Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Questionnaire sur la PED

Un étudiant m'envoie un questionnaire sur la PED, assorti de toutes les flatteries de circonstance : C'est quand même dingue ces étudiants qui font travailler les profs ! Plus sérieusement, je profite pour mettre ma réponse en ligne. Comme ça les autres pourront pomper (comme Crassus). Et puis on ne sait jamais : peut-être que l'un ou l'autre diront merci, y compris parmi ceux qui envoient des courriels, et n'accusent pas réception des réponses qu'on leur fait (mes trente seconde de vieux schnock).

source

1 - Quels sont les raisons de la construction d’une politique européenne de défense pour la France selon vous ?

Initialement, il s'agit de trouver un nouveau chantier à la construction européenne, dans les années 1980, après les premières initiatives franco-allemandes (BFA). Puis, après la chute du mur et l'échec de l'UEO et de l'OSCE, elle résulte de la volonté d'avoir quelque chose "d'européen" à côté de l'Otan : on utilise tout d'abord Maastricht (la PESC) avant l'avancée de Cologne (PESD) qu'on transforme après Lisbonne en PSDC..

2 - En quoi la PESD est-elle utile ? Les opérations menées sous l'égide de la PESD sont-elles différentes de celles menées par d'autres organisations internationales ? Existe-t-il une plus-value des opérations conduites par l'UE ?

Oui, il y a une différence. D'abord leur nombre et leur diversité (pas que des missions militaires). Ensuite, l'UE a meilleure réputation que l'OTAN (trop dure et trop américaine) voire l'ONU (pas toujours efficace) : elle offre un couple efficacité et souplesse qui est finalement très adapté aux besoins contemporains. Ensuite, l'UE dispose de tous les outils de gestion de crise (trois piliers). Enfin, l'UE a des moyens financiers qui viennent en appui de ses opérations. Autrement dit, sans être dans le très haut de spectre, plutôt réservé à l'OTAN à cause de la puissance américaine, les opérations UE présentent un vrai intérêt et font des choses que l'Otan ne peut pas faire.

3 - l'Europe de la Défense, est-ce toujours un projet porté par la France ? N'a-t-elle pas une attitude contradictoire voulant par exemple, une Europe-puissance mais souhaitant également conserver son avantage nucléaire ?

Oui, le projet est toujours "porté" par la France, même si elle n'a pas abandonné, justement, le fantasme de l'Europe puissance. L'Europe ne sera pas le multiplicateur de puissance dont rêve la France. Surtout, elle n'est pas prête à abandonner son approche classique de la puissance, qui repose sur le nucléaire, mais aussi sur l'emploi de l'outil militaire. En cela, elle est plus proche de non-Européens (les Américains) ou d'eurosceptiques (les Britanniques) ce qui est logique, malgré le paradoxe apparent.

4 - La PESD peut-elle être un tremplin pour construire une Europe stratégique plus intégrée ? Que penser du concept d'armée européenne ?

Non. Je ne sais pas ce qu'est une "Europe stratégique". Et personne ne parle d'armée européenne : ce n'est pas un concept.

5 - Est-ce un objectif souhaitable pour l'Europe sur le long terme ?

La PSDC n'est qu'un outil : au fond, il n'existe qu'au service d'une politique. Trop souvent, les politiques et les commentateurs croient que le problème, c'est l’outil. Mais le problème, c'est la politique, ou plus exactement son absence.

6 - Quels sont les obstacles majeurs au développement de la politique européenne de défense aujourd'hui ?

Son intitulé. Vouloir une "politique européenne de défense", c'est considérer la défense comme un secteur, au même titre que la pêche ou que l'université. Mais la défense est au cœur de l’État, et du politique. La guerre fait l'Etat (Tilly). Quelles sont les fins de la politique voulue ? tant qu'on n'a pas répondu à cette question -et on n'y a pas répondu-, la PED échouera.

7 - L'UE vient de recevoir le prix Nobel de la paix. Est-ce justifié selon vous ?

Ce n'est pas l'Europe qui fait la paix, c'est la paix qui fait l'Europe. L'Europe est le résultat de la paix de 1945 et de l’écœurement de cette longue guerre civile européenne, mais aussi de l'arme nucléaire qui menaçait d'une catastrophe encore plus terrible. Arme apportée par les Américains. La paix européenne est fille du nucléaire américain. Du coup, il a fallu apprendre à vivre ensemble : et en cela, l'Europe a fabriqué de la paix, ou plus exactement elle a su l'entretenir et la développer : c'est son honneur, et elle représente un exemple, qui est justement récompensé par le jury Nobel, si on n'oublie pas cet avant-propos. Mais il ne faut jamais oublier les conditions qui ont rendu cet exemplarité possible. La paix européenne vient après Verdun et Omaha beach et Hiroshima.

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 12 novembre 2012, 20:34 par

Détail concernant une "armée européenne". Quelqu'un en parle, et plusieurs fois, ce sont les Allemands, qui ont proposé des documents "bipartisans" CDU-SPD en 1999 et 2006 pour le plus récent. C'est un vieux serpent de mer chez les politiques allemands, en particulier du côté du Bundestag. En l’occurrence, les Allemands ont une vision politique qui est celle d'une Europe fédérale, qui ne suscite évidemment que des réactions négatives chez les Français (et de nombreux autres), mais la vision d'une armée européenne est logique dans cette perspective d'Europe fédérale.

égéa : merci de la précision. C'est vrai que je ne connaissais pas cet aspect allemand des choses, merci de me l'apprendre.

2. Le lundi 12 novembre 2012, 20:34 par bertrand

Bonsoir cher docteur, bonsoir à tous et à vos étudiants.
Rapidement (et sans du tout remettre en cause les réponses d' O.K.), je ne résiste pas à la tentation de "placer", pour chaque question, la courte réponse que me vient à l'esprit immédiatement - j'ai un petit faible pour les questionnaires :

1 - Quels sont les raisons de la construction d’une politique européenne de défense pour la France selon vous ?

En paraphrasant Hervé Coutau-Bégarie : la PED ne réussira que lorsque l' OTAN s' effacera. Je trouve que c' est une façon, un peu en contre-jour, de définir l' alpha et l' omega de l' activisme français en matière de "défense européenne" (NB les guillemets). La France, depuis son rejet de la CED affiche une certaine constance : soit l'outil est à sa main (ce pourrait-ce de l' OTAN?), soit il faut en créer un autre, car tout est là, la France a fait de son indépendance une religion. Mais ce faisant, quelle audience la France a-t-elle vraiment, notamment avec les PECOs hyper Otannisés ? Comment se vouloir à la fois rassembleur - car je n' ose dire "fédérateur" (avec donc une certaine impartialité au sein de la PED) - et indépendant ?
Pierre Rosanvallon écrit d'ailleurs brillamment que "l'impartialité ne peut être une politique que si l'indépendance ne devient pas une religion".

2 - En quoi la PESD est-elle utile ? Les opérations menées sous l'égide de la PESD sont-elles différentes de celles menées par d'autres organisations internationales ? Existe-t-il une plus-value des opérations conduites par l'UE ?

D' accord avec OK, je me permettrais de rajouter que la PESD reste cette unique graine d' unification (plus que la seule Economie) par le haut, car la défense (et associée la politique extérieure) reste le coeur et la raison de tout Etat. Si j' étais fédéraliste, je m' efforcerais de mettre en premier en commun un outil de défense, expression d' une véritable politique commune.

3 - l'Europe de la Défense, est-ce toujours un projet porté par la France ? N'a-t-elle pas une attitude contradictoire voulant par exemple, une Europe-puissance mais souhaitant également conserver son avantage nucléaire ?

Cf. question 1 plus haut.

4 - La PESD peut-elle être un tremplin pour construire une Europe stratégique plus intégrée ? Que penser du concept d'armée européenne ?

Si j' essaie de comprendre le terme "Europe stratégique" par "entité politique unique qui revendique des lignes stratégiques", je dirais que la PESD DEVRAIT nécessairement être la première réalisation d'une telle entité (et pas le contraire attention : politique toujours avant outils, militaire - économique ou diplo.). Le problème reste aujourd'hui que la PESD n' a pas d' application intra-européenne, je veux dire qu'il y a des opérations extérieures (Chap. VII Charte ONU), mais pas de conscience/volonté d'une armée POUR l' Europe elle-même (image : uniforme unique?). Retour à la case départ donc : pas de conceptualisation de défense pour soi = pas d'existence politique en soi.

5 - Est-ce un objectif souhaitable pour l'Europe sur le long terme ?

Pas mieux, Docteur.

6 - Quels sont les obstacles majeurs au développement de la politique européenne de défense aujourd'hui ?

Pas mieux bis...

7 - L'UE vient de recevoir le prix Nobel de la paix. Est-ce justifié selon vous ?

Là, je resterais plus du côté d'Hubert Védrine, vision plus réaliste de la pax europeana : l'EU conséquence de la carotte US (plan Marshall etc.) et de la terreur stalinienne. Je pense qu'il y aurait eu meilleure justice à remettre le Prix aux Pères fondateurs, sans trop penser au pro-américanisme de-ci de-là...

Bien à vous.

3. Le lundi 12 novembre 2012, 20:34 par FRA 368

Ce ne sont pas 30 secondes de vieux schnock, ce qu'est qu'une juste attente de politesse élémentaire. Ah bon, moi aussi je suis un vieux schnock???

égéa : 30 secondes ? j'attends toujours depuis hier midi....

4. Le lundi 12 novembre 2012, 20:34 par yves cadiou

Les questions telles que posées ci-dessus m'interrogent sur la réelle signification de ce questionnaire. L’UE est une union économique qui n’a pas à s’occuper de défense, sauf au titre de l’industrie d’armement.

Cette union économique a toujours reçu l’approbation des peuples concernés jusqu’à ce qu’elle apparaisse comme le cheval de Troie de la mondialisation. Mais surtout cette union économique cherche continuellement, depuis les années soixante-dix, à se transformer en un pouvoir politique supranational dont les peuples ne veulent pas, notamment à cause de la persistance des sentiments nationaux et à cause du déficit de démocratie des institutions européennes. Pour se transformer en pouvoir politique supranational, l’UE a tenté de passer par la monnaie parce que celle-ci fait partie de l’économie mais implique des décisions politiques communes. Si l’euro avait marché, il entraînait logiquement la création d’un gouvernement fédéral. Mais l’euro ne marche pas, il faut essayer un autre subterfuge. Alors les tenants d’un gouvernement fédéral tentent de passer par la politique de défense (et non plus seulement l’industrie d’armement) qui, elle aussi, exigerait logiquement des décisions politiques communes.

Par conséquent je le dis franchement : je doute fort de l’honnêteté de ce questionnaire. Sous couvert de questions, on diffuse quelques affirmations présentées comme des évidences. Voici les affirmations qui correspondent à chaque question : 1 il faut une politique de défense européenne ; 2 la PESD est utile ; il est normal que des opérations militaires soient conduites par l’UE ; 3 les Français n’ont pas à s’inquiéter, personne ne voudra leur retirer leur avantage nucléaire ; 4 et 5, remplacer « stratégique » par « politique » et ça devient aussitôt beaucoup plus clair ; 6 la réponse dévoile la réelle signification du questionnaire : "la défense est au cœur de l’État, et du politique" ; 7 l’UE a le droit de s’occuper de défense parce qu’elle a reçu le prix Nobel de la paix. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le questionneur qui le dit, l’air de rien, subrepticement.

Je veux bien, moi aussi, passer pour un vieux schnock. Un vieux singe à qui on n’apprend plus à faire la grimace. En 1957, le gamin que j’étais s’enthousiasmait pour le Traité de Rome. Dans les années soixante, l’enthousiasme allait à l’Europe de de Gaulle et d’Adenauer. Aujourd’hui je suis eurosceptique.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/1591

Fil des commentaires de ce billet