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Inde, puissance, Asie

Le voyage du président de la république en Inde a donc été l'occasion de quelques articles sur ce pays. Toutefois, une remarque liminaire : celle du faible nombre d'articles, justement. Au lieu de parler de la vache sacrée, on a parlé du bœuf sacré (je précise, pour ceux qui liront cet article dans deux mois et ne comprendront pas : grand émoi cette semaine autour de la viande de bœuf de lasagnes industrielles qui s'est trouvée être de la viande de cheval). Chacun ses tabous. Cette négligence européenne (toutefois, je fais attention, car je subodore que le Royaume-Uni continue de porter une grande attention au "sous-continent") doit être regardée en contraste de la fascination pour la Chine. En fait, dans l’émergence, l'Occident est fasciné non pas le mouvement lui-même, mais par le premier, la Chine, vécue comme le nouveau concurrent. Et si personne ne conteste l'émergence indienne, chacun la regarde avec une sorte de morgue et de mépris sous-jacent. Dommage, parce qu'à dépasser ses propres représentations, on verrait les opportunités.

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1/ Le géopolitologue ne parlera pas, bien sûr, des incantations habituelles des journalistes sur "la plus grande démocratie du monde". Du moins, il ne commencera pas par là. Il posera d'abord la question de la "position" relative de l'Inde, afin de décrire son dispositif géopolitique.

2/ J'ai utilisé, en introduction, l'expression de "sous-continent indien". Je ne sais ce qu'est un "sous-continent", car déjà, la notion de continent est difficile à appréhender. Peut-être veut-on signifier par là que l'Asie étant tellement grande (et donc, paradoxalement, incontinentale), il est commode de la découper en morceaux plus facilement appréhendables : Proche- et Moyen-Orient, Asie centrale, Asie du sud-est, Asie orientale... je vous ai déjà parlé de la limite de ces dénominations, me semble-t-il. Et si on entend parfois parler d'Asie du sud, le "sous-continent" est plus volontiers employé : manière de suggérer la prééminence de l'indianité dans cette portion d'Asie qui est barrée au nord par l'Himalaya, et entourée au sud par un océan qui est, vous l'avez deviné, "indien".

3/ Cet espace "indien" est circonscrit par la géographie : au nord l’Himalaya, donc. A l'ouest, au-delà de la plaine de l'Indus, les contreforts des plateaux afghans. A l'est, au-delà du delta du Gange et du Brahmapoutre, par la chaîne de l'Arakan Yoma qui marque la limite avec la Birmanie, et au-delà l'Asie du sud-est.

4/ Car voici une première piste : l'Inde n'occupe pas tout l'espace indien et d'autres pays sont "indiens" : Pakistan, Bangladesh, Sri-Lanka, Maldives, Bhoutan, Népal, ... Voici donc une première dimension de la géopolitique de l'Inde (et de ses voisins) : comment organiser les relations d'une ensemble géographiquement étendu, comprenant de multiples catégories (ethniques, religieuses, culturelles, ...) ? et accessoirement, en géopolitique intérieure, comment un pays comme l'Inde (mais aussi, ce qui est rarement vu, comme le Pakistan voire le Sri-Lanka) réussit-il à conjuguer ce dialogue à l'intérieur de ses frontières ?

5/ Cette dynamique interne à l'espace indien s'articule à une dynamique externe, propre à l'espace asiatique. Alors, si l'Inde est souvent lue comme le grand rival du Pakistan, ce dernier n'est pas le grand rival de l'Inde. C'est la Chine. L'opposition sino-indienne marque profondément la géopolitique asiatique. Elle se déroule à mots couverts, mais la montée en puissance chinoise agace du côté de New-Delhi. Ainsi s’explique le maintien de bonnes relations avec la Russie, le développement de relations appuyées avec les États-Unis, mais aussi la recherche d'alliances tierces, comme par exemple celle de la France.

6/ La posture traditionnelle d'indépendance de Paris rassure. Certes, elle peut paraître bien fade mais l'éclat de 2003 au moment de l'affaire irakienne, ou les solos successifs en Géorgie, en Libye ou au Mali rassurent : voici un pays qui a une politique de puissance, ce qui n'est pas mal vu. Et qui a les moyens militaires et technologiques de mettre en œuvre cette politique, ce qui est beaucoup plus intéressant.

7/ Remarquons enfin que Paris offre une voie européenne, distincte de la voie britannique. Il est probable que ce facteur joue dans la perception indienne. Non seulement Paris a plus à offrir en terme de technologie, mais en plus, elle n'est pas l'ancienne puissance coloniale. Cela doit jouer, pour une part.

8/ Ceci explique les relations en cours. Elles vont bien au-delà du souvenir des comptoirs indiens (souvenir totalement disparu ici comme là-bas, cf. Billet). Mais attention : la France est inconstante. Ce n'est pas la première fois qu'elle manifeste de l'intérêt envers Delhi pour l’oublier un an plus tard. Il serait bon que cette fois, les considérations d'intérêt soient capables de l’emporter dans la durée, et ne cèdent pas la place au romantisme échevelé qui est trop souvent la marque de Paris.

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 17 février 2013, 20:38 par Pierre

Sans aller jusqu'à parler de partenariat stratégique, les USA ou la Russie ont des attraits qu'elle n'a plus, la France a encore les compétences, ne parlons pas des moyens, d'offrir, dans le cadre d'une coopération renforcée, autre chose que le Rafale ou un réacteur nucléaire. Mais comme souvent pour les pays avec qui elle a une histoire commune, la France ne voit pas l'Inde comme la Chine ou l'Afrique. Encore aujourd'hui nous avons des intérêts communs, des domaines de convergence comme la problématique particulière de l'affirmation de la puissance en mer, la France de par ses îles/ZEE et l'Inde en tant qu'état côtier. Cela implique des moyens spécifiques comme les sous marins, les portes avions et l'aéronavale. Et là l'Inde est très demandeuse, comme le montre le projet Scorpène. Peut être pourrions nous aller encore plus loin.

2. Le dimanche 17 février 2013, 20:38 par jragusa

Bonjour,

Je voudrais réagir à propos de votre interrogation sur la notion de sous-continent. Tout d'abord il faut noter que d'une certaine manière l'Inde est un continent distinct de l'Asie. Il ne fut pas en effet constamment solidaire du reste de l'Asie. Auparavant (je parle de plusieurs millions d'années), il était réuni avec les continents de l'hémisphère Sud (Afrique, Amérique S, Australie et Antarctique) au sein d'un grand continent que l'on nomme Gondwana. Ce super-continent s'est par la suite disloqué et les différents continents ont dérivé jusqu'à leur position actuelle. Dans le cas de l'Inde, celui-ci a migré vers le Nord puis est entré en collision avec l'Asie ce qui a entrainé la formation de la chaine de l'Himalaya. Ainsi le terme de sous-continent peut s'expliquer par la collision d'un petit continent contre un autre plus imposant et "immobile". On peut aussi noter qu'il n'existe pas de cas équivalent à l'heure actuel.
Et comme la nature de la nature a horreur du vide, cette remonté de l'Inde et par extension la dislocation du Gondwana résulte de l'ouverture des océans que nous connaissons : Atlantique Sud et Indien. En somme on peut penser que l'océan Indien s'appelle ainsi car il s'est ouvert en poussant l'Inde vers le Nord mais il me semble peut être plus logique qu'il ait été appelé ainsi car il s'agissant d'identifier un vaste domaine marin que devaient traverser les navigateurs pour accéder aux comptoirs indien.

J.

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