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Wargame et Kriegspiel

J'ai été assez impressionné par l'avalanche de réactions au jeu concours sur le film de guerre, puisqu'on a dépassé la trentaine de commentaires en deux billets (ici et ici). Sachez que j'ai contacté "Guerre et Histoire" pour que le sujet soit repris ultérieurement, j'y reviendrai en son temps.

source

Vous savez par ailleurs que je parle assez souvent de jeupolitique (ici et ici). Mais je n'ai jamais parlé de "jeu de guerre". Ce qu'on appelle couramment wargame, ou pour les puristes Kriegspiel (souvenez vous du Jour le plus long, où Romel va jouer un Kriegspiel dans un château la nuit du débarquement...).

Voici donc qq petites questions... Répondez librement, ça me permettra de comprendre... A toutes les questions ou certaines d'entre elles (enfin, la 1 au minimum).... On fera la synthèse plus tard.

1/ Quel est votre (vos) kriegspiel préféré(s) ? pourquoi ?

2/ Qu'est-ce qui compte le plus : l'épisode historique ? la période historique ? le "stratégie" ? le "jeu" ? quel est votre principal intérêt à y jouer.

3/ Joue-t-on plus à 20 ans ? 30 ans ? toute sa vie ?

4/ Combien de temps dure une partie ? n'est-ce pas contraignant ? laisser un plateau en place jusqu'à la reprise ?

5/ Jouez vous en plateau, ou en simulé/assisté par informatique ? avantage./inconvénient des deux ?

6/ Faut-il être dans un club ou cercle (formel ou informel) ? autrement dit, un des intérêts du kriegspiel n'est-il pas d'échanger avec d'autres passionnés, sur telle ou telle période ? Peut-on jouer "seul" au kriegspiel ?

7/ Réalisme : faut-il obligatoirement des épisodes ayant existé, ou des univers "réalistes mais inventés" suscitent-ils votre attention ?

8/ Jeu informatiques et 3 D : quels avantages? Possibilité de création, de co-création (de scénarios, d’adaptation, de créativité) ? ou possibilité de jeu en réseau, avec d’autres fanas ? mais alors, pourquoi revenir au wargame "classique" : qu’est-ce qui vous le fait préférer (ou non) à ces nouvelles formes de cyberwargame?

9/ Le wargame permet-il des "créations stratégiques"? Avez vous eu l'impression que grâce au wargame (en gros, la simulation vous aviez répondu à des problèmes tactiques stratégiques que vous n’arriviez pas à appréhender autrement ?

10/ Quel est le meilleur club de wargame que vous connaissez?

11/ y a-t-il des scénarios contemporains (au hasard, la Chine contre Taïwan) que vous aimeriez jouer ? lesquels ?

12: Un wargame est-il différend d'un jeu de rôle ? similitudes, différences ?

Mille mercis de votre co-écriture.

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 1 juin 2012, 20:00 par Daniel BESSON

Bonjour ,
1- Une simulation navale . Car ce sont celles qui permettent de mieux " s’approcher de la réalité " avec des tables de tir et des simulations de conditions meteo ad-hoc .
2- La période ( pre-dreadnought jusqu'à SGM ) et la "strategie"
3- j'ai commencé à 20 ans ! J'ai du arrêter depuis 3 ans 1:2 car j'ai loué ma villa ;0(
4- Peut durer une journée . Il me faut l'accord de mon épouse car je mobilise le salon ( 30m2 ) , les chambres pour l'hospitalité et mon épouse pour l'intendance ( voir 5 )
5- Dans le salon de 30m2 " " à l'ancienne " et " à l'aveugle " ( avec un drap ) selon ce modèle :
http://navalwarcollegemuseum.blogsp...
le salon est carrelè avec des tomettes hexagonales , ce qui permet d'avoir des déplacements dans tous les axes http://www.lesterrescuites.com/imag...
J'ai joué avec des maquettes 1:1000
http://www.greatendeavours.co.uk/sh...
Mais il faut s'habituer à naviguer sur une " mer couleur de terre cuite " ....
6 - Tres difficile de jouer seul . Il faut trouver des passionnés ou du moins des personnes partageant vos centres d’intérêts .Je n'ai jamais réussi à intéresser mon fils !
7- Dans le cas présent nous envisagions des " scénarios possibles " à défaut de situations historiques réelles Ex : Conflit FR+IT contre GB en Méditerranée au début du XX éme siécle ou Russie+Allemagne contre Japon dans le Pacifique en 1904-1905 .http://www.history4war.com/dossiers...
Ou " War plan orange " pour les années 20-30 : http://witp.tylerroguedesigns.com/w...
8- Jamais utilisé l'informatique
9- Refaire Tsoushima en " connaissant la fin " , et les erreurs , permet bien sûr de " refaire l'histoire " ! http://cf.geekdo-images.com/images/...
10- Celui formé par mes amis !
11- Un scenario contemporain nécessiterait de beaucoup plus de compétences . Déjà sur des scénarios SGM il faut être capable de gérer correctement une escadrille d'une petite dizaine d'(hydr)avions de reconnaissance ( Le profil des missions " réelles " n'etait pas aussi " évident " que ça ! ) Ex : Midway !
12- Je n'ai jamais joué à un jeu de rôle
Cordialement
Daniel BESSON

égéa : merci : des exemples de titres ? Quel est celui qui vous a le plus enthousiasmé, et pourquoi ?

2. Le vendredi 1 juin 2012, 20:00 par Daniel BESSON

Bonjour ,
Il n' y a pas de " titre " précis dans la mesure ou il s'agit de " reconstitutions " . Mon scénario préféré est : " War plan Orange " : http://www.histogames.com/HTML/inve...
C'est à dire un affrontement naval dans le Pacifique entre 1920 et 1930 . C'est un bon compromis entre complexité ( premiers porte-avions et submersibles mais pas de radars ni de missiles ) et " réalisme " , tout en évoquant une période qui personnelement me passionne .Et c'est le plus facile pour un marin d'eau douce : On ne doit pas tenir compte du vent , juste de l'état de la mer pour ajuster la vitesse ;0)
Il a existé d'ailleurs plusieurs réevaluations entre 1911 et 1941 qui peuvent être recrées ,soit de multiples variantes et des possibilités d'évolution .

On en reste encore d'autre part au concept de la " bataille décisive " même si on peut mener des campagnes . De plus il existe des régles on ne peut plus " officielles " , celles de la Royal Navy : Royal Navy 1921 Wargame Rules , Instructions for tactical and strategical exercices .
http://www.btinternet.com/~david.ma...
Cordialement
Daniel BESSON

3. Le vendredi 1 juin 2012, 20:00 par

Bonjour,

1) Crusader Kings I & II. Pour la complexité inhérente du système de jeu qui mêle diplomatie/religion/grand stratégie/lignages etc ainsi que l'aire de jeu qui permet vraiment de sentir le morcellement territorial et féodal de l'époque. Oblige aussi à prévoir le moyen et long terme plutôt que sur des actions immédiatiques. A le mérite de délivrer une image un peu plus contrastée du Moyen-Âge que l'on connait habituellement (je précise que c'est un ludiciel).
2) Le contexte historique et ses ressorts spécifiques (plus ils sont poussés, plus le jeu est réaliste et non générique).
3) Si l'on est mordu, toute sa vie. Pour ma part, ce type de jeu a été découvert grâce à l'informatique qui est très prodigue en la matière.
4) Avantage de l'informatique : la partie peut être pausée ou mieux encore, sauvegardée pour continuer ultérieurement.
5) Principalement informatique. Inconvénient : en mode solo, l'intelligence artificielle réagit par des routines, même si les plus évoluées simulent souvent avec brio des défaillances ou des actions illogiques. Avantages : possibilité de jouer en multijoueur, là où l'adversaire humain devient un vrai défi ; le choix grâce à la pléthore de ludiciels sur de nombreuses périodes (y compris fictives : what if / uchronie / futuriste).
6) Possibilité de jouer en solo grâce à l'informatique. Sinon, les forums spécialisés aident à trouver des adversaires et parfois une échelle (ladder est le terme le plus souvent employé) indique le niveau de l'adversaire choisi.
7) Les deux. En ce qui me concerne c'est le sérieux de la simulation qui prime : un système bien abouti et un contexte bien amené sont les variables essentielles pour que j'accroche.
8) cf 5) pour les avantages/inconvénients. Le souci du jeu de plateau selon moi repose sur le brouillard de guerre : dans un conflit, l'on ne dispose pas de toutes les données indiquées sur la carte, certaines sont cachées d'autres imaginées à tort ou à raison. Je renvoie à ce titre à ce jeu informatique Français, R.U.S.E. qui mérite très justement son nom pour prendre en considération ces opérations d'enfumage (niveau tactique). Autre point d'importance : la modularité des situations par différentes options voire création de nouveau scénarii qui accentuent l'intérêt et le nombre de possibilités lors d'une partie.
11) Un ludiciel vraiment intelligent sur les opérations contemporaines en Afghanistan (Combat Mission Afghanistan malgré toutes ses qualités ne concernait que la période 1979-1992). Ou encore une simulation mettant en jeu les nouveaux blocs OCS c/ OTAN avec un mécanisme évolué où les incidences diplomatiques peuvent interdire ou favoriser l'entrée dans le conflit d'un membre de ces organisations (voire même un État tiers).
Pas contemporain mais pourtant absent : la Renaissance qui n'a que très peu été traitée alors qu'elle est pourtant riche en condottieri et autres landsknechts avec la confirmation de l'émergence de l'artillerie Française sur le champ de bataille et le déclin inexorable de la chevalerie.
12) Oui, même si le premier peut prendre quelques éléments du deuxième (ex. conservation et modification d'unités qui engrangent de l'expérience au fil de la campagne ou apport de personnages clefs sur le champ de bataille matérialisé par des bonus spécifiques) mais fondamentalement cela ne reste qu'annexe. En outre le jeu de rôle réclame plus d'imagination, le jeu de guerre plus de réflexion.

4. Le vendredi 1 juin 2012, 20:00 par yves cadiou

L’état-major de Rommel faisait un Kriegspiel pendant le débarquement mais Rommel lui-même était absent : il s’était accordé quelques jours de perme en Allemagne pour l’anniversaire de sa femme. Rommel était sur la route, persuadé que les Américains débarqueraient à une date plus proche du solstice d’été : c’est pourquoi il disait « pour eux comme pour nous ce sera le jour le plus long ». Rommel était certain que les Américains débarqueraient le matin et à marée haute, ce qui ne collait pas avec une date aux alentours du 6 juin.
Mais les américains font un autre calcul : ils débarquent à marée basse pour éviter que les chalands se plantent sur les obstacles dont les Allemands ont parsemé l’estran. Marée basse le matin, c’est ce jour-là ou aux alentours de ce jour-là, sinon il faut attendre un mois. Or les Américains sont pressés depuis qu’ils ont compris que, s’ils tardent, les Russes qui avancent de l’autre côté s’empareront seuls de toute la technologie allemande. Pour les Américains la guerre devient une course de vitesse : c’est pourquoi ils vont « un pont trop loin », trop pressés, et d’autre part négligent Paris qui n’est pas un objectif intéressant pour eux.

Ah, j’allais oublier de répondre aux questions :
1 mon Kriegspiel préféré, c’est « armorgeddon », un jeu futuriste qui tenait sur cinq disquettes et se jouait sur atari ST vers 1990 (le dessin était simpliste mais le scenario intéressant) : il faut alternativement gérer ses ressources industrielles, combattre aux commandes des chars et des avions que l’on a pu construire, trouver et assembler cinq morceaux d’une bombe dite « à neutron », puis larguer cette bombe sur le QG ennemi. Surprise finale : en larguant cette bombe, on détruit la planète, game over, pas de gagnant. On recommence donc en s’arrangeant pour que la guerre ne devienne pas nucléaire.
2 ça fait réfléchir, c’est un défi ; je préfère les jeux futuristes (ou plus exactement « hors du temps » comme armorgeddon, warcraft, powermonger, wargasm…) parce qu’ils ne choquent pas l’historien, parce qu’aussi ils obligent à entrer dans une logique décalée dont il faut trouver la cohérence.
3 J’y ai surtout joué quand mon fils était ado.
4 Une partie doit se conclure mais le temps qui passe importe peu. Ce n’est pas contraignant parce qu’on peut interrompre le jeu et le reprendre plus tard. L’inconvénient, c’est que ça continue de capter l’attention pendant les arrêts de jeu : on risque de se couper du réel et de s’isoler (on devient professeur nimbus). A l’inverse, si l’on a quelques amis qui partagent le même goût on reste sociable.
5 Je ne comprends pas la question (plateau ?). C’est sans doute pourquoi, largué par le progrès technique, j’ai arrêté.
6 Il faut un intérêt partagé même si on joue seul.
7 Je préfère les univers inventés (voir réponse n°2).
8 Comme indiqué en 5, j’ai fini par ne plus suivre les évolutions. C’est au XXI° siècle que j’ai été largué.
9 Non, pas de progrès mais je pense que les wargames et autres jeux de gestion (simcity, transport tycoon… ) m’ont gymnastiqué la matière grise et m’ont sorti de mes routines intellectuelles : ils ont probablement ralenti mon vieillissement mental, à la fois par l’exercice et par le contact avec des gens plus jeunes que moi… jusqu’à ce que je sois largué.
10 Je n’en connais pas.
11 Non, je préfère les scénarios complètement imaginaires.
12 Je ne sais pas.

Ne me remerciez pas, ce fut avec plaisir. YC

Post-scriptum : j’ai répondu en oubliant qu’un « wargame » pouvait être autre chose que de l’informatique, je m’en suis souvenu en lisant la réponse de Daniel BESSON ci-dessus.

5. Le vendredi 1 juin 2012, 20:00 par Pepal

Bonjour,
alors dans l'ordre

1/ No retreat (Front est pendant la WWII) / Phantom Fury (deuxième bataille de Fallujah): le premier car il est simple et efficace tout en traitant d'un sujet "vaste" et le deuxième car il se joue en solo avec de mécanisme simple et un rendu très "nerveux". En gros le deuxième est très immersif.
2/ Le thème et la façon dont les spécificités de la période sont "traduites" en terme de jeu.
3/ J'ai commencé les wargames récemment et j'ai plus de 30 ans. Et je joue depuis fort longtemps à d'autres jeux tactiques (figurines fantastiques, science fiction, historiques). Donc pour moi la réponse est " toute la vie"!
4/ De 4 heures à plusieurs semaines. Il est nécessaire de laisser le jeu en place et donc consacrer une table à cela (attention au chat!!). De plus il faut trouver des joueurs, chose loin d'être évidente. Donc merci à des logiciels comme Vassal qui permettent de jouer via internet (http://vassalforge.org/).
5/ Je ne joue pas sous informatique (sauf Vassal) pour le moment car j'apprécie trop de manipuler mes pions directement. De plus, pour le moment, je trouve plus facile d'assimiler la totalité de la carte d'un seul coup d'oeil. Enfin j'aime comprendre et apprendre les mécanismes du jeu, ce qui n'est pas forcément évident sur informatique car les dits-mécanismes sont parfois cachés/incompréhensibles.
6/ Les forums de discussion (http://www.strategikon.info/phpBB3/ par exemple) permettent de rencontrer des passionnés et d'échanger. Par contre il n'est clairement pas évident de trouver des joueurs à proximité de chez soi.
7/ Je trouve que c'est justement l'occasion d'essayer des uchronies et des "what if": pour ma part le prochain objectif est de tester un conflit en centre europe entre l'OTAN et l'URSS...
8/ CF 5/
9/ Ca fait clairement partie des "aides à la compréhension" de certaines batailles/campagnes. Et refaire l'histoire possède un charme certain!
10/ NSTR
11/ Oui, il y a forcément des conflits modernes qui suscitent l'envie de jouer. Perso en moderne mais uchronique, j'aimerai bien une adaptation des roman de Clancy "L'ours et le dragon" (désolé on ne se refait pas :)
12/ Ayant commencé il y a fort longtemps par le JdR je pense que les bases du mécanismes de jeu sont globalement similaires. A mon sens la grosse différence tient au fait que, en jeu de rôle, nous sommes dans une situation de coopération entre les joueurs qui poursuivent plus ou moins le même but. A l'inverse dans un wargame nous sommes antagonistes et poursuivons des objectifs opposés ("imposer sa volonté à l'adversaire").

Voilà pour mes 2 euros.

Cordialement

Antoine

égéa : merci, ainsi qu'aux précédents contributeurs... ça vaut bien plus que deux euros...

6. Le vendredi 1 juin 2012, 20:00 par Colin l'Hermet

Bonjour Monsieur Kempf,

1/ Diplomacy, Risk et missionPrésident. Dans le désordre, Risk est une bonne approche pour le jeu a) à résolution aléatoire b) simplissime c) offrant une vision synthétique des ensembles continentaux dont l'unité apporterait un avantage concurrentiel d) faisant apparaître les routes de flux migratoire naturelles (jonctions frontalières, archipels, etc) et e) confrontant avec des joueurs humains, non nécessairement rationnels.
Une défunte revue, Jeux et Stratégie, avait complexifié sa base avec des règles addictionnelles dans le but de le rendre plus adulte.
C'est là où l'on débouche naturellement sur Diplomacy où le jeu d'alliances et de relations entre protagonistes prend le pas sur la seule résolution aléatoire.
Quant à MissionPrésident c'est un jeu informatique solo de gestion de pays au niveau de l'exécutif, avec des databases issues du handbook de la CIA et de l'OCDE. Rigolo pour voir comment il est complexe, laborieux et exténuant de se trouver à cet échelon de vision et de décision.

2/ Le jeu et l'interaction avec les protagonistes.
S'ancrer par le fictif-alternatif à un continuum temporel est assez paradoxal. Selon moi l'épisode historique tendrait à séduire un relecteur attentif de la tactique, de la stratégie, un "désenchanteur de monde" qui veut comprendre qui a fait quoi et s'il peut l'égaler ou le surpasser. Il y aurait là plus de fascination pour le contexte ou le micromanagement que de jeu proprement dit, or pour moi cela reste un jeu, pas une "planche de travail".

3/ L'addiction au jeu et la fascination (maîtrisée, croit-on) pour le risque devrait amener la plupart à répondre "toujours". Mais l'insertion du jeu dans la vie active devrait faire apparaître une plus grande facilité-fréquence de jeu dans les années d'étude pour ceux qui en mènent des longues, donc vers 20 ans. C'est en tout cas ma situation.

4/ Le temps pris pour le jeu l'est au détriment d'autres activités. Les parties des jeux que je pratique sont ramassées et si elles doivent se segmenter, le plateau doit demeurer en place ou les situations relatives et absolues doivent être mémorisées.

5/ Une certaine facsination pour le vieillot nous fait continuer en plateau. Je crains même qu'un certain rejet des conventions actuelles nous portera prochainement à jouer en costume et à faire porter nos échanges par estaffettes. Non je plaisante. Toute adjonction technologique pour contrer-aménager les contraintes de temps ou de disponibilité nous a amenés à recourir aux moyens de communication modernes. Cela a par ailleurs complexifié le domaine "espionnage-interception" du jeu en voyant émerger des asymétries entre les joueurs dans le recueil du rens.

6/ Je considère que ces jeux valent par l'imprévisibilité du comportement. Donc un groupe de joueurs, et humains de préférence. Comme disait A.Peyrefitte, la confiance consiste en la prévision du comportement d'autrui dans l'avenir. Les adversaires et les alliés peuvent être considérés comme rationnels comme dans la théorie des jeux, mais un jeu étant un jeu, des comportements asymétriques de fort au fou peuvent connaître des conclusions qui seraient dramatiques dans la réalité. Même si l'on singe les réalités guerrières, le jeu demeure une perte admissible et le comportement n'a pas la même rationalité qu'en situation réelle de décision-choix.

7/ Le paradoxe des utopies et uchronies est intéressant, mais il s'agirait pour moi d'éléments de contexte non substanciels. Les alternats reprennent des paradigmes classiques, sont de toute manière retraduits en termes basiques, et les détails viennent "seulement" nourrir la stratégie (portée des lance-purée, mode de sustentation des véhicules), pas remettre en cause le jeu.

8/ Là on touche à un point amusant. Il y a qq années, un jeu russe de wargame-stratégie, Perimeter, comportait les ingrédients suivants : a) pylones de champ radial fournissant l'énergie b) à des éléments nano polymorphes. J'ai eu l'impression de revoir ce jeu à la lecture des dernières lignes du billet "La nouvelle phalange macédonienne ?" sur Le fauteuil de Colbert (http://lefauteuildecolbert.over-blo...).
Les avantages du 3D informatique : repousser les limites de la simulation et des éléments de contexte. Dans le cadre des jeux, on retombe sur la question de l'imitation du comportement humain.
Pour avoir souvent lu les interrogations de nos congénères sur ce qui avait pu dicter tel ou tel comportement-telle décision à ce grand général victorieux ou à ce boucher imbécile, je crois pouvoir dire que l'on va a voir du mal à présenter demain une machine manufacturée et programmée pour faire ce que l'on ne sait pas expliquer nous-même.
La construction d'une IA guerrière est donc la limite que je vois dans les jeux contre la machine, sa supériorité étant en règle générale conçue par des process de "tricherie institutionnelle", i.e. temps de production raccourcis, durcissement-résilience accrus des unités combattantes, accès facilité au crédit financier.

9/ Les "créations stratégiques" proposées sont répétitives, de type "harvest-product-conquer" et très-trop rarement renouvelées. Une fois une percée accomplie sur le marché, la nouveauté relative est multi-déclinée. Les moteurs d'innovation sont graphiques le plus souvent. Elles peuvent constituer néanmoins de bonnes plateformes d'entraînement sur des points précis de carence-lacune qu'aurait précédemment identifié un candidat au jeu.

10/ Le mien, mais je n'en connais pas d'autre... lol.

12/ Le wargame se rapprocherait du jeu de rôle dès lors que les joueurs décident d'endosser un certain nombre des attributs du décideur. Dit autrement, il devient un jeu de rôle si l'on est plusieurs à se prendre au VRAIMENT sérieux (ce qui ne devrait jamais être recherché à marche forcée, soit dit en passant, car le jeu devrait rester identifié comme un jeu, mais avec des niveaux variables d'investissement personnel et de groupe).

Bien à vous,
Cl'H

7. Le vendredi 1 juin 2012, 20:00 par Laurent

1/ Mon wargame préféré  : Harpoon, le jeu informatique, mais il est vrai qu'il y a bien longtemps que je n'y ai pas joué... Et j'avoue que je m'interdis dorénavant de le faire car je sais parfaitement que je ne ferai plus rien d'autre de mes journées  ! Or, j'essaye de travailler et d'avoir une vie sociale. Et puis j'aimerais bien me mettre à jouer aux wargames avec figurines (antique-médiéval). Et puis, et puis... Bon, cela dit, et en ce qui concerne les simulations navales (ou aéronavales), Daniel Besson a parfaitement raison : ce sont celles qui tendent à être les plus réalistes : prédominance de la technique + « espaces fluides/lisses » = modélisation optimum (voilà aussi pourquoi, il n'y a pas si longtemps, j'appelais les « espaces solides » des « espaces visqueux »...). Même chez les professionnels, ce sont les simulations (aéro)navales qui ont toujours été les plus pertinentes (cf. l'US Navy de la 2e GM et des années précédentes...).

2/ Ce qui compte le plus  ? L'épisode et la période historique, avant toute autre considération.

3/ En théorie, on devrait y jouer toute la vie. En théorie également, avec l'âge, on devrait y jouer encore plus, car on acquiert deux qualités très importantes pour faire un bon joueur  : le calme et la patience. Mais la réalité du monde est toute autre.

4/ Il est bien vrai que la question du temps est centrale. Jouer à un wargame est généralement très long, et très contraignant aussi en termes d'espace et de disponibilité mentale (apprendre les règles, pouvoir se concentrer, etc.).

5/ Le grand débat autour de l'informatisation des wargames... Il est bien évident que les jeux informatiques présentent des avantages tout à la fois nombreux et gigantesques  : pas de problème pour trouver un partenaire / possibilité de jouer seul et aux horaires qui vous conviennent  ; possibilité de sauvegarder sa partie pour la continuer plus tard  ; apprentissage des règles facilité  ; pas de fastidieuse mise en place de dizaines de pions  ; pas besoin de bloquer une table et même une pièce entière  ; facilités presque totales de «  jeu  » (déplacement des pièces, retour en arrière, zoom, etc.)  ; et je dois encore en oublier. Pour les inconvénients  : le choix, même s'il est maintenant relativement large, reste encore plus limité que celui des wargames sur cartes ou avec figurines, notamment en termes de périodes et de thèmes historiques  ; l'interaction avec un adversaire est moins forte, surtout à cause du fait que c'est une machine qui joue contre vous, pas un être humain (mais cela tend à s'estomper  : les programmes «  d'intelligence artificielle  » des jeux tendent à s'améliorer toujours plus, et il existe aussi des wargames où l'on peut jouer à distance avec un adversaire, via Internet)  ; la vue globale d'un terrain reste moins grande sur un écran que sur une carte. Ma conclusion provisoire  : l'informatique est en passe de gagner... (mais je peux naturellement me tromper et/ou susciter des désaccords).

6/ Le club ou le cercle présentent des avantages évidents  ; ça ne se discute même pas. Mais c'est aussi une question de tempérament personnel.

7/ La question du réalisme  : elle est certes très importante, et même fondamentale, et il convient de la rechercher toujours, tout en sachant que, comme dans une asymptote, on ne l'atteint jamais vraiment de façon totale. Mais on rejoint alors la vieille question philosophique/épistémologique de la représentation du réel. Cela dit, j'ai remarqué que l'on pouvait se montrer bien plus créatif dans le jeu et le déploiement de ses tactiques et de ses stratégies lorsqu'on jouait sur/dans des univers totalement imaginaires  ; or, la créativité est probablement la première qualité du stratège…

8/ Voir mes réponses précédentes.

9/ Le wargame est un exercice incomparable. Ne serait-ce que parce qu'on y acquiert une connaissance dynamique (par opposition au livre, qui est plus « statique »), dialectique et qui est le produit de votre créativité (au moins en partie). Or, la guerre est certainement l'activité humaine la plus dynamique et la plus dialectique qui soit ! Donc, nécessité quasi absolue du wargame !!! Il n'y a guère qu'à travers lui qu'on peut commencer à saisir la réalité de la question de la décision (politique, stratégique, opérative, tactique, etc.). MAIS... il présente aussi des dangers (« la carte n'est pas le terrain » et tout ça ; + son réalisme et les partis-pris de son concepteur peuvent sérieusement limiter sa pertinence ; UNE partie n'épuise jamais le champ des possibles – ni même plusieurs parties ; etc.). Il convient donc, à côté et en parallèle à la pratique du wargame, le compléter par : de la lecture, des analyses critiques (la fameuse « critique des armes » chère à Mao), mais aussi des débats et des discussions.

10/ Je ne connais plus de club de wargame (c'est trop loin et ça ne me rajeunit pas, donc, je zappe).

11/ Des scénarios contemporains que j'aimerais tester ? Tous !!!...

12/ La confusion entre les wargames et les jeux de rôle est une catastrophe et une débilité qui durent depuis environ 30 ans. Il n'y a pas plus de rapport entre les uns et les autres qu'entre un pneu et un chausse-pied. Et je ne parle pas uniquement des mécanismes et de la forme de ces jeux, mais également de leurs univers de référence. Je n'établis pas de hiérarchie et je ne prononce aucune anathème ; j'adore les andouillettes au vin blanc avec des frites, et j'adore aussi les poires Belle-Hélène généreusement nappées de chocolat chaud fondant, mais il ne me viendrait pas à l'esprit de les mélanger.

8. Le vendredi 1 juin 2012, 20:00 par VonMeisten

1/ BlitzKriegCommander et ColdWarCommander. Les mécanismes sont simples et a priori réalistes par rapport à la représentation que j'ai des guerres concernées. J'apprécie aussi le fait de jouer à un niveau supérieur au niveau tactique. Le "Command and Control" est intéressant : vous n'êtes jamais certains des actions qui vont réussir ou échouer.

http://www.blitzkrieg-commander.com...

2/ Qu'est-ce qui compte le plus : l'épisode historique ? la période historique ? le "stratégie" ? le "jeu" ? quel est votre principal intérêt à y jouer.
Oui, il faut aimer la période avant tout il me semble. Je suis un grand fan de la 2eme GM par exemple. Intérêt du jeu : la beauté des figurines, la très grande liberté pour les scénarios, le fait de se sentir un peu à la place du Général de l'époque et d'être face à des choix important, et surtout, jouer avec (contre ?) un joueur qu'on apprécie (son meilleur ennemie).

3/ Joue-t-on plus à 20 ans ? 30 ans ? toute sa vie ?
Je pense qu'on joue plus à 20 ans, ensuite, cela décline un peu, et cela doit remonter une fois les enfants partis de la maison.

4/ Combien de temps dure une partie ? n'est-ce pas contraignant ? laisser un plateau en place jusqu'à la reprise ?
Non. Je n'achète que des jeux qui permettent de déterminer un résultat en une soirée, et je limite les parties en temps (par exemple, on joue de 20h00 à 0h00).

5/ Jouez vous en plateau, ou en simulé/assisté par informatique ? avantage./inconvénient des deux ? Uniquement en figurines.

6/ Faut-il être dans un club ou cercle (formel ou informel) ? autrement dit, un des intérêts du kriegspiel n'est-il pas d'échanger avec d'autres passionnés, sur telle ou telle période ? Peut-on jouer "seul" au kriegspiel ?
Oui, être dans un club apport un plus : on se retrouve entre passionnés de la chose, et cela permet d'insuffler de nouvelles périodes.

7/ Réalisme : faut-il obligatoirement des épisodes ayant existé, ou des univers "réalistes mais inventés" suscitent-ils votre attention ?
Je préfère l'historique, mais cela ne se limite pas à des batailles historiques. L'important est de respecter l'historicité, par exemple au niveau des armes dans les listes d'armée. Jouer une bataille en 1986 entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie est intéressant car plausible historiquement.

8/ Jeu informatiques et 3 D : quels avantages? Possibilité de création, de co-création (de scénarios, d’adaptation, de créativité) ? ou possibilité de jeu en réseau, avec d’autres fanas ? mais alors, pourquoi revenir au wargame "classique" : qu’est-ce qui vous le fait préférer (ou non) à ces nouvelles formes de cyberwargame?
Mon métier me fait passer mes journées sur des systèmes informatiques. Je préfére donc passer mes loisirs à le fuir !

9/ Le wargame permet-il des "créations stratégiques"? Avez vous eu l'impression que grâce au wargame (en gros, la simulation vous aviez répondu à des problèmes tactiques stratégiques que vous n’arriviez pas à appréhender autrement ?
OUI ! On comprends mieux certains dilemmes stratégiques. Exemple : je joue les USA en 1941. Que dois-je privilégier ? Le Pacifique, l'Europe ? Dans le Pacifique, dois-je viser la suprématie maritime avant tout ? Ou débarquer au plus vite pour reprendre les zones conquises ? Mais, là, je froisse un peu le joueurs Brittanique et le Soviet qui me demande en permanence quand je compte débarquer les aider...

10/ Quel est le meilleur club de wargame que vous connaissez?
Les Marie-Louises des Flandres à Marquette (Nord, près de Lille).

11/ y a-t-il des scénarios contemporains (au hasard, la Chine contre Taïwan) que vous aimeriez jouer ? lesquels ? Un grand OUI. J'aimerai refaire la Guerre du Golfe, la Géorgie, et OTAN vs Pacte de Varsovie, ainsi que les Guerres Israélo-Arabes.

12: Un wargame est-il différend d'un jeu de rôle ? similitudes, différences ?
Rien à voir. Le jeu de rôle, c'est de l'imaginaire pure, du créatif. Le wargame, pour moi, c'est un affrontement de volontés avec un contexte historique avec quelques figs.

Si vous passez par Lille un jour je vous montrerai tout ça de visu.

9. Le vendredi 1 juin 2012, 20:00 par eric

1/ World in Flames de Australian Design Group. Une simulation de niveau stratégique et politique (à la rigueur opératif car l'unité de base est le CA et parfois la div). On commence en 1935 par un jeu d'alliances politiques entre grands pays et petits pays...puis vint la guerre et on finit...(pas souvent!). Parallèlement dans ce jeu il y a tout une phase de production: acquisition de ressources via alliances ou invasions, transport par convoi ou VF puis production dans des usines. Bref passionnant.

2/ Clairement l'aspect historique. On joue les périodes de l'histoire qu'on aime (pour moi WWII en jeu de plateau et du Napoléon en figurines). Après on trouve d'autres satisfactions (stratégie, tactique) voire on se découvre, pour ma part j'adorais me constituer de belles armées et rechignait à les utiliser tel le roi-sergent.

3/ La meilleure période, la fin de lycée et après un trou pendant la prépa, le temps en école où là on peut jouer tte la nuit voire passer des vacances à ne faire que ça. Plus on vieillit plus c'est difficile: vie familiale ou professionnelle. Il faut alors se trouver des jeux assymétriques, où on peut jouer à plusieurs mais pas en même temps donc par ordinateur. Sinon il faut trouver un club et négocier 1 samedi matin par mois avec madame. Mais à 20 ans ou 35 ans, le démon du jeu est toujours là.

4/ Pour le jeu cité plus haut...record à 3 semaines avec 20/30m2 de plateau. C'est très contraignant aussi l'informatique devient l'idéal (j'ai essayé il y a 2 ans un jeu de plateau par projection d'une image informatique...bien mais ça ne vaut pas les petits carré de carton)

5/ Les deux. C'est un peut comme le livre papier et l'ebook...tout est question de charme. Il y a clairement un avenir au plateau assisté par ordinateur (pour mémoriser les positions)mais (voir rép 4) pas convaincu encore.

6/ On peut jouer seul mais personnellement on s'en lasse je trouve. Qu'on le veuille ou non on fait tout pour gagner ou pour respecter l'histoire et on fausse le jeu ainsi. L'intérêt de l'adversaire, c'es la surprise, la nécessité d'anticiper les décisions de l'adversaire et puis la convivialité. Si pour ma part je suis passé du bière/cigarettes au whisky/cigares au fil des années, cela reste toujours un excellent moment. Entre passionnés d'histoire on a toujours à échanger. En ce moment pour les figurines, notre petit club se lance dans la campagne d'Italie et chacun soit faire un exposé préalable sur les batailles...passionnant (Lodi pour ma part).

7/ Chacun ses goûts là aussi. J'ai joué à du warhammer sur figurines (monde des gobelins, orques...) et j'ai beaucoup aimé. Pour ce qui est de l'historique, il y a une constante, la fidélité dans la reconstitution: sur de la figurine empire les uniformes doivent être exacts (et pour les puristes entre 1805 et 1813 ce n'est plus pareil) d'où la nécessité d'être documenté (livres des Funcken ou du Cdt Bucquoi). Pour la WWII et les jeux sur hexagone/carton il faut que les forces des unités soient réalistes...en gros un tigre royal est puissant mais lent, un TD10 rapide, pas blindé mais a un bon canon. C'est bien in fine dans ces détails que la reconstitution historique doit être rigoureuse. Après les français peuvent gagner waterloo ou les américaine manque le DDay, ce n'est pas un problème.

8/ Là il faut bien différencier les jeux. La simuation militaire sur informatique est apparue à la fin des années 80, en solo, et les premiers jeux type wargame informatique dans les années 2000 avec un essor ces dernières années grâce à l'augmentation des capacités des serveurs de jeu et bien sûr de la vitesse de connexion. Je suis de plus en plus surpris dans le bon sens du terme par les jeux sur navigateur (sans installation sur le DD) généralement sous architecture Flash. Sinon un coup de coeur à heart of Iron III mais il y a mieux.

9/ Le wargame stratégique réussi est pour moi celui qui équilibre les aspects civils et militaires et dan civil je parle de la politique étrangère et de l'économie. Personnellement je trouve intéressant de jouer 1938 là où on peut encore faire des choix: ex: le 3 ème Reich décide de lancer une Marine plus conséquente et d'accélérer la production de Uboot. Si on se débrouille bien, on bloque tous les renforts de l'Empire au Royaume Uni et on peut réussir Seeloewe en 40. Bref l'intérêt est de voir l'impact à 1 ou 2 ans de ses choix stratégiques et surtout la nécessité de se tenir à ses choix et de tout faire pour appliquer sa politique...sinon on papillonne, on n'a plus d'initiative et c'est mai 40 dans les Ardennes.

10/ Le mien... mais il est trop petit

11/ Guerre navale Chine vs Inde

12: Jeux de rôles c'est l'adolescence ça, du type donjons et dragons... Une différence, on peut faire du JdR sans figurine ni cartes ce qui n'est pas le cas du wargame. Globalement le JdR est plus libre, on peut tracer un carte simple sur une feuille blanche, inventer son personnage, bref on est plsu dans l'imaginaire.

10. Le vendredi 1 juin 2012, 20:00 par René

A l’hôtel où l’on m’a conduit, les messieurs en blouse blanche sont très gentils avec moi. Ce sont sûrement des habitués des wargames parce qu’ils ont fini par admettre ce que je leur disais : je suis mort à la bataille de Crécy. Ils m’ont fait une piqûre et ils m’ont dit : « mais oui, mais oui, il va être bien sage et il va dormir, demain il ira mieux ». Ce matin, ils ont bien voulu me prêter un ordinateur pour que je vous écrive. Je les ai entendus qui disaient entre eux, à voix basse : « en lisant ce qu’il écrira, on pourra affiner le diagnostic ».
Je n’avais pas prévu de dormir à l’hôtel. Ce qui m’y a amené, c’est une suite de petits événements inattendus. Hier soir, après avoir fait ma lecture habituelle des plus récents commentaires sur egeablog, je suis sorti pour dîner. J’ai peut-être lu trop vite et sans faire suffisamment attention parce que le commentaire de Laurent (n°7) m’avait aiguisé l’appétit avec ses histoires de frites, de vin blanc etc.
J’ai peut-être aussi fait l’erreur d’aller dans un restau que je ne connaissais pas et où l’on ne me connaît pas. Ils ont été sympas et accueillants, j’ai pris quelques verres de gros plant pour commencer en pensant au vin blanc évoqué par Laurent. Ensuite j’ai passé ma commande mais le serveur m’a dit que malheureusement ils étaient en rupture d’approvisionnement sur plusieurs produits. Je ne pouvais pas lui reprocher parce que, comme il me l’a fait observer poliment, je demandais des plats qui n’étaient pas proposés sur la carte.
Je l’ai quand-même incité à faire son possible parce que Laurent a parlé de ces mets sur egeablog. Le serveur a répondu : « egeablog, je prends note, monsieur ». C’est quand j’ai demandé une andouillette Belle-Hélène avec des frites généreusement nappées de chocolat chaud fondant, en précisant « comme sur egeablog » qu’il a tenu absolument à noter cette référence gastronomique. J’ai ajouté « je prendrai aussi un autre verre de blanc, mais du muscadet pour changer, et un chausse-pied (j’ai l’habitude de boire mon muscadet avec un chausse-pied). ---- Un chausse-pied, je vois que monsieur est un connaisseur. ---- Mais évidemment si vous n’avez pas de chausse-pied, vous me donnerez un pneu : nous les egeablogueurs nous savons qu’un pneu ou un chausse-pied, c’est pareil. »
Ce qui est agréable, dans les établissements bien tenus par des professionnels de la restauration, c’est qu’entre eux ils se parlent par signes pour ne pas faire de bruit et ne pas déranger la clientèle. Là le serveur, après m’avoir dit très discrètement qu’ils étaient en rupture d’andouillette Belle-Hélène, s’est tourné vers un de ses collègues, a fait un signe mystérieux (il se tapait la tempe à petits coups d’index) et un autre signe qu’il m’a expliqué : « on va téléphoner dans un autre restaurant et ils viendront vous chercher ». Ils ont téléphoné. Malheureusement l’autre restaurant n’avait pas non plus d’andouillette Belle-Hélène mais on a bien voulu m’y conduire parce qu’il en aurait bientôt. On est venu me chercher avec une voiture blanche. En fait, ce n’était pas exactement un restaurant mais un hôtel-restaurant, très sympa, où ils ont insisté pour me garder jusqu’à la livraison des andouillettes Belle-Hélène.
A la réception l’on m’a demandé mon nom, ça se fait dans tous les hôtels. Souvent, pour rigoler, quand on me demande mon nom je réponds comme Connery : « my name is Bond, James Bond ». Là, j’ai fait ma blague habituelle mais ils n’ont pas compris que c’était une blague : ils m’ont dit « d’accord, monsieur Bonde ». Ils ont aussi voulu savoir mon adresse et la personne à prévenir « parce qu’on va vous garder un peu chez nous. C’est qu’en ce moment, avec la crise, l’andouillette Belle-Hélène est devenue rare, il y aura plusieurs jours d’attente. » Ah oui, la crise, je n’y pensais plus : c’est qu’on n’en parle plus depuis que la campagne présidentielle est terminée, alors j’avais oublié la crise. Mais tout s’explique : la crise, c’est la faute aux Grecs, tout le monde le sait ; alors c’est normal qu’il y ait une pénurie d’andouillette Belle-Hélène. Par contre je comprends moins la pénurie de frites au chocolat : c’est sûrement un coup des Flamands, un complot Van Houten ou quelque chose comme ça. C’est embêtant, ces crises économiques : pour acheter la Grèce, ça va, on a les Chinois qui sont intéressés. Mais qui va nous acheter les Flamands ?
Quand le réceptionniste m’a demandé ma date de naissance, je lui ai dit honnêtement que j’en avais plusieurs et que je ne pouvais pas me les rappeler toutes. Il est souvent plus facile de se souvenir de la date de sa mort parce que ça correspond fréquemment à des dates historiques. J’ai ajouté, pensant que ça pourrait l’aider « par exemple je sais que je suis mort le 26 août 1346 parce que c’était à la bataille de Crécy ». D’abord il ne m’a cru qu’à moitié : « mais oui, vous êtes mort, d’accord. Ce qui m’étonne c’est que je vois bien que vous êtes vivant ici devant moi. » Je lui ai expliqué que j’étais mort d’une autre vie, mais il n’a toujours pas compris : « Vous dites que vous êtes René ? Mais vous venez de me dire que vous vous appelez James Bond ? » Décidément, il ne comprenait vraiment rien. On se serait cru chez les fous, il commençait à s’agiter. Je lui dis « mais James Bond tout à l’heure, c’était une blague ». Il s’est un peu calmé mais il n’avait toujours pas compris : « alors James Bond est mort à la bataille de Crécy ? ---- Mais non, oubliez James Bond, c’était une blague je vous dis ! Je suis mort à la bataille de Crécy mais je ne m’appelle pas James Bond. » Je lui ai dit que j’étais aussi à la Bataille de la Rivière Maudite sur la planète Vulcain le 29 février 3017. Et là, bizarrement il m’a cru : Crécy, ça passait difficilement mais la planète Vulcain ça passait. En fait je l’ai bien eu parce que 3017 n’a jamais été et ne sera jamais une année bissextile. Les gens sont d’une naïveté parfois, c’est dingue !

11. Le vendredi 1 juin 2012, 20:00 par René

Les wargames et Kriegspiel développent l’imagination. De ce fait l’autre jour je me suis souvenu de la bataille de Crécy par laquelle débuta la Guerre de Cent ans le 26 août 1346 de notre calendrier de l’époque, le 3 septembre de notre calendrier actuel. C’est à tort que l’on attribue aux archers anglais cette défaite française initiale. D’abord il faut préciser que les archers n’étaient pas des Anglais mais des Gallois. Surtout il faut préciser que la défaite française fut causée par deux éléments sur lesquels les chroniqueurs se firent extrêmement discrets : les bombardes (c’était la première fois qu’on entendait tonner la poudre sur un champ de bataille européen) et la couardise des chevaliers français, les « preux » chevaliers français. Ces gens-là n’avaient plus combattu depuis deux siècles, dans des OPEX appelées croisades, et ne savaient plus depuis longtemps utiliser la force des armes pour autre chose que rançonner les paysans et villageois de leur fief. Face au corps expéditionnaire britannique équipé d’armes jusque là inconnues, ils n’ont pas tardé à tourner les talons.

Je vous dis tout ça avec beaucoup d’assurance et je devine que vous vous demandez d’où je tiens cette assurance. C’est très simple : j’étais à la bataille de Crécy et je m’en souviens. Je m’en souviens d’autant mieux que je suis mort ce jour-là. Mourir ça n’est pas rien, surtout quand on croit que c’est définitif. C’est un événement individuel important qui fixe la mémoire.

J’entends vos ricanements. Vous pensez « il est fou, il se moque de nous ». Non, non, je ne me permettrais pas de me moquer de vous. Mais je suis au regret de vous dire que ce n’est pas moi qui suis fou, c’est vous. Soyez maintenant raisonnables un instant et demandez-vous en toute franchise ce qui vous permet d’affirmer que je n’étais pas à la bataille de Crécy : rien. Si vous refusez d’admettre que j’y étais vous allez essayer de vous en sortir en prétextant, je vous connais, que j’ai trop d’imagination. Mais savez-vous ce qu’est l’imagination ? Non, vous ne le savez pas, personne ne le sait : on ne sait même pas précisément quelle est la nature de l’influx nerveux par lequel notre cerveau anime nos muscles. A plus forte raison personne ne sait comment pense le cerveau. Descartes avait raison d’affirmer que l’on n’est sûr de rien excepté « je pense donc je suis » mais il a négligé de se demander ce que signifie « je pense ». Vous ne pouvez pas être vraiment sûrs que l’imagination n’est pas la mémoire d’événements qui vous sont arrivés dans une autre vie. Gardez-vous de toute certitude. J’étais à la bataille de Crécy, j’y suis mort et je peux vous raconter.

Réglons tout de suite la question des chroniqueurs, et notamment d’un dénommé Froissart : ils ont raconté n’importe quoi. C’est qu’ils étaient comme les journalistes d’aujourd’hui : ils ne pouvaient pas raconter ce qui est incroyable, la poudre à canon, car à cette époque-là personne n’aurait compris ni admis que ça pouvait exister. Alors ils ont préféré raconter les arcs et les flèches parce que tout le monde sait de quoi il s’agit. Personne n’a fait observer que les flèches ne peuvent rien contre les armures ni contre les épaisses pièces de cuir renforcé qui protégeaient les chevaux et derrière lesquelles nous, la piétaille, nous nous abritions. Les arcs gallois n’étaient pas très dangereux pour nous parce qu’un arc n’a pas plus de force que les muscles de son archer. Au contraire l’arbalète, qui accumule de l’énergie, peut lancer des flèches (on dit des carreaux) qui percent les armures mais les Anglais n’avaient pas d’arbalètes. Tout le monde a donc cru, ou fait mine de croire, à la fable des archers gallois et à l’efficacité de leur « pluie de flèches » pour expliquer que les chevaliers français, à l’imitation du roi, ont « quitté le champ de bataille ». Comprenez qu’ils ont détalé comme des couards dès le premier jour, qu’ils se sont planqués dans la nature jusqu’au lendemain pour ne pas être accusés de lâcheté et qu’ils ont prétendu que la bataille avait duré deux jours. Les Anglais aussi avaient intérêt à mentir : raconter que la victoire avait été rapide et trop facile n’aurait pas été valorisant pour eux. Mais ça non plus les chroniqueurs ne peuvent pas se permettre de le dire sans risquer des représailles, la moindre de ces représailles étant de ne pas être payés.

Je vais plutôt vous raconter mes souvenirs, ce sera plus simple pour vous faire comprendre la bataille de Crécy.

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A nous les petits, les sans-grade, on ne dit jamais rien. Je ne savais pas, en cette fin d’été, que cette bataille à Crécy-en-Ponthieu marquait le début de la Guerre de Cent ans. Mais j’ai eu tout mon temps pour l’apprendre plus tard : tout mon temps, une éternité, parce que je suis mort en ce lieu et ce jour-là, je m’en souviens comme si c’était hier.
D’ailleurs c’était hier : qu’est-ce que c’est, sept siècles, au regard de l’Eternité ? C’est hier.

Je n’étais qu’un palefrenier pompeusement appelé écuyer par mon Noble-Seigneur. Lui, c’était un trouillard brutal qui méprisait tout le monde sauf lui-même. Brutal, du moins contre les faibles. Mes frères et moi avions été sommés de l’accompagner à la guerre : nous avions eu assez peu le choix : si nous refusions, alors les gardes du château, qui eux restaient sur place, brûleraient notre cabane et massacreraient ceux qui y logeaient, femmes, enfants, vieillards. Moi, ce départ ne me déplaisait pas quoiqu’il fût forcé : j’espérais qu’avant de mourir à la guerre j’aurais peut-être le temps, quittant ainsi mon état de serf cultivateur attaché à la terre et interdit de voyages, de voir des choses intéressantes. De ce point de vue j’étais une sorte de soldat volontaire, risquant sa vie par curiosité. Je suis donc parti, ce qui n’a pas empêché que ma cabane fût brûlée et que ma famille fût massacrée sous un autre prétexte.
A cette époque, de toutes façons, rares étaient ceux qui vivaient vieux. Et vieillir était souvent pénible, même pour les riches. Je n’étais pas vieux et c’était tout ce que je savais au sujet de mon âge : à quoi m’aurait servi de savoir mon âge ? Personne ne savait l’âge de personne, pour ma part j’étais jeune et en pleine forme, c’était tout ce qui comptait.
L’idée de mourir ne me tracassait pas beaucoup : j’en avais déjà tellement vu mourir autour de moi, souvent de maladies, ou parfois de faim ou de froid. La mort faisait partie, en quelque sorte, de la vie. L’on ne se demandait pas ce qu’il y avait après la mort : je crois que nous manquions un peu d’imagination. Pour imaginer, il faut avoir le temps. Et pas trop faim ni trop froid.

En cette fin d’été au moins, je n’avais pas froid. Mais j’avais faim, bien que l’été soit un moment favorable pour glaner ou braconner. Les saisons étaient pour moi les repères de l’année qui passait, comme l’heure m’était donnée par la hauteur du soleil dans le ciel, je repérais les semaines et les mois par la forme de la lune. J’aurais été incapable de vous dire que la bataille avait lieu le 26 août 1346. Je ne l’ai su qu’après ma mort.
En cette fin d’été je n’avais donc pas froid, mais pendant toute cette vie j’ai eu faim. C’est peut-être ce que j’ai trouvé de plus agréable après ma mort : je n’ai plus jamais eu faim.
Bien sûr, dans mes vies suivantes, il m’est arrivé d’avoir faim, mais les temps avaient changé et c’était une faim agréable, celle qui précède un repas qui ne sera plus problématique.

Ce soir-là, il fallait que je trouve à bouffer. On avait marché pendant des jours pour rejoindre l’armée du Roi de France, qui est le seigneur du seigneur de mon seigneur, puis pour accompagner cette armée dont nous faisions désormais partie. J’avais pu boire de l’eau des rivières, mais je n’avais rien trouvé à manger : quand on ne marche pas en tête de l’armée, il ne reste plus rien dans les champs, les bois et les chaumières quand on arrive. On était passés par Amiens et par Abbeville, mais ces villes ne m’ont rien fourni à me mettre sous la dent parce que je n’ai pas été autorisé à y entrer. Je n’ai rien pu y chaparder.
Quand-même, ce voyage tenait ses promesses : autrement, jamais de cette vie je n’aurais vu une ville. Cette fois j’en ai vu des petites et des grandes, j’étais très impressionné.
Mais dans les villes et les bourgs, les vilains et les bourgeois sont méfiants lorsqu’ils voient arriver toute cette troupe : ils ferment leurs portes, ils planquent leurs vivres et leurs femmes et ils restent à l’abri derrière leurs murailles. Nous n’avons pas le droit d’attaquer ni de piller parce que les plus importants de nos seigneurs sont accueillis en ville respectueusement, avec faste, bombance et amour, pendant que la piétaille attend à l’extérieur. Alors le système convient aux seigneurs parce qu’une ville, c’est un peu comme une femme : la prendre consentante, même si elle feint, c’est toujours meilleur que de la violer. Et donc ils nous interdisent d’entrer dans ces villes qui feignent d’être accueillantes pour eux.
J’ai entendu dire que l’armée anglaise n’est pas comme nous : pas de fraternisation équivoque, elle est en terre ennemie, elle attaque la ville, elle se sert tranquillement et détruit ce qu’elle ne peut pas consommer ou emporter. De ce fait, l’armée anglaise n’a pas nos problèmes de subsistance. Je ne suis jamais entré dans une ville. Je devrais peut-être changer d’armée, pour entrer enfin dans une ville et piller.
Mais de l’extérieur déjà, une ville c’est impressionnant : j’ai vu Amiens puis Abbeville depuis des collines voisines, j’ai vu leurs maisons gigantesques, beaucoup plus grandes que ma cabane. Parfois deux maisons sont posées l’une au-dessus de l’autre. Et surtout le bruit : on devine une activité intense, artisans qui frappent, commerçants qui annoncent, roulement des charrettes. Et les odeurs, fort appétissantes pour moi qui ai presque toujours faim parce que je ne mange que rarement. Mais quand je peux me goinfrer, je me goinfre, je ne manque pas d’appétit. De ma colline près d’Amiens, l’autre jour, j’ai senti une odeur de poulet grillé : je connais, j’en ai mangé déjà un petit morceau une fois, c’était succulent.
Je vois que je vous étonne avec l’acuité de mes perceptions : ma vue perçante, mon ouïe fine, mon odorat subtil. C’est qu’il faut vous dire qu’à cette époque, tous ceux qui vivent dehors et ne sont pas trop vieux, c’est-à-dire tous les serfs, sont comme moi : la vue, l’odorat et l’ouïe sont d’une finesse que vous n’imaginez pas. Les autres, ceux qui voient mal, entendent mal ou sentent mal, meurent d’accidents ou de faim : c’est comme ça depuis toujours. Alors nous sommes tous doués de perceptions d’une grande finesse et j’ai, de plus, la chance d’être parmi les mieux pourvus. D’où peut-être ma curiosité qui m’a donné envie de faire ce voyage. Ma curiosité et mon habitude de n’avoir peur de rien car je suis à l’aise dans mon environnement, où rien n’échappe à mon attention, même quand je dors.

Ce soir-là près d’Abbeville, on savait que la bataille serait pour bientôt. Non pour ce soir mais pour le lendemain ou le surlendemain parce que l’on ne combat pas la nuit. Les seigneurs ne veulent pas combattre la nuit : c’est que les actes d’héroïsme passent inaperçus la nuit. Ce qui intéresse les seigneurs, c’est plus de se montrer héroïques que de l’être vraiment. Alors on ne combat pas la nuit.
En outre, beaucoup de seigneurs ont peur de la nuit, j’ai remarqué. Quand ils sont dans leur fief, ils ont l’habitude de passer les nuits enfermés dans leur château, ils ne sont pas accoutumés à la nuit dans la nature.
Pour moi, au contraire, la nuit c’est le meilleur moment, surtout depuis que j’ai quitté ma cabane et mon champ : à la faveur des nuits j’ai pu chaparder les victuailles qui m’ont permis de survivre jusqu’ici. Et pas seulement survivre : j’ai même pu en vendre un peu à des gens moins débrouillards mais plus fortunés que moi. Ce qui fait que pour la première fois de ma vie, j’ai quelques sous en poche. C’est comme ça que j’ai commencé d’apprendre un peu à compter.
J’ai aussi une arme rudimentaire que j’ai volée à un imprudent qui dormait trop profondément : c’est un solide bâton avec un bout ferré. L’ancien propriétaire de l’arme n’a rien dit parce qu’il ne s’est pas réveillé, j’avais d’abord pris soin de lui fracasser la tête avec un lourd caillou. Ma vocation n’était pas de rester cultivateur, j’ai bien fait de partir en campagne : si je meurs, j’aurai auparavant vécu quelques bons moments.

Ce soir-là, nous sommes à quelque distance d’Abbeville. Les Anglais sont, paraît-il, plus au nord près d’un gros bourg nommé Crécy. Je décide d’y aller, j’aurai plus de chances d’y trouver à manger que du côté d’Abbeville. Pour approcher il suffit de traverser la rivière, de passer par la forêt, puis de retraverser la rivière. J’y vais donc et j’arrive sur l’arrière de l’armée anglaise qui fait face à la nôtre et nous attend un prochain jour. Je ne rencontre personne parce qu’évidemment les Anglais n’imaginent pas qu’on pourrait venir la nuit par un chemin détourné. Guidé par mon odorat, je trouve un stock de vivres des Anglais. L’armée anglaise est mieux organisée que la nôtre parce que c’est une armée expéditionnaire qui a préparé son expédition et en a choisi le moment alors que chez nous tout est improvisé. L’armée anglaise a fait venir avec elle des commerçants civils qui sont chargés de l’approvisionner. Ces commerçants suivent l’armée avec leurs charrettes qu’ils remplissent par tous les moyens possibles, honnêtes ou non, en ratissant la région, puis ils vendent aux soldats.
Je m’approche de l’une de ces charrettes. Je comprends que c’est mon soir de chance parce qu’au même moment la pleine lune sort des nuages : toute cette lumière un peu plus tôt et j’aurais sûrement été repéré. Là, au contraire, elle arrive bien pour me permettre de planter avec précision mon bâton ferré dans la gorge du gardien somnolent qui est là pour surveiller la charrette. Inefficace gardien qui, ne surveillant pas, trahissait donc son employeur. Je planque le corps sous la charrette pour être tranquille. Avec la clarté de la lune je mange et je bois facilement sur place, dans la charrette. Dommage que pour repartir tout à l’heure il me faille garder les mains libres : je ne pourrai presque rien emporter.

Le ventre plein, je suis reparti aussitôt que la clarté extérieure s’est atténuée. Le ciel s’est bientôt couvert et il a plu tout le restant de la nuit. Peu importe la pluie : j’étais bien, je n’avais plus faim, j’avais mangé au moins pour deux jours. A ce moment-là, je ne savais pas que je ne connaîtrais plus jamais la faim lancinante que j’avais toujours connue.

De retour dans nos rangs, trempé par la pluie et mes traversées successives de la rivière, je me sèche près de l’un des feux qu’ont allumés les arbalétriers. Ces gars-là parlent un charabia que je ne comprends pas, ils ne sont pas de chez nous. Je vois quand-même qu’ils ont un problème avec leurs arbalètes mouillées : c’est pour les faire sécher qu’ils ont allumé des feux, mais ça n’a pas l’air très efficace. Bon, je devine que la bataille ne sera donc pas pour demain. Par conséquent, je repartirai en expédition demain soir comme j’ai fait ce soir, mais avec prudence car les Anglais auront vu les traces de mon passage.

Au petit matin, la pluie cesse. Je croyais que la bataille ne serait pas pour aujourd’hui à cause de l’indisponibilité des arbalètes mais pourtant tout le monde est fort excité par la proximité des Anglais. Mon seigneur veut que je l’aide à se harnacher pour le combat : il m’appelle à grands cris, pour bien faire savoir à tous qu’il veut en découdre. Héroïque. Mais moi qui le vois de près, je sais que son regard est terrifié. Ses vociférations de bravache lui servent à camoufler sa peur, peut-être à se la cacher aussi à lui-même. Crie donc, pauvre trouillard.
Le problème, c’est que tous se mettent à faire comme lui, c’est un concours de rodomontades chez les seigneurs. On dirait des chiens : l’un aboie parce qu’il a peur, les autres en font autant dans la peur camouflée sous des cris agressifs. On appelle ça « des cris de guerre ». Des cris de terreur, oui. Chacun se harnache et, aussitôt qu’il est prêt, part en hurlant vers Crécy avec ses gens pour montrer à tous sa bravoure fictive. Les Anglais vont avoir beau jeu de prendre les Français en ordre dispersé, par petits paquets.
Nous ne sommes pas en tête, d’autres sont partis avant nous pour faire preuve de vaillance avant tout le monde. Nous essayons de les rattraper. Nous les rattrapons en effet parce qu’en tête ils se sont arrêtés. J’entends encore des cris. Qu’ont-ils donc à crier comme ça, à quoi ça sert ?

Au cours de mes vies suivantes, j’ai souvent été soldat et j’ai vu tous les moyens qu’on a inventés successivement pour atténuer la peur : cris d’enthousiasme fictif comme aujourd’hui, chants, lourd chapeau à poils ou casque en métal qui bloque la tête et l’imagination, prières avant l’attaque, alcool, drogue, médicaments. Tous ces moyens sont mauvais parce qu’ils empêchent de réfléchir, ils sont illusoires. Contre la peur, il y a un seul moyen valable parce qu’il permet de garder le contact avec la réalité : regarder la mort en face, se maîtriser. C’est un métier.
A Crécy ce jour-là, j’ai l’impression de débuter, mais après ma mort j’ai appris que j’en avais déjà vu d’autres auparavant. C’est un métier où il faut, avant tout, dominer sa peur. Pour la dominer, il faut d’abord admettre son existence.

Devant nous, la bataille est commencée. Je vois quelques flèches voler, venant des lignes anglaises. Ces flèches ne sont pas vraiment un problème pour les seigneurs en armures, ni pour leurs chevaux couverts d’épaisses couches de cuir. Ni pour moi qui m’abrite sous ce cuir. Cela m’empêche seulement de m’éloigner du cheval.
Je me suis mis du côté gauche du cheval, avec mon bâton ferré, sous prétexte de protéger mon seigneur des attaques qui viendraient de ce côté où il n’a pas d’arme. En fait c’est parce que j’ai intérêt à me mettre de ce côté pour ne pas recevoir un coup d’épée maladroit de ce seigneur apeuré et affolé. Je ne l’envie pas. Je n’ai pas besoin d’un odorat subtil pour savoir que dans son armure sur son cheval il pète de trouille : ça s’appelle « la pétoche ». Ce soir quand on lui ôtera son armure je m’arrangerai pour être absent, pour qu’un autre que moi la nettoie : l’intérieur est sûrement très dégueulasse maintenant. Ce chieur essaye, pour la galerie, de jouer son rôle de preux chevalier. Mais il n’est pas doué pour ce rôle et ça s’explique : il y est obligé par sa naissance et les convenances. Il préfèrerait sûrement, s’il le pouvait, être loin d’ici parce qu’il imagine sa dernière heure pour bientôt. En fait, il n’a rien à craindre pour l’instant sous son armure, il lui suffit de ne pas tomber de cheval. Il a peur de la suite, parce qu’il sait que d’autres individus en armure comme lui le frapperont de taille et d’estoc.
Quant à moi, avant qu’arrive ce moment de mêlée, j’aurai intérêt à filer : lorsque nous serons proches de la piétaille et des chevaliers anglais, leurs archers ne tireront plus, je pourrai aller jusqu’à la rivière qui n’est pas loin sur notre gauche, la traverser et refaire le trajet que j’ai fait hier soir. Peut-être en profiterai-je pour rester dans l’armée anglaise, qui est mieux nourrie que la nôtre. Il suffira que je trouve un habit anglais comme j’ai trouvé mon bâton ferré et qu’au début je ne parle pas, en attendant d’apprendre quelques mots.

Pour l’heure, les anglais nous envoient des volées de flèches mais pour moi tout va bien jusque là, pas de problème, sauf que le trouillard fanfaron qui est au-dessus de moi sur son cheval m’inquiète un peu : il suffirait qu’il perde l’équilibre, qu’il tombe de mon côté et avec le poids de son armure ce serait mauvais pour ma santé. A part ce souci, je trouve l’aventure assez marrante et je ne regrette pas d’être venu. Lorsque nous aborderons les anglais, tout à l’heure, je jouerai un peu de mon bâton ferré, il y aura de l’ambiance. Puis je m’esquiverai vers la rivière. Après la bataille, je pourrai certainement revenir détrousser quelques cadavres ou agonisants. Je me sens en pleine forme.
Ce jour-là, s’il y avait eu contre nous seulement les archers, la piétaille et les chevaliers anglais, mais avec nous un peu d’organisation, la suite de l’Histoire aurait certainement été différente, à commencer par mon histoire personnelle.

Nous en sommes à avancer vers les anglais pour leur faire la peau, beaucoup moins gênés par leurs flèches que ne l’ont raconté ensuite les chroniqueurs qui n’y étaient pas. Mais soudain on entend ce que personne n’a jamais entendu sur un champ de bataille, jamais : le tonnerre venant des lignes anglaises. Stupeur chez nous. Ces gens-là sont-ils donc maîtres de la foudre ? Quelle est cette arme nouvelle et diabolique ? Je n’ai pas le temps de m’interroger davantage, le trouillard sur son cheval a eu tellement peur qu’il a perdu l’équilibre. Il m’est tombé dessus avec le poids de son armure. C’est comme ça que je suis mort à la bataille de Crécy le 26 août 1346. Je suis mort d’un coup. La rigolade s’est finie brusquement pour cette vie.

Je suis resté coincé pendant plusieurs jours et nuits sous le poids du preux chevalier trouillard. Mais je suis trop sévère : il n’était pas plus trouillard que les autres. Simplement il était plus trouillard que moi parce qu’il avait plus à perdre que moi. C’est toujours le point faible des riches : ils ont trop à perdre.
Pendant quelques jours après ma mort la rigolade a continué pour moi, un peu cynique je l’admets mais c’était justice, parce que l’agonie du seigneur a duré pendant une demi-lunaison. Il est mort de soif. Il n’était pas blessé, il était parfaitement indemne, mais allongé sur le sol et sur mon cadavre dans sa lourde armure, il était incapable de se relever sans aide. Alors il est resté là, d’abord appelant à l’aide, puis hurlant de terreur quand il a compris que si quelqu’un venait ce serait sûrement pour l’achever et le détrousser, puis geignant chaque nuit pour la grâce de Dieu en comprenant que personne ne viendrait et qu’il était foutu, puis suppliant chaque jour que quelqu’un vienne et l’achève. Enfin il s’est tu. Je dis qu’il est mort de soif, ce n’est pas précisément exact, en définitive : si l’on regarde l’enchaînement des faits, il est mort d’avoir ressenti plus de peur qu’il n’en pouvait supporter.

La défaite de Crécy, c’est la défaite de la peur : tous ces nobles seigneurs, guerriers par obligation de naissance et non par vocation, ont d’abord voulu camoufler leur peur en jouant les bravaches, faisant mine de n’écouter que leur courage sans écouter les ordres du Roi. Dans cette agitation apeurée, les bombardes anglaises ont terminé de répandre la panique.

C’est pour cacher cette vérité gênante que les chroniqueurs ont préféré parler des archers gallois à Crécy. Les chroniqueurs n’étaient pas sur place et n’ont fait qu’interpréter comme ils ont pu ce que des survivants leur ont dit, survivants qui, pour beaucoup, n’avaient eux-mêmes pas tout compris. Les arcs n’étaient pas une arme nouvelle et nous savions nous en protéger : l’arc n’a que la puissance instantanée des bras de l’archer, il n’accumule pas d’énergie comme l’arbalète et ne pose aucun problème aux gens et chevaux protégés derrière du métal ou du cuir épais. Mais pour celui qui raconte, il est plus facile et plus évocateur de parler des arcs gallois que des bombardes parce que tout le monde sait de quoi l’on parle : l’auditeur comprend. La poudre explosive venue de Chine n’ayant jamais auparavant été utilisée sur un champ de bataille en Europe, l’auditeur ne peut pas imaginer ce qu’on lui raconte, il n’y comprend rien : au XIV° siècle, le thème de la poudre explosive n’est pas vendeur.
Pour le chroniqueur, parler des arcs, c’est aussi laisser entendre que les nobles n’ont pas démérité : n’importe qui peut aisément se représenter qu’un chevalier ne peut plus rien faire si son cheval est criblé de flèches. Il suffit au chroniqueur d’inventer ce détail faux mais plausible : les chevaux criblés de flèches. Pour le chroniqueur appointé par les Français ou leurs alliés, c’est une façon honorable de présenter la défaite. Pour le chroniqueur (peut-être le même) appointé par le vainqueur, attribuer la victoire aux archers est une façon de dire que ce fut d’une façon habituelle, « à la loyale », fair play.
Au contraire si l’on dit la vérité, alors on déplaît à la fois au vaincu qui préfèrerait qu’on ne dise rien de son affolement, et au vainqueur dont le mérite est terni s’il semble avoir utilisé un moyen diabolique pour voler la victoire.
Le chroniqueur (il se nomme ici Froissart, mais le personnage est éternel) tient plus à conserver ses sponsors qu’il ne tient à la vérité.

Quant à moi, pourquoi vous mentirais-je ? Ca ne me dérange pas de vous dire la vérité sur la bataille de Crécy. D’autant que je connais la vérité parce que j’y étais.
Cette guerre de cent ans (cent sept ans, en fait) a basculé à l’avantage des français 83 ans plus tard en 1429, déjà un 18 juin mémorable, à la bataille de Patay où nos chefs n’avaient peur de rien et gardaient la tête froide.
Jusque là, alors que les bombardes n’étaient plus une nouveauté et n’affolaient plus personne, on ne les utilisait que pour détruire des murailles. Pour les batailles dans les champs, la méthode habituelle des Anglais consistait à barrer la route aux chevaliers, lourds et maladroits, par des obstacles parce que les flèches des archers ne pouvaient rien contre les armures. La piétaille française, pour avancer jusqu’aux Anglais, devait alors quitter l’abri fourni par la cavalerie, se faisait décimer et s'enfuyait. Les chevaliers anglais arrivaient alors avec leurs gens et avaient l’avantage contre les chevaliers français dépourvus de leur environnement fantassin.
L’on dit qu’à Patay l’élimination des archers gallois (soldats d’élite, très entraînés et difficiles à remplacer rapidement) rendit désormais impossible cette méthode et donna un avantage définitif aux Français, ce qui fit basculer, et bientôt terminer, la Guerre de Cent Ans. C’est sûrement vrai mais ce n’est pas tout.

Ce succès décisif à Patay, avant d’être un point de départ, est un résultat. C’est le résultat d’un élément qui changeait tout : les chefs français sur le terrain étaient des volontaires et non plus des chefs obligés, par leur noblesse et leurs liens de vassalité, de réagir toutes affaires cessantes à l’invasion britannique. Les compagnons de Jeanne d’Arc, chefs de guerre par vocation et préparés, n’étaient pas paralysés par la peur. Ils étaient capables d’observer, réfléchir et manœuvrer : à Patay, attirant l’attention des britanniques sur l’avant de ceux-ci par un dispositif qui semblait habituel, ils ont débordé les archers sur un de leurs flancs et les ont massacrés.

Les compagnons de Jeanne d’Arc conservaient dans l’action tous leurs moyens intellectuels car c’est leur compétence et non leur naissance qui les avait placés dans la fonction qu’ils occupaient. Ils savaient dominer leur peur, à l’exemple de Jeanne. Cette fille, archétype du chef de vocation, motivé et de fort caractère, eut le mérite de montrer ce qu’est le vrai courage, le courage qui est fondé sur la volonté et qui ne doit rien à la forfanterie. C’est ainsi qu’elle a rétabli la situation.

René

12. Le vendredi 1 juin 2012, 20:00 par Lu Zi Shen

le fâcheux qui sommeille en moi répondrait bien que "tout dépend par ce qu'on entend par kriegsspiel"...

parce que le kriegsspiel de Von Reisswitz, est un objet bien particulier, assez différent des wargames modernes (ou de la majorité d'entre eux)
le wargame est une simulation de conflit, basé sur une bonne dose d'abstraction. une règle bien faite se suffit à elle même, et un joueur n'a pas forcement à se demander "comment je ferais dans la vraie vie" ou est-ce que mon unité est soutenue dans son assaut (en cas de wargame, on se demandera plutôt "est ce que je bénéficie du bonus de +1 pour la présence de telle unité dans un rayon de 2 hexagones") ...

le kriegsspiel est une simulation de ... comment dire ... de prise de décision ...
les regles de jeu se limitent à peu de choses: elles regroupent un ensemble de données, basées sur des données réelles, qui viennent éclairer ou sanctionner les décisions que prennent les joueurs ... (ainsi, la version de 1824 dispose des distances de déplacement qui correspondent aux distances réelles de déplacement d'une unité à pied dans la période donnée, le résultat des pertes est calculé en fonction des statistiques obtenues pendant les guerres napoléoniennes ... )

en fait, avec le KS, l’intérêt du jeu réside dans ce que va faire le joueur, en fonction des informations dont il dispose... et c'est à l'arbitre de lui donner ces informations, ainsi que de gérer l'ensemble des variables (moduler les distances de déplacement en fonction du terrain, du temps, de résoudre les combats)

le KS "pur" est donc un jeu sur carte, à plusieurs, en aveugle (ah, le brouillard de la guerre) avec présence d'arbitre ... et, dans le fond, on est pas loin du jeu de rôle dirigé par un maître de jeu ...
Ca a l'air riche, mais prenant, matériellement, et demandeur de connaissances en la matière (ce qui n'est pas évident, dans la mesure où la réalité d'un combat s'éloigne souvent de la vision hollywoodienne qu'on peut en avoir) ...

ceci dit, quand je vois certains wargames maritimes, (harpoon, par exemple), je me dis qu'on est pas si loin du KS que ça, dans la mesure où les règles sont surtout des compilations de données réelles, qui prennent toute leur dimension avec un arbitre (qui déterminera si l'adversaire est dans le rayon de détection, s'il a été détecté où si le blip sur le radar est un faux écho, si la torpille a été détectée, et si oui, à temps)

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