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Counter threat finance par P. Tran-Huu

Le Capitaine Tran-Huu est un fidèle lecteur d'égéa. En plus, il assure une veille stratégique : témoin, ce texte sur la guerre anti finance : non, il ne s'agit pas d'extrémistes du Nouveau Parti Anticapitaliste, d'Ocupy Wall Street ou d'indignados de-ci de-là : il s'agit d'un règlement de l'armée américaine ! Voici donc le Commander’s Handbook for Counter Threat Finance, dernière innovation doctrinale américaine, dernière ramification de la COIN.

source

Nul doute qu'un brillant esprit francophone va nous pondre un article fracassant dans DSI ou la RDN, dans trois mois, pour nous expliquer que la doctrine française de CTF trouve ses origines dans les pratiques de Turenne dans le Palatinat qui pour empêcher l'adversaire de s'organiser asséchait ses finances en pillant le pays. Par ailleurs, je ne peux m'empêcher de mentionner deux anecdotes du colloque de cet après-midi : tel interlocuteur, qui se présente comme financier, et qui décrit la finance mondiale comme une arme de destruction massive; et tel autre qui rappelle que les Italiens, pour avoir la paix en Afghanistan, payaient les talibans pour qu'ils n'attaquent pas. Décidément, l'argent est une arme ! Allons : cessons de dégoiser et restons sérieux : merci vivement à PTH de nous signaler cette innovation : mais je crois qu'elle pourra être lue dans de nombreux cadres.... Il reste effectivement à écrire une doctrine de l'argent en opération !

O. Kempf

L’armée américaine, comme la plupart des armées, étudie, conceptualise et essaye d’anticiper les menaces futures ou de s’adapter à celles qui émergent. Dans ce cadre, la publication, en septembre 2011, du « Commander’s Handbook for Counter Threat Finance » marque une avancée importante dans la manière de « faire la guerre » en introduisant un MA (Mode d’action ami) pour le moins surprenant.

De quoi s’agit-il ? Durant les dix dernières années, l’armée américaine a fait face à des menaces de type asymétriques caractérisées par un ennemi organisé en réseau s’adaptant rapidement pour affronter/contrer des forces plus nombreuses et mieux armées. Pour combattre cette menace, il était devenu nécessaire de fournir aux armées une méthode commune pour définir ce nouveau type d’ennemi, c’est-à-dire ses points forts, ses points faibles et la façon de le vaincre.

Cette méthode appelée « AtN » pour « Attack the Network » (Attaque du réseau) est une approche centrée sur l’acquisition de renseignements et leur exploitation contre un type bien défini d’activités ennemies telle que le terrorisme, l'insurrection, les activités criminelles, qui menacent la stabilité dans la zone opérationnelle, activités menées par un réseau identifiable.

AtN est conçue pour permettre à un état-major interarmées de comprendre la façon dont un réseau ennemi opère et d'appliquer les ressources nécessaires pour perturber sa capacité à mener ses activités de manière efficiente et efficace par des actions létales ou non.

Partant du principe que chaque réseau a des activités clés qui lui permettent d'exister, de mener des opérations, et de s'adapter aux changements environnementaux, ce manuel se concentre sur l’un des facteurs communs les plus importants, sinon le plus important, qui permet à ces réseaux de mener les activités mentionnées : l’argent.

La menace « Financière » est un ME (Mode d’action ennemi), c’est-à-dire la manière dont les groupes ennemis se procurent et utilise des fonds pour soutenir leurs activités illégales ou en tirer profit. Il comprend la production, le mouvement, le stockage, la gestion, le contrôle, la distribution, et le décaissement de fonds et/ou des produits de valeur qui peuvent être échangés ou convertis en argent par l’adversaire (cartes de crédit ou numéros de carte de crédit volés, drogue, voitures, bijoux, actions et obligations… le manuel donne une liste à la Prévert non exhaustive!)

Le MA, objet du manuel, est la façon de couper les flux financiers, qui autorisent l’ennemi à opérer, par des actions « CTF », pour « Counter-Threat Finance » (Contrer la menace « Financière »)

CTF intègre des actions à mener au niveau mondial ou local en coopération avec des organismes institutionnels, comme l’ONU ou INTERPOL, ou non, comme EGMONT, et ce de manière permanente.

Vous le voyez, « AtN » étend le champ d’action des forces armées américaines en incluant des actions qui sont analogues à celles que mènent le Bureau Fédéral d’Enquêtes (FBI), par exemple, contre le crime organisé, et ce dans la droite ligne des écrits du lieutenant-colonel David GALULA…

« Je n'écris pas pour tenter de prouver un quelconque génie, mais pour montrer combien il est difficile de convaincre les autres, en particulier les militaires, d'abandonner des voies traditionnelles et de s'adapter à de nouvelles situations. » David Galula, Pacification in Algeria, 1956-1958

Capitaine Pascal TRAN-HUU

Commentaires

1. Le lundi 21 novembre 2011, 19:24 par

Ah oui Turenne et le Palatinat ... On peut dire qu'il y a laissé des souvenirs qui serviront de justificatifs lors des matchs retour de 1914 et 1940. Cela dit, il s'est pas trop retenu non plus dans d'autres régions alors parties du Saint Empire.

Je pense surtout que ce CTF est à rapprocher de l'article précédent sur le "cyber bellum", puisqu'il me semble que c'est là un bon moyen d'action pour toucher aux systèmes de financement et aux transferts, qui même dans les conflits au sein des populations ne se font pas tous de la main à la main.

égéa : eh oui, cher spurinna, il y avait un lien avec l'article précédent......

2. Le lundi 21 novembre 2011, 19:24 par yves cadiou

L’aspect financier donne souvent une bonne approche des problèmes parce qu’il ramène à des questions basiques : qui paie, à quel titre et dans quel but ? Quelques exemples choisis sur ce blog : « quand je pense que l'intervention en Libye a coûté plus d'un milliard de dollars, alors je me dis qu'on aurait pu donner cet argent aux brigades prépositionnées de la FAA » écrivait ici-même, à juste raison, Monsieur Hans De Marie Heungoup :
http://www.egeablog.net/dotclear/in...
De même l’affaire Taponnier-Ghesquière aurait été vite réglée (à tous les sens du mot) si quelque autorité politique avait été capable d’affirmer qu’il ne revenait pas au contribuable de financer leur libération et que l’on s’en occuperait seulement quand une souscription volontaire permettrait de la financer. Plus généralement le budget des Armées serait plus clair et moins lourd si elles présentaient la facture de leurs interventions indues au profit de ministères civils (Intérieur, Coopération, Santé qui sont les principaux bénéficiaires), c’est-à-dire leurs interventions sans usage des armes que n’importe qui d’autre peut faire. http://www.egeablog.net/dotclear/in...

Concernant les missions avec usage des armes ou menace d’usage, il faut faire le bilan financier de toutes nos interventions militaires et se demander si l’on n’aurait pas fait mieux, plus fin, moins cher en achetant tel ou tel acteur local : l’on aurait pu convaincre Laurent Gbagbo et son entourage de disparaître en le payant pour ça, ça aurait coûté moins cher que de gaspiller des munitions et de ternir notre image en Afrique, mais a-t-on seulement essayé.
A-t-on essayé de régler la question de la piraterie au large de la Somalie en payant les commanditaires des pirates.
En Afghanistan notre présence fait la fortune des narcotrafiquants en interdisant aux pays concernés (Iran, Russie, Inde, Chine) d’intervenir pour résoudre le problème à leur manière : là aussi la question doit être examinée sous son aspect financier, sous l’aspect des importants budgets que nous dépensons en pure perte en Afghanistan au bénéfice d’un commerce énormément lucratif dont profitent des gens peu recommandables.

Alors oui, sans craindre de dégoiser, il faut aborder les conflits sous l’angle financier mais on ne le fait pas parce que ça pose toujours des questions trop claires que l’on préfère généralement ne pas aborder. En parlant d’argent comme moyen opérationnel l’armée américaine se place maintenant à la lisière d’un terrain miné.

3. Le lundi 21 novembre 2011, 19:24 par

Oui, bon ! (commentaire 2), on peut, en effet, tenter d’acheter tous les tyrans de la planète.. Ce que d’ailleurs nous faisons tant que cela n’est pas trop visible, mais le résultat dépasse parfois les espérances.- Corruption, manipulation, financement occulte, rétro-commissions- l’Afrique est un exemple mal choisi, combien de régimes plus ou moins corrompus ont été soutenus financièrement par la France pour protéger nos intérêts et un semblant de stabilité ? Pour quel résultat ? Il n’est pas dans mon propos d’affirmer que la solution militaire est judicieuse, loin de moi cette pensée, mais cessons de penser bisounours.. Si l’humanitaire, au-delà de sa fonction d’humanité, servait à régler les crises, cela se saurait.
Simple rappel la présence des French doctors en Afghanistan, financée par la CIA et manipulé plus ou moins par la DGSE a-t-elle changée ne serait-ce d’un iota le devenir de cette région ?
Et pourtant un certain nombre de ses ONG ont joué la carte Massoud, personnage beaucoup plus complexe que l’image qu’il voulait bien donner de lui.. Etait-ce le rôle de ces ONG de faire de la politique ?
Quant à privatiser la libération des otages par une souscription, on voit bien quelles en seraient les dérives, celle du choix de la médiatisation ou non ? L’armée sert le pouvoir régalien, elle est au service de l’Etat, elle est soumise au pouvoir politique civil, c’est un choix démocratique, alors que les interventions soient au service de tel ou tel ministère, il n’y a pas de détournement, mais une juste utilisation des deniers publics, puisque finalement c’est toujours le contribuable qui paye. Seul l’objectif qui peut être contesté compte, pas le choix du moyen.

Non, je ne pense pas que : « l'intervention en Libye qui a coûté plus d'un milliard de dollars, aurait pu servir plus utilement aux brigades pré positionnées de la FAA » Quels sont ses moyens ? Quel est son bilan depuis 2002, qui la soutient ? Sa feuille de route est aussi nébuleuse que notre eurocorps, c’est peu dire, et un milliard de dollars en plus ou en moins ne changera pas grand-chose à sa réalité politique et physique. Je cite :

« L’établissement de la FAA jouit d’un vaste soutien international, justement auprès de l’UE qui est la plus grande bailleuse de fonds pour les initiatives de paix et de sécurité de l’UA. L’UE soutient l’Architecture africaine de sécurité dans le cadre de la stratégie commune Afrique-UE adoptée en 2007. Elle encourage aussi explicitement l’établissement de la FAA, en particulier par des subventions provenant de la Facilité de paix pour l’Afrique dotée de 250 millions d’euros. L’UE finance aussi un programme français de mise sur pied de capacités (RECAMP). Le programme de formation AMANI Africa a aussi été créé par l’UE pour mettre sur pied des capacités de gestion à long terme au sein de la FAA » (texte extrait de l’analyse du CSS ) . Bref, nous en reparlerons dans 10 ans. .

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