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Les cinq sens (souvenirs militaires)

Ce texte est l'extrait d'un long florilège de "souvenirs" et autres observations de la vie militaire. Ces cinq sens renvoient à des expériences partagées par beaucoup de mili. Je n'en connais pas l'auteur (Merci à B qui m'a passé le doc), mais on devine qu'il est tout d'abord terrien, qu'il est collectif, et (à d'autres détails) qu'il a suffisamment d’ancienneté pour ne pas sortir d'école, mais qu'il est encore suffisamment proche de la troupe pour sentir le terrain. Muni de ces indices, je devine un groupe de capitaines après temps de commandement qui occupe ses soirées à l'école d'état-major. A vos cinq sens.

source

O. Kempf

Les cinq sens Vous les avez tous sentis, vus, touchés, entendus et goûtés. Lisez une ligne, fermez les yeux, et imaginez, ça va surgir automatiquement d’un vieux neurone.

L’ouïe

  • Le couinement du levier de vitesse de KT (GBC8 KT) qui grince en rétrogradant
  • Le bruit de la fermeture éclair de tente modulaire
  • Le claquement de la ridelle de KT qui n’a pas été retenue dans sa chute
  • Le bruit du blaireau qui fait tomber son FAMAS
  • Le bruit de la cuiller qui se détache de la grenade
  • Les petits bruits métalliques répétitifs du bouton de changement de fréquence du TRPP13
  • Le « clong » du casque qui tombe sur le bitume
  • Le bruit du présentez armes, version réussi, ou version raté.
  • Le floc-floc de la gourde à moitié pleine en marche de nuit
  • Le bruit du réchaud butagaz qu’on allume
  • Le bruit du plateau repas qui heurte le rail de la chaîne de l’ordinaire
  • Le ronronnement du groupe électrogène
  • L’avertissement répétitif du PR4G qui n’a pas été validé
  • Le bruit du levier d’armement de toute sorte d’arme
  • Le bruit du gond grippé de l’armoire troupe
  • Le clic de la mise en place de la baïonnette (après que celle-ci a raclé le long du manchon cache-flamme)
  • Le bruit du tabouret troupe percuté par le mec bourré qui rentre tard sans allumer (suivi généralement d’un rire étouffé
  • mâtiné d’un « putain »)
  • Le claquement répétitif de la bâche latérale de P4 à 100 à l’heure sur l’autoroute
  • Le bruit de la poulie du mat des couleurs
  • Le bruit de la boucle de ceinturon FAMAS qu’on ouvre
  • Le bruit des pendantes en OS
  • Le bruit du mec qui échoue au mur du PO : rangers + percussion du corps + glissement (avec léger gémissement)
  • Le bruit de la bague de tir de grenade à fusil qui coulisse le long du canon
  • Le bruit des velcro des portes-chargeurs qui s’ouvrent pour l’inspection des armes
  • Le bruit du Transall dans les oreilles trois heures après en être descendu
  • Le bruit de la tente 56 à deux doigts de s’envoler pendant une tempête.
  • La signature auditive de toute sorte de véhicule de la gamme tactique
  • Le bruit de la chaise de campagne qu’on déplie
  • Le bruit de la canette qui tombe dans la poubelle déjà pleine de canettes.
  • Le bruit de une rangers sur deux qui couine.
  • Le mec qui salue 2 fois chez le chef de corps pendant que tu attends devant le bureau de l'OSA de te prendre un coup
  • de 12 ...
  • Le bruit des boucles de rangers quand on marche.
  • Le déchirement du bord du bulletin de solde
  • Le bruit du frein à main de KT (et aussi du ralentisseur)
  • Le bruit du soldat qui retombe dans le gravier à la réception d’un obstacle du PO.
  • Le bruit du P13 qui émet un petit « Pff » par intermittence dans le calme de la nuit.
  • Le sifflement du casque trans dans les oreilles quand le VAB accélère
  • Le bruit des suspensions du VAB sur une piste à chars.
  • Le bruit de une compagnie qui tape la table du poing pour le garde-à-vous de la poussière
  • Le bruit de quand on marche en bas de K-Way
  • Le bruit du démarrage raté de P4 que le conducteur n’a pas préchauffée.
  • « Lundi, mardi » au micro avant le début de la prise d’armes.
  • Le mec qui tombe dans les rangs derrière soi.
  • Le bruit du pétage de cadenas avec deux tabourets
  • Le bruit de la P4 qui patrouille de nuit
  • Le bruit du lit picot qui se casse la gueule de nuit
  • Le bruit d’un coup dans l’armoire métallique
  • La salle de réunion hyper calme où a lieu une présentation powerpoint, soudain juste de l’autre côté de la fenêtre un
  • TRM 10000 décharge un frigo 8m3 au BMH.

L’odorat

  • L’odeur des chiottes de Corimec sanitaire
  • L’odeur mélangée poubelle+charogne du Kosovo
  • L’odeur du camion qui tourne sous un hangar
  • L’odeur de la rangers cirée avec le cirage de l’armée
  • L’odeur de la charogne dans le fossé en patrouille
  • L’odeur du sapin de Noël à côté de la semaine
  • L’odeur de la fusée éclairante qui vient d’être tirée
  • L’odeur du polygone explo juste après le tir
  • L’odeur des mains après un nettoyage d’armement
  • L’odeur ignifugée du treillis neuf
  • L’odeur d’une cantine contenant des effets du paquetage qu’on n’avait pas ouverte depuis longtemps.
  • L’odeur nauséabonde dans la chambre du permanent du mess que tu viens déranger le dimanche pour avoir les clés
  • de ta piaule (tenue de celui-ci : bas de survêt, tongues, tee-shirt orange, pas rasé)
  • L’odeur du treillis mouillé qui a séché sur l’homme
  • L’odeur du treillis qui sent le feu de camp
  • Le bromure de benzyl en PAV
  • L’odeur faisandée quand on ouvre la porte arrière d’un VAB à l’intérieur duquel un groupe de combat vit depuis
  • plusieurs jours.

Le toucher

  • La sensation de l’eau qui s’infiltre par le col du Kway
  • La sensation de la sangle du FAMAS sur l’épaule après un certain nombre de kilomètres
  • La sensation de la plaque moteur de VAB sur son flanc
  • La sensation d’avoir du camouflage sur la gueule
  • La démangeaison de l’occiput après un port prolongé du casque
  • Le souffle chaud du moteur avant d’entrer dans le Transall
  • La sensation du câble le long de la cuisse droite lors d’une tyrolienne simple
  • La sensation des mètres cubes d’eau gelée qui s’abattent sur soi lors du stage caisson
  • Le recul du RAC112
  • La sensation du siège glacial de la popotte de l’ADU dans la forêt
  • Se prendre une branche dans l’oeil en marche de nuit
  • Se faire percuter son sac à dos par le mec de derrière qui dort pendant la marche de nuit.
  • Et : se prendre le sac du mec de devant dans la gueule dans les mêmes conditions et revenir soudainement à ses
  • esprits.
  • Trébucher sur un hauban de tente 56
  • La sensation du chef de bord VAB en hiver : fesse gauche bouillante, fesse droite gelée.
  • Le geste de remettre son pantalon entre les deux boucles des rangers en se levant puis de tirer sa veste vers le bas...
  • puis de remettre le col de la chemise F1 sur le col de la veste.
  • La cuisse droite qui chauffe après avoir salué.
  • La trique dans le GBC8KT
  • L’insecte sur la gueule en prise d’armes au garde à vous
  • Courir avec un P11 et une paire de jumelles autour du cou
  • Traverser un ruisseau avec des ampoules éclatées dans les rangers
  • La pelle US qui tape le cul
  • La sueur sur les bords du képi pendant les prises d’armes en été.
  • Les hématomes sur les hanches après une manoeuvre passée en tourelle à faire de la piste à chars
  • La goutte du tourelleau du VAB sur la cuisse droite
  • Le bipied de FAMAS dans le dos
  • Fouiller de la main l’intérieur du cylindre blanc afin de trouver l’extrémité du rouleau de PQ
  • La brûlure du quart sur les lèvres

Le goûter

  • Le goût du mouton-haricot cuit à l’esbit
  • Le goût café - nouilles chinoises - mousse à raser du quart
  • Le goût du café Mocarex (mocarex, le café qui laisse perplexe ou Solyland, le café qui fout les glandes)
  • Le goût du Bonjura
  • Le goût de la gourde en fer quand on boit de l’eau.

La vue

  • La SC2 à travers l’oeilleton du FAMAS
  • Le paysage vert à travers l’OB
  • Une carte au 50000 éclairée au filtre rouge où l’on ne voie pas les courbes de niveau
  • La piste à char devant soi en black-out
  • Le VAB PC du CDU qui veut nous voir (justement, on ne le voit pas)
  • Des sections, des véhicules, des ennemis qui n’existent pas, en fin de nuit
  • La lueur du GV qui fume dans sa gourde
  • Les traces de cirage sur le tabouret
  • Les traces de quart sur l’émail du lavabo
  • Les draps roulés sur les couvertures whisky du lit en batterie
  • Le mégot écrasé dans un bouchon gris de tête de lit
  • La marque de sang entre les deux yeux du mec qui vient de tirer au FLG
  • La marque du beret dans les cheveux de l’antiyulé.
  • Le bout de pain et la compote de pomme sur la table du sergent de semaine.
  • Les photos de cul et les articles de l’Equipe accrochés au mur dans le bureau des sports.
  • Les urinoirs recouverts de sacs poubelle
  • La mère maquerelle et les serveuses raffinées du bar « la Renaissance » à Mourmelon.
  • Le distributeur de Sprite de l’ordinaire systématiquement vide.
  • La panique du mec qui a oublié d’enlever le bouchon de l’ANP
  • La tresse jaune qui balise le cross régimentaire
  • Le carton de rasquette où le mot « occupé » est griffonné à l’entrée des feuillées.
  • Le mégotier en boîte de conserve peint en rouge.
  • Les haltères en boîtes de conserve remplies de béton en OPEX
  • Le garde du corps : pattouzes, un pot de G414 dans les cheveux, UV, chewing-gum, pas bonjour
  • Le panneau sur la porte du sergent de semaine : je suis - en ronde
  • - à l’ordinaire
  • - à la compagnie
  • - divers
  • (Toujours coché sur divers)
  • Le bout de drisse bicolore pour pendre le combiné.
  • Le mec du rens : rangers perso, holster au niveau du genou, parka guérilla, air inquisiteur
  • Le fut de 200 litres coupé en deux reconverti en barbecue.
  • Le ratelier à roulettes rempli de plateaux repas usagés à la sortie du mess.
  • Le mec qui se ballade en tenue d’été en plein hiver.
  • Le dévidoir de PQ rond avec le ceinturon FAMAS posé dessus
  • Le pédiluve avec une brosse à chiottes retenue par un morceau de cordelette

Commentaires

1. Le samedi 13 avril 2013, 20:25 par Bernard TEISSIER

Super, j'en ajoute deux vite fait :le bruit du tabouret que l'on empile ou désempile..se brûler les lèvres au quart de jus brûlant au ptit déj sur le terrain..

2. Le samedi 13 avril 2013, 20:25 par RSTu

De ce que j'en sais, il s'agirait d'un document collectif. La parenté en reviendrait à plusieurs générations de stagiaires du DEM (diplôme d'Etat-Major pour les non-initiés) autour des années 2008-2009. Le document circulait à cette époque et chacun pouvait y ajouter sa petite contribution. Vous avez là sans doute une des premières versions, car je me souviens d'une liste bien plus élaborée encore! C'est dire à quel point les stagiaires étaient passionnés par l'enseignement...

3. Le samedi 13 avril 2013, 20:25 par Midship

(J'avais déjà lu ça dans le fameux document du "french military life working group", disponible sur l'onglet "club des réservistes" de l'intranet de mon ancienne boite... C'était en tout cas disponible en 2009)

4. Le samedi 13 avril 2013, 20:25 par mw

Bonsoir,
Il s’agit du chapitre « je me souviens » de « Affirmatif, la vie militaire » un livre de 120 pages signé Xavier THIEBAUT, paru aux éditions Chiflet en 2010.

L’auteur fait état d’une rédaction collective « entre camarades » à l’occasion d’un exercice mettant le soldat en situation de désœuvrement relatif.

L’origine « terrienne » du propos est revendiquée.

5. Le samedi 13 avril 2013, 20:25 par yves cadiou

Origine terrienne du propos, peut-être. Mais alors c’est un terrien scienteux bien qu’il s’agisse d’une tentative dans le domaine littéraire.

Pourquoi un scienteux ? Parce que les scienteux apprennent mais ne réfléchissent pas : ils sont les derniers scolastiques. L’on constate d’ailleurs que le tableau mis en illustration, avec le non-dit intuitif et habituel de ce blog, date de cette époque pré-cartésienne : 1630.

Selon la même méthode qu'au début du XVIIème siècle, les scienteux d’aujourd’hui ont appris à la petite école (en CE2, si j’ai bonne mémoire) qu’il y a cinq sens, et ils ne se sont pas demandé si c’est vrai. Pourtant nous avons au moins dix sens si l’on n’oublie pas le sens de l’équilibre, le sens de l’orientation, le sens de l’espace, la sensibilité profonde (par exemple le mal de dos en jeep).

Il en manque un, me direz-vous. Non, il y est : le sens de l’humour. Ce dernier est le véritable motif du présent commentaire qui attend (avec une impatience amusée) une réplique de scienteux.

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