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Tournant syrien

Au-delà du massacre de Houla qui fait ce week-end les manchettes des journaux, plusieurs signes suggèrent un tournant de la crise syrienne : je parle ici de l'intérieur du pays, et non de ces données géopolitiques d'environnement, qu'il s'agisse du monde arabe, de l'opposition chiite-sunnite ou de l'opposition Occidentaux contre Russie & Chine (voir ce billet). Ils méritent d'être décodés. Deux sont liés aux lieux de la crise, le troisième à la forme qu'elle prend.

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1/ Alep

Pour la première fois depuis le début de la crise, des manifestations de masse se sont déroulées à Alep, deuxième ville du pays, et elles ont suscité une répression armée, moins visible qu'à Houla, mais peut-être plus significative. Houla se situe entre Homs et Hama, et le massacre récent se situe "logiquement" dans une zone hostile au régime. En revanche, qu'Alep se révolte a une signification beaucoup lus importante : cela signifie que la capitale économique du pays ne soutient plus le régime. Surtout, il y a désormais la possibilité d'un axe "libre" qui relierait Homs, Hama, Alep et au-delà la frontière avec la Turquie : cette continuité géographique permettrait de contourner la bande côtière qui est alaouite et qui entrave les renforts extérieurs. Une bande liant directement les foyers de la contestation à une frontière extérieure, cela rend possible à la fois un "corridor humanitaire", mais aussi une déclaration d'autonomie (sur le modèle du CNT parti de Benghazi) et qui reconquérerait le pays....

2/ Liban

La situation au Liban est également très mouvante. EN effet, jusqu'à présent, c'était la Syrie qui dominait le Liban et imposait ses priorités. Il semble que ce contrôle n'opère plus, du moins plus aussi bien. Et que surtout la division religieuse qui traditionnellement opposait les chiites (alliés du régime de Damas) aux chrétiens se soit modifiée entre une opposition entre chiites et sunnites : au nord du pays (entre la Bekaa et la région de Tripoli) au lieu du sud (Beyrouth et la frontière avec Israël). Cela renvoie à ce que j'écrivais déjà il y a quatre ans sur la question de Tripoli et auparavant de la rébellion du camp de Nahr el Bareh. A l'époque, je interrogeais sur une possible prise d'autonomie du Hezbollah par rapport au grand frère syrien. Ce n'était en fait que l'annonce de la reprise de l'opposition chiite sunnite qui couvait sous la cendre. Or, la crise actuelle en Syrie rétroagit au Liban et le remet sous tension.

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3/ Enfin, les opposants ont changé de "tactique" de combat, ce qui participe d'une bascule "stratégique" du mouvement. Comme me le fait remarquer Bertrand Quiminal :

Les combats changent de nature. Jusqu'au 2 à 3 semaines en arrière, les soldats de l'armée se sentaient en relative sécurité pour exécuter avec diligence les ordres reçus:

  • pas de risque d'intervention étatique extérieure
  • plein appui politique, social, moral et financier du régime
  • très peu de pertes, par une opposition qui, politiquement, défilait à découvert dans les rues, et manquait peut-être de matériels appropriés mais surtout d'expertises tactiques adaptées et de la volonté de les appliquer

Depuis, les pertes de l'armée syrienne augmentent de manière exponentielle

  • les "insurgés" passent désormais "A travers les murs", par volonté de s'engager dans un autre type de confrontation (la "démission" du représentant du CNS n'en est qu'une des manifestations). Acceptant ou voyant faire par exemple des "éléments non syriens" aguerris ailleurs et mieux armés, dans une logique de focos chère au Ché, les combats relèvent désormais de l'embuscasde en terrains fermés, avec des pertes qui deviennent plus lourdes pour l'armée (de morts isolés, il s'agit désormais de morts en groupe, à l'intérieur ou à l'extérieur des blindés)
  • de fait, l'armée syrienne ne va plus vouloir aller partout, ce qui va permettre aux insurgés la constitution de mini bases arrières plus sûres et d'une liberté de circulation plus importante
  • les soldats de Bachar vont également demander à être mieux protégés (par exemple, sur les vidéos, l'on constate sur les toits des immeubles des servants de mitrailleuses entourés par une "cage" de type filet Qinetiq sauf vers le devant, et 2 à 3 soldats postés aux alentours et le couvrant) et sera moins agressive et mobile.

Les données du combats urbains, en zones fermés ou prévisibles (utilisations d'IED sur les routes d'approvisionnement logistique ou de circulation sur les grands boulevards), évoluent donc significativement, et tendent vers un déséquilibre moins grand entre forces du régime et insurgés. J'ajoute que l'ASL semble avoir résisté à l'assaut de l'armée régulière contre une position qu'elle tenait à Rastan, à 20 km à l'est de Houla (selon une affirmation du Monde)

4/ Quelle conclusion partielle tirer de ce diagnostic ? Je ne sais si le régime va tomber bientôt : en effet, il continue de bénéficier de deux facteurs fondamentaux :

  • le soutien de la Russie et de la Chine qui bloquent toue tentative de résolution au Conseil de sécurité. Or, aucun acteur n'est vraiment désireux d'une intervention, et n'est donc prêt à se passer de la légitimation de l'ONU pour faire quoi que ce soit. Il n'y a donc pas d'alternative internationale, sinon le soutien indirect (approvisionnement d'armes, financement) à l'opposition armée (politique menée par l'Arabie Saoudite, le Qatar). Quant au plan Annan, il se poursuivra autant qu'il pourra : les observateurs risquent d'être de plus en plus pris à partie, dans des circonstances toujours plus troubles, ce qui entraînerait probablement leur retrait.
  • la désunion de l'opposition, aussi bien au plan politique qu'au plan militaire. Aucune structure n'a acquis la légitimité, au point que d'ailleurs aucune instance n'a été reconnue internationalement. De même, militairement, il y a beaucoup de discussion sur les actions (on a du mal à parler de stratégie) de l'Armée syrienne de libération (ASL) : faut-il en effet seulement s'autodéfendre localement ou lancer une guerre civile pour conquérir durablement des zones autonomes et à terme faire chuter le régime ?

De ce fait, le régime de Bachar Assad poursuivra sa stratégie répressive, même si elle est peu couronnée de succès : cela va par conséquent augmenter la fragmentation interne et le processus de chaos et de maximisation de la discorde interne (mais aussi externe, si on pense au Liban). LA cristallisation n'a pas encore eu lieu.

MAJ : on m'envoie une carte des confession qu'on me dit de meilleure qualité : la voici.

liban_repartition_religieuse.jpg

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 28 mai 2012, 19:40 par Colin l'Hermet

Bonjour M. Kempf,
Je reviens sur l'un de vos points : "cette continuité géographique permettrait de contourner la bande côtière qui est alaouite et qui entrave les renforts extérieurs".
Dans la perspective d'une enfoncée un peu plus dans la guerre civile, rappelons que les Alaouites seront dos à la mer. Donc dos au mur, sans échappatoire, sauf à accepter un embarquement d'évacuation sur flotte russe ou iranienne (sur cette partie de l'hypothèse, j'oscille entre la pure galéjade et la réelle option de développement ultime).
Cet élément géographique tactique ne peut que porter le camp légitimiste et présidentiel au jusqu'au-boutisme dans sa stratégie.
Bien à vous,
Cl'H

égéa : oui. Mais on sent une sort d’alliance de revers avec les Kurdes... Sans même parler des autres minorités

2. Le lundi 28 mai 2012, 19:40 par fj

Bonjour,

En complément de votre analyse sur le Liban, les tensions internes aux sunnites sont également facteurs d instabilité et d inquiétude au Liban.
C'est l'absence de leadership incontesté au sein de la maison sunnite (d'autant plus flagrante lorsqu'elle est mise en perpective avec l'autorité de Nasrallah du cote chiite) qui permet à d'innombrables groupuscules (plus d'une centaine, semble-t-il) d'espérer exister. Les récents affrontements qui ont agité un quartier de Beyrouth le temps d une nuit n'étaient que le fait de groupuscules sunnites rivaux, certes particulièrement bien armés et entrainés. L'armée libanaise ne s'y est d ailleurs pas trompée. Alors qu'elle intervient avec autorité dans le Nord (même si elle ne parvient pas toujours à s'imposer), elle s'est contentée de veiller à ce que ces affrontements ne prennent pas une ampleur trop importante à Beyrouth.
On peut aussi se demander si, pour le gouvernement libanais, la menace principale ne serait pas la perte d'autorité sur une partie nord de son territoire. Cette zone avec un accès à la mer, une zone aéroportuaire, sa frontiere avec la Syrie ne manque pas d'interêt. Dans ce scenario catastrophe, l'autorité étatique ne s'exercerait plus tout à fait ni au Sud Liban, ni au "Nord Liban".

Pendant ce temps, le sud Liban n'a jamais été aussi calme bien qu' il n'existe que peu de perspectives. En effet, la solution entre le Liban et Israël doit désormais être trouvée au niveau politique. Or, toute l'attention de la classe politique est portée sur le nord ou sur les problèmes internes du pays (énergie, budget...)
Le sud Liban est donc dans une léthargie dangereuse d'où il ne sort que de temps en temps, lorsque quelques différents de faible ampleur apparaissent le long de la Ligne bleue.
Ceci n'est que le point de vue d'un occidental au Liban pour quelques temps, et comme on dit ici, " si vous pensez avoir tout compris au Liban, c'est certainement que l'on vous a mal expliqué!"

Encore merci pour la qualité de vos billets !

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