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Louvois, la modernisation, l'Etat

Un débat s'est développé à la suite du dernier "mélange hebdo" : tant mieux, c'est aussi la vocation de ceux-ci de permettre les échanges sur des points divers. Il s'agissait du système Louvois. Je n'y connais rien. Ce qui n'empêche pas de raisonner : voici la vraie compétence des incompétents, au rang desquels je me range résolument. Il y a donc énormément d'erreurs dans ce que je vais dire, et j'encourage les critiques à les corriger. Il reste que le sujet est aussi le moyen de réfléchir à la direction de l’État (cf. mon récent billet sur la direction des organisations complexes).

Source (NB : le commentaire de la photo est délicieusement adapté : "Le fort Louvois (...) devait être à l'origine plus important, mais la complexité des travaux ramena le projet à ce qu'il est maintenant, c'est à dire plus raisonnable". On avait le sens des réalités, il y a trois siècles !

Il paraît utile de lire au préalable les commentaires sur le billet de référence : notamment le 4, puis le 8 et les suivants.

Tout ceci sont des décisions technocratiques (ou bureaucratique, ce qui est aujourd'hui la même chose).

Pour "homogénéiser" et surtout "avoir et donc analyser" de meilleures informations, on utilise des "systèmes d'information", de plus en plus ambitieux et complexes.

Tout vient de l’interministériel (IM) : ce fut Chorus, ce sera l'Opérateur national de paye (ONP). Or, l'IM, c'est l'Etat, avec toute sa majesté. Sans faire injure à notre personnel politique, on lui présente des dossiers et il signe. Bref, ceci est une décision de la haute administration d'Etat.

Louvois (Logiciel unique à vocation interarmées de la solde) est, je crois, un vieux projet (1997 ? voir ici), qui a longtemps dérivé (très compliqué) et qui était autonome parce que le statut des militaires et les règles de rémunérations étaient différentes. Louvois s'est raccroché à la RGPP, ultime avatar de la "modernisation de l'Etat", cette tarte à la crème politico-administrative qui a fait les délices des apprentis énarques pendant au moins une décennie (curieusement, c'est passé de mode : la modernisation de l'Etat, c'est has been). En qq sorte, Louvois a pour ambition de préparer la convergence vers l'ONP.

D'où une triple problématique :

  • celle de la maîtrise de système complexes au moyen d'instruments techniques, les SI : on est là dans la question cyber évoquée à de nombreuses reprises dans égéa, par exemple dans ce billet récent.
  • celle de la conduite de l'Etat, des technocrates (énarques et polytechniciens) : si on est intelligent, on est moderne, donc on "modernise l'Etat", par exemple au moyen de systèmes informatiques qui vont permettre, c'est sûr, de rendre un meilleur service aux usagers tout en "rationalisant" l'organisation : comprendre qu'il s'agit de déflater les effectifs, donc de faire des économies.
  • et celle des éventuelles persistances d'une ou de plusieurs exceptions militaires, dues au statut et aux missions des armées. Chacun aura compris que pour l'interministériel, l'exception ce n'est pas simple à gérer et que pour s'en sortir, il faut se débarrasser de l'exception. D'où les actifs chantiers de "normalisation" : il faut que l'exception juridique du fait militaire soit réduite à la potion congrue. Processus en cours depuis 25 ans....

Ajoutez les corporatismes, les erreurs et les intérêts individuels de tel ou tel, et vous avez le risque de pataquès.

Mais on trouverait la même histoire en bien des endroits, hors fonction publique nationale : Collectivités territoriales, grandes orga internationales, grands groupes, ....

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 14 janvier 2013, 23:18 par Ph Davadie

Et on pourrait ajouter, dans le domaine des questions en suspens :
- n'y a-t-il pas une limite soit [des populations -> mesurable] soit [de la complexité -> non mesurable] pouvant être traitées par un même système informatique ? Cette limite est repoussée avec les progrès de la science, mais n'a-t-on pas vu trop gros avec Chorus, Louvois, voire l'ONP ?
- ne va-t-on pas dans le mur quand des extérieurs à une entreprise sont chargés de modéliser le fonctionnement, non standardisé et non régi par des procédures, de cette entreprise ? Car s'ils sont au courant de son aspect public, ils ignorent tout des combines qui font que ça fonctionne, même quand ça ne devrait théoriquement pas.
- est-il logique de donner un pouvoir de décision à des personnes qui n'ont aucune culture du domaine ? Il ne s'agit pas de maîtriser le domaine, mais de s'y intéresser un minimum pour ne pas passer pour un béotien.

2. Le lundi 14 janvier 2013, 23:18 par yves cadiou

« Le directeur Amédée Delafoy, seul rescapé d’une famille décimée par les guerres coloniales et les accidents de la route, collectionne les soubrettes et les décorations. Il les a toutes, sauf la médaille de sauvetage : la plus belle selon lui, mais la plus difficile à obtenir quand on n’est pas Breton. » Cette citation d’Audiard n’a peut-être pas grand’ chose à voir avec le sujet mais je trouvais en même temps marrant et quand-même utile de la placer là.

L’on peut supposer que le pataquès louvois est en grande partie un problème de personnes. Les problèmes de personnes trouvent toujours un terrain favorable à leur développement dans les organisations où le chef n’a ni prestige ni autorité ni expérience, incapable de faire la synthèse de tout ce qu’il entend sans rien y connaître. C’est bien le cas dans ce ministère depuis de nombreuses années.

Après cette remarque acerbe, je change de ton : au vu de la menace du futur ONP, je suis au regret de contredire le Maître du Blog (bien vouloir observer les majuscules, merci) lorsqu’il écrit que « les règles de rémunérations des militaires sont différentes ». Elles ne le sont pas, à l’exception bien sûr de leur scandaleuse modicité au regard des contraintes du métier et par comparaison à celles des fonctionnaires, notamment ceux de la fonction publique territoriale (FPT, je connais, j’en ai profité en toute légalité). Je reviens donc à ce que j’ai déjà écrit ici : les services des TPG sauraient très bien s’occuper du versement de la solde, ça n’est pas plus compliqué que les rémunérations des fonctionnaires. Et en attendant que cette mesure soit prise, les banques d’Etat doivent consentir des avances sur solde aux militaires qui en font la demande.

Je suppose que cette évolution qui consisterait à faire verser les soldes par les TPG, évolution qui semble de bon sens, se heurte à pas mal de routines, de prés-carrés et de crispations boutonneuses que l’autorité politique est incapable de surmonter.

égéa : euh... privilèges des incompétents : la solde des militaires est payée en avance, à la différence des autres fonctionnaires où le traitement est versé servie chu. De plus, système des avances de solde et des soldes Opex, qui sont malgré tout des particularités de la solde des fonctionnaires. Rien de fondamentalement insurmontable, mais il y a quand même des règles différentes, cher Yves. Un commissaire peut-il confirmer mes vagues souvenirs de droit administratif ?

Quant à la modicité, ce n'est pas une "règle", mais le résultat d'une habitude : celle d'accrocher, pour le meilleur et pour le pire, la grille des soldes à la grille de la fonction publique, de façon à profiter des progressions généralement négociées par les syndicats, ce que les militaires ne pouvaient (et pour cause) faire.

3. Le lundi 14 janvier 2013, 23:18 par yves cadiou

Réponse à egea (comm’ n°2) : « rien de fondamentalement insurmontable, » vous l’avez dit, mais suffisant pour faire croire à un décideur politique qui n’y connaît rien que la différence est insurmontable.

Quant à la grille des soldes qui est accrochée à la grille de la fonction publique, celle-ci évoluant grâce aux syndicats, c’est une double illusion dont les militaires feraient bien de prendre conscience.

Illusion 1 : accrochée, mais avec un fort décalage. Si l’on regarde les grilles indiciaires, ça semble exact. Mais si l’on regarde la pyramide des grades réelle, la pléthore de fonctionnaires dont l’indice de paie est celui des officiers supérieurs fait que la pyramide civile a une forme bizarre. Du fait que les civils ne portent pas de galons, c’est invisible. Quant aux primes et indemnités, beaucoup de militaires s’imaginent qu’ils sont mieux servis que les civils parce que le statut précise gentiment qu’ils ont droit à la reconnaissance de la nation, mais c’est un faux-semblant. Il faut aussi regarder les avantages en nature (véhicule de fonction à usage personnel, logement de fonction, j’ai eu tout ça sans le demander). Bien entendu, pas de mutations arbitraires, ce qui facilite le travail de l’épouse, la scolarité des enfants et la socialisation de la famille. Un jour je vous en reparlerai, lorsqu’on aura le temps parce que c’est long à décrire et long à admettre tant c’est inimaginable pour qui est sous l’uniforme.
Illusion 2 : l’efficacité des syndicats est bien une illusion parce que nonobstant quelques gesticulations, grèves et parfois vociférations sur la voie publique, ils n’ont aucun pouvoir de nuisance sur la carrière du personnel politique. Ce qui fait la force sociale des fonctionnaires et a contrario la faiblesse sociale des militaires, c’est l’entrisme de ceux-là dans les partis politiques et l’exclusion de ceux-ci des partis politiques. En vingt ans de fonction publique j’ai vu, avec un intérêt certain, l’aptitude des fonctionnaires à jouer sur les deux tableaux du politique et de l’agent public. Il m’a fallu évidemment du temps pour comprendre parce que c’était inimaginable alors que ma formation était essentiellement militaire. Bref : ne croyez pas à l’efficacité des syndicats.
Mais je sors trop du sujet du jour ; on en reparlera si vous voulez.

Aujourd’hui il n’était question que du système de paiement des soldes, la partie émergée de l’arbre qui cache la forêt.

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