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Le déclin de l’armée française (Catherine Durandin)

Voici un livre original à plusieurs titres : tout d’abord parce qu’on ne sait pas comment le classer : s’agit-il de sociologie ? d’études de défense ? de médiologie ? de stratégie ? s’agit-il d’une enquête, d’un essai, d’une thèse ?

Tout cela à la fois, bien sûr, ce qui rend l’ouvrage très intéressant. Car il s’agit d’étudier la façon dont ce corps particulier, l’armée, a encaissé les nombreuses réformes qu’elle a subies depuis une vingtaine d’années. Dès lors, ce miroir permet de questionner en retour la pertinence desdites réformes, mais aussi de mieux comprendre les relations compliquées entre une institution publique mais discrète et une société française officiellement transparente mais superficielle.

Voici donc le contraste entre deux « sentiments » : d’un côté, celui de l’armée ou plus exactement des militaires, qui ont le blues et ne se satisfont pas du manque de reconnaissance qu’ils ressentent, à tort ou à raison ; de l’autre, celui d’une société qui n’a jamais eu aussi bonne opinion de l’armée, aussi bien par méconnaissance que par considération de la dernière institution d’Etat. Ainsi, un certain nombre de notions sont-elles évoquées, avec tact mais sans en délaisser aucune : éthique, héros, gloire, honneur, victime, blessé, mort, spectacle, droit, nation, Etat, réforme, tradition, économie(s), mercenariat, éducation… Le style est alerte sans tomber dans l’écueil du journalisme d’enquête.

Car au fond, C. Durandin pose des questions éminemment politiques. L’ouvrage fut publié avant la parution du nouveau livre blanc. Il n’est pas sûr que ce dernier ait répondu avantageusement aux dernières lignes de l’ouvrage : « La question que se posent les militaires est simple : sont-ils supposés garantir les intérêts nationaux et la sécurité de la France ? La réponse est oui. L’Etat leur en donne-t-il les moyens ? La réponse est non ? Le pays est-il attaché à son armée ? La réponse est incertaine. Si la mort du soldat émeut – émotion ponctuelle – le devenir de l’armée n’intéresse plus. L’armée serait en voie de vivre le temps de la tromperie ».

Cet essai qui interroge les missions, l’organisation de la défense, les moyens et les attentes n’a pas perdu de ride après la parution du Livre Blanc. Il reste – malheureusement ? – très actuel. L'énormité des débats en cours qui parlent de dynamiter la LPM en dit long sur la permanence de ce problème de fond, qui dépasse la défense pour atteindre désormais l’État.

O. Kempf

Voir aussi la fiche de lecture par Henri Paris dans la RDN

  • Le déclin de l’armée française
  • Catherine Durandin
  • François Bourin éditeur, 272 pages, 2013.

Commentaires

1. Le samedi 31 mai 2014, 15:40 par MonclarSuperstar

Intéressant ouvrage qui peut aussi faire écho au dossier du dernier Casoar sur les relations entre le politique et le militaire.

Le problème des militaires français est que la classe politique les met en permanence en demeure de justifier leur loyauté au pouvoir (il y a toujours le putsch d'Alger à expier, l'appel des généraux contre Mitterrand à se faire pardonner, faire repentance pour le plaisir pris dans les guerres coloniales, etc. etc.) et que dans leur grande majorité, ils perdent leur temps dans de telles justifications. La dernière preuve en est le désespérant appel à la non-dissolution du 3° RPIMa par ses anciens chefs de corps qui avançaient l'argument qui tue "c'est le seul régiment à ne pas avoir pris parti pour les généraux lors du putsch d'Alger". Argument m(M)assu(e) !
Reconnaissons qu'ils ne sont pas aidés par les journalistes, avides de dénicher (et donc déjouer) des complots militaro-politiques : il paraîtrait que le CEMP du président va à la messe (tiens, on rejoue l'affaire des fiches, maintenant ?), que les militaires dans leur grande majorité votent à droite (difficile de concilier ses convictions trostkystes et son désir d'avancement étoilé) et qu'en plus ils détiennent des armes qu'ils pourraient retourner contre l’État (mais le dernier à faire appel aux chars n'était-il pas Debré, pour défendre l’État justement ?).

Bref, les militaires sont pratiquement les boucs émissaires des turpitudes de la Nation. Juin 40 ? L'armée. La pire collaboration ? L'armée avec la LVF, bien sûr. Les sales guerres coloniales ? L'armée. La torture en Algérie ? L'armée. Le putsch ? Encore l'armée. Le refus de réduire son budget ? Toujours l'armée.
Alors, comment un pouvoir politique sensé pourrait faire confiance à de tels hommes ?
Tiens, renversons la question : comment se fait-il qu'un pouvoir politique éclairé tolère un tel kyste en son sein et, pire encore, nomme de tels factieux incompétents à la tête de cet État dans l’État ?

Alors, à entretenir en permanence une image de garnement pris les doigts dans le pot de confiture, jurant contraint et forcé que c'était la dernière fois, en acceptant sans cesse de nouveaux "défis" consistant à faire mieux avec moins sans récriminer, il ne faut pas s'étonner que les militaires soient pris au mieux pour de simples techniciens de la guerre (qu'ils font mal d'ailleurs, cf. juin 40, argument repris ad nauseam).
Quant aux politiques, ils en jouent avec en permanence un scénario budgétaire Z catastrophique pour mieux faire absorber le non moins catastrophique scénario budgétaire Y.
Après quoi une bonne partie des militaires pousse un soupir de soulagement en estimant avoir évité le pire...

"L’armée serait en voie de vivre le temps de la tromperie". Je pense au contraire que cela fait un bon moment que les armées pourraient défiler le 14 juillet en chantant la célèbre chanson d'Henri Salvador "on l'a dans l'baba" (plus politiquement correct qu'Elmer Food Beat "est-ce que tu...").

2. Le samedi 31 mai 2014, 23:49 par oodbae

Sur le blog lavoiedelepee , le général Michel Goya se plaignait d'un trop fort décalage entre le niveau d'abstraction de la formation d'officier et la réalité du travail à effectuer. Je crois qu'on pourrait remplacer un ou deux enseignements par un projet en équipe, dans lequel les élèves officiers doivent organiser un évènement (ou quelque chose d'analogue) qui fait participer les civils et où l'armée est mise en avant. Par exemple, organiser avec une mairie un soirée à thème sur telle ou telle guerre ou telle ou telle technologie, avec des intervenants divers ( industriel, vétéran, agent public, syndicaliste, etc). Ou organiser du soutien scolaire avec des visites de la caserne à la clé. Ou autre: tenir un forum internet, etc.
Si l'armée veut se faire aimer, elle doit d'abord se faire connaître sans passer par les intermédiaires comme les journalistes, a fortiori depuis la fin du service militaire.
Un tel projet aurait l'avantage de faire sentir la nature du lien entre l'armée et la nation, en ce qui concerne la pédagogie, la politique, l'estime réciproque, etc.

egea : oodbae, Michel Goya est encore colonel. Je sais, il y a plein de colonels talentueux qu'on laisse à ce grade, c'est anormal, mais c'est ainsi. Je suggère une pétition nationale... Sinon, pour se faire aimer, le coup de pub à l'occasion de la finale du championnat de France de Rugby n'était pas mal...

3. Le dimanche 1 juin 2014, 07:24 par lapsus

On peut s'interroger : pourquoi ce sont les civils qui parlent de la réduction des capacités militaires ? les officiers sont trop soucieux de défendre leurs carrières et leurs petits droits acquis que de défendre les capacités militaires du pays.

égéa : dites moi, connaissez vous beaucoup de cadres d'Alstom qui s'expriment en ce moment dans les journaux ? Mais je connais quelques officiers qui eux s'expriment sur l'armée. Peut-être pas assez, mais il y en a qui ont abandonné toute idée de faire carrière.

4. Le dimanche 1 juin 2014, 10:04 par yves cadiou

Les militaires ne sont pas écoutés par le personnel politique pour deux motifs que j'expose ci-après. Rappelons d'abord, parce que c'est un point-clé de notre système politique, que le personnel qui à Paris légifère ou gouverne est composé d'élus locaux. Au gouvernement l'élu local est de passage et soucieux de la suite de sa carrière quand il ne sera plus ministre. Au parlement il est l'élu d'une circonscription territoriale et sa carrière dépend toujours des élus de son territoire : ceux-ci sont des relais d'opinion parmi lesquels il ne peut pas se permettre d'être mal considéré.
Deux motifs, disais-je :

1) Que l'on m'excuse de parler ci-après à la première personne, c'est indispensable pour la démonstration. Chaque année je participe à la réunion de ma promo de Saint-Cyr. C'est une réunion purement amicale. “Purement” est l'adverbe exact : elle est exempte d'arrière-pensées, on y parle librement. Ainsi j'ai découvert qu'à la fin de ma deuxième carrière dans la fonction publique territoriale (FPT) j'étais mieux payé qu'aucun militaire de ma promo, qui comportait pourtant un CEMAT, un GMP et un DGGN.
Certes, j'étais moins payé au seul regard de l'échelon de rémunération mais si l'on y ajoutait les primes et les avantages en nature (qui n'apparaissent jamais en totalité sur les documents utilisés pour faire des comparaisons officielles), la différence était à mon avantage. Mes multiples primes et fonctions annexes ajoutaient 75% à ma paie de base ; en plus de ces primes j'utilisais en toute légalité mon véhicule de fonction pour mon usage personnel et familial, y compris pour emmener ma famille en vacances à l'étranger (carburant payé en bons d'essence fournis par l'administration); ayant droit à un logement de fonction, j'étais logé gratuitement dans une maison de location que j'avais choisie (j'ai découvert trop tard que certains de mes collègues, de façon parfaitement légale, étaient propriétaires du logement qu'ils occupaient et touchaient ainsi en plus le loyer versé par la collectivité pour les loger). Ces pratiques sont coutumières et normales dans la FPT : ni le contrôle de légalité effectué par les Préfectures, ni la Cour des Comptes n'y objectent jamais ; les services fiscaux sont clairement informés lors des déclarations de revenus, il n'y a pas de dissimulation mais seulement de la discrétion.

Tout ceci pour dire que les élus locaux quand ils deviennent ministres, habitués d'être entourés par des hauts fonctionnaires de la FPT, sont stupéfaits de découvrir la frugalité des militaires. Stupéfaits de découvrir des gens qui se contentent de primes aussi rares que minimes et surtout de ce fameux “quart de place” qui ne permet même pas d'emmener gratuitement la famille à Marbella.
Dans un monde où le principe est “dis-moi combien tu gagnes, je te dirai qui tu es à mes yeux”, le militaire est par conséquent quelqu'un qui n'a aucun prestige et que l'on n'écoute pas.

Mais il y a autre chose.

2) Seules deux catégories de français sont exclues des élections locales : les repris de justice (pas tous) et les militaires en activité (tous).

C'est évidemment une exception infamante pour les militaires mais si l'on demande à un Parlementaire ce qui justifie cette exception inscrite dans la loi, il n'a pas de réponse acceptable. Pourtant les Parlementaires, chargés d'élaborer ou de modifier les lois, maintiennent cette discrimination qui met certains citoyens, du seul fait de leur engagement dans l'armée, à l'écart de la vie publique.

Les repris de justice sont inéligibles au cas par cas, au vu des exploits que chacun d'eux a accomplis. Dans le cas des militaires, non : le militaire est, du seul fait de sa fonction, jeté dans le même sac qu'un malfaiteur de la pire espèce.

Bien entendu la loi ne le dit pas aussi clairement mais elle utilise un moyen détourné pour ravaler le militaire, et lui seul parmi les citoyens, au rang des délinquants et criminels. C'est l'article L. 4121-3 du code de la défense : “Les militaires qui sont élus et qui acceptent leur mandat sont placés dans la position de détachement.” En clair : privés de leur solde.

Le mandat de conseiller municipal est le premier qu'il faut briguer si l'on veut entrer en politique. C'est un mandat non rémunéré dont la charge de travail ni les obligations de présence n'empêchent personne d'exercer sa profession. C'est logiquement qu'aucun autre agent public, ni aucun autre citoyen sans casier judiciaire, n'est écarté des assemblées locales. Les fonctionnaires qui deviennent conseiller municipal en plus de leur activité professionnelle conservent leur rémunération de fonctionnaire, les employés du privé conservent leur paie quand ils sont conseiller municipal. Pourquoi un militaire devenu conseiller municipal ne conserverait-il pas, lui aussi, sa solde ? Personne n'est capable de donner une réponse valable à cette question et la conclusion est donc évidente : il faut modifier cet article 4121-3 pour donner à chaque militaire le droit de participer, comme tous les citoyens dignes de ce nom, aux délibérations qui concernent son village ou sa ville. Regardez autour de vous : tous les conseillers municipaux continuent d'exercer leur profession. Parmi eux nombreux sont les fonctionnaires : leur mandat électif, qui les occupe quelques heures par mois, le plus souvent en soirée, ne les empêche pas de continuer d'assurer leur service de fonctionnaire. Pour les militaires, il en est de même : il n'y a aucune incompatibilité entre la fonction militaire et une fonction élective.

Abolir cette disposition de l'article L.4121-3 du code de la défense mettra fin parmi les citoyens, et notamment parmi les agents publics, à une discrimination inacceptable. Cette discrimination s'ajoute au manque de considération dont je parlais dans mon point 1 par comparaison à la situation matérielle de la fonction publique territoriale. Le “déclin de l'armée française” s'explique parce que les membres des forces armées sont les seuls agents publics dont le personnel politique se désintéresse pour les deux motifs que je viens d'indiquer.

Cependant ma conclusion est optimiste : nous sommes à la fin d'une époque. La multiplication des carrières courtes et les liens forts qui subsistent dans les Amicales régimentaires (quitter l'armée n'est pas oublier ses camarades ni se désintéresser de l'armée) va susciter, et suscite déjà, une prise de conscience chez les militaires. Il n'est pas indifférent de mentionner, comme le fait ici “Monclar Superstar”, le débat interne lancé par La Saint-Cyrienne http://www.saint-cyr.org/fr/le-poli... débat privé donc sans contraintes mais dont La Saint-Cyrienne se fera certainement l'écho au profit des internautes.

Les militaires, qui ont en maintes occasions démontré leur capacité d'évolution, vont évoluer, comprendre enfin le fonctionnement de la société politique qui les tient soigneusement à l'écart, et s'y imposer.

Chère Madame Catherine Durandin, si vous me faites la grâce de me lire je vous prie de préparer dès maintenant un tome 2 qui s'intitulera “le redressement de l'armée française”.

5. Le mardi 3 juin 2014, 12:06 par oodbae

@cadiou.
Vous répétez souvent ces mêmes arguments. Et vous avez raison, car la répétition est le secret de la pédagogie.
@moi-même.
En ce qui me concerne, je soutiendrais ce projet "de communication civique" durant la formation (présenté ci-dessus) car il serait suivi de deux effets à revers:
1) les militaires prendraient plus tôt et plus complètement conscience de leur perception dans la société civile.
2) ils apprendraient plus tôt à faire affaire avec les civils et notamment les politiques et industriels.

Et oui, il ne s'agit pas de répandre l'amour mais bien d'apprendre à faire preuve de réalisme, afin ensuite de mieux faire valoir leurs droits.

6. Le mardi 3 juin 2014, 21:51 par yves cadiou

@oodbae . C'est vrai, je répète souvent ces mêmes arguments (je vous remercie de m'avoir lu). Ils sont ma conviction, acquise d'abord par la formation de base mais ensuite et surtout par la découverte, souvent inattendue et parfois choquante, de réalités que la formation de base avait complètement occultées.
Désormais en fin de parcours et au moment d'en tirer les conclusions, je serais fautif de ne pas dire toujours à peu près la même chose (du moins pour ceux qui veulent bien me lire) car alors je serais incohérent.
Je diffuse ma conviction à chaque fois que je le peux, certain que quelques lecteurs y prêteront utilement attention s'ils le veulent.
Elle est fondée d'abord sur mon souvenir de la transition, il y a environ un demi-siècle, de la Quatrième à la Cinquième République : le personnel politique de la Quatrième République était aussi nul et aussi malhonnête que celui d'aujourd'hui. Heureusement pendant ce temps des gens sérieux (ingénieurs, techniciens, commerçants, enseignants, économistes et j'en oublie) préparaient l'avenir.
Nous sommes aujourd'hui dans la même situation qu'à cette époque, mais avec un avantage énorme qui n'existait pas alors : la Toile nous permet d'échanger nos points de vue sans nous connaître, peut-être sans appartenir au même milieu social ni aux mêmes clubs, avec pour seul point commun d'être francophones, connectés, intéressés par les mêmes sujets de réflexion.

En ce qui concerne plus précisément la formation qu'il serait souhaitable de donner aux officiers, j'aurais tort d'avoir un avis là-dessus. J'ai parfaitement conscience des lacunes de ma propre formation autrefois parce que la réalité m'a beaucoup appris par la suite mais je préfère aujourd'hui me limiter à l'exposé de mes expériences et conclusions partielles, laissant aux plus jeunes le soin d'en tirer les enseignements qu'ils voudront en tirer.

7. Le mardi 10 juin 2014, 11:20 par Ph Davadie

Intéressant article d'Henri Hude sur son blog : Quelques pensées philosophiques sur les valeurs militaires, cf. http://www.henrihude.fr/
Je cite :
"Les valeurs aristocratiques s’enracinent dans la grandeur guerrière, parce que rien ne peut être accompli sans courage et sans la disposition au sacrifice que le courage implique - or beaucoup, tel Aristote, pensent que le plus grand courage est de risquer sa vie, surtout dans le feu de l'action guerrière.
(...)
C’est là que se trouve la raison d’un inévitable porte-à-faux entre les militaires en démocratie, même s'ils sont démocrates, et les démocraties elles-mêmes, surtout dans la mesure où ceux qui y donnent le ton sont certains segments plus égalitaristes et plus libertaires, forcément mal à l’aise face aux idées d’élite, de sacrifice, de hiérarchie, de discipline, etc. Mais comme la démocratie a toujours des adversaires, il faut bien considérer le militaire comme un mal nécessaire, à normaliser dans toute la mesure du possible – mesure limitée, car on ne pourrait le normaliser à fond sans le détruire. "

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