tzu sont également particulièrement développés en Chine. Dans ce pays, on ne compte plus les adaptations de L’art de la guerre aux domaines les plus divers tels le sport, le jeu ou la bourse. Or, excepté son ancienneté, l’exotisme de Sun Tzu est très relatif pour un Chinois…

Concernant la quasi absence d’études occidentales spécifiquement militaires sur Sun Tzu, par opposition à la foison de productions relatives à Clausewitz, aucune explication ne paraît en revanche valable. On l’a vu, L’art de la guerre présente une véritable profondeur stratégique. Qu’elle soit inférieure ou supérieure à celle de Clausewitz ne peut expliquer un tel passage du tout au tout en matière d’exégèse.

Afin d’éclairer notre réflexion, il peut être utile de préciser qu’en Asie, un seul pays étudie réellement L’art de la guerre d’un point de vue militaire : la Corée du Sud . Au Japon, pourtant premier pays à avoir appliqué Sun Tzu hors de ses frontières, seul un livre semble avoir été publié sur ce thème depuis au moins les cinquante dernières années . Ce mutisme nippon peut en partie s’expliquer par l’interdiction qui avait été faite aux Japonais de toute activité militaire au sortir de la seconde guerre mondiale, atrophiant de fait toute réflexion relative à l’emploi des armées. Enfin, si les Vietnamiens ont grandement étudié L’art de la guerre par le passé, plus rien n’a été produit depuis l’arrivée des Français au XIXe siècle.

Au final, l’auteur de ces lignes n’est donc que modérément convaincu par l’explication « par morceaux ». La question de l’opposition symétrique dans les transpositions des traités de Clausewitz et Sun Tzu reste ainsi ouverte.

Y. Couderc

Commentaires

1. Le lundi 4 avril 2011, 22:33 par

Bonsoir,

Si l’avocat peut prendre pour une fois le pas sur l’auteur… Par-delà les différences, l’absence de Clausewitz en dehors de la sphère militaire tient en ce que, contrairement à ce que les gamins des écoles de commerce croient parce qu’on leur bourre le crâne avec ça depuis vingt ans (j’étais alors aux Etats-Unis lorsque les universités US ont « découvert » Sun Tzu), le commerce n’est pas la guerre. Sun Tzu décrit la guerre comme un des modes de gouvernement d’un prince avisé, la guerre n’est finalement qu’une modalité parmi d’autres de gestion d’un monde globalisé, et ça plait à tous ceux qui voient le monde ainsi. A l’inverse Clausewitz, si l’on veut bien dépasser la célèbre formule sur la continuation de la politique (et inverse, parce que la phrase est finalement un palindrome, d’ailleurs les inversions en allemand induisent souvent en erreur), décrit la guerre comme un phénomène autonome, qui échappe à ses initiateurs, ingérable. Du coup, il n’y a que les militaires qui s’y penchent, pas les commerciaux, ni les diplomates, ni les journalistes, ni les étudiants.

Mais à côté des militaires il y a également les avocats. Lorsque je fais un licenciement pour un salarié, la première chose que j’essaie de lui expliquer est que, contrairement à une négociation commerciale, il n’y aura pas de point d’équilibre. Quand deux commerciaux négocient, il y en a un qui a une camelote à refiler à l’autre qui en a besoin et qui a le fric pour l’acheter. Mais faire signer un chèque important d’indemnité à un patron, c’est le convaincre de se donner un coup de pied au cul. Une transaction (et je ne parle même pas d’une procédure devant le juge social) n’est pas un contrat commercial, c’est un jeu de menaces réciproques, le patron menaçant de licencier pour faute grave avec toutes les conséquences pécuniaires pour le salarié, celui-ci faisant état en retour de son éventuelle capacité de nuisance. Il n’y a pas de consentement mutuel. En un mot, contrairement au commerce, c’est la guerre. Il n’est qu’à assister à certaines audiences de Prud’Hommes (qui ressemblent bien souvent aux procédures de divorces pour faute), et voir les accusations réciproques et les pièces hallucinantes parfois produites, pour comprendre que chaque partie veut la peau de l’autre. Lire des conclusions de la partie adverse, et y comprendre qu’on a en face de soi quelqu’un qui veut vous démolir est quelque chose qui déstabilise souvent mes clients. C’est comme Gamelin et Georges le 13 mai 1940 qui découvrent qu’en face il y a des types qui ne jouent pas le jeu. Or Sun Tzu ce sont des préceptes dans un monde, chinois avant-hier, global aujourd’hui, où tout le monde accepte les mêmes règles. C’est un peu ce que l’Europe tenta un court instant de mettre en place avec ce qu’on nomme depuis « les guerres en dentelles ».

Voilà pourquoi à mon sens Clauzewitz ne sort pas de la sphère militaire : la guerre est quelque chose que les gens refusent d’envisager. Le problème de ces vingt dernières années, c’est qu’on a tout fait précisément pour « policer », « civiliser » la guerre. Et surtout faire croire qu’elle est gérable. Or ce fameux « brouillard », n’est-ce pas précisément ce que tente depuis 1945 de conjurer le management américain, et tous ceux qui paniquent depuis 2008 devant un monde qui échappe à leurs modèles ? Dans ces conditions, la totalisation de Sun Tzu est plus reposante. Mais trompeuse.

Immarigeon

égéa : J Phi, cela faisait longtemps ! bravo pour cette analyse fort percutante. J'aime beaucoup ton analyse du brouillard, qui est une façon particulièrement remrquable de revisiter le sujet, et d'expliquer notr environnement.

2. Le lundi 4 avril 2011, 22:33 par oodbae

Sun-Tzu fait plus classe que Clausewitz.
On connaît tous les blagues sur Lao-Tseu et sa sagesse: "Qui se couche avec le cul qui gratte, se lève avec le doigt qui pue." L'ouvrage de Sun-Tzu fait partie d'une oeuvre sujette à un mythe sur la sagesse chinoise, et même orientale en général, s'appuyant en partie sur l'ancienneté (évoquée par l'auteur) et sur l'attrait pour l'inconnu que l'Orient exerce sur l'Occident depuis Marco Polo et même avant. Ce n'est pas une révélation. D'ailleurs, le billet suivant critiquait déjà amèrement cet attrait fantasmatique: http://www.egeablog.net/dotclear/in... .
Par contre, le nom Clausewitz déjè,rebute. Ca sonne allemand, et pour cause..., prussien, teuton, boche, impérial, nazi, noble, guerre mondiale. C'est moins sexy. Et pour couronner le tout, toutes les couvertures affichent un portrait d'un garcon à bouclettes souriant comme Marie-Antoinette. D'emblée, on préfère retourner à un titre plus accrocheur du type "faut il brûler la contre-insurrection? ". Il est vrai cependant que ces arguments concernent plus la vulgarisation de cette oeuvre que la recherche à son endroit.

Monsieur Couderc aborde pragmatiquement le nombre caractéristique de pages de chaque ouvrage. A mon avis, il ne faut pas négliger cette apparente facilité de la lecture de Sun-Tzu. L'auteur l'évoque bien; commentant cet ouvrage, on peut facilement briller en société et publier dans les revues étant donnée que rares sont les personnes ayant lu l'ouvrage et encore plus rares sont les personnes l'ayant compris (moi-même, je ne l'ai pas lu, et pourtant, j'écris un commentaire ...). Pensons au Prince de Machiavel!! Cet ouvrage célèbre n'est composé que de petits articles de 5 pages que n'importe quel(le) alphabétisé(e) peut lire aux toilettes! Et je sais de quoi je parle ! Pensons au succès récent de "Indignez-vous" de S.Hessel. A contrario, combien de communistes ont lu "Kapital und Politik" de Marx?

Par ailleurs,j'ai lu une critique de la pensée francaise, de Umberto Eco me semble t il, qui reprochait aux francais de vivre en autarcie philosphique depuis plus d'un siècle, c'est à dire que nous nous fermons à toute pensée non francaise depuis le milieu du XIX ème siècle, à l'exception notable de la pensée allemande. Peut-être que Clausewitz a bénéficié de cette dérogation au sein des cercles intellectuels des militaires, ceci justifiant ainsi les 500 références francaises à VC.

Revenant à la discussion ayant trait à l'épaisseur des ouvrages respectifs, Clausewitz, ayant écrit un pavé, mâche le travail des intellectuels pour la rédaction de leurs études mais augmente mécaniquement toute entreprise de transposition de sa pensée du fait de la densité de son oeuvre. Par contre, avec les 20 pages de Sun Tzu, toute analyse nécessitera certes un effort personnel d'imagination mais laissera toutefois le champ libre aux interprétations. Par analogie, c'est la même différence qu'entre un commentaire composé et un sujet de dissertation (deux des épreuves de francais au Bac). Or, parmi les Bac S, le commentaire composé a plus souvent les faveurs que la dissertation. Y a t il plus de "scientifiques" ou de "littéraires " parmi les officiers de l'armée francaise?

3. Le lundi 4 avril 2011, 22:33 par Midship

La présentation du chef de bataillon Couderc est claire, fraîche et humble : ça fait du bien.
La comparaison entre transaction commerciale et licenciement d'Immarigeon est également très éclairante et je l'utiliserai probablement pour expliquer en quoi, au final, la guerre n'est pas le reste. Et du coup également pourquoi le politique ou le militaire ne sont pas (ne doivent pas être / ne devraient pas être) des commerciaux ou des marketeurs.

Une précision très anecdotique toutefois : il y a des gamins d'ESC qui se retrouvent militaires, toujours gamins, mais moins manichéens ... comme votre serviteur.

4. Le lundi 4 avril 2011, 22:33 par RB

Une autre piste de réflexion serait que pour nous autres les habitants de l’extrême ouest de l’Eurasie, Clausewitz serait beaucoup moins présentable que Sun Tzu.
Admettons l’hypothèse que le stratège chinois ai réellement existé et que ses textes ne soient pas une compilation d’écrits de différentes époques.
Alors certes, sa pensée peut-être comprise comme universelle car ayant ses origines dans les fondements anthropologiques, mais surtout elle se réfère à des formes et à des niveaux de violence encore acceptables pour la psyché humaine. Le guerrier y combat ses semblables à armes égales et l’intelligence, le courage physique et les valeurs morales font la différence. Bref pour nous autres, une guerre à visage humain (…) où la mort donnée et reçue a un sens.
À l’inverse, Clausewitz serait le symbole de la guerre de masse (de la guerre contre les masses) et du massacre mécanisé et généralisé des 19ème et 20ème siècles.
Bref, le prussien serait beaucoup moins sexy pour vendre du papier sur le management ou sur l’amélioration de son drive au golf.

5. Le lundi 4 avril 2011, 22:33 par Jean QUINIO

merci pour cette très bonne contribution.
Je suis tout à fait séduit par les thèses avancées par le Cba Couderc.

J'adhère particulièrement à la thèse culturelle. Certes le nombre de page de Sun Tsu et sa lecture facile sont importants. Mais plus globalement, il me semble que dans ce combat de gondoles la permanence de Sun Tsu puisse venir d'une sorte de reproduction culturelle. Cette idée est avancée dans le post, mais pas assez à mon sens.

Qui lit CVC ? Ceux qui connaissent qqun qui a lu CVC ou ceux qui reçoivent l'ordre de lire CVC (École de guerre ou les heureux préparants). C'est un vase clos.
Sun Tsu, lui, a bénéficié d'un attrait à l'époque moderne grâce à son accessibilité et son exotisme. Or, le vase des lecteurs est poreux et bien plus large. Il croît donc plus facilement et se diversifie plus facilement à mon sens. La reproduction.

Ainsi, cette distinction plaide in fine pour la porosité et la diversification intellectuelle et littéraire des "pros" de stratégie, de géopol (civils mais aussi milis)...

Un élan est en marche, EGEA en est le signe. CVC pourrait avoir sa revanche sur le texte chinois.

Quand CVC s'éveillera ...

égéa : bon, je comprends le reproche caché : oui, je poursuivrai ma lecture publique de CVC, mais cet été, quand j'aurai un peu de temps.... Et oui, j'ai envie de le terminer.

6. Le lundi 4 avril 2011, 22:33 par Frédéric FERRER

Une explication supplémentaire pourrait provenir de l'interprétation parcellaire des écrits de Clausewitz, qui après lecture superficielle paraissent faire l'apologie de la stratégie directe. Durieux (Relire Clausewitz) comme Desportes (Comprendre la guerre) soulignent tous deux cet état de fait. A l'opposé, Sun Tzu passerait à nos yeux d'occidentaux comme le maître à penser de tous les adeptes du mode indirect.

Le succès de Sun Tzu dans la littérature contemporaine serait peut-être tout simplement à mettre en rapport avec l'air du temps, le monde planétisé semblant avoir opté pour ce mode, comme évoqué par O.Kempf dans un récent billet.

7. Le lundi 4 avril 2011, 22:33 par

@ F. Ferrer.

Bonsoir. Vous avez effectivement mis le doigt sur quelque chose d’important : vu que la stratégie directe atteint très vite ses limites, mais que notre monde globalisé veut tout gérer et organiser, Sun Tzu, qui prétend tout envelopper par des actions sur des actions possibles, l’induction, ou encore l’effet papillon (tout ce qui précède ne se recoupe pas mais procède de la même idée mécaniste et cartésienne d’un enchaînement causal et prévisible d’évènements), Sun Tzu donc, semble correspondre aux modes actuelles.

Sauf que lorsque vous demandez de définir la stratégie indirecte, on vous répond qu’il s’agit non pas d’attaquer de front mais à revers. Une sorte de « schwerrpunkt » optionnel, par exemple attaquer aux Dardanelles puis en Roumanie durant la première guerre mondiale. Pour moi les fronts secondaires sont toujours de la stratégie directe, parce qu’il y a un lien de causalité connu d’avance, avec un taux d’efficience variable voire négligeable (donc négligé : Sedan 1940). Mais la vraie stratégie indirecte, c’est d’attaquer là où personne ne vous attend parce que, a priori, c’est hors sujet, sans lien apparent ni prévisible avec l’objectif principal, sauf celui qu’on va créer (c’est quantique ?). Si on lit bien Sun Tzu, c’est de cela dont il parle.

Je reprends mon expérience d’avocat lors de licenciement de salarié. On peut se trouver dans des cas où des tiers au lien contractuel sont les initiateurs du licenciement. Un cas que j’ai rencontré : un investisseur qui pousse une start-up à dégraisser. Prud’Hommes : salarié vs ex-employeur. Sauf qu’il y a une jurisprudence fort rare et que peu de mes confrères connaissent, qui dit qu’il n’y a aucune raison de ne pas mettre en cause l’initiateur du licenciement sur le fondement non plus du Code du travail mais de la responsabilité civile article 1382, et de le faire devant les Prud’Hommes au titre de l’unicité de l’instance.

Eh bien je peux vous dire que lorsqu’un gros investisseur ayant pignon sur rue reçoit une convocation aux Prud’Hommes pour un licenciement dont il n’a jamais eu connaissance et que l’ex-employeur reçoit un coup de fil furieux demandant des explications et un ordre d’en terminer au plus tôt, le litige trouve très très très vite une solution. C’est ça, la stratégie indirecte. J’ajoute que c’est, dans la logique de moindre action de Maupertuis, une stratégie de grand paresseux : faire faire mon boulot d’avocat de « persuasion » de l’ex-employeur par quelqu’un d’autre.

Dans Sun Tzu il y a ainsi beaucoup de choses incomprises et incompréhensibles pour notre esprit cartésien. Ainsi, lorsqu’il suggère que l’effet de surprise peut être aussi, à l’inverse, d’attaquer là où c’est le plus évident, le plus visible, précisément parce que ça l’est tellement que l’adversaire va finir par ne plus s’y attendre. Sedan 1940, toujours… C’est ça aussi, la stratégie indirecte.

C’est pourquoi le problème est que Sun Tzu, avec son côté « comment gagner la guerre en dix leçons du Reader’s Digest » (je ne sais même pas si ça existe encore, ce monument à la bêtise américaine) fait croire à beaucoup qu’ils peuvent devenir de grands stratèges comme, disait Michel Serres lors du discours de réception de René Girard sous la Coupole, on apprend le Code de la route. Sun Tzu est utile, comme les « 36 Stratagèmes », pour conceptualiser lorsqu’on a déjà pratiqué, qu’on s’y reconnait : mais pas l’inverse. C’est pourquoi Clausewitz est sur le plan théorique beaucoup plus utile et fécond, parce que plus complexe. Comme la guerre. Comme la vie.

Immarigeon

8. Le lundi 4 avril 2011, 22:33 par Jean-Pierre Gambotti

Au risque d’être déclaré tricard de cet excellent blog, je vais faire à nouveau dans le dissensus estimant que notre camarade Yann Couderc nous a très habilement placés dans une chausse-trape….Je veux dire que son interrogation sur le déséquilibre exégétique et "l’opposition symétrique entre les transpositions des traités de Clausewitz et Sun Tzu", nous inviterait à un fécond et enthousiasmant débat si l’étude comparative de l’œuvre unique de ces deux stratégistes était dialectiquement possible. A mon avis ce n’est pas le cas.
Si j’osais je dirais que Clausewitz fait une approche phénoménologique hégélienne de la guerre, c'est-à-dire qu’il analyse jusque dans ses mécanismes les plus intimes le phénomène guerre, en décrypte sa logique et élabore une sorte de grammaire universelle et indépassable de la stratégie.
Sun Tzu pour sa part, nous propose ses principes de la guerre, très vraisemblablement empiriques, retours d’expérience de plusieurs décennies de conflits, qui le conduisent à concevoir une stratégie modèle, une sorte de paradigme de la guerre à conduire, dont la synthèse des synthèses se trouve dans la préface de L’art de la guerre – Flammarion 72, "L’armée donne le coup de grâce à un ennemi rendu préalablement vulnérable". Sun Tzu est l’initiateur de la stratégie indirecte, Liddell Hart confirme dans ce prologue, qu’il en est un épigone prosélyte.
Grammaire stratégique contre stratégie indirecte, avec Clausewitz nous sommes dans le tout, avec Sun Tzu dans la partie.
Ainsi n’est-il pas étonnant, me semble-t-il, que les exégètes de Clausewitz les plus nombreux se trouvent chez les professionnels de la guerre. Mais je ne m’explique pas l’engouement des industriels et commerçants occidentaux pour les aphorismes de Sun Tzu, car pour apprécier L’art de la guerre il faut les considérer dans leur globalité, ils ne sont que des lucioles qui balisent le chemin vers la seule stratégie qui vaille pour Sun Tzu, la stratégie indirecte. Et vers une victoire sans combat, alors que le commerce est selon Clausewitz l’activité humaine qui se rapproche le plus de la guerre, le spectacle du monde globalisé semblant plutôt lui donner raison !
Débat chausse-trape donc, avec ces deux stratégistes nous ne sommes pas dans le yin et le yang,mais la théorie de l’un est incluse dans la théorie générale de l’autre.
Et passion chausse-trape des occidentaux pour L’Art de la guerre d’autre part, car méditation d’aphorismes ne vaut pas stratégie.
Pardon pour ces certitudes !
Jean-Pierre Gambotti
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9. Le lundi 4 avril 2011, 22:33 par

Bonjour à tous,

Je pense apporter une réponse différente pour une raison simple: je ne suis pas militaire. je forme des sapeurs-pompiers. Passé la première étape d'usage du matériel (donc comment on se sert d'une lance ou, pour vous, comment on se sert d'un fusil), on se heurte rapidement rapidement à un problème tactique du genre "2 heures du matin, avec mon camion et 5 autres gus, je suis devant la maison en feu: je fais quoi?". La réponse officielle c'est "j'ai été formé, je maitrise", la vision terrain c'est on court partout et on balance 10 fois plus de flotte que nécessaire...
Donc, je commence à chercher des trucs sur la tactique, le commandement etc. Et là, vide sidéral. Les ouvrages tactiques incendie "made in USA" sont du niveau d'Achile Zavata ou des conseils de Méni Grégoire, confondant la tactique avec la stratégie et regorgeant de conseils du genre "Pour réussir il faut que ça marche bien".
Ceci étant posé, je me suis dit "de qui on se rapproche le plus?" les bidasses! Donc j'ai cherché et j'ai lu.
Rapidement, j'ai classé les ouvrages en deux catégories;
Première catégorie: les livres qui parlent de choses assez vagues. Le Prince et L'art de la Guerre par exemple. Ce sont en fait de simples lapalissades (j'exagère un peu) et on peut donc les interpréter comme on veut. C'est bien car c'est adaptable à tout. Mais c'est dangereux car l'interprétation peut servir toutes les causes. Sachant que tout le monde cherche des "solutions", et que parmi ceux qui cherchent des "solutions" les commerciaux sont légions, il est logique que Sun Zu soit utilisé. Bien compris ou non, on s'en moque: si je veux vendre des bouquins sur le marketing, il faut plusieurs choses: que je puisse soutenir mes idées sur des idées plus anciennes. Sun Zu c'est bien, ça fait sérieux. Il faut aussi que mes idées trouvent validation dans ces références. Avec Sun Zu, ça marche car c'est tellement flou que ça peut valider n'importe quoi. Que le document soit assez petit pour que je puisse faire un bouquin en mettant à la fois le doc d'origine et toute les aneries que je veux proférer. Et Sun Zu, là encore, ça colle super bien.
Deux points amusants:
1) il est très difficile de trouver l'Art de la Guerre "seul": on y trouve quasiment toujours des infos "+". Cela permet aux éditeurs de multiplier les éditions.
2) aucun d'entre nous n'a lu Sun Zu "dans le texte". Je suis même quasiment certain que pas un d'entre nous n'a lu une traduction de premier niveau (Chinois ancien -> Français). L'exemplaire que j'ai (Collection Champos Classier numéro 782 chez Flamarion) est une traduction de la version Anglaise.

Seconde catégorie: les ouvrages qui sont plus précis. Là, il faut faire un gros effort pour les adapter à ce qu'on cherche. Mais c'est beaucoup plus payant. C'est Clauswitz avec son brouillard de la guerre. Pour vous, cela peut paraître désormais évident, mais un sapeur-pompier est encore aujourd'hui persuadé que les feux sont tous différents les uns des autres. Cette notion de similitude, simplement masquée par un" brouillard" qui donne l'illusion de différence, quand j'en parle, je passe pour un extra-terrestre.
C'est aussi "L'infanterie attaque" de Rommel ou encore mieux, "Achtung Panzer" et là, on est encore plus loin dans la difference entre Sun Zu et Clauswitz car Achtung Panzer, c'est dispo en Allemand ou en Anglais. Mais pas en Français.

Et là on pose un autre problème: la traduction. Mon épouse est officier de sapeur-pompier, au Brésil. Elle vient de terminer une formation et a écrit une thèse sur le rangement des camions et pour cela, a utilisé des informations sur le commandement et le temps de commandement. Informations puisées dans un bouquin intitulé "La casque et la plume" écrit par un certain Olivier KEMPF.... Mon épouse parle Français et nous avons pensé traduire le livre d'Olivier. Mais pour en faire quoi? Vous imaginez traduire "Tactique Théorique" de Michel Yakovleff? Le boulot est énorme pour un sujet hyper précis donc un sujet à clientèle réduite.

On en arrive donc à une conclusion simple: traduire SunZu c'est facile (puisqu'aujourd'hui, on traduit même plus l'original mais des traductions de traductions...) et le sujet est tellement vague qu'on peut vendre ça à tout le monde.
Traduire Clauswith, Kempf ou Yakovleff, bon courage, et en plus c'est tellement précis qu'on peut pas en faire grand chose en dehors de la sphère initiale. On a donc un potentiel client ridicule.
"L'infanterie Attaque" de Rommel est un exemple extrême puisque c'est "édité" par l'école militaire de Montpellier et traduit par un fou furieux (au bon sens du terme), le LtnCol Marc Allorant qui a sûrement passer ses vacances et ses week-end pour nous offrir ce bijou.

Tout le "truc" en fait c'est que, lorsqu'on cherche des infos, on doit chercher en profondeur. Sun Zu, c'est à lire. Mais c'est juste un début. Donc ça s'adresse à tout le monde car c'est vague. Après, on descend dans du "moins facile" et après dans du "ardu". Et surtout, dans du "ardu" car ne faisant pas appel directement à ce qu'on cherche et nécessitant un gros effort de translation.

Ah pour finir, il existe un ouvrage qui indique comment organiser des armées, comment gérer des problèmes locaux ou de grande taille, comment organiser des sociétés, comment gérer la justice, etc. Un ouvrage encore plus large que celui de Sun ZU, donc un ouvrage dont les interprétations sont encore plus vagues alors que le texte est pourtant précis si on le prend pour un simple ouvrage d'organisation: la Bible.
Et en terme de diffusion, Sun Zu, à côté, ça existe même pas...

Amitiés à tous
Pierre-Louis

10. Le lundi 4 avril 2011, 22:33 par

Bonjour,

Je me permets un nouveau message sur cette comparaison Sun Zu / Clauswitz. Si nous regardons l'Histoire et les Hommes qui la font, nous constatons ceci: César était un homme politique qui ne dédaignait pas sortir le glaive sur le terrain. Laurent de Médicis était un homme politique dans la garde-robe duquel voisinait la tenue de bal et la cuirasse. Napoléon était un homme politique qui allait sur le terrain. Mais l'évolution militaire (portée des armes) a fait que sur le terrain, Napoléon n'était pas au premier rang. Hitler était un homme politique, mais restait à Berlin pour recevoir les informations.
Progressivement le "politique" a été séparé du "militaire": physiquement, mais aussi intellectuellement. Le cas du Général De Gaulle est intéressant car le militaire s'était effacé au profit du politique.
Or, Sun Zu et Machiavel sont de l'époque ou le président de la république et le général d'armée ne font qu'un. Il est donc possible de donner des conseils "politiques" en donnant des exemples "militaires" tout en ayant une gamme de "possibles" très large. Du point de vue de ce "politique-militaire", la conquête d'un territoire peut se faire en mariant sa fille avec le fils du roi, on soudoyant les ministres, en empoisonnant, en achetant ou en se battant.

A partir de Clauswitz, cela devient difficile car ces modes opératoires qui étaient tous sous la coupe d'un seul homme, sont désormais éclatés. Désormais, le chef c'est le Président de la République donc le politique. S'il veut empoisonner, il demande aux services secrets. S'il veut acheter il demande à son ministre des finances et s'il veut attaquer il demande à la défense.

Clauswitz, de par l'évolution de la société, ne peut donc plus écrire pour le même lecteur que celui de Sun Zu ou Machiavel, car ce lecteur n'existe plus.

Ou plutôt, ce lecteur existe toujours, mais sous une forme différente: c'est le chef d'entreprise et plus particulièrement celui de PME/PMI. Lui, il est le chef et en même temps le combattant: il va aller négocier à la banque, va aller relancer les clients qui ne payent pas, va tenter d'écraser sa concurrence, va faire le commercial et va devoir motiver ses troupes car sinon elles vont le quitter.

Amitiés
Pierre-Louis
égéa : votre commentaire est très éclairant ! cela fait quelques moi sque je réfléchis (come bien d'autres) à ces sujets du politique et du militaire, et ce que vous dites a le mérite d'être lumineux. Je pense que votre dernier paragrpahe mériterait toutefois un peu de précision supplémentaire, même si j'en perçois l'idée.

11. Le lundi 4 avril 2011, 22:33 par

Donc je reprend le dernier paragraphe. J'ai été chef d'entreprise (PME) pendant quelques années. Une entreprise, c'est un groupe d'hommes avec des missions. Le "hic" c'est que les missions sont nombreuses et qu'on ne peut pas les éviter.
Si on a 10 missions et qu'on est 20, impeccable. Mais dans la plupart des cas, on a 20 missions et on est ... 3.

Car, quelque soit la taille de l'entreprise, il faut embaucher: et hop, je met ma casquette de DRH. Le téléphone sonne, c'est la chambre de commerce: hop, vite, ma casquette de gérant. Le client traine pour signer le contrat? Hop, vite ma casquette de commercial et ainsi de suite.

En clair, je dois "être tout". Un peu comme César qui allait avec son personnel battre la concurrence, qui ensuite revenait au Sénat pour dire "On est super fort, mais bon, faudrait nous avancer encore un peu d'argent".

En tant que gérant, je peux chercher des conseils commerciaux, mais rapidement c'est barbant parce que je ne suis pas commercial. Un peu, mais pas trop. Des livres de gestion? Pas mieux. En fait, aussi bizarre que ça puisse paraitre, je suis tout.... et rien à la fois.

Je suis un touche à tout et les conseils "spécialisés" ne m'intéressent pas trop.

Et dans ce contexte, Sun Zu, c'est "super sympa": ça parle de moi (le chef, avec ses ministres), ça parle de moi avec mes concurrents.etc. et puis Sun Zu, quand je rentre à 23H00 chez moi, ça me prend pas trop la tête, avec ses petits chapitres rigolos.

En plus, il y a des gens qui ont compris le truc et me livrent le "Sun Zu pour les PME", "Sun Zu pour les commerciaux" etc. J'y trouve donc mon compte. Ah bien sûr, si je me passionne pour la vente, je vais vite arriver aux bouts des conseils que je peux tirer de Sun Zu. Et dans ce cas, je vais m'acheter un gros livre de marketting, bien lourd, bien spécialisé.

Mais je ne pourrais faire ça que lorsque mon entreprise sera plus grosses.

Au début de mon entreprise, je suis obligé de jouer à César donc d'être "au four et au moulin", de discuter avec la troupe, de négocier avec les banques. C'est fatiguant mais je vois tout. Le danger c'est qu'après 20 ans, je me retrouve avec 2000 employés, à gérer ça comme Hitler: seul dans mon bunker en tirant des plans sur la comète, à partir d'informations filtrées par des gens qui veulent me brosser dans le sens du poil.

Sun Zu, c'est vague, c'est quand mon entreprise est petite. Quand elle devient plus grosse, ça ne me sert plus. Il me faut "autre chose".
En terme militaire, cet "autre chose", ça veut dire que je vais acheter Clauswitz, puis m'attaquer à Tactique Théorique de Yakovleff.

12. Le lundi 4 avril 2011, 22:33 par

Pour info:
http://www.clausewitz.com/business/...

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