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Mali : Les permanences géopolitiques s'imposent....

Bon, un petit coup de g... Vous me direz, je ne suis pas le seul. Mais le sujet nous ramène aux fondamentaux. Et alors que la France se prépare à publier un livre qui engage son avenir, le rappel des choses essentielles intervient à point à tous ceux qui étaient prêts à faire des choix "raisonnables".

source

Ainsi, voici la France engagée, seule, dans une intervention militaire en Afrique. Quel cruel démenti à bien des illusions, pour ne pas dire postures idéologiques, et angéliques. Qu'il soit bien entendu que je soutiens l'action en cours (parce qu'il n'y avait pas le choix). Récapitulons.

1/ fin de la Françafrique ? Ce vieux mantra que l'on entend depuis dix, quinze, trente ans à bien sûr été répété par le président de la République comme par tous ses prédécesseurs. Continuité des postures depuis vingt ans. La France, n'est-ce pas, n'allait pas poursuivre la colonisation. Là n'est plus la question. Mais plus du tout. Elle est celle de la construction étatique face aux trafics et aux réseaux, qui constituent des facteurs tout aussi structurants qu'Al Qaïda dans la région. Cela fait trois ans qu'on tournait autour du pot. Qu'on discutaillait, dialoguait, négociait. Que les Américains menaient une action indirecte et "globale" de formation de l'armée malienne (600 millions de dollars, qui justifiaient l'existence d'AfricaCom). Jusqu'à ce que des excités prennent tout d'abord les armes, puis conquièrent le nord du Mali. Au passage, la question des armes libyennes n'est qu'un épiphénomène: elles viennent en sus d'années de négligence de la question touareg, de développement d'une économie de la rançon et du trafic de drogue, et de subsides "arabes" nourris par la manne pétrolière.

Alors, il a bien fallu se souvenir que la Méditerranée ne sépare pas deux rives, et que le vrai rivage se trouve quelques milliers de kilomètres au sud. Dans ces confins, puisque Sahel signifie, en arabe, rivage. Et que donc, pour reprendre Castex, là est notre intérêt, partagé avec celui des Maliens.

2/ La Françe, seule. Certains le déplorent. Ils ne voient pas que pour la guerre, être seul est parfois plus efficace. Voici d'une certaine façon le contre-pied d'une opinion si répandue selon laquelle "à plusieurs, c'est mieux et on fait des économies d'échelle". Oui, mais pas toujours dans les affaires militaires. Où trop souvent, 1+1 ne font pas 2, encore moins trois, et très souvent 1,5 voire moins de 1. C'est d’ailleurs ce qu'ont beaucoup ressenti les Américains lors de la guerre d'Afghanistan, lorsqu'ils voyaient tout un tas d'alliés européens se défiler dans des zones peu dangereuses, sans même parler des caveats. L'avenir est à la coopération ? vous trouvez vraiment ?

3/ Démenti aussi au pari selon lequel l'Afrique n'est pas une priorité stratégique, et que l'important est "l'arc de crise", cette traduction française d'un "Grand Moyen-Orient" importé. Perdu. Heureusement que pour cent raisons, on avait encore des troupes à Dakar, en RCI, au Tchad, sans même parler des dispositifs temporaires au Burkina ou au Niger. Ça compense les lacunes de "transport stratégique" dont on nous rebat les oreilles depuis dix ans.

4/ Intérêt, disais-je, qui n'est pas celui de la Françafrique, puisqu'on est dans une nouvelle ère, mesdames et messieurs les commentateurs qui nous fatiguez les tympans de cette dénonciation du néocolonialisme : atterrissage, nous ne sommes plus au XX° siècle. Nous avons même changé de millénaire. Or donc, les Africains sont en croissance de 5 à 7 %, soit un rythme très vif. Et ils ont compris qu'il n'y a pas de prospérité sans sécurité. Et que les deux autres solutions, la chinoise et l'américaine, ne sont pas tenables.

  • La chinoise ? que du pognon, rien de politique : au fait, quelqu'un a-t-il entendu Pékin évoquer la question du Sahel ?. Les Africains sauront s'en souvenir.
  • Et l'américaine : du pognon, et du leadership from behind, avec cet AfricaCom qui n'est pas installé sur le continent, et qui développe de l'approche globale avant la lettre, avec les résultats déjà évoqués. Il y a une certaine logique américaine, me direz-vous : puisqu'on bascule (le pivot) vers l'Asie, on délaisse toute l'Eurafrique. Là encore, les Africains sauront mesurer la fidélité.

Qui reste-t-il ? Ben la France, qui est là bas par intérêt, bien sûr, mais aussi parce que simplement elle aime l'Afrique, et qu'elle a le sens des responsabilités, justement au regard de l'histoire. Ni blanche ni noire, la France, ni bonne ni mauvaise, tout comme l'Afrique, d'ailleurs : 10 nuances de gris, avec de part et d'autres des pourris et des héros. Mais de la pâte humaine qui se comprend, et qui d'ailleurs parle la même langue.

4 bis/ Avez-vous remarqué : l'Afrique intervient plus vite à nos côtés que les Européens ? Avec une CDEAO qui prend enfin conscience du défi sécuritaire. Et pendant qu'on n'entend pas les sud -Africains, pourtant prompts à dénoncer le néo-colonialisme mais envoyant sans complexe des troupes en Centrafrique, voici des Nigérians, des Togolais et même des Tchadiens qui arrivent au Mali. Au passage, triomphe d'Idriss Déby. Les Africains ne mégotent pas. Pas comme cet autre qui affirme benoîtement "on ne va pas former une armée qui va partir au combat".

5/ C'est peut-être pour ça qu'on est seuls à leurs côtés. Car le plus fabuleux, c'est de regarder qui nous a prodigué de l'aide, du côté européen : la Belgique (que je remercie, car elle agit conformément à ses discours et son sens des responsabilités : et puis c'est tellemnt rare que je peux m'appesantir en remerciements), et puis le Royaume-Uni et le Danemark (que je remercie aussi) : les deux pays qui refusent la PSDC ! Les plus hostiles à tous nos baratins sur l'Europe de la Défense, cette expression intraduisible en aucune langue et qui a quinze ans d'âge : mais à la différence d'un bon vin ou d'un bon whisky, la chose vieillit mal. Je parlerai bientôt de l'Allemagne : dans deux ou trois jours, nous fêterons le cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée. Fêter. Le mot est mal choisi. La cérémonie sera triste et coincée et grinçante. Mieux vaut se taire pour l'instant. (mais au passage, j'ai adoré Cohn-Bendit quand il a dit : "Vous avez dit 'nous', 'Nous sommes concernés', tout le monde dit 'nous', mais il n’y a que des soldats français là-bas (…) On dit aux Français : 'On va vous donner les infirmières et allez vous faire tuer au Mali'»).

6/ Ainsi donc, nous voici à intervenir contre ces pirates des mers de sable, aux confins du Sahara. Qui auront réussi, par leur idiot coup de force, à s'affaiblir alors même qu'ils croyaient se renforcer. Encore un paradoxe stratégique (la stratégie est par essence paradoxale), et pourtant totalement explicable. Leur salut venait de leur capacité de dispersion. En se regroupant, ils s'offrent à nos frappes et donc s'affaiblissent. Quant à nous, nos palabres inutiles ont démontré notre absolue faiblesse, ce qui a induit l'ennemi en erreur. La faiblesse est notre froce ? point trop n'en faut, quand même. Voici encore cet autre paradoxe : à cause d'une prise d'otage en Algérie (organisée par des cousins des pirates mais sans liaison avec ce qui se passe au Mali, car on n'organise pas une prise d'otages de 300 personnes à 3000 km de là en trois jours), les dits pirates islamistes ont réussi l'exploit de faire renouer l'Algérie et la France : car nous voici désormais en train de faire la guerre côte à côte contre l'ennemi. On a vraiment changé de siècle.

7/ Et pourtant, la guerre sera longue. Militairement, puisqu'il va falloir organiser un dispositif avec trois fonctions : le contrôle de zone, l'intervention de vive force, et la remise en état (remise en État ?) administrative du pays. En veillant d'ailleurs à ce que l'armée malienne ne déborde pas en représailles et n'attise pas les tensions. Tout en posant les bases d'une négociation pour régler la question des confins.

8/ Car ce rivage sahélien borde une mer de sable. Comme toutes les mers, ce qui compte ce sont les routes et les échanges. Et sur les mers, il n'y a pas de frontières. De même que notre représentation de la guerre (massive et industrielle) est désuète et ne correspond pas à la réalité de celle que nos menons, de même notre représentation de la frontière, linéaire et administrative et étatique et moderne et westphalienne ne peut s'appliquer à ces étendues lisses, comme dirait Deleuze. Politiquement, il va falloir enfin trouver une solution pour ces terres-mers, qui se trouvent de plus à la charnière entre populations noires et blanches, entre musulmans et non musulmans. Sachant que bien sûr, très vite, le jeu des petits calculs et les coups bas des copains jaloux va recommencer.

9/ Voici donc revenus les fondements de la géopolitique : l'horizon africain de la France, la nécessité de l'intervention, la persistance à horizon prévisible du modèle expéditionnaire, la nécessité de troupes pour contrôler le terrain, la remise en cause des illusions coopératives en matière de défense et donc, par voie de conséquence, l’impérieuse nécessité de conserver un outil de défense. Autant de réalités qu'on se dépêchait d'oublier parce qu'elles n'étaient pas à la mode. Qui font qu'on est bien seul aujourd’hui. Mais cette solitude orgueilleuse est le gage de succès futurs.

De ce point de vue là, le timing est parfait alors que le Livre Blanc lambinait. Dites, M. le président de la commission : si vous tirez les vrais enseignements de ce qui se passe en ce moment, on ne vous en voudra vraiment pas si vous publiez le LB avec un ou deux mois de retard. Je suis même prêt à attendre jusqu’à juin, c'est dire que je saurai être patient.

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 17 janvier 2013, 21:50 par suchet

Bonjour Mr Kempf,
Je suis un lecteur de long date, mais c'est mon premier commentaire.
Merci pour cette analyse et j'espère, comme vous, que la commission du LB tirera les conclusions afin de doter la France des outils nécessaires afin de pouvoir intervenir seule, pour sauvegarder nos intérêts.
L'Europe de la défense est morte. Il est clair que la France doit se retirer des structures existantes.

Il me semble que nous devrions prendre exemple sur le Maroc qui a su répondre à la menace du Polisario, dont les modes d'actions étaient identiques à ceux des Djiadistes aujourd'hui, par la mise en place d'un mur de 3000 km (combinaison d'un succession de points d'appuis, de troupes d'intervention, d'une couverture radar et d'appuis feux), qui permet de Détecter, Détenir et enfin Détruire l'ennemi. C'est une mise en sécurité du terrain que vous souhaitez conserver. Tous les observateurs militaires français ou non, ayant servis à la MINURSO connaissent l'efficacité de ce mode d'action particulier (une ligne Morice à moindre frais).
Merci encore pour votre blog

égéa : merci de votre fidélité et bravo pour ce premeir commentaire : comme vous le voyez, ça se passe bien, et aucun dragon n'est sorti de l'ordinateur pour vous agresser. Je le dis car souvent des lecteurs que je croise me disent "c'est vachement bien mais on n'ose pas commenter" : ben vous avez tort, na! car ce que vous avez à dire est aussi pertinent que mes propos : égalité, balle au centre.

Plus sérieusement, vous faites bien d'évoquer le Sahara occidental : j'ai hésité à le signaler, mais évidemment, la question des confins s'applique aussi à ce secteur là de la zone. Il reste que ces confins sont l'occasion de deux États plus installés (Maroc et Algérie) que ceux du sud du Sahel. Toutefois, le changement de donne sera peut-être l'occasion de trouver une solution algéro-marocaine. Si c'était le cas, on pourrait alors voir un Maghreb uni dans des efforts sécuritaires, ce qui aurait forcément des conséquences bénéfiques pour le 5+5, qui est à mon sens la seule structure ayant un peu d'avenir pour organiser des choses en Méditerranée. Mais vous me forcez en fait à évoquer ces perspectives de façon précoce. Pour l'instant, concentrons nous sur l'étude de ce qui se passe dans cette charnière sahélienne.

2. Le jeudi 17 janvier 2013, 21:50 par LH

Très bon petit texte. Ouf, des vérités commencent, de ci de là, à être dites. On sent un léger zéphyr qui va nous permettre de respirer un peu.

3. Le jeudi 17 janvier 2013, 21:50 par FA

AFRICACOM => AFRICOM (sinon, bon article ;)

Fin de la France Afrique ? Ouais enfin... 30% de notre uranium provient encore du Niger, l'indépendance énergétique de la France n'a jamais été, sauf si on considère le Niger comme une région Française. C'est aussi pour dire aux chinois, américains et autres nations : Oué, nous on est dans la place, on peut intervenir à tout moment en levant le pouce. Le sous sol malien est totalement inexploité (sauf or et quelques métaux), donc autant être les premiers dans la place au nord mali et couper l'herbe sous le pied des autres On connaît les marchés ouverts après une guerre, ce n'est pas nouveaux et je pense pas que nous intervenons sans contre parties, juste pour notre bonne foi démocratique.

égéa : je ne crois pas avoir dit qu'on intervenait que pour les bons principes, loin de là. Mais je ne crois pas non plus à la thèse complotiste et simplificatrice de l'intervention "que pour des raisons économiques". On y va aussi pour des raisons de "responsabilité internationale". Enfin, j'ai appris à relativiser les "richesses potentielles" : combien de pays africains "indépendants" et "rentiers" sont odieusement corrompus, mais "indépendants" et donc dégagés de tout "colonialisme" ? Quand des intérêts "économiques" font des affaires tout en respectant facialement l'indépendance, vous êtes d'accord ? L'Angola, modèle à suivre ?

Le PIB de la RCI, à sa belle époque, équivalait à celui de la ville de Toulouse. Et les historiens ont montré que la France ne s'est pas enrichie avec la colonisation, contrairement à ce qu'elle croyait (même si des exploitants, eux, se sont enrichis individuellement). Bref, on ne fait pas la guerre pour Areva, c'est trop simple comme argument. Après, il y a de nombreuses régions d'Afrique qui commencent à connaître des développements auto-centrés, sans les trafics en tout genre : voici pourquoi je suis optimiste pour l'Afrique et pourquoi j'ai le sentiment qu'on a changé de siècle. C'est cela qui est en jeu en ce moment, et les Africains de l 'ouest l'ont compris, qui se mobilisent derrière nous.

4. Le jeudi 17 janvier 2013, 21:50 par Fred

Vous parlez de Cohn-Bendit. Je n'ai rien compris à sa tirade. Vous pouvez nous éclairer, SVP?

égéa : DCB s’adressait, ds le Parlement Européen, à la baronne Ashton qui proclamait sa solidarité : foutaises, lui a-t-il en gros répondu ds ce discours. Bref, le réalisme de DCB détonnait dans le bal des faux-culs européens, qui nous sortaient le coup de la virginité démocratique et de la pureté des sentiments pour se défiler. Ça valait un coup de chapeau.

5. Le jeudi 17 janvier 2013, 21:50 par Gautier DREVET

1) Un premier coup de chapeau pour votre capacité d'anticipation, je suis jeune et plutôt pro-européen, et sans doute un peu utopiste.
Dans un article parut il y a quelques semaines vous répondiez à mon commentaire en déclarant que l'Europe de la défense n'était pas prête d'aboutir. La preuve est désormais établie, et ma déception n'en est que plus grande...

2) Appréciant particulièrement le franc-parler de Cohn Bendit, je suis ravi de voir que le plus européen de nos députés de Strasbourg ait, une nouvelle fois, dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas.

3) Et enfin dernier coup de chapeau pour avoir tordu le cou (y compris dans les commentaires) à ceux qui accusent la France d'un relent de colonialisme... Personnellement, je peux vous assurez qu'à la faculté, lieux d'échange et où il y a des jeunes du monde entier, dont une importante communauté d'africain. On ne ressent pas cette intervention comme un retour du colonialisme. Certains de mes amis renversent même l'argument en disant que la France se devait d'intervenir et que son absence aurait été une faute.

A mon avis il s'agit d'un mal français, le travail des historiens est ici primordial pour faire cesser cette forme d’auto-flagellation qui nous empêche d'avancer...

6. Le jeudi 17 janvier 2013, 21:50 par panou34

Tout à fait d'accord avec vous sur notre rôle au Mali qui permet aux Africains de discerner les vrais amis.
Sur ce point Sénégal,Mali,Niger, lors du sommet d'automne de l'Organisation de la Conférence islamique dont l'action est méconnue en France mais importante au sein de la oummah,ont été trés déçus:ces 3 pays lançaient un pressant appel au secours à l'OCI pour qu'elle intervienne face à la détérioration de la situation malienne.Ils ont pris en pleine face une fin de non-recevoir et un mépris qui les a choqués.
L'OCI a maintenu cette incompréhension (qui a certainement un rapport avec votre allusion aux financements arabes) lors du vote de la résolution de décembre à l'ONU qui ouvrait la possibilité d'une intervention .Elle l'a en termes diplomatiques condamnée.Dés le début de l'intervention française l'OCI a réclamé un cessez le feu immédiat.
Or il y a 3 jours subit retournement de veste du secrétaire général de l'OCI qui soutient les efforts pour la récupération de l'intégrité territoriale malienne appelant même les pays membres à participer à l'action future parrainée par l'ONU.
Dans la juste appréciation que devraient faire les états sahéliens de leurs véritables amis cette position laissera des traces comme vis à vis des Etats-Unis et de la Chine.Il ne faudrait pas que notre diplomatie montre une fausse pudeur qui l'empêcherait d'en profiter à l'avenir.
Dans une de vos réponses à vos lecteurs vous souhaitez un rapprochement Alger-Rabat.Qui ne le souhaiterait pas?Mais l'affaire malienne a opposé les deux voisins à L'ONU.C'est le Maroc qui présidait le Conseil de Sécurité en décembre qui a pesé de tout son poids aidé par des états noirs africains pour l'adoption de la résolution sur le Mali. Marquant toujours à la culotte son rival maghrébin(vive le CAN qui commence!!)Alger a alors précipité les négociations avec les pirates sahariens.On connaît le résultat pour une diplomatie algérienne jusque là réputée.
On retrouverait les deux pays dans une situation conflictuelle si la contagion s'étendait à la Mauritanie qui pour des raisons intérieures marche sur des oeufs actuellement.Comme vous le dîtes c'est une autre histoire.

7. Le jeudi 17 janvier 2013, 21:50 par Ronin

Bonjour
Excellente analyse. J'espère, comme tous les autres concernés par ce futur LB, que ces chers commissionnés prendront effectivement en compte les conclusions de l'intervention de notre indispensable outil militaire français. Je dis "indispensable", car en temps de paix, le politique a tendance à l'oublier.

Allez, comme la remarquable sortie de route de DCB, moi aussi je vous livre une excellente citation survenue ces derniers jours au sujet du Mali : Michel Goya, interviewé sur France Inter, à qui on faisait remarquer que les armées européennes brillaient par leur absence dans le désert, répondait : "la Défense est une chose trop sérieuse pour la confier à l'Union Européenne".
Une perle je vous dis.

8. Le jeudi 17 janvier 2013, 21:50 par Patrick Saint-Sever

Pour reprendre le thème du courage, soyons dissonant, par pur goût du débat, et par souci de ne pas ignorer de futurs éléments de ... deception.

Furia Francese, unanimisme médiatique à la une télévisuelle et de la presse écrite, posture un tantinet schizophrène: nous serions précurseurs, voire seuls mais pas isolés, aidés par des amis qui nous seraient bien inférieurs ! Comme dirait n'importe quel Allemand ou Britannique de ma connaissance: so french.... Pas sûr qu'un Américain ne dirait pas la même chose.

Somme toute le véritable but de guerre est quasiment atteint: on oublierait presque l'économique et même le "Retex économique" de la récente opération libyenne: le livre blanc, c'est gagné, profitons-en, l'outil ne sera pas downsizé comme cela était prévu "en temps de paix". Nous verrons...(ayant déjà vu, il y a peu...).

Car dans cette sympathique charge héroïque, l'économique et encore plus le financier n'ont pas leur place pourtant incontournable, leur drive (je sais, cela est regrettable).

"Pressé fortement sur ma droite ; mon centre cède ; impossible de me mouvoir; situation excellente. J'attaque." Soit, nous sommes à la fois hyper-endettés, hyper déséquilibrés en balance commerciale, seuls militairement au niveau du conseil de sécurité (à l'exception de ... la Russie, tiens tiens) et au niveau européen, ceux qui nous aident n'apportant que du Airlift (les précédents LB auraient-ils pêché en regard du pourtant sacro saint principe de la capacité de "projection", d'autant qu'en l'espèce, effectivement, nous ne sommes guère éloignés de notre coeur?): précurseurs isolés mais aidés, seuls exposés: parfait, j'attaque. L'Afrique est à la fois un sujet économique d'envergure qui certes est prétexte à l'intervention mais nous, Français, nous n'aurions point cette dimension comme moteur, nous prendrions les responsabilités que les autres, Américains en tête, délaisseraient. En cela nous sommes (encore) portés par le messianisme des armées de la Révolution puisque nous sommes (seuls) la patrie des droits de l'homme (ceci déclamé au prix de quelques raccourcis -sans jeu de mot- historiques). Et l'Afrique nous le rendra bien, comme l'état le rendra aux Armées via un LB plus favorable qu'attendu il y a encore 8 jours. D'ailleurs l'Afrique est invitée à financer les opérations. Pas celles de la partie française? Mais alors qui, pour combien? Car le déficit 2013 comme le niveau de la dette française ne sont pas sous contrôle. Nos alliés si inférieurs, européens ou américains, risquent fort nous le rappeler, avec les "marchés".

Alors ce jeu coûteux, financièrement comme politiquement, nous rapportera-t-il de quoi financer quelque peu notre héroïsme pour que celui-ci ne creuse pas davantage encore notre dette? Est-ce que l'"Afrique paiera" via la reconnaissance économique?

Sans préjuger du taux de reconnaissance en notre faveur et de défiance en défaveur des Américains ou Chinois etc., faisons un peu justice des tendances anglo-saxonnes à claironner que l'Afrique est la Chine de demain (pourquoi pas, mais où est l'industrie africaine...?): la France représente 2,8% du PIB mondial, l'Afrique dans sa globalité 2,6% ! Rappelons ce fait incontournable, avec la Banque mondiale: dans 2/3 des pays d'Afrique, 75% des exportations sont assurées par 1 ou 2 produits.... Ainsi, le financement de la charge héroïque n'est pas assuré, et des déceptions sont à craindre, en forme de gueule de bois.

D'ores et déjà, disons-le au risque de choquer: nous sommes, toujours, EN PAIX. Le réel est ailleurs qu'en ces manoeuvres, fussent-elles grandes pour ceux qui de fait en subissent l'exposition dans leur chair. Et le réel est têtu. Aux USA ils appellent cela un "fiscal cliff", s'en souvient-on?

Les gouffres budgétaire et débiteur sont toujours là. Devant nous. Faisons nous un grand pas en avant ?

9. Le jeudi 17 janvier 2013, 21:50 par

Encore une brillante analyse d’Olivier Kempf, suivie en moins de 24h d’une palanquée de commentaires avec quelques nouveaux commentateurs. Le sujet interpelle.

On observe d’abord qu’Olivier Kempf n’emploie pas le terme de « Djihadistes » et n’emploie qu’avec parcimonie, sous forme d’adjectif, le mot « islamistes ». Ces mots, utilisés à tort et à travers par la presse qui parle plus vite qu’elle ne pense, il faut les réfuter car ils donnent une vision erronée de la situation.

Ici l’on dit plus volontiers, et plus exactement, « pirates des mers de sable ». C’est bien de piraterie qu’il s’agit mais pour ma part je préfère dire que ce sont des bandits de grand chemin comme ceux qui écumaient nos campagnes il y a quatre siècles : ils ont disparu quand un Etat naissant, succédant à une féodalité qui n’avait rien pu ou rien voulu faire, décida de sécuriser le Royaume en passant par les armes tous les brigands que ses Gens d’Armes rencontreraient. L’absence d’Etat est bien le problème du Sahel depuis la décolonisation.

C’est ce problème, avant tout autre, que les Africains doivent résoudre : l’absence d’Etat. C’est pourquoi je ne suis pas totalement sûr qu’aujourd’hui cette nouvelle intervention française soit une bonne idée politique : elle entretient chez les Africains l’idée que nous serons toujours là pour régler leurs problèmes, même si nous devons y aller seuls. C’est bien gentil, et notre intervention est justifiée par tous les motifs qu’Olivier Kempf énumère dans son billet, mais notre intervention présente un défaut majeur qui se situe au niveau géopolitique : elle n’incite pas les Africains à se prendre en charge et à créer pour ça les institutions étatiques efficaces qui sont nécessaires à la sécurité de leur territoire.

Avant la décolonisation, c’était simple : l’Etat c’était nous. Les bandits de grand chemin faisaient profil bas. Après la décolonisation qui eut lieu en 1960 un vide d’Etat a permis au brigandage de commencer à s’installer. Artisanal d’abord, c’était une sorte de petit commerce : les coupeurs de route. Puis ce petit commerce nuisible s’est développé en profitant de l’impunité dont il bénéficiait grâce à l’absence d’Etat. Ce petit commerce avait besoin d’armes : celles-ci étaient rares mais certains militaires vendaient leurs armes parce que, ne recevant pas leur solde d’un Etat inexistant, ils n’avaient guère d’autre moyen pour vivre. Il a pu se produire que des militaires désargentés, au lieu de vendre leurs armes, pratiquent eux-mêmes le brigandage.

Peu à peu habituelle, cette activité parasite et marginale s’est naturellement développée, devenant insupportable et suscitant des interventions militaires françaises sous forme d’aide militaire technique (AMT) d’abord légères et considérées comme un palliatif en attendant que des Etats viables prennent l’affaire à leur compte.

La plupart des Etats du Sahel continuant d’être inexistants et les unités françaises restant discrètes par principe, le brigandage a continué de se développer, devenant du banditisme : les brigands se sont associés entre eux et ont formé des bandes pour attaquer les bourgades, activité plus lucrative et moins hasardeuse que l’interception des voyageurs. Ces bandes ont alors été équipées en armes par des Etats étrangers, africains ou non, voulant profiter de l’instabilité locale pour se placer sur le continent. Nos interventions militaires françaises, toujours réticentes et même hésitantes au niveau politique, formellement limitées à de la formation et à un soutien logistique au profit des armées régulières (c’est-à-dire au profit d’un Etat sur son territoire), ont été à la mesure de la montée en puissance du banditisme, jusqu’à ce que nous prenions le combat directement à notre compte contre des bandes surarmées (1978).

Depuis 1978, nonobstant les changements de gouvernements en France, nos interventions n’ont jamais cessé, de plus en plus lourdes mais toujours sous-dimensionnées dans leur phase initiale. De leur côté, les bandits évoluaient : quelques leaders ayant vécu en France avaient compris que pour exister aux yeux de notre aristocratie politico-médiatique, il faut avoir une étiquette idéologique ou religieuse : polisario, frolinat, et j’en oublie. Aujourd’hui ça s’appelle AQMI mais c’est pareil : il s’agit toujours des mêmes bandits de grand chemin, des mêmes pirates des sables qui cachent leur vraie nature sous un étendard qui fait illusion à Paris. En réalité ce n’est ni politique ni religieux, c’est du crime de droit-commun. C’est encore le cas aujourd’hui au Mali et à l’entour.

Les considérations qui précèdent amènent deux conséquences que voici.
1 D’abord pour les petits malins qui disent « la France se devait d'intervenir et son absence aurait été une faute » (n°5) : je prie Gautier Drevet de leur expliquer ce qui précède et ensuite de demander de ma part à ces étudiants pourquoi ils ne sont pas dans nos écoles militaires pour apprendre à sécuriser leur territoire. Le Dr Kempf vous le dit et il a raison : « il n'y a pas de prospérité sans sécurité ». Par conséquent, compte tenu de l’insécurité qui règne en Afrique, chaque Africain de bon niveau désireux d’étudier en France devrait être dans nos écoles militaires. Il y apprendrait ce que nous faisons avec talent depuis que nous avons liquidé nos propres bandits de grand chemin : assurer la sécurité sur notre territoire et aussi en Afrique comme nous l’avons fait pendant la période coloniale.

Que nos amis africains ne se fassent pas d’illusion : c’est pour des motifs humains (opportunément rappelés par Olivier Kempf) que nous intervenons en Afrique, non pour des matières premières que l’on peut acheter n’importe où. Par conséquent si l’on abuse de notre amitié nous cesserons tôt ou tard d’être amicaux et nous dirons « aide-toi et la France t’aidera ».

Cette fois devrait logiquement être la dernière, compte tenu de l’indigence géopolitique de nos gouvernants et de leur mollesse notoire. Lorsque nos gouvernants nous disent que nous sommes intervenus « à la demande des chefs d’Etat africains », tout le monde aussitôt traduit « parce que je ne sais pas dire non ». Rien ne dit que nous aurons toujours des gouvernants nuls en géopolitique et incapables de dire non.

2 La deuxième conséquence s’adresse à mes jeunes camarades qui sont sur le terrain ou s’apprêtent à y partir. Mes vœux vous accompagnent et surtout mes recommandations de prudence. En ce moment la presse chante cocorico à qui mieux-mieux, nous montrant des Maliens qui applaudissent sur votre passage. Elle salue le prétendu « courage politique » de nos dirigeants alors qu’elle sait parfaitement que cette intervention ne résulte que de leur incapacité à dire non. Nonobstant cet enthousiasme frelaté, ne vous laissez pas embarquer et conservez le calme des vrais professionnels : dans quelques semaines ou quelques mois, lorsque vous aurez accompli votre mission, les mêmes vous accuseront d’avoir du sang sur les mains, vous reprocheront d’avoir fait des trous dans les murs pour déloger de braves combattants de la liberté que vous êtes allé chercher au lieu de les laisser tranquilles. En rentrant de Tacaud il y a longtemps, fiers de la mission accomplie au péril de notre vie, nous avons été couverts d’injures par la presse et par les Parlementaires : les archives en témoignent.
Aujourd’hui, n’écoutez pas les cocoricos, ils sont éphémères. N’écoutez même pas, et surtout pas, les recommandations des personnels politiques : le premier d’entre eux, fort de son titre de « chef des armées », se croit autorisé à vous recommander de faire des prisonniers au mépris des règles fondamentales de la République. N’en faites rien : désarmez les bandits, en tuant ceux qui refusent de lâcher leurs armes, mais laissez aller où ils veulent ceux qui abandonnent leurs armes.

Il semble qu’aujourd’hui l’hésitation politique qui a toujours présidé à nos interventions soit passée de mode : on envoie d’emblée du VBCI, du CAESAR et du drone. La presse salue la détermination des décideurs politiques. On peut le voir comme ça. Je crois plutôt que c’est avec détermination que nos prétendus «décideurs politiques » ne savent pas dire non.

10. Le jeudi 17 janvier 2013, 21:50 par Frédéric

Bon article et beaucoup de bon commentaires.

Je signale juste, concernant les mines d'uranium au Niger. qu'Areva vend cette semaine 10 pour 100 des parts de la future grande mine qui doit s'ouvrir cette décennie a une société chinoise pour 200 millions d'euro.

11. Le jeudi 17 janvier 2013, 21:50 par Bezou

Bravo, Olivier pour cette analyse percutante et combien pertinente !

Espérons que les évènements en cours remettront les pendules à l'heure et feront comprendre qu'un pays comme la France a des responsabilités et ne peut se replier sur ses 35 heures et autres psychodrames comme les rythmes scolaires.

égéa : salut l'ami : ça fait plaisir de te lire. Bonne année !

12. Le jeudi 17 janvier 2013, 21:50 par yves cadiou

Il faut écouter les prises de position de Besancenot sur la question : elles valent leur pesant de cacahuètes. J’aime bien Besancenot parce que ses raisonnements simplistes me donnent l’impression d’être intelligent.

Mais Audiard est bien aussi, répondant par avance à tous les avatars de Besancenot : « la bave du crapaud n’empêche pas la caravane de passer ».

Ceci dit, je n’ôte rien à mon précédent commentaire : après cinquante ans d’indépendance, il serait vraiment temps que l’Afrique se prenne en charge. Intervenir militairement comme si nous étions encore ses protecteurs, ça pouvait se comprendre au début de l'indépendance parce qu'on ne construit pas des Etats en un jour. Mais désormais, au XXIème siècle et la protection coloniale étant depuis longtemps terminée, intervenir aussitôt que l'Afrique nous le demande constitue pour elle une solution de facilité qui n’est pas de nature à la responsabiliser.

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