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Culture du risque

Quelqu'un qui doit préparer une conférence me demande mon avis sur "L'officier et la culture du risque". En un mot, je crois qu'elle a disparu.

source

Pour dire la vérité, je crois que l'institution militaire s’illusionne beaucoup sur cette « culture du risque ». Elle fait partie des mantras, des présupposés, des idées reçues, transmises, ressassées. Mais elle ne correspond pas forcément à la réalité. Comme la lumière d'un astre mort nous paraît toujours brillante, même si la distance nos empêche d'apercevoir la réalité. En quelque sort, une rémanence : la persistance d'un effet optique une fois que celui-ci a disparu.

Certes, les officiers font des pistes d’audace et apprennent à se comporter collectivement dans des situations d’imprévu.

Mais l’imprévu n’est pas le risque et tout le système actuel est extrêmement contrôlé : à la fois à cause des règles militaires mais aussi des règles civiles que nous avons adoptées : droit, contrôle de gestion, budget, prévention, précaution, … Tout cela fait que l’officier n’est plus quelqu’un qui, par état, sait gérer le risque (le calculer, et le prendre). Au contraire, on ne cesse de lui apprendre à s'en défier. Sous couvert de le contrôler, à le bannir. Pas de .. ouille, pas d'embrouille.

Plus lapidairement : à force de vouloir maîtriser le risque, nous n’en prenons plus.

Le sujet désormais c’est : « l’officier et la culture du non-risque ».

Mais disons toute la vérité : cette évolution n'est pas le fait du seul officier : elle appartient à toute la culture managériale, y compris dans l'entreprise. Posez la question aux cadres des écoles de management : c'est pire. On apprend aux ingénieurs et aux managers à appliquer des recettes. Mais cela, ce n'est pas prendre un risque.

C'est d'ailleurs la cause d'un certain déclin collectif : qui a tout à perdre ne risquera rien, ne jouera pas, et donc perdra assurément. L'abus de prudence est encore plus délétère que la témérité.

Conclusion; continuez à le raconter partout (après tout, quand on a une image de marque, il faut la garder et l'entretenir : une Jaguar a toujours l'image d'une Jaguar, même si ça tombe en panne). Mais n'y croyez pas.

NB : j'apprends à l'instant le décès d'Hervé Coutau-Bégarie. J'y revendrait dans un prochain billet : dès à présent, je présente mes condoléances à toute sa famille. Il nous manque déjà.

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par

Merci pour ce billet très intéressant. La culture du risque est une question fondamentale et pas seulement, comme vous le remarquez fort justement, dans le domaine militaire. On peut faire deux observations: la première est qu'effectivement nos systèmes de pensée ont pour objectif d'éviter les erreurs de type 1, c'est à dire faire quelque chose qui s'avère une erreur. Or il existe un autre type de risque, de type 2, celui de ne pas faire quelque chose qui aurait pu s'avérer payant. La raison est que l'erreur de type 2 est invisible, par définition. A l’extrême, réduire le risque de type 1, ce que nos sociétés occidentales et en particulier française, s'efforcent de faire avec désespoir (principe de précaution), peut s'obtenir en ne faisant plus rien du tout.
La deuxième observation tient à la nécessité de distinguer le risque, qui peut se calculer ou s'estimer sur une base historique, de l'incertitude, qui ne peut s'estimer a priori. Cette distinction, fondamentale, a été introduite par le prix Nobel d'économie Frank Knight. L'officier, comme le manager, est confronté à l'incertitude au sens où beaucoup de ses décisions sont prises dans un contexte de nouveauté et d'inattendu. Nous formons nos étudiant à la maîtrise du risque de type 1 (mais de manière illusoire) mais pas à celle du risque de type 2 et encore moins à la gestion de l'incertitude, sauf peut-être de manière très limitée dans le domaine de l'entrepreneuriat. Il me semble qu'il y a beaucoup à gagner à regarder comment les entrepreneurs gèrent l'incertitude et à s'inspirer de leur approche pour revisiter la stratégie d'entreprise et la stratégie militaire. Beau programme de recherche...
Félicitations pour votre blog.
Ph Silberzahn

égéa : Philippe, vous avez raison. J'avais prévu un autre billet où je reprendrai notre discussion de l'autre soir, qui vient compléter nos papiers sur la surprise stratégique..  Effectivement, la surprise stratégique est de niveau macro, les notions de risque et d'incertitude de niveau micro : elles méritent également d'être disséquées. J'incite vivement le lecteur à aller faire un tour sur le blog de Philippe.

2. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par RECCE

En ayant à peine lu le titre, j'allais répondre sans réfléchir qu'il y avait toujours un minimum d'officier ayant "la culture du risque".....mais à la lecture de votre phrase "l'officier sait gérer le risque", au final, en grattant bien, on est bien obligé d'y convenir! çà fait mal quand même. Le seul que j'ai pu voir récemment prendre toujours des risques (et issue de la "grande école")avait décidé de ne pas suivre la voie royale post TC (CSEM) pour "continuer à s'éclater". Étonnant, non?

égéa : en fait, il y a toujours "des" officiers qui ont et qui auront le sens du risque (et heureusement; et en fait, on se fiche qu'ils aient fait ou pas l'EdG) : mais cela tient à leur personnalité, non à la façon dont le système les forme. Dire "un officier et la culture du risque", ce n'est pas la même chose que "l'officier et la culture du risque".

3. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par rb

Je me permets de rebondir sur le commentaire précédent. Peut être l'officier issu de la "grande école" auquel il est fait référence n'a-t-il tout simplement pas souhaité prendre le risque de se confronter à un concours? J'ai toujours un peu de mal avec l'argument "je préfère continuer à m'éclater" qui me semble en décalage avec les perspectives de carrière promises à ceux qui font ce choix.
Plus généralement, je souscris totalement à la thèse selon laquelle l'officier n'a plus la culture du risque. Je pense qu'il n'y peut rien mais que tout concourt à l'en dissuader: encadrement juridique, méthodes de raisonnement qui poussent à l'adoption de solutions consensuelles, etc...
On pourrait également poursuivre cette réflexion sur la notion de décision, qui me semble assez adjacente à celle de risque pour se rendre compte que, hors décisions "systémiques", l'officier quelque soit son niveau, en prend relativement peu.

4. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par Pepal

Bonjour,

Mon point de vue est forcément partiel et lié à ma faible expérience mais revenant récemment d'Afghanistan, je ne peux que partiellement être d'accord avec votre analyse concernant l'officier et la culture du non-risque.

Les échelons supérieurs n'ont, pour la plupart d'entre eux, plus cette notion de gestion du risque. Le risque principal étant dans un premier de temps de s'opposer à son chef (ce qui est risqué d'un point de vue professionnel) et le deuxième d'être mis en défaut. Alors on retrouve effectivement cet excès de prudence qui génère ou des réactions conformes au manuel mais inadaptées (les recettes dont vous parlez) ou l'inaction, ce qui est pire encore.

A l'inverse, on retrouve aussi des personnes qui, étant persuadé de leur compétence ou de leur bonne étoile, prennent énormément de risques. Et cela malgré les renseignements, informations et RETEX dont ils disposent. Mais nous sommes là encore face à l'absence de gestion du risque car ils ne l'ont absolument pas évalué et les "what if?" ne sont presque pas pris en compte.

Cependant je me prends à espérer que cette tendance peut être combattu. En effet, du fait du manque de décision au échelons supérieurs, il m'est souvent revenu de devoir évaluer les risques et les bénéfices liés à mon action, arrivant souvent à agir en contradiction avec les manuels et les consignes . Certaines de mes décisions ont été judicieuses, d'autres moins mais j'ai pris des risques calculés afin de remplir au mieux ma mission. Ce qui d'ailleurs m'est désormais reproché. Heureusement pour nous, de nombreuses autres personnes ont fait la même chose que moi, en gardant toujours à l'esprit la réussite de la mission.

Pour conclure, je pense que les frémissements de ce retour à la culture du risque sont présents et amplifiés par des OPEX "dures" mais qu'il est nécessaire de l'encourager et de la développer. Ce n'est malheureusement pas trop l'état d'esprit dominant aux échelons supérieurs.

5. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par

« Evaluer les risques et les bénéfices liés à l’action » sont l’essence même du métier de seigneur qui fût le nôtre. ( J’englobe ici tous les cadres au combat et dans l’action, qui engagent la vie de ses subalternes, jusqu’au plus bas niveau, puisque le risque est aussi une dimension de l’exécution ) Le respect de la mission porte en soi la notion de risque, et dans la théorie de la décision, le risque perçu reste un améliorateur de la performance. Mais ce risque perçu se heurte au principe de précaution qui est désormais dévoyé et tend vers un excès de refus des risques, une certaine déresponsabilisation et a pour conséquence une tendance vers la judiciarisation des actes. Et nous le constatons jusque dans nos choix systémiques.
L’alourdissement de nos fantassins en le surprotégeant, va à l’encontre de sa souplesse d’emploi et de sa mobilité, à contrario le char est considéré comme trop lourd et paradoxalement trop fragile, il a donc quasiment disparu, au moins dans les conflits dans lesquels sont engagés aujourd’hui nos soldats.

Il y a aussi une échelle de sanctions des risques.. Et je ferais toujours la différence entre le risque pour un cadre de se trouver déconsidéré par ses pairs voire sanctionné pour avoir pris des risques jugés non conformes et celui de mettre en danger inconsidéré ses hommes pour avoir mal mesuré les risques et les bénéfices liés à l’action…. Quant à « savoir ou non gérer le risque » Je crains que la question ne soit par trop « intellectuelle » je préfère à la gestion du risque, le mot évaluation, identification, qui je vous l’accorde peut faire partie d’une gestion en amont mais pas en cours d’action.
Je m’aperçois, en fait que j’ai une vision déformée de la culture du risque, ayant appris à le vivre et non à le conceptualiser.. Votre billet Monsieur Kempf est remarquable parce qu’il renvoie à l’idée que je me fais de la noblesse d’un métier qui engage la vie des autres et sa propre vie. Je relis en ce moment l’excellent livre de Jules Roy sur Dien Bien Phu ? Ce livre ne parle que de cela, de la décision et de la mauvaise évaluation du risque, des rivalités entre décideurs, de l’ignorante certitude de certains, de la démission des autres, de l’autisme du commandement, de la sous-évaluation de l’adversaire, d’honneur, de sang et de guerre.. Je reproche souvent à la réflexion macro de ne pas tenir compte du niveau micro. Les deux réflexions sont complémentaires, mais on a souvent tendance à déconnecter l’une de l’autre. A trop vouloir penser macro, on oublie trop souvent la dure réalité des faits.. Et on prend le risque, au passage, de se déconnecter des réalités. Restons méso…

6. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par Jean-Pierre Gambotti

Olivier Kempf est un provocateur, mais je veux bien répondre à cette dénonciation de notre institution devenue castratrice par excès de prudence !
La règle a toujours existé parce qu’elle nous est indispensable dans cet univers où l’ordre est action et l’action potentiellement létale. La culture du risque se construit dans le périmètre de la règle et d’évidence il reste de la place pour l’initiative, l’opiniâtreté, le courage pour concevoir et mener notre action dans la contingence et l’imprévu. Au risque d’irriter j’ajouterais que notre déontologie nous impose ce courage, celui d’exercer notre mission dans des limites que nous avons nous-mêmes choisies, et si j’insistais je dirais que paradoxalement nous sommes d’autant plus libres à agir, et d’autant plus courageux dans l’action, que ces limites, justement, nous avons contribué à les définir et à les prescrire.
Ainsi, puisqu’Olivier a usé de l’image de l’étoile qui continue à être visible après son extinction pour marquer l’illusion de la culture du risque dans notre métier, je crois pour ma part que cette culture du risque est comparable à la matière noire de l’univers, elle est présente dans notre environnement, elle produit des effets, mais nous sommes dans l’incapacité d’en préciser le contour.
La culture du risque est consubstantielle au métier de soldat. Nous ne pouvons pas aller plus moins sans risquer le sophisme !
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

7. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par

Avant l’expansion de l’univers des risques observée ces dernières années, et la volonté par les citoyens de voir le risque pris en compte par l’Etat-providence, puis ensuite dans un mouvement de privatisation, son transfert vers la sphère privée, l’officier, stratège ou tacticien était par essence le spécialiste du risque. Cette primauté du métier des armes pour tout ce qui concerne le risque et le sacrifice suprême, ne doit pas être gommé par l’irruption à la mode de gestion du risque dans l'entreprise.

Il y a dès l’origine, dans l’acte fondateur du militaire: l’engagement, une prise de risque. Il y a ensuite chez le militaire, dans la volonté de dépasser les limites pour vaincre, une pratique du risque. Quelle autre profession peut être amenée à intégrer dans ses règlements, des normes exceptionnelles dérogatoires à tout principe de précaution et de sécurité? En aviation par exemple, ce calcul du risque est partout. Un commandant de bord militaire peut parfaitement décider, après avoir pesé les risques, de décoller sans tenir compte de la panne d’un moteur. Parlez-en à un pilote d’Air France pour le voir tomber de son siège.

Certes l’officier, n’est pas le seul spécialiste du risque, et on voit bien d’autres professions où cette aptitude est également développée: dans le domaine de la médecine par exemple. Mais l’officier a cela de spécifique qu’il est à la fois l’acteur et le produit de cette science. Au contraire du médecin et des autres spécialistes de la vie humaine qui ne sont pas directement partie prenante de leur méthodologie, le militaire rajoute à l’équation une variable sacrificielle: sa propre vie. Cette mort a un poids particulier: elle ne sera pas inscrite au bilan des victimes, mais accédera à la gloire et la reconnaissance de ceux qui ont accepté de mourir pour la France.

8. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par RS

bonsoir,
en relation avec votre billet et les nombreux commentaires forts intéressants qu'il suscite, je me permets juste de vous signaler que le thème du colloque annuel ENA/Ecole de Guerre/HEC qui se tiendra à l'amphi Foch portera sur "l'action dans l'incertitude".
La notion de prise de risque (du politique, de l'entrepreneur et du militaire) devrait notamment être abordée dans les discussions.
En attendant l'ouverture des inscriptions, vous pouvez d'ores et déjà réserver a priori la date du 1er juin (TBC).

9. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par Christophe Richard

Le risque est intrinsèquement lié au métier militaire, plus précisément le risque de la violence.
Le fait de chercher à maitriser ce risque ne saurait le supprimer, de même que chercher à maitriser la violence par l'usage de la force canalise mais ne supprime pas cette dernière.
Ce qui pose problème dans ce rapport contemporain au risque, c'est la dimension intrinsèquement relative de nos approches "globales" ainsi qu'une violence politique de moins en moins centralisée et de plus en plus dépendante d'une légitimation "systémique" en grande partie liée à la révolution médiatique des NTIC.
Pour le dire plus simplement, ce que vous pointez, tient au fait que le militaire voit l'exercice de sa violence exposée et contrainte par les enjeux relatifs de guerres que l'on ose même plus nommer ainsi, alors même qu'il reste encore bien seul dès lors qu'il s'agit de tirer les conclusions opérationnelles de fait que"...la solution de la crise ne sera pas militaire (seulement)".
Avez-vous remarqué l'an dernier comme la force est encore efficace dès lors qu'un ennemi lui a été clairement désigné? Seulement cette désignation implique une situation stratégique mûre. A défaut, et sans ennemi, le calcul du risque est plus compliqué.
Bien cordialement

10. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par Nono

Personnellement, je dirai que cette culture du non-risque vient de notre société en général, on n'accepte plus le risque. Et quand un drame, un accident ou autre survient, on veut des coupables. La preuve? Même si la médecine n'a jamais été aussi sûre, il y a de plus en plus de procès contre les médecins (au point que certaines spécialités ont des problèmes pour s'assurer..), les chefs d'état-major se font attaquer en justice suite à Uzbeen, et j'en passe. Donc finalement nos chefs militaires ne font que traduire cette aversion sociétale au risque.

11. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par Boris Friak

En lisant le post et les commentaires j'ai un sentiment de confusion entre "culture du risque" et "aversion au risque".

Les milieux professionnels ayant développé de grandes cultures du risque ne s'appuient pas sur l'existence de risques pour justifier l'inaction, bien au contraire. La connaissance précise des risques est le préalable à leur maîtrise, en évitant qu'ils surviennent ou, en cas de survenue, en en limitant les conséquences. Les ressources humaines et matérielles des armées sont rares et précieuses. Le chef militaire qui en a la responsabilité devrait, voici bien longtemps, avoir évolué d'une culture du sacrifice à une culture du risque. Il n'est pas honteux de ne pas être primitif.

On peut éviter les chutes d'avions en interdisant les vols. On peut aussi éviter les chutes d'avions en analysant tous les incidents potentiels et en imaginant des parades intelligentes et efficaces.

La petite souris de la photo n'est pas téméraire mais survivra au morceau de fromage!

12. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par PL Lamballais

Encore un bon billet!

Pour les maximes, "pas de c... pas d'embrouilles", il y a aussi "PIPE: pas d'initiative, pas d'em..."

Roland PIETRINI qui écrit "L’alourdissement de nos fantassins en le surprotégeant, va à l’encontre de sa souplesse d’emploi et de sa mobilité". Comment ne pas applaudir! Dans le domaine sapeur-pompier (le mien) les vendeurs cherchent à sur-équiper de pauvres gars qui face au feu sont tellement stressés qu'ils n'arrivent même plus à savoir leur nom! Il faudrait peut-être se souvenir de la fin de chevalier en armure: sur le cheval, ça va encore, mais une fois tombé...

Ceci étant, je me souviens d'un exercice incendie en Belgique qui m'avais ouvert les yeux sur un point: nous avions formé du personnel à la lutte contre les feux de locaux, traités de l'intérieur. ça chauffe beaucoup, on a les flammes dans le nez etc. Donc c'est un peu "stressant". Nous nous retrouvons pour un exercice, dans une maison abandonnée. Un binôme dehors, va entrer, avancer sous le plafond de flamme et attaquer. Je suis dans la maison, dans la pièce par laquelle le binôme va entrer. De l'emplacement où je suis, je vois le foyer, à 5m devant moi. Je suis avec 4 stagiaires. On allume. le plafond de fumée se forme, descend, les stagiaires demandent "on va sortir?" je répond, "non, on attend". Le plafond de fumée se transforme en flamme. "On sort?" "Non, on reste". Le plafond est couvert de flamme sur une hauteur de prés de 70 cm (nous sommes à genou). "ON SORT????" "Non, on reste". D'un seul coup, les flammes disparaissent et le plafond redevient noir. C'est le "black fire", la saturation de carbone dans les fumées, signe qui indique que dans 5 à 10 secondes, tout va prendre feu et les flammes vont descendre au sol. Je donne le "top départ". Le binôme entre, projette de petites giclées d'eau dans les fumées, avance, et éteint. Temps écoulé entre l'entrée et l'extinction finale: 2 minutes.
A la fin, débrieffing. Remarque de TOUS les stagiaires: on ne pensait pas que les lances avaient un tel pouvoir d'extinction, maintenant on aura plus peur.

Désormais, cette équipe n'a effectivement plus peur. Elle éteints des feux violents en quelques minutes là ou d'autres services passent des heures à arroser de l'extérieur.

On peut faire 50.000 vidéo, des PPT ou de la 3D. C'est toujours amusant. Mais je pense que le seul qui sait ce que c'est un tir de mitrailleuse, c'est celui qui s'est fait tirer dessus ou qui a vu les ennemis tomber comme des mouches sous ses rafales. Il connait la puissance de ses outils. Il ne va donc pas hésiter. En fait, je ne sais pas si on peut dire qu'il va "prendre des risques". Il va peut être seulement utiliser l'outil à son vrai potentiel.

Je ne sais pas comment sont réellement formés les officiers, mais je sais qu'en incendie, seule la confrontation avec le vrai feu donne l'ampleur du danger et permet de juger de l'efficacité de l'équipement. Maintenant, difficile de dire à un groupe d’élève de St Cyr "Mettez vous là, on va vous tirer dessus avec un Leclerc pour vous montrer ce que ça fait"... :)

Amitiés
Pierre-Louis

Ah, je terminerais par le post Boris Friak. La petite souris est sur-protégée. Mais la "tapette"va lui casser les cervicales, juste derrière le casque. Car si la petite souris avait mieux étudié le principe de la tapette, si elle avait étudié les RETEX, elle aurait vu que ces copines ne se sont jamais fait écraser la tête, mais se sont fait fracasser la colonne vertébrale. :(

13. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par

On hésite à en rajouter après d'aussi nombreux commentaires très intéressants. Mais d'abord ce que suggère la photo : cette souris va mourir, non par culture du risque mais à cause d’un fatal manque d’intelligence, ce qui peut se résumer par la célèbre formule « mort aux cons ! ».

Ensuite je ne sais pas si la culture du risque a « disparu » chez l’officier, mais si c’est le cas ce n’est pas dommage : la culture de l’intelligence est cent fois préférable. « Attaquons ? Attaquons comme la Lune ! » disait le Général Lanrezac.

L’intelligence permet au contraire d’obtenir le résultat voulu en limitant le plus possible les pertes et en conservant ses moyens pour la bataille suivante ou pour la phase suivante de la même bataille.

Mais de quel risque parle-t-on, au fond ? « Les pistes d’audace et l’apprentissage des comportements collectifs dans des situations d’imprévu » ne visent pas réellement à développer la culture du risque, ils sont faits (et c’est heureux) pour apprendre à conserver l’usage de son intelligence dans des situations un peu angoissantes comme le montre PL Lamballais.

Bref, mes jeunes camarades, apprenez à conserver intactes en toutes circonstances vos capacités de réflexion et n’écoutez pas les bravaches périmés qui vous diront « scrogneugneu, de mon temps, on en avait ! » On n’en avait pas plus que vous.

égéa : Yves !!! enfin de retour ! vous commenciez à m'inquiéter ! welcome back.

14. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par yves cadiou

Déconnecté pendant plusieurs semaines « pour des raisons indépendantes de ma volonté », je suis heureux de pouvoir enfin rejoindre votre sympathique communauté virtuelle.

15. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par oodbae

Bonsoir,

je suppose qu'il est des choses intemporelles, ainsi l'eau mouille et le feu brûle. Parfois, l'homme y est aussi sujet, indifférent.

Je vous cite ainsi un paragraphe du chapître VI "de l'intrépidité", issu du livre 3 de "De la guerre" de Clausewitz (première parution 1832-1834).

ouvrez ses guillemets

"Au fond, l'intervention d'un but raisonnable devrait rendre l'intrépidité plus aisée, amoindrir par conséquent sa valeur intrinsèque, et pourtant c'est le contraire qui est vrai.
L'intervention de la pensée lucide, à plus forte raison la prédominance de la raison, ravit à toutes les forces émotives une bonne partie de leur violence. Voilà pourquoi l'intrépidité devient toujours plus rare à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie des grades; quand même le bon sens et l'intelligence ne sont pas forcément proportionnels à ces grades, les données objectives, les circonstances et les relations s'imposent du dehors aux commandants des différents niveaux avec une telle force et en telle quantité que leur fardeau augmente à mesure que diminue celui qui pèse sur leur propre esprit. Voilà essentiellement sur quoi se fonde la vérité du proverbe francais : tel brille au second qui s'éclipse au premier. Presque tous les généraux que l'histoire nous présente comme des chefs médiocres, voire indécis, s'étaient distingués à des rangs inférieurs par leur intrépidité et leur résolution."

J'espère que la législation des droits de propriété intellectuelle tolèrent cette transcription. Les caractéristiques du livre sont:
les éditions de minuit , carl von clausewitz - de la guerre.

Apparemment, la culture du risque ou son absence n'ont pas attendu l'inscription du principe de précaution dans la constitution française sous Chirac pour faire défaut à de nombreux généraux, qu'ils soient français ou étrangers d'ailleurs, si l'on accepte comme définition de l'intrépidité la résolution à braver les risques.

cordialement

oodbae

16. Le vendredi 24 février 2012, 18:53 par

Je reviens en août sur ce sujet de février-mars 2012 parce que depuis lors est intervenu l’arrêt de la Cour de Cassation du 10 mai 2012 : les poursuites résultant de l’affaire d’Uzbin sont confirmées.

Il est actuellement prématuré de parler de cette affaire en cours. Mais ensuite on en reparlera sûrement, et pas forcément de façon négative parce que ce genre de poursuites permettra, un jour ou l’autre, de coincer les vrais responsables : les ministres qui ne définissent pas clairement la mission (le résultat à obtenir par les armes) et qui ne donnent pas des moyens en cohérence avec le résultat à obtenir. Les ministres ne sont pas à l’abri des poursuites judiciaires, on aurait tort de l’oublier.

En disant qu’il est bon que cette instruction judiciaire se poursuive, je ne veux pas accabler le capitaine : il a certainement fait ce qu’il a pu en dépit des moyens insuffisants qu’on lui allouait, selon une mauvaise habitude prise depuis longtemps dans la profession, habitude mauvaise mais honorable.

Nous devons reconnaître, nous les anciens, que nous avons donné le mauvais exemple en prenant parfois des risques insensés pour accomplir des missions invraisemblables avec interdiction politicienne de prendre l’initiative du feu. A cet égard la loi a changé en 2005. Mais il y a encore beaucoup à faire pour clarifier la relation du Politique et du Soldat : cette clarification sera une conséquence de la procédure en cours.

Le lien vers l’arrêt de la CC http://www.legifrance.gouv.fr/affic...

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