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Toute unité politique a fait la guerre

J'ai lu récemment (vite, j'en conviens) "États de violence, essai sur la fin de la guerre" de Frédéric Gros (NRF) 2006. Car les rapports entre l’État et la guerre continuent de m’interroger. J'en tire un extrait, et une conclusion partielle.

source

" La guerre, c'est un conflit armé entre groupes, soutenu par une tension éthique, un objectif politique et un cadre juridique. (...) Ce qu'il faut penser, c'est l'échange de mort en expérience cruciale pour réfléchir l'éthique ; l’État (ou toute autre entité politique : la cité ou l'empire) réfléchi comme ce dont la guerre doit assurer la consistance propre ; enfin, la poursuite armée de la justice".

Ce qu'il résume par : "la guerre, c'est l'échange de mort donnant consistance à une unité politique et soutenu par une revendication de droit".

Il cite en appui cette ancienne définition d'Abberico Gentilis, in De jure belli (1597) : "la guerre est un conflit armé, public et juste". (Livre I, chap II, Belli definitio).

On s'éloigne un peu de Bouthoul qui définissait la guerre comme "une lutte armée et sanglante entre groupements organisés". Il voyait la mort, et réduisait au minimum l’organisation politique sous-jacente. Enfin, le sous-entendu de la guerre comme résolution d'un conflit afin de créer un nouvel ordre sinon juste, du moins admis par les parties (source de droit), était passé sous silence.

Cette gradation de l’organisation politique de l'acteur de guerre permet donc de préciser un billet récent sur Tilly. En effet, Toute unité politique (cité, État, empire) a fait la guerre. Mais l'évolution de la guerre a fait l’État, l’État moderne et westphalien. Ce qui explique d'ailleurs que les travaux de Tilly, puis de Fortmann, portent sur l'ère moderne (certains remontant au milieu de moyen-âge la grande transformation : mais je devine là le soubassement à la thèse de Laurent Henninger, selon laquelle il n'y a eu qu'une révolution des affaires militaires).

D'où la conclusion partielle : la métamorphose de la guerre entraîne la métamorphose de l’État.

Ce qui a des conséquences pour analyser la situation contemporaine (cf. mon article sur "la guerre est morte, vive la guerre"). Nous y reviendrons bientôt.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 23 avril 2013, 22:01 par Christophe Richard

Bonjour, si nous admettons que la transformation de la guerre et celle de l'Etat (défini comme forme d'organisation politique) sont liées, il reste à reconnaître les "lois" (je n'ai pas de meilleurs terme à l'instant) qui guident ces transformations.

Pour la guerre, je pense que la technique est le facteur dominant, à notre époque, cette technique se caractérise par l'abondance de sources et moyens d'information et de communication, d'énergie, et de biens matériels. Cela permet l'émergence de l'individu comme acteur stratégique, dès lors qu'il parvient à s'accaparer la puissance du réseau.
Pour l'Etat, défini comme forme d'organisation politique, son évolution reste guidée par les lois d'airain du politique:
1- le lien politique est basé sur une relation de réciprocité entre protection et obéissance.
2- le critère du politique est la capacité à désigner l'ennemi

-"Juste" si on peut envisager de traiter avec lui dans le cadre d'une relation générale d'adversité au terme d'une hostilité circonstancielle. La question de notre époque est de savoir si ce type de conflit typique de l'ordre Westphalien et actuellement entre parenthèses, peut encore exister.
-"Injuste" si cet ennemi doit être anéanti, au terme d'une relation d'hostilité absolue, intimement liée au libéralisme politique si on en croit C. Schmitt. Il s'agira alors de le circonscrire en l'isolant de tous ses soutiens... Avant de l'anéantir.
Reste alors la question de ces soutiens, acteurs politiques qui devront retrouver un équilibre.

Bien cordialement.

égéa : ah, vous lisez encore égéa ! chic. Pour la transformation de la guerre, réduire la cause de celle-ci à un facteur unique (la technologie) me paraît réducteur et, pour tout dire, très américain. Les évolutions sociales expliquent également cette transformation : tabou de la mort, par exemple, ou individualisme croissant (auquel vous faites allusion en décrivant l'individu comme étant devenu un acteur stratégique).

Pour vos lois d'airain du politique : très intéressant, avez vous des références ou est-ce au terme de vos propres méditations ?

2. Le mardi 23 avril 2013, 22:01 par Christophe Richard

Je n'ai jamais cessé de vous lire, j'ai juste un un job un peu prenant ces temps-ci.

Concernant votre remarque sur les facteurs qui font évoluer la guerre, je m'en tiens à notre époque au facteur technique, car il me semble que c'est lui qui définit le champ des possibles, fondamental en terme de réflexion stratégique. La relation à la mort est une question d'ordre psychologique, ou morale. Elle est subordonnée aux circonstances et à l'expérience, et ne fait qu'interdite certains choix, sans les annuler.

Les lois d'airain du politique (excusez la formule un peu précieuse) sont tirées de T. Hobbes et C. Schmitt.

Bien cordialement

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