L'ouvrage s'interroge d'abord sur un double problème : à la fois un problème d'efficacité militaire, pour répondre aux succès des armées du roi de Prusse ; et celui de la discipline, soulevé par Michel Foucault.
Derrière le débat autour de l'ordre mince contre l'ordre profond se noue une autre discussion : le soldat doit-il être un automate (comme on avait coutume de le voir chez le Prussien) ou est-il nécessaire de lui accorder une certaine autonomie ? cette dernière apparaît comme nécessaire pour répondre aux difficultés tactiques : à la fois l'adaptation aux irrégularités du terrain, la prise en compte du chaos du combat, enfin la nécessité de préserver un élan qui ajoute à la masse (au fond, l'opposition entre le choc et la manœuvre).
Il s'ensuit, dès les années 1740, un grand débat nourri par de nombreux officiers. Ce débat s'articule autour de deux tendances : d'une part, celle des Lumières, mouvement philosophique prégnant à l'époque et qui déborde aussi sur l'armée (à l'époque, à la fois milice et armée de métier); d'autre part, celle de l'honneur. La notion est composite mais on peut y voir deux sources : aussi bien celle des origines aristocratiques de nombreux officiers, toujours attentifs à leur tradition chevaleresque ; d'autre part, déjà, un tropisme français qui fait partie de la culture nationale (voir Philippe d'Irribarne qui identifie l'honneur comme prégnant dans la culture française).
Ainsi se constitue peu à peu la figure du soldat citoyen, conjointement à la solution tactique adoptée, celle de l'ordre mixte.
Aussi, la Révolution n'apparaît pas comme une rupture aussi flagrante qu'il y paraît. Certes, initialement, le choc produit une politisation de nombre de soldats (le débat n'est plus alors le fait des seuls officiers, désormais les soldats y participent). La vertu remplace l'honneur, la conscience politique celle de la réputation sociale qui était auparavant recherchée. On passe alors au citoyen-soldat. Mais rapidement, le retour aux conceptions prévalant avant la Révolution s'effectue, au travers de la loi Jourdan et de la conscription. Alors, le soldat est moins volontaire et la question de la discipline revient : toujours, il faut lier l'efficacité au combat (à la fois esprit de corps et esprit d’initiative) tout en laissant place au statut politique du soldat, désormais non plus professionnel, mais citoyen.
Le lecteur l'aura compris : il ne s'agit pas de grande tactique (d'aucuns parleraient de stratégie) même si on retrouve bien des continuités qui vont de Guibert à Bonaparte : disons qu'au niveau subordonné, celui de la micro tactique, de la discipline et du soldat, les enjeux politiques et militaires s'articulent également avec complexité, selon des difficultés qui existent toujours aujourd’hui.
Autant de raisons qui font de ce livre un ouvrage bien plus accessible qu'une simple thèse destinée aux spécialistes d'histoire militaire.
O. Kempf