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Jeu transatlantique

Pour les États-Unis, l'Europe n'est ni un problème ni une solution (H. Védrine). Pour l'Europe, les États-Unis ne sont plus une solution, et déjà un obstacle, sinon un problème.

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Pour les États-Unis, le lien transatlantique est utile, surtout parce que les Européens le demandent, par américanophilie. Les Américains les méprisent, à cause de leur déclin. On a l'impression de ces vieux couples où l'un, éploré et dépendant, ne cesse de geindre son attachement sans pourtant faire d'efforts, et où l'autre, agacé et plein d'ennui, ne pense qu'à ses maîtresses bien plus amusantes mais n'ose pas rompre définitivement, car c'est quand même bien pratique d'avoir bobonne à la maison qui fait la cuisine et tient le foyer.

Vous aurez reconnu, d'une certaine façon, la description de Robert Kagan (La puissance et la faiblesse). A ceci prêt que celui-ci pensait que l'Europe devait se reprendre en main "à la suite" des États-Unis. Robert Gates ou Leon Panetta ne disent pas autre chose, et c'est le message d'Obama.

Il y a cependant une voie alternative à ce jeu de rôle délétère entre Mars et Vénus, saynète surjouée depuis vingt ans, à l'insatisfaction des deux, et dont on voit aujourd’hui l'impasse stratégique qu'elle constitue.

Au fond, pour regagner l'intérêt des États-Unis, ne faudrait-il pas que l'Europe rompisse avec eux ? Alors, ils feraient quelque chose puisqu'ils se retrouveraient tous seuls. Alors, le mari plaqué retrouverait de l'intérêt à l'ex-épouse finalement encore gironde. Alors, le volcan éteint, peut-être.... Alors, deux individus, enfin adultes et non plus adolescents vieillis, pourraient agir.

Mais il n'en sera rien. Car il faut pour cela une volonté, et il n'y a plus aujourd’hui de volonté européenne.

Nous allons donc poursuivre le lent éloignement des vieux couples, sans joie et sans avenir, qui avancent pas à pas vers la tombe.

Ils sortiront de l'histoire.

Voilà en fait la fin de l'histoire : ce n'est pas celle de Fukuyama.

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 11 mars 2012, 21:14 par Midship

je ne sais pas s'il faut plutôt citer Brel "on a vu sans fois rejaillir le feu d'un ancien volcan qu'on croyait trop vieux" ou Desproges "l'âge mûr, qui par définition précède l'âge pourri".

2. Le dimanche 11 mars 2012, 21:14 par

Oups, on dirait du Jean-Phi... Tu pourrais reciter mon dernier bouquin, quand même !

égéa : tu auras un billet presque rien que pour toi !

3. Le dimanche 11 mars 2012, 21:14 par JF

Et parce qu'il y a une volonté étasunienne ?

4. Le dimanche 11 mars 2012, 21:14 par

Pourquoi "presque"...?

Un jour, le général Vincent Desportes m'a dit : vous savez, le jour où tout le monde reprendra vos idées et où vous aurez eu raison avant nous tous, personne ne vous citera, c'est la règle du jeu, c'est comme ça...

égéa: travaille,va, et réponds à mes questions, plutôt que d'en poser. JE vais t'appeler Calimero, un de ces jours.

5. Le dimanche 11 mars 2012, 21:14 par

Voilà ce qu'écrivait Daniel Vernet dans Le Monde du 20 août 2008 à propos de Fukuyama :

"Penser l'après-1989, c'est-à-dire penser l'après-guerre froide et l'après-communisme. Penser le monde après la disparition de l'URSS et l'extension de la démocratie chez les anciens satellites de Moscou. Voilà la tâche à laquelle se sont attelés, à quelques années d'intervalle, deux intellectuels américains. Avec des conclusions différentes pour ne pas dire opposées, tous deux ont gagné l'attention d'un vaste public aux Etats-Unis comme dans le monde entier.

Le premier est Francis Fukuyama. Alors conseiller au ministère de la défense à Washington, il signe un article intitulé « La fin de l'Histoire » dans le numéro de l'été 1989 de la revue The National Interest. Une traduction française est publiée par Commentaire. L'article sera développé trois ans plus tard dans un livre : La Fin de l'Histoire et le dernier homme (Flammarion, 1992). Le titre est en lui-même éloquent. Francis Fukuyama réfléchit sur la fin du XXe siècle avec des concepts empruntés à Hegel, et à son interprète français, Alexandre Kojève, à Nietzsche, auxquels il convient d'ajouter, s'agissant de la démocratie, Alexis de Tocqueville.

L'essai a tout de suite été critiqué par ceux qui, l'ayant mal lu, voire ne l'ayant pas lu du tout, ont compris La Fin de l'Histoire comme la disparition même de toute Histoire. Fukuyama affirmait, prétendait la vulgate, que l'Histoire s'était arrêtée avec la victoire des démocraties libérales sur le totalitarisme, d'abord fasciste entre les deux guerres mondiales, puis communiste. Et qu'il n'y aurait désormais plus de guerres entre les peuples, de conflits entre les hommes, d'événements même. Présentée, ainsi la thèse était facile à réfuter. Elle n'a toutefois qu'un très lointain rapport avec le travail de Fukuyama, à la fois plus ambitieux, plus aride et plus complexe.

L'auteur part de la formule d'Hegel qui considérait que l'Histoire s'était arrêtée en 1806, quand il avait vu passer Napoléon à cheval sous sa fenêtre. Dans un entretien avec Gilles Lapouge, en 1968, Alexandre Kojève fera référence à cette anecdote. Il n'avait pas « vu Staline passer à cheval sous sa fenêtre. Mais enfin », il n'en considérait pas moins que l'URSS avait contribué à amener l'Histoire vers sa fin.

Que signifie pour Fukuyama, suivant Hegel et Kojève, « la fin de l'Histoire » ? Cela veut dire que « la solution du problème de l'Histoire a été trouvée dès la Révolution française (...). Nous n'avons pas pu aller au-delà de ses principes, ni politiquement ni philosophiquement. Les expériences historiques postérieures ont été des mises en oeuvre de ces principes. Les grandes formes d'alternative ne sont pas parvenues à les dépasser. Ce sont des «détours» ».

Cela ne veut pas dire que l'Histoire n'est plus contingente, mais qu'elle a été pensée dans sa fin. Comme le fascisme et le communisme, le fondamentalisme islamique n'est dans cette hypothèse qu'un « détour » parmi d'autres, énormes, parfois monstrueux, mais qui ne sont pas décisifs contre l'idée de la démocratie libérale.

Il n'est pas possible en quelques lignes de rendre parfaitement compte de toutes les interrogations et critiques, qui ne sont pas toutes vulgaires, provoquées par cette thèse. Fukuyama lui-même en fait part à la fin de son livre. Si la « bonne cause » a triomphé, les hommes n'auront plus besoin de lutter pour elle. Pour continuer à lutter, c'est-à-dire à être des hommes distincts de l'animal, ne seront-ils pas alors tentés de se retourner contre cette bonne cause ?

De même, le triomphe de la démocratie libérale ne conduira pas nécessairement à un « Etat universel et homogène » (Kojève), mais plutôt à des réseaux d'institutions, à des connexions d'intérêts croisés. L'Europe en est un exemple, dit Fukuyama, sans pour autant être une préfiguration d'un Etat mondial."

égéa : merci, Jack.Sur Hegel, que j'ai lu à la suite de Fukuyama, cette fiche de l'ancêtre égéa.

6. Le dimanche 11 mars 2012, 21:14 par yves cadiou

Parler de « couple » transatlantique n’est pas tout à fait adapté, pour au moins deux motifs. D’abord parce qu’il faut être deux pour former un couple. Or l’Europe n’est pas une mais multiple. Aussi parce qu’un couple, du moins au début, a des projets d’avenir communs que chacun ne peut réaliser seul. Or nous n’avons jamais eu de projets d’avenir avec les Américains.

Ces observations basiques (et, j’admets, simplistes) me permettent d’amener l’idée que notre analyse habituelle des relations euro-américaines est plutôt irrationnelle, fondée sur l’absence de réponse à des questions que nous refusons de nous poser. Nous considérons que les Etats-Unis sont « naturellement » le prolongement de l’Europe sans voir que de part et d’autre de l’Atlantique on a des intérêts et des visions du monde profondément divergents. Certes nous avons quelques solidarités secondaires, mais rien qui justifie que l’on cherche à « regagner l’intérêt des Etats-Unis ».

Nous Français sommes, parmi les Européens, les mieux placés pour contester la proximité transatlantique. D’abord parce que « nous, Français, sommes le peuple européen qui a le moins contribué à l'immigration aux Etats-Unis » comme l’écrivait un commentateur ici-même à la suite de votre billet intitulé « France Amérique : la déprise des sentiments » http://www.egeablog.net/dotclear/in... Ensuite parce que nous savons que les Américains ont toujours tardé à venir nous prêter main-forte. En 1918 nos « amis » américains sont arrivés au secours de la victoire après quatre années de guerre en envoyant des hommes mais sans apporter un seul canon ni un seul fusil (réf : « la France et son armée », Charles de Gaulle et http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89... ). Puis lors de la 2°GM, pourtant prévisible depuis des années, ils n’ont pas débarqué le 6 juin 1940 : l’eussent-ils fait, il n’y aurait pas eu de 2°GM. Ces deux constats fondent notre relation avec les Etats-Unis et notamment la dissuasion nucléaire française.

Heureusement on commence (un peu plus tôt aurait été mieux), à se poser des questions : en remettant en cause la notion d’Occident, par exemple http://www.egeablog.net/dotclear/in...

Peut-être allons-nous poursuivre le lent éloignement des vieux couples. Mais l’on s’aperçoit qu’un peu partout en Europe, où les élections sortent les sortants, sont remises en cause de vieilles habitudes de pensée. De ce fait, une modification profonde de notre relation avec les Etats-Unis (un divorce, si vous voulez conserver la notion de couple) semble plus probable qu’un lent éloignement. Ce ne sera pas la fin de l’histoire, mais une nouvelle donne. Pas si nouvelle, en fait.

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