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Approche indirecte

Ma lecture de Suire (l'épée de Damoclès) me fournit la matière de quelques réflexions stratégiques qui rejoignent des thèmes déjà parcourus par égéa : relation politico-militaire, stratégique/tactique, complication de la guerre et unicité de commandement, variables d'une grammaire stratégique....

source

1/ Tout d'abord, Suire rappelle la Loi de Le Chatelier (voir ici) sur la combinaison des réactions : "cette lutte implique, pour toute évolution, la naissance d'une réaction qui s'oppose au changement d'état" (p 24). Mais il l'applique au duel des volontés, et on devine qu'il l’applique sans peine à l'attaque et à la défense, mais aussi et surtout à la technologie, toute innovation suscitant immédiatement une contre innovation : l'avantage est donc rarement technologique, mais dans l'exploitation stratégique que l'on fait de cette innovation, surtout si l'on sait que l'avantage est temporaire. La surprise stratégique n'a, structurellement, qu'un temps.

2/ Suire (il écrit à la fin des années 1960, après la décolonisation et en peine suprématie nucléaire) montre ensuite que "la stratégie se fait mondiale et totale" (p. 30).

  • il en déduit qu'il n'y a plus qu'une seule bataille, et que la distinction entre la responsabilité politique et la responsabilité militaire du Haut Commandement devient structurellement caduque.
  • dès lors, la distinction entre stratégique et tactique devient elle aussi caduque. La notion de "caporal stratégique" a en fait trente ans de retard, sur un texte évoquant l'approche indirecte. Au fond, on n'a jamais autant discuté de cette distinction, raffinant le nombre de qualificatifs accolés à la stratégie (générale, de défense, militaire....) à mesure que les frontières s'évanouissaient.
  • ce qui pose la question de la décision du chef militaire, qui finalement prend de moins en moins de décisions.
  • rappelons toutefois la citation de Castex : "sans bonne stratégie, la meilleure des tactiques est d'un faible rendement; sans supériorité tactique, la meilleure stratégie est défaillante".

3/ Cette tendance est renforcée par un autre phénomène : la complication de la guerre, qui est devenue interarmées et multinationale, ce qui requiert donc des expertises variées, impose par conséquent une direction collégiale.

  • Constatons que l'approche globale est la prolongation de cette élargissement de la guerre, de sa complexification : l'extension du domaine de la lutte (je suis décidément très Houellebecquien) entraîne une déresponsabilisation du chef.
  • L'approche globale qui est l'élargissement de la conflictualité aux acteurs non militaires (interministérielle, gouvernance, ONG, autorités locales, entreprises privées,....) renforce donc la "complexité" de la guerre.

4/ Allons plus loin : l'augmentation des sphères stratégiques, matérielles (terre, mer, air, nucléaire) ou immatérielles (espace électromagnétique, cyber, espace exo-atmosphérique, perceptions), et leurs intersections multiples rend la conduite de la guerre ingérable. Au fond, cela n'entraine-t-il pas la disparition de la guerre ?

5/ Au risque d'être fumeux, ce serait le cas pour qui voudrait agir simultanément dans l'ensemble des sphères et en voulant maîtriser "globalement" son action. Une logique de contournement pourrait consister justement à n'agir que dans une ou plusieurs sphères : la réussite passerait alors par une action locale et délibérément non globale. En fait, la seule attitude stratégique face à la globalisation consisterait justement à refuser une action globale.

6/ Enfin, je cite la p. 34 :

  • "En style direct, la manœuvre stratégique repose sur le choix des concentrations et des axes d'effort, la manœuvre tactique sur un rythme continu, le terrain étant défendu coûte que coûte". On repère bien les trois variables stratégiques que je mentionne souvent, 1/ l'espace, 2/ le temps et 3/ les forces.
  • Mais Suire ajoute : "En style indirect (...) cette bataille est alors beaucoup plus fondée sur la surprise et le stratagème. La manœuvre stratégique repose sur l'alternance des concentrations et des dispersions, la tactique sur un rythme syncopé visant beaucoup plus les communications et la logistique que les forces". Alors, mon système ternaire espace temps force est modifié en un nouveau : 1/ variation de densité 2/ variation de rythme 3/ Flux.
  • en terme mathématiques, je devine qu'en style indirect, on raisonne "en dérivée" de la fonction mathématique primaire (les matheux, corrigez mes approximations, j'ai bcp oublié depuis le bac).
  • il est surtout logique que dans un monde réticulaire, on s'attaque moins aux nœuds du réseau qu'à ses brins.

Décidément, cet auteur est fructueux....

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 13 septembre 2011, 21:08 par Christophe Richard

Bonjour,

Vos points 3 à 5 me semblent mettre le doigt sur ce que je crois être LA question de l'approche globale, celle de la "mobilisation" des ressources matérielles et morales pour la conduire.

J'ai l'impression que l'idée d'approche globale est adossée au relatif là où celle de guerre totale l'est à l'absolu.

En effet, si tous les facteurs sont à considérer, alors il peut être tentant d'élargir sans cesse le problème afin d'éviter certains choix coûteux (financièrement et politiquement) au risque finalement de le relativiser au point de tomber dans une sorte de relativisme.

L'approche globale implique une organisation suffisamment forte et dédiée au problème à traiter qui devra avoir été clairement circonscrit (même si il est décrit en tant que système).

Bref, l'approche globale n'exonère surtout pas de devoir désigner un ennemi... (après que cet ennemi soit rendu public ou pas, c'est une autre question).

Bien cordialement

2. Le mardi 13 septembre 2011, 21:08 par nikesfeld

"et leurs intersections multiples rend la conduite de la guerre ingérable. Au fond, cela n'entraine-t-il pas la disparition de la guerre ?"

Cela rend plutôt la conduite de la guerre non appréhendable par l'esprit cela ne fait pas disparaitre la guerre.
N'est ce pas cette complication qui fait qu'on déconnecte la radio pour conduire une opération? Au final la guerre est là, et l'homme de terrain l'acteur de l'événement est là.
Par contre oui elle peut disparaitre à celui qui fait la stratégie à distance.

égéa : toutefois, la guerre va diminuant, cf ce billet sur ags.

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