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Tunisie : entre FIS et AKP

Les élections de demain en Tunisie sont cruciales : en effet, ce sont à la fois les premières à intervenir dans ce cycle des révoltes arabes, et dans le pays qui paraît le plus avancé tant en terme économiques que politiques. Cela pose évidemment la question de l'islamisme, et du succès annoncé du parti de cette tendance, Ennahda.

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1/ Ennahda est annoncé favori, avec 30 % des suffrages, ce qui lui donnerait la moitié des sièges de la future assemblée constituante. Les deux partis de gauche sont chacun à 17 %. Il y aura donc nécessairement besoin de former des coalitions. Il va de soi que l'alliance de tous contre un ne serait pas une bonne solution : cela placerait Ennahda à l'écart des responsabilités, alors que la route est longue, tout en le plaçant plus que jamais en position de recours, alors sur une ligne dure. C'est pourquoi il faudra l'associer à la majorité future.

2/ Cela pose par conséquent la question de la place à donner à son programme. En effet, Ennahda varie entre un discours extérieur (oui à la démocratie, notre modèle est l'AKP turc, il ne s'agit pas d'aller à rebours de l'histoire) et un discours intérieur, forcément plus militant, marqué par les racines Frères Musulmans et la pression des salafistes (sur le modèle du FIS algérien qui avait en son temps gagné les élections). On est ici partagé : certes, une campagne électorale est un moment où il faut promettre tout et son contraire, et l'on peut espérer que la diversité des forces en présence empêchera toute dérive autoritaire. Il reste qu'en situation de transition comme celle de la Tunisie, on ne peut s'empêcher de penser à l'expérience tchèque après la guerre, où malgré la diversité partisane d'origine ce sont les extrémistes qui ont gagné.

3/ La question politique centrale, du moins telle que nous la percevons ici de ce côté de la Méditerranée, est celle de la laïcité plus que celle de la démocratie. J'ai le sentiment qu'en Tunisie, la question est celle de la liberté plus que celle de la démocratie, et celle de la stabilité et de la croissance, dont on n'entend pas trop parler dans les reportages en France, alors qu'elle est probablement centrale du côté de Tunis.

4/ La laïcité est appréciée en fonction de l'expérience française. D'ailleurs, le modèle turc de l'AKP intervient dans un pays qui a poussé la laïcité kémaliste extrêmement loi, sur un modèle lui aussi français. Le signe sera donc celui de la place faite à l'islam dans la nouvelle constitution. A cet égard, il faut se référer à l'exemple européen : les textes communautaires ont évité la notion de "racines chrétiennes de l'Europe", ce qui a posé problème chez une certain nombre de chrétiens : ce n'étaient pas chez nous des extrémistes mais des gens sincères, et on admet par conséquent que des musulmans soient également attachés à leur racines musulmanes, surtout dans un moment de grande transition. Mais le fait que ces mots n'aient pas été retenus en Europe constitue, pour le coup, un excellent argument à faire valoir auprès de nos camarades tunisiens.

5/ Si le modèle n'est donc probablement pas celui du FIS (ligne dure dont l'interdiction entraîne un mouvement armé et terroriste, avec des dizaines de milliers de morts à la clef), il n'est pas forcément l'AKP : celui-ci part en effet d'une situation "laïque" pour inventer une politique laissant de plus en plus de place à l'islam. Souhaitons qu'Ennahda partira de la situation d'un l'islam modéré, qu'il continuera de nuancer à mesure de ses responsabilités, et non de durcir, à mesure des difficultés.

6/ En cela, la Tunisie continue d'être exemplaire puisque son évolution déterminera celle de nombreux pays, engagés eux aussi dans des transitions politiques (Maroc quoiqu'on en dise, Egypte, Libye). La responsabilité d'Ennahda dépasse la simple vue de Carthage.

O. Kempf

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