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Balte, Baltique, Scandinavie

A la suite d'un échange de commentaires sur la notion de balte au regard de celle de scandinave, Pierre Ageron, fidèle lecteur, nous envoie ce texte : 33 fois 33 mercis à lui. Le billet est d'autant plus intéressant qu'il intervient au lendemain du sommet sur le Partenariat oriental, ce pendant de l'UPM, qui connaît lui aussi des ratés (Biélorussie et Ukraine, mais aussi question de l'appartenance européenne des pays du Caucase).

source

O. Kempf

Même si Pline l’Ancien désignait par « Baltica » l’actuelle Scandinavie, une triple distinction pourrait, de nos jours, s’imposer : balte, baltique, scandinave.

1/ Cette distinction, sujette à débat, s’appuie sur une analyse théorique des espaces d’entre-deux, développée pour l’Europe Centrale et Orientale par V. Rey (ENS Fontenay) puis par toute l’équipe de recherche Géophile (ENS LSH, dont H. Roth pour la République tchèque, E. Boulineau pour la Bulgarie, L. Coudroy pour la Pologne).

Ces espaces intermédiaires ne sont plus des marges (situation d’avant 1991) mais des « intersections de marges » (Géographie Universelle, volume Europes Orientales-Russie, p. 10, 1995) qui fondent leur centralité par les réseaux et tirent parti de leur intermédiarité, définie positivement comme capacité à agréger des influences diverses.

Les héritages du rideau de fer sont encore vifs dans la région. C’est pourquoi la distinction entre balte, baltique et scandinave s’explique par le gradient de proximité/éloignement avec feu l’URSS ou Russie.

  • Influence de L’URSS : balte (++), baltique (+), scandinave (-)
  • « Occidentalisation » : scandinave, (++) baltique (+), balte (tend vers +)

2/ Les pays baltes, ancien membres de l’URSS se définissent en opposition à leur voisin. C’est ce qui les réunit en plus d’une unité paysagère et climatique. La Baltique se présente le débouché « naturel » de l’URSS vers l’Ouest et des mers libres de glaces (cf. Pierre le grand : La Russie n’a que trop de terres, c’est de l’eau seulement qu’elle doit chercher). Toute la géographie économique de l’URSS était tournée vers ses ports baltes (Tallinn pour l’importation de céréales; Ventspils et Klaïpeda pour l’export d’hydrocarbures). Leningrad n’est alors que secondaire, trop pris par les glaces. (cf. P. Marchand, Atlas géopolitique de la Russie, 2008 pp. 52-53).

  • Ces frictions perdurent dans la question des non-citoyens des républiques baltes, les seuls citoyens étant ceux vivant dans le pays indépendant d’avant 1940 et leur descendants.
  • Comme les russophones peuvent former 45 % population du pays dont des « colons » russes d’après 1940, 463 000 h de Lettonie n’ont pas le droit de vote, considérés comme apatrides.

3/ L’espace baltique court de Kiel à St Petersburg. La Russie y est impliquée, centrale par les hydrocarbures, mais moins omnipotente au vu de la multiplicité des acteurs. Le souvenir de la Hanse joue ici un rôle géohistorique essentiel en tant que premier moment d’unité de la zone. Défini désormais comme espace de coopération/compétition né après 1991 (cf Nathalie Blanc Noel, Une nouvelle région en Europe, 2003), l’espace baltique voit une régionalisation progressive se mettre en place sur des thématiques spécifiques : transports (Via Baltica autoroute soutenue par l’UE entre Helsinki, Tallinn, Riga, Kaunas, et Varsovie) ou environnement et sécurité collective) avec des flux de capitaux importants (Finlande-Estonie ; Suède-Lettonie Ex. : SAS-Air Baltic). Cet espace a vu la création d’instances plus ou moins formelles de coopération dont le Conseil des Etats de la Baltique (1992, à Stockholm) (cf. P. Orcier. La Lettonie en Europe, 2005 p.159)

4/ La Scandinavie (Norvège, Danemark, Suède) est la région la moins influencé par la Russie, engagée dans l’OTAN ou d’une neutralité bienveillante (Suède). La Finlande est là encore en position intermédiaire. La finlandisation consistait en une neutralité de contrainte, maintenant l’équilibre diplomatique pour cause de déséquilibre flagrant avec son voisin. Ce qui explique en partie son tropisme baltique plus que scandinave. La Scandinavie se définit, elle, par son groupe linguistique issu du germanique et la place différenciée mais forte de l’Etat Providence (cf le taux élevé de prélèvements obligatoires).

Bien sur, ces trois ensembles interagissent et ne sont nullement exclusifs les uns des autres. Leurs interactions est favorisé par un acteur géopolitique liquide, désormais actif car ouvert : la Mer Baltique.

Pierre Ageron

NB : Je trouve un blog sur l'Estonie qui intéressera certains...

Commentaires

1. Le dimanche 2 octobre 2011, 19:12 par

Bonjour,

Le pourtour de la Baltique est un univers fascinant, d'autant que chaque pays Balte a sa propre identité en fonction de son histoire, de sa langue, de sa religion et de sa composition ethnique. L'erreur est effectivement de les considérer comme un bloc homogène, ce qui n'est aucunement le cas.

Et mention spéciale concernant l'E-stonie (un jeu de mot très en vogue là bas) puisqu'elle a accueilli en 2008 (je vous laisse deviner pourquoi, lire à ce sujet le dernier cahier d'AGS consacré aux stratégies dans le cyberespace) le centre de cyberdéfense de l'OTAN.

J'ai été notamment en mission dans cette partie de l'Europe en début d'année pendant plusieurs semaines et en ai recueilli nombre d'informations. À titre professionnel mais aussi personnel. J'ai approché les frontières Russes et Bélarusses, et vérifié sur place que rien ne pouvait être simple, y compris dans ces pays apparaissant si "lisses" par manque d'informations. Or, les récentes élections en Lettonie ont démontré le contraire, de même que des émeutes sociales en Lituanie et Lettonie en 2009, et qui n'ont pourtant eu aucune répercussion dans les médias occidentaux.

Cordialement

égéa : merci pour ce témoignage. 

2. Le dimanche 2 octobre 2011, 19:12 par Starshiy

Bonjour
A l'importance des ports commerciaux, il faudrait aussi ajouter l'importance des ports militaires. Au plus fort de la guerre froide, Liepaja accueillait entre autres pas moins de 70 sous-marins soviétiques.
Le mess des officiers de cette base est remarquable, construit à l'époque de la marine impériale. Et un grand nombre des officiers russes tués à Tsushima y ont connu leur dernière réception à terre..

égéa : Kaufmann y consacre un chapitre dans son livre sur la Courlande.

3. Le dimanche 2 octobre 2011, 19:12 par AGERON Pierre

Merci pour ces compléments fort instructifs.

4. Le dimanche 2 octobre 2011, 19:12 par Daniel BESSON

Bonjour ,
La " Mer Baltique " est vue par Karl Haushofer comme une " Méditerranée " [ Weltmeere und Weltmachte , de mémoire ] , un concept repris par Louis Tissot dans " La Baltique " [ Payot - 1940 , encore un bouquin introuvable ;0) ] , ce qui suppose des échanges entre les deux rives , les " Etats Baltes " étant l' " Afrique du Nord " de cette Méditerranée avec ses " mers intérieures " [ Golfe de Botnie et Mer Adriatique ] et le Kattegat et le Skagerrak pour detroit de Gilbraltar ( OUF ! )

La division à l'époque de la " Guerre Froide " fait ainsi penser à la division Chrétienté-Islam de la " vraie Mediterranée " .
Dans le " vieil EGEA " vous avez écrit un article ou vous développiez la thèse d'une confrontation de deux lignes de forces , l' " Axe Scandinavo-Balte " et l' " Axe Germano-Russe " avec le Nord-Stream .
Le terme " Baltique " regroupe différentes autres réalités car comme toujours ce point de vue dépend de l'observateur :
- Le " Baltikum " Allemand , dont la carte de la page wikipedia ne rend pas bien assez compte de la realité . Ce serait un grand espace littoral avec une bande de territoire s'etendant à 300-400 km à l'interieur des terres et qui partirait de Saint-Petesrbourg aux côtes Allemandes . Un " territoire d'expansion Allemand " le long de la Baltique .
Un " espace de germanité " sur les bords de la Baltique
http://de.wikipedia.org/wiki/Baltik...

- L' " Inflanty " Polonais
http://pl.wikipedia.org/wiki/Inflan...
- Les " Pribaltiki - Pribaltica " Приба́лтика Russes qui ne devient toponyme de la région pour les Russes qu'apres la victoire de Pierre 1er sur les Suedois
" Pri-Baltiki " = "Pres de la Baltique ", bande qui nous sépare de la Baltique quand on regarde la Mer Baltique depuis le " hearthland "Russe .
Le toponyme a connu plusieurs évolutions en Russe , ce qui traduit l'histoire " conflictuelle " de la Russie avec la région . Le préfixe " pri " semble disparaître , ou du moins il arrive désormais qu'il ne soit pas employé .
Concernant les ports commerciaux , la Russie cherche à se défaire depuis plusieurs années du " verrou balte " en construisant ou agrandissant ses infrastructures . Réaction outragée des " Baltes " , ils voulaient porter plainte et y trouver un motif de non-adhésion de la Russie à l'OMC car ce sont des infrastructures financées avec de l'argent public !Tout comme pour le dossier du " Nord-Stream " c'est une attitude obstructionniste d'anciens états qui voient disparaître leurs " rentes géographiques " vis à vis de la Russie .
Tres Cordialement
Daniel BESSON

égéa : mille mercis pour ces précisions passionnantes, et pou ravoir mentionné le vieil égéa où on trouve encore quelques pépites.

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