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Progrès et croissance

Je me rends compte de la parenté de deux mots clefs de notre époque : ceux de progrès et de croissance. Ils ont de profonds liens et pourtant leur signification s'érode...

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Le "progrès" est le plus ancien. Apparu dès les Lumières, il prit toute sa signification à partir de la Révolution française puis de la révolution industrielle du XIX° siècle. Suivant Auguste Comte, le progrès devait devenir l'objet d'une nouvelle religion. Mais il ne s’agit pas simplement d'un progrès technique, il s'accompagnait également d'un progrès social, économique et surtout politique. La vie serait meilleure, les lendemains chanteraient, l'humanité marchait vers un horizon préférable à l'existence du moment. Au fond, point n'était plus besoin de religion et notamment d'une religion promettant résurrection et paradis puisque désormais on pouvait le bâtir sur terre.

Deux siècles plus tard, une telle promesse n'emporte plus l'adhésion. Auschwitz est passé par là, la pollution aussi. Personne ne remarque l'accroissement général du niveau de vie et la révolution cyber, ultime révolution industrielle et anthropologique, ne suscite guère de débats que chez quelques passionnés. La lassitude submerge tout.

Entre temps, un autre mot a remplacé ce progrès trop général pour convaincre encore. IL s'agit de la croissance. Cet ingrédient disparu, ce Moby Dick des économies essoufflées, ce carburant d'autant plus rêvé qu'il appartient désormais au passé, cette croissance a longtemps joué les offices du progrès. Grâce à la croissance, tout devait mieux aller, le niveau de vie augmenter, le chômage baisser. Oh! on est certes loin du mirage universel du progrès, la croissance est beaucoup plus petite bourgeoise et utilitaire, elle est le carburant magique après lequel on court, comme les naufragés post-Apocalypse de Mad Max 2. On a longtemps craint une pénurie de pétrole, nous voici en pénurie de croissance.

Mais toujours le même ressort, celui de cette marche dynamique et ascensionnelle. Au point qu'à écouter certains, on discerne des accents proto-religieux dans la façon qu'ils ont de prononcer "croissance", évoquant avec respect le nom d'une divinité mystérieuse et sacrée dont on espère l'incarnation.

Je force bien sûr le trait mais constate également que la "croissance" a remplacé le "progrès" dans le discours public, celui qui nous promet un mécanisme extérieur qui nous emporterait collectivement vers un futur meilleur, discours thaumaturge qui nous permet de supporter les maux du moment.

Incantatoire et éloigné du réel ?

O. Kempf

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