Mali : Les permanences géopolitiques s'imposent....

Bon, un petit coup de g... Vous me direz, je ne suis pas le seul. Mais le sujet nous ramène aux fondamentaux. Et alors que la France se prépare à publier un livre qui engage son avenir, le rappel des choses essentielles intervient à point à tous ceux qui étaient prêts à faire des choix "raisonnables".

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Ainsi, voici la France engagée, seule, dans une intervention militaire en Afrique. Quel cruel démenti à bien des illusions, pour ne pas dire postures idéologiques, et angéliques. Qu'il soit bien entendu que je soutiens l'action en cours (parce qu'il n'y avait pas le choix). Récapitulons.

1/ fin de la Françafrique ? Ce vieux mantra que l'on entend depuis dix, quinze, trente ans à bien sûr été répété par le président de la République comme par tous ses prédécesseurs. Continuité des postures depuis vingt ans. La France, n'est-ce pas, n'allait pas poursuivre la colonisation. Là n'est plus la question. Mais plus du tout. Elle est celle de la construction étatique face aux trafics et aux réseaux, qui constituent des facteurs tout aussi structurants qu'Al Qaïda dans la région. Cela fait trois ans qu'on tournait autour du pot. Qu'on discutaillait, dialoguait, négociait. Que les Américains menaient une action indirecte et "globale" de formation de l'armée malienne (600 millions de dollars, qui justifiaient l'existence d'AfricaCom). Jusqu'à ce que des excités prennent tout d'abord les armes, puis conquièrent le nord du Mali. Au passage, la question des armes libyennes n'est qu'un épiphénomène: elles viennent en sus d'années de négligence de la question touareg, de développement d'une économie de la rançon et du trafic de drogue, et de subsides "arabes" nourris par la manne pétrolière.

Alors, il a bien fallu se souvenir que la Méditerranée ne sépare pas deux rives, et que le vrai rivage se trouve quelques milliers de kilomètres au sud. Dans ces confins, puisque Sahel signifie, en arabe, rivage. Et que donc, pour reprendre Castex, là est notre intérêt, partagé avec celui des Maliens.

2/ La Françe, seule. Certains le déplorent. Ils ne voient pas que pour la guerre, être seul est parfois plus efficace. Voici d'une certaine façon le contre-pied d'une opinion si répandue selon laquelle "à plusieurs, c'est mieux et on fait des économies d'échelle". Oui, mais pas toujours dans les affaires militaires. Où trop souvent, 1+1 ne font pas 2, encore moins trois, et très souvent 1,5 voire moins de 1. C'est d’ailleurs ce qu'ont beaucoup ressenti les Américains lors de la guerre d'Afghanistan, lorsqu'ils voyaient tout un tas d'alliés européens se défiler dans des zones peu dangereuses, sans même parler des caveats. L'avenir est à la coopération ? vous trouvez vraiment ?

3/ Démenti aussi au pari selon lequel l'Afrique n'est pas une priorité stratégique, et que l'important est "l'arc de crise", cette traduction française d'un "Grand Moyen-Orient" importé. Perdu. Heureusement que pour cent raisons, on avait encore des troupes à Dakar, en RCI, au Tchad, sans même parler des dispositifs temporaires au Burkina ou au Niger. Ça compense les lacunes de "transport stratégique" dont on nous rebat les oreilles depuis dix ans.

4/ Intérêt, disais-je, qui n'est pas celui de la Françafrique, puisqu'on est dans une nouvelle ère, mesdames et messieurs les commentateurs qui nous fatiguez les tympans de cette dénonciation du néocolonialisme : atterrissage, nous ne sommes plus au XX° siècle. Nous avons même changé de millénaire. Or donc, les Africains sont en croissance de 5 à 7 %, soit un rythme très vif. Et ils ont compris qu'il n'y a pas de prospérité sans sécurité. Et que les deux autres solutions, la chinoise et l'américaine, ne sont pas tenables.

  • La chinoise ? que du pognon, rien de politique : au fait, quelqu'un a-t-il entendu Pékin évoquer la question du Sahel ?. Les Africains sauront s'en souvenir.
  • Et l'américaine : du pognon, et du leadership from behind, avec cet AfricaCom qui n'est pas installé sur le continent, et qui développe de l'approche globale avant la lettre, avec les résultats déjà évoqués. Il y a une certaine logique américaine, me direz-vous : puisqu'on bascule (le pivot) vers l'Asie, on délaisse toute l'Eurafrique. Là encore, les Africains sauront mesurer la fidélité.

Qui reste-t-il ? Ben la France, qui est là bas par intérêt, bien sûr, mais aussi parce que simplement elle aime l'Afrique, et qu'elle a le sens des responsabilités, justement au regard de l'histoire. Ni blanche ni noire, la France, ni bonne ni mauvaise, tout comme l'Afrique, d'ailleurs : 10 nuances de gris, avec de part et d'autres des pourris et des héros. Mais de la pâte humaine qui se comprend, et qui d'ailleurs parle la même langue.

4 bis/ Avez-vous remarqué : l'Afrique intervient plus vite à nos côtés que les Européens ? Avec une CDEAO qui prend enfin conscience du défi sécuritaire. Et pendant qu'on n'entend pas les sud -Africains, pourtant prompts à dénoncer le néo-colonialisme mais envoyant sans complexe des troupes en Centrafrique, voici des Nigérians, des Togolais et même des Tchadiens qui arrivent au Mali. Au passage, triomphe d'Idriss Déby. Les Africains ne mégotent pas. Pas comme cet autre qui affirme benoîtement "on ne va pas former une armée qui va partir au combat".

5/ C'est peut-être pour ça qu'on est seuls à leurs côtés. Car le plus fabuleux, c'est de regarder qui nous a prodigué de l'aide, du côté européen : la Belgique (que je remercie, car elle agit conformément à ses discours et son sens des responsabilités : et puis c'est tellemnt rare que je peux m'appesantir en remerciements), et puis le Royaume-Uni et le Danemark (que je remercie aussi) : les deux pays qui refusent la PSDC ! Les plus hostiles à tous nos baratins sur l'Europe de la Défense, cette expression intraduisible en aucune langue et qui a quinze ans d'âge : mais à la différence d'un bon vin ou d'un bon whisky, la chose vieillit mal. Je parlerai bientôt de l'Allemagne : dans deux ou trois jours, nous fêterons le cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée. Fêter. Le mot est mal choisi. La cérémonie sera triste et coincée et grinçante. Mieux vaut se taire pour l'instant. (mais au passage, j'ai adoré Cohn-Bendit quand il a dit : "Vous avez dit 'nous', 'Nous sommes concernés', tout le monde dit 'nous', mais il n’y a que des soldats français là-bas (…) On dit aux Français : 'On va vous donner les infirmières et allez vous faire tuer au Mali'»).

6/ Ainsi donc, nous voici à intervenir contre ces pirates des mers de sable, aux confins du Sahara. Qui auront réussi, par leur idiot coup de force, à s'affaiblir alors même qu'ils croyaient se renforcer. Encore un paradoxe stratégique (la stratégie est par essence paradoxale), et pourtant totalement explicable. Leur salut venait de leur capacité de dispersion. En se regroupant, ils s'offrent à nos frappes et donc s'affaiblissent. Quant à nous, nos palabres inutiles ont démontré notre absolue faiblesse, ce qui a induit l'ennemi en erreur. La faiblesse est notre froce ? point trop n'en faut, quand même. Voici encore cet autre paradoxe : à cause d'une prise d'otage en Algérie (organisée par des cousins des pirates mais sans liaison avec ce qui se passe au Mali, car on n'organise pas une prise d'otages de 300 personnes à 3000 km de là en trois jours), les dits pirates islamistes ont réussi l'exploit de faire renouer l'Algérie et la France : car nous voici désormais en train de faire la guerre côte à côte contre l'ennemi. On a vraiment changé de siècle.

7/ Et pourtant, la guerre sera longue. Militairement, puisqu'il va falloir organiser un dispositif avec trois fonctions : le contrôle de zone, l'intervention de vive force, et la remise en état (remise en État ?) administrative du pays. En veillant d'ailleurs à ce que l'armée malienne ne déborde pas en représailles et n'attise pas les tensions. Tout en posant les bases d'une négociation pour régler la question des confins.

8/ Car ce rivage sahélien borde une mer de sable. Comme toutes les mers, ce qui compte ce sont les routes et les échanges. Et sur les mers, il n'y a pas de frontières. De même que notre représentation de la guerre (massive et industrielle) est désuète et ne correspond pas à la réalité de celle que nos menons, de même notre représentation de la frontière, linéaire et administrative et étatique et moderne et westphalienne ne peut s'appliquer à ces étendues lisses, comme dirait Deleuze. Politiquement, il va falloir enfin trouver une solution pour ces terres-mers, qui se trouvent de plus à la charnière entre populations noires et blanches, entre musulmans et non musulmans. Sachant que bien sûr, très vite, le jeu des petits calculs et les coups bas des copains jaloux va recommencer.

9/ Voici donc revenus les fondements de la géopolitique : l'horizon africain de la France, la nécessité de l'intervention, la persistance à horizon prévisible du modèle expéditionnaire, la nécessité de troupes pour contrôler le terrain, la remise en cause des illusions coopératives en matière de défense et donc, par voie de conséquence, l’impérieuse nécessité de conserver un outil de défense. Autant de réalités qu'on se dépêchait d'oublier parce qu'elles n'étaient pas à la mode. Qui font qu'on est bien seul aujourd’hui. Mais cette solitude orgueilleuse est le gage de succès futurs.

De ce point de vue là, le timing est parfait alors que le Livre Blanc lambinait. Dites, M. le président de la commission : si vous tirez les vrais enseignements de ce qui se passe en ce moment, on ne vous en voudra vraiment pas si vous publiez le LB avec un ou deux mois de retard. Je suis même prêt à attendre jusqu’à juin, c'est dire que je saurai être patient.

O. Kempf

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