Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Le héron bonané

Yves Cadiou a revu le héron du Commandant Couche-tôt (non, pas celui de la télé qui fait de la plongée, l'autre). Mes amitiés à cet observateur ....

source

Vous je ne sais pas mais moi pfoulàlà… En ce début 2013 je trouve que depuis un moment l’on est trop résolument sérieux sur ce blog. Pour changer, je suis allé bavarder un peu avec mon copain le héron de l’Erdre dont les impertinences sont parfois pertinentes. C’était dimanche matin dans la fraîcheur de l’aube. Hé oui, parce qu’ici à Nantes on profite à plein de la douceur océanique. Elle est générée par les lointains alizés et l’anticyclone des Açores, puis régénérée au passage sur le rift médio-atlantique et sa chaleur volcanique ; de ce fait la température ici est rarement glaciale même à l’aube en février.

Le quai de l’Erdre était désert, les derniers bistrots ayant évacué leur clientèle trois ou quatre heures plus tôt. Mon copain le héron arpentait le toit d’une péniche d’artiste-peintre, celle du Commandant Couche-tôt. Il est surnommé ainsi en dérision parce que, à ce qu’on m’a dit, il est un habitué de la fermeture des bars du quai. Il vit et travaille sur sa péniche où il expose ses toiles et en vend parfois à des passants. Grâce au décalage horaire du Commandant Couche-tôt, mon copain le héron sait qu’il ne sera pas dérangé avant le milieu de journée.

Ce matin-là, le héron m’a inquiété quand je l’ai aperçu : sur le toit de la péniche il faisait des allers-retours en titubant, ses pas irréguliers s’entrecroisaient, son cou ondulait comme une corde de contrebasse quand il était secoué de violents hoquets qui l’obligeaient à quelques brefs battements d’ailes pour retrouver son équilibre. En même temps il prononçait, d’une voix couverte, des mots incompréhensibles : « bonané ! blovèzemad’ ! bonané ! »

Je me suis approché et assis sur un banc, humide à cette heure-là, de la station du tramway qui longe l’Erdre dans la journée (je vous conseille la ligne 2, assez touristique). Je demande au héron : « qu’est-ce qui t’arrive, tu es malade ? » Aussitôt je suis rassuré parce qu’il s’immobilise avec son habituel équilibre parfait, le bec à l’équerre : « Ah, je ne t’avais pas vu. Non, non, tout va bien. Je faisais seulement votre danse des jours qui allongent.

  • - Notre danse des jours qui allongent ?
  • - Oui, j’ai remarqué qu’à la saison où les jours sont très courts, vous faites cette danse-là vers la fin de la nuit et alors les jours commencent à allonger un peu. Moi, j’aime bien que les jours allongent alors je refais de temps en temps votre danse magique pour qu’ils allongent plus. D’ailleurs ça marche : le soleil se lève de plus en plus tôt, tu as remarqué ? Je suis sûr que le plus important pour appeler le soleil, c’est le mot magique : bonané. Tu ne crois pas ? » J’hésite à lui ôter ses certitudes. J’esquive à moitié : « Je peux difficilement te répondre parce que je ne suis pas magicien : j’ai loupé le CEM quand j’étais gamin.
  • - Le CEM ?
  • - Le Certificat d’Etude Magiciennes. J’étais malade ce jour-là et ensuite mes parents m’ont donné une autre orientation, je n’ai pas eu l’occasion de me présenter à nouveau.
  • - C’est dommage. Mais tu sais peut-être quand même ce que veut dire l’autre mot magique : blovèzemad’ ?
  • - Oui : c’est plus exactement bloavez mad, ça veut dire la même chose que bonané mais c’est en breton.
  • - Alors si c’est en breton, c’est sûrement encore plus efficace.
  • - Au moins autant, en tout cas. Et ça te prend souvent, de faire la danse magique ?
  • - Surtout le dimanche parce que, comme tu peux voir, il n’y a personne à l’aube. C’est que je tiens à ma réputation « le héron au long bec emmanché d’un long cou », un peu snob, « ces raisins sont trop verts », tout ça. C’est l’image que vous avez de moi, il faut que je l’assume. Tu ne diras rien, hein ?
  • - Ne t’inquiète pas : quand je raconte nos conversations, tout le monde crois que je les invente. »

Commentaires

1. Le jeudi 7 février 2013, 12:08 par Degemermat

Bloavezh mat ha trugarez deoc'h evit an histor.
(Bonne année et merci à vous pour l'histoire).

Je crois que je devrais aller plus à Nantes.

Kenavo.

2. Le jeudi 7 février 2013, 12:08 par yves cadiou

Plijadur a zo bet ganin danevellañ an istor-se (ça m’a fait plaisir de raconter cette histoire).


-------------------------------------------------------


Parce que j’aime bien le voir intimidé, je suis allé dire à mon copain le héron de l’Erdre qu’on a parlé de lui sur egeablog : « Olivier Kempf dit que tu es un héron bonané. » ... Comme je m’y attendais, il a tordu son cou en balbutiant « heu, gné, heu » puis il a caché sa tête sous son aile. Quand il est enfin sorti de son émotion et de sa futile cachette, il a répondu : « Mais non, je suis un héron cendré.
----- Par conséquent tu es un héron cendré bonané. Je vois un problème pour les ornithologues, qui vont devoir traduire ça en latin.
----- Pourquoi traduire en latin ?
----- Parce que nos scientifiques donnent des noms latins à toutes les espèces animales.
----- A toutes ? Mais alors, même les grenouilles ont un nom latin ? C’est ridicule. Ah, vous les TGC avec vos Trop Gros Cerveaux vous m’étonnerez toujours.
----- Les grenouilles ont même de nombreux noms latins parce qu’il y en a de nombreuses variétés.
----- TGC ! Il y a une seule variété de grenouille : celle qui se mange. S’il y en a d’autres elles ne servent à rien.
Et moi, c’est comment, mon nom en latin ?
----- Tu te doutes que j’ai cherché sur internet. Tous les hérons cendrés sont Animalia / chordata / vertebrata / aves / pelecaniforme / ardeidae / ardea cinerea.
----- Ah oui ça claque bien, ça me va. Répète plusieurs fois pour que je m’en souvienne. »
Je répète plusieurs fois et je précise : « dans ton cas, il faudra ajouter bonané en latin. Si on me demande mon avis pour la traduction je proposerai tout simplement sapiens.
----- Qu’est-ce c’est, sapiens ?
----- Sapiens, c’est un peu TGC. »

Son attitude confirme alors la principale faiblesse du héron cendré bonané : il est sensible à la flatterie et son apparente timidité n’est qu’une diversion. Il s’éloigne à pas lents et comptés, l’air plus dédaigneux que jamais, révisant ce qu’il vient d’apprendre, se préparant à l’asséner d’une voix d’arrière-gorge à ses futures rencontres : « je me présente, je suis Animalia Chordata Vertebrata Aves Pelecaniforme Ardeidae Ardea Cinerea SAPIENS...
... A qui ai-je l’honneur ? »

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/1685

Fil des commentaires de ce billet